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Sergio Rodríguez Gelfenstein
¿Qué hará Marcos Rubio? 

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14/06/2024

SUPRIYO CHATTERJEE
Après les élections indiennes, l'autoroute de Modi débouche dans un cul-de-sac

Supriyo Chatterjee, 14-6-2024
Traduit par Tlaxcala

Les résultats des récentes élections parlementaires indiennes ont été bénis par un dieu avare et malveillant : les nationalistes hindous gouverneront, mais de justesse ; l'opposition, découragée, peut à nouveau se battre, mais elle doit se préparer intelligemment ; les minorités recroquevillées sont soulagées, mais seulement pour l'instant, et les institutions de l'État se demandent si elles peuvent se tenir debout cette fois-ci ou si elles doivent continuer à ramper.

 

Oups ! Vous êtes biologique !

Après une décennie au pouvoir, le Premier ministre Narendra Modi avait une présence dominante, mais son Bharatiya Janata Party (Parti du peuple indien, le BJP) a perdu sa majorité et un cinquième de ses sièges cette fois-ci, malgré l'injection d'argent, la saisie des fonds du principal parti d'opposition, le Congrès, et le bannissement de ce dernier et d'autres rivaux de la télévision et de la majeure partie de la presse écrite. Il devra compter sur ses alliés régionaux pour continuer à gouverner, mais ils savent que Modi a l'habitude de les utiliser et de les détruire. Le BJP a subi des revers importants dans ses bastions du nord et de l'ouest de l'Inde, qui comptent certains des États les plus grands et les plus peuplés, perdant même à Ayodhya, la ville où une mosquée historique a été détruite et où un temple a été construit sur ses ruines afin de faire de la région le Vatican de l'hindouisme. Le parti au pouvoir a gagné dans l'est et le sud du pays, où sa présence est incertaine, mais ses défaites ont été plus décourageantes que ses victoires contre les partis régionaux.

28/11/2023

SAMAN MUDUNKOTUWAGE
Le Sri Lanka, une proie pour tous les requins

 Saman Mudunkotuwage, 25/11/2023
L’auteur est un exilé srilankais vivant en France

Le conflit entre les puissances internationales et régionales dans l’océan Indien s'intensifie depuis le Sommet du G20 qui s’est tenu en septembre dernier, organisé par le Premier ministre indien Narendra Modi.

Deux mois après cette réunion, où le grand absent était la Chine, l’ United States International Development Finance Corporation (DFC) , une agence du gouvernement fédéral américain, a injecté 550 millions de dollars au profit du Groupe ADANI, une société multinationale indienne qui a déjà investi 700 millions de dollars dans le développement d’une partie du port de Colombo, en dépit de l'opposition et des protestations des syndicats et des dockers.

De ce fait, les médias occidentaux posent la question de savoir si les Américains et les Indiens n’auraient pas passé un accord pour s’opposer l'expansion chinoise dans l'île de Ceylan, au vu de sa situation stratégique dans l’océan Indien.


Namal Amarasinghe

Au lendemain de cet investissement, la Banque mondiale a également accordé à ce pays un crédit de 150 millions de dollars, au prétexte de sauver l’épargne et la stabilité financière du pays.

Ce conflit d'intérêt entre les impérialistes et les puissances régionales concernant Ceylan et sa situation stratégique n'est pas une nouveauté :

- Le 25 mars 1802, le traité d'Amiens, signé entre le Royaume-Uni d’une part et la France napoléonienne, l’Espagne et la République Batave (ex-Provinces-unies, futurs Pays-Bas) d’autre part, aurait dû confier l'île à la France. Mais les Britanniques ont finalement gardé cette clef de l’accès à l’océan Indien.

- La République batave, installée en maître à Colombo, a refusé de remettre le pays aux Britanniques, en dépit de la lettre envoyée par son chancelier en exil à Londres après la guerre de l'ensemble de monarchies européennes contre la France révolutionnaire. En attaquent les possessions hollandaises avec le soutien de l'armée cinghalaise, les Britanniques ont donc pris le contrôle de ces territoires et ports maritimes.

Cela démontre parfaitement l'intérêt militaire que représente Ceylan (devenu Sri Lanka), avec ses rades naturelles similaires à celles de la presqu'île de Crimée ou de Djibouti, aux yeux des pays impérialistes. Aujourd’hui, ce pays est partagé entre les pays impérialistes et la Chine.

Lors de la visite-éclair du président français en juillet dernier, certains médias et experts de cette région ont également évoqué cette question. La DFC a indiqué que son prêt de 550 millions de dollars ne modifiait pas la dette de 55 milliards de dollars due par le Sri Lanka à divers bailleurs de fonds, mais que « ce prêt améliorerait la situation de nos alliés dans la région ».

Tiens donc ! Cette phrase nous rappelle l’histoire d'un autre carnage et de la déclaration cynique de la secrétaire d'État américaine, Condoleeza Rice, après le tsunami de 2004 : « Le tsunami représente pour nous une opportunité merveilleuse ». A chaque fois que ce peuple lutte pour sa survie, son malheur représenterait une merveilleuse opportunité d'améliorer la situation des impérialistes ? Rien que ça !

Tous les experts économiques, sans exception, indiquent que l'économie du Sri Lanka s’est effondrée en raison de son rapprochement avec les valeurs néo-libérales propagées par les néoclassiques de l'école des Chicago Boys. L'ouverture à l'importation massive, la réduction de ses exportations de 80%, et le blocage de toutes les interventions de l’État dans le domaine économique sont des facteurs majeurs du désastre politique et social dans ce pays.

Force est de constater que l'économie sri-lankaise est fondée sur trois secteurs prépondérants, à savoir le textile, le tourisme et les fonds des diasporas. Dès lors que ces trois secteurs entrent en crise, le Sri Lanka est à chaque fois confronté à des difficultés sans précédent. Après l'épidémie de coronavirus en 2020, 25% de la population du pays souffrent d’extrême pauvreté, selon un rapport du 23 septembre 2023. La dette extérieure atteint 55 milliards de dollars.

Aragalaya/The Struggle [La lutte], le raz-de-marée de révolte qui a déferlé sur le Sri Lanka de mars à juillet 2022, a conduit à la fuite du président Gotabaya Rajapaksa et à la démission de tous les membres de sa famille installés à des postes-clé, mais son remplacement par Ranil Wickremesinghe n’a rien changé.

Le peuple et la jeunesse se sont révoltés contre le régime en 2022, mais avant qu’ils aient pu atteindre leurs objectifs, la situation prérévolutionnaire a été confisquée par le système en place avec l'aide du FMI et autres bailleurs du fonds. Le 20 octobre 2023, le FMI a bloqué l’octroi d’un prêt de 333 millions de dollars, en accusant le pouvoir de Colombo de n’avoir pas assez collaboré avec le programme d'austérité proposé par cet organisme. La classe ouvrière s’oppose à tous les programmes de privatisation des ressources naturelles du pays, telles que l'eau, les terres, les assurances, la distribution d'énergie, les compagnies aériennes ou le patrimoine culturel, etc. Voilà la vraie raison du retard dans ce versement. Quant au régime en place, il a reporté toutes les élections municipales et provinciales sous prétexte d’un manque d'argent. Le Président par intérim a déclaré à l'Assemblée nationale que la montée du communisme est à l'origine de ce report. Ils veulent retarder ces élections pour gagner du temps, croyant que les impérialistes finiront par se porter à leur chevet ou que la crise mondiale va se terminer.

La question de l’octroi de ces 555 millions de dollars est une démonstration parfaite de la façon dont l’impérialisme intervient pour sauver ce système pourri, contre l'instauration d'un pouvoir soutenu par le peuple sur la base de la démocratie directe, exigée par les luttes et l'occupation par la jeunesse du Parc Galle Face Green à Colombo en 2022. Face à l’endettement du pays d’une part et aux exigences de la jeunesse et du peuple d’autre part, la classe capitaliste sri-lankaise s'apprête à accepter n'importe quelles concessions suggérées par les impérialistes et les puissances régionales pour sauvegarder son système corrompu.

La guerre d'Ukraine-Russie et d'Israël-Palestine va provoquer une nouvelle montée des taux d'intérêts et l'inflation mondiale va à nouveau toucher de plein fouet les trois ressources économiques du Sri Lanka - textile, tourisme et transferts de fonds des membres de la diaspora qui travaillent majoritairement dans les pays du Golfe et au Machreq. La crise qui se développe au Bangladesh est un bon exemple pour comprendre le désarroi de la classe ouvrière du textile dans la région et le reste du monde. De ce fait, l'injection de dollars par les impérialismes et leurs institutions financières en contrepartie d’occupations militaires et d’acquisitions économiques ne calmeront pas la résistance de la classe ouvrière et du peuple qui se battent pour leur propre émancipation.

Aragalaye Smarakaya’, le Monument à la Lutte, connu sous le nom The Slipper (la tong), une œuvre de l’artiste Salinda Roshan installée sur l’emplacement du Gotagogama, le Village Gotabaya Dégage !, est fortement symbolique : elle montre une tong écrasant un bidon de gaz lacrymogène.

27/08/2023

RATIK ASOKAN
La longue lutte des travailleurs de l’assainissement en Inde

 Ratik Asokan, The New York Review of Books, 24/8/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 Ratik Asokan est un auteur d’articles sur les arts et la culture et traducteur né à Mumbai (Inde) et vivant à New York.


Pendant des siècles, le système des castes a contraint les travailleurs dalits [“intouchables”] à manipuler des excrétions humaines dans des conditions mortelles. Aujourd’hui, ils se soulèvent.

Parmar, un “balayeur” employé par la Brihanmumbai Municipal Corporation, Mumbai, 1999-2000; photo de Sudharak Olwe, tirée de sa série In Search of Dignity and Justice : The Untold Story of Mumbai’s Conservancy Workers (2013).

Un homme disparaît sous terre tandis qu’un autre émerge à la surface. Un troisième s’accroupit sur la route entre eux, tournant entre les deux trous d’égout, dans lesquels ils montent et descendent sans appui. Aucun des hommes ne porte de vêtements appropriés. Celui qui se trouve en surface porte des sous-vêtements blancs qui tranchent avec la crasse environnante. Les deux autres sont torse nu, leurs membres sont couverts de crasse, leurs cheveux sont mouillés et aplatis. Les signes de leur travail sont éparpillés à proximité : un seau, une chaîne rouillée, quelques tiges grossières. Au bord du cadre, on distingue des semelles de chaussures qui s’éloignent sur un sol plus propre.

Cette photo fait partie d’une série de photographies extraordinaires que Sudharak Olwe a réalisées entre 1999 et 2000 sur les Safai Karamcharis de Mumbai, c’est-à-dire les travailleurs de l’assainissement. Leur travail consiste à ramasser les ordures et à balayer les rues de la ville, à nettoyer les égouts et les fosses septiques, à charger et décharger les camions à ordures et à trier les déchets dans les décharges. Nombre d’entre eux travaillent avec des outils primitifs et sans uniforme, comme le montrent les photos d’Olwe. Sur l’une d’elles, des travailleurs passent au crible des monticules de déchets à l’aide de balais et de râteaux rudimentaires. Sur une autre, deux travailleurs en gilet et short sont assis sur des déchets dans un camion à ordures. Sur une troisième, un ouvrier fixe l’appareil photo alors qu’il met un chien mort dans une poubelle.

L’image la plus accablante d’Olwe est peut-être un portrait. Le visage d’un Safai Karamchari est vu d’en haut ; son corps est invisible sous une mare noire d’eaux usées. Il a été envoyé pour déboucher une canalisation d’égout, ce qui est une pratique courante en Inde. La loi impose des équipements de protection pour cette tâche : masques à oxygène, combinaisons, gants, bottes. Mais ces équipements ne sont presque jamais fournis, comme l’ont montré d’innombrables enquêtes. Les Safai Karamcharis sont donc en contact avec les déchets humains, qui provoquent des maladies comme le choléra, la bronchite et la tuberculose, ainsi qu’avec les gaz nocifs qui s’accumulent dans le sous-sol. Il s’agit notamment du sulfure d’hydrogène, qui peut rendre aveugle, et du monoxyde de carbone, qui peut tuer.

Les personnes envoyées au secours des travailleurs asphyxiés courent le même danger. En mai, un Safai Karamchari de 45 ans, Nandakumar, est entré dans une fosse septique à Ramnagar, dans l’Uttar Pradesh, et a perdu connaissance ; son fils, puis deux autres membres de sa famille, se sont alors précipités pour l’aider. Aucun n’a survécu. En 2022, le ministre fédéral indien de la Justice sociale, Ramdas Athawale, a déclaré au Parlement qu’au cours des cinq années précédentes, 330 travailleurs du secteur de l’assainissement étaient morts dans des fosses septiques et des canalisations d’égout, ce qui est certainement sous-estimé. Le mouvement social Safai Karmachari Andolan (SKA) estime que près de deux mille personnes meurent chaque année sous terre. Les décès dans ces chambres à gaz sont rapportés quotidiennement dans les journaux, où ils sont qualifiés d’accidents.

Le fait que les Safai Karamcharis soient obligés de pénétrer dans les égouts est un héritage du système des castes. Considérée comme une tâche impure par les hindous, l’élimination des excréments humains a été confiée pendant des siècles aux sous-castes les plus basses, les Dalits, ou intouchables. Cette relation de travail persiste dans toute l’Asie du Sud : on estime que 98 % des Safai Karamcharis en Inde sont des Dalits, tout comme la majorité des travailleurs de l’assainissement au Bangladesh, au Népal et au Pakistan. Dans tout le sous-continent, ils travaillent dans des conditions dangereuses et sont victimes d’ostracisme social. En juin 2017, Irfan Masih, un Safai Karamchari chrétien de la province pakistanaise de Sindh, est décédé après que trois médecins eurent refusé de soigner son corps couvert de boue. Les vrais croyants restent propres pendant le ramadan.

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10/07/2023

“Des étrangers sur notre propre terre” : des affrontements ethniques menacent de faire basculer l’État indien de Manipur dans la guerre civile


Aakash Hassan à Manipur et Hannah Ellis-Petersen à Delhi, The Guardian, 10/7/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Plus de 100 personnes ont été tuées et des dizaines de milliers ont été déplacées dans le cadre des violences actuelles qui risquent de diviser l’État en deux.

Des dizaines de maisons vandalisées et brûlées après des affrontements ethniques et des émeutes dans l’État indien de Manipur. Photo : Altaf Qadri/AP

En voyant la fumée s’élever des maisons incendiées à proximité, Nancy Chingthianniang et sa famille ont su qu’il était urgent de s’enfuir. C’était au début du mois de mai et tout autour d’eux, le Manipur - un État du nord-est de l’Inde - avait commencé à brûler, les membres de l’ethnie dominante Meitei s’opposant violemment aux Kukis minoritaires dans le cadre de l’un des pires conflits ethniques que la région ait connus de mémoire d’humain.

Chingthianniang, 29 ans, membre de la minorité kuki vivant à Imphal, la capitale de l’État, où la tribu Meitei domine en nombre et en pouvoir politique, craignait pour sa vie ; elle avait déjà appris que des membres de sa famille et des voisins étaient pris pour cible par des bandes meitei. Tard dans la nuit, cinq membres de la famille se sont entassés dans une voiture et se sont dirigés vers une zone de l’État contrôlée par les Kukis.

Ce voyage est douloureusement gravé dans la mémoire de Chingthianniang. Alors qu’ils s’approchaient d’un camp où les Kukis avaient trouvé refuge, une foule d’une centaine de personnes, toutes issues de la communauté meitei, a encerclé leur voiture et a commencé à la défoncer à l’aide de bâtons et de barres de fer.

Chingthianniang a été tirée du véhicule par les cheveux. Frissonnante, elle se souvient qu’ils ont été exhibés par des femmes de la foule qui ont crié aux hommes de leur groupe : « Allez les violer, on vous laisse ces tribales, violez-les ! »

La foule a commencé à battre brutalement le mari de Chingthianniang, Sasang. « Nous avons essayé de le protéger, de faire écran alors que nous recevions des coups de bâton », raconte-t-elle. « Mais il a été séparé de nous et lynché. Je ne peux pas oublier comment son corps sans vie a été frappé par des barres de fer, même une fois qu’il était mort ».


Nancy Chingthianigng a été attaquée et blessée par une foule à Manipur : Aakash Hassan/The Guardian

La mère de Sasang, qui avait tenté de sauver son fils de la foule, a également été tuée. Poursuivie par les agresseurs meitei, Chingthianniang a couru jusqu’à un camp militaire voisin et, en secouant les grilles, a supplié les soldats de l’aider. Au lieu de cela, ils l’ont repoussée et, tandis que la foule enragée s’abattait sur elle, elle a été battue jusqu’à ce qu’elle perde connaissance.

Elle s’est réveillée quelques jours plus tard dans une unité de soins intensifs, après avoir subi plusieurs interventions chirurgicales à la tête. Ce n’est que quelques jours plus tard que l’on a appris que son mari et sa belle-mère n’avaient pas survécu. Leurs corps sont toujours à la morgue d’Imphal, les proches n’osant pas aller les chercher.

Chingthianniang s’est depuis réfugiée chez sa belle-sœur à New Delhi, où des milliers d’habitants du Manipur ont trouvé refuge pour échapper au conflit qui continue de faire rage. Incapable d’apaiser les traumatismes de cette nuit, elle les revit constamment dans son esprit. « Je me demande comment je vais pouvoir survivre à tout ça », dit-elle, pâle et ébranlée.

Depuis l’attaque de Chingthianniang et de sa famille en mai, le conflit entre les Meiteis et les Kukis au Manipur n’a fait que s’aggraver. Environ 130 personnes, principalement des Kukis, ont trouvé la mort, plus de 60 000 ont été déplacées et des centaines de camps de secours ont été mis en place dans une situation qui a poussé l’État au bord de la guerre civile.


Une histoire de violence

Le Manipur est aujourd’hui divisé en deux zones ethniques farouchement protégées, les basses terres et les vallées étant contrôlées par les Meiteis et les collines par les Kukis. S’aventurer sur le territoire de la tribu adverse est décrit comme une “condamnation à mort”.

Alors que le gouvernement de l’État et le gouvernement central - tous deux contrôlés par le parti Bharatiya Janata (BJP) du premier ministre Narendra Modi - ont insisté sur le fait que la situation “s’améliore lentement”, les personnes sur le terrain racontent une autre histoire. Les couvre-feux et les restrictions persistent dans de grandes parties de l’État et l’internet a été coupé à plusieurs reprises. Des milliers de soldats et de supplétifs paramilitaires ont été déployés, tandis que les deux camps ont formé leurs propres groupes d’autodéfense armés. Cette semaine, les affrontements ont fait huit morts supplémentaires.

Les analystes estiment que les efforts du gouvernement pour ramener la paix dans la région ont largement échoué jusqu’à présent et que les tensions pourraient s’aggraver, risquant de déstabiliser d’autres États de la région instable du nord-est de l’Inde, tels que le Mizoram, le Nagaland et l’Assam. Le gouvernement BJP de l’État de Manipur est dominé par les Meiteis, majoritaires ce qui suscite la méfiance des leaders kukis, tandis que Modi est resté publiquement silencieux sur le conflit. Le seul ministre BJP de haut niveau à avoir visité l’État est le ministre de l’intérieur, Amit Shah. Sa visite n’a guère contribué à apaiser les tensions ethniques.

Les troubles ont été déclenchés par une décision de la Cour d’État du 27 mars, qui a accordé à la communauté dominante des Meitei un “statut tribal”, leur permettant de bénéficier des mêmes avantages économiques et des mêmes quotas que la communauté minoritaire des Kukis pour les emplois publics et l’éducation, et autorisant les Meiteis à acheter des terres dans les collines, où les Kukis vivent en majorité. La décision a ensuite été suspendue par la Cour suprême, qui l’a qualifiée de “factuellement erronée”.

Cette affaire a ravivé une situation déjà tendue dans un État qui n’est pas étranger aux conflits ethniques et aux insurrections depuis son indépendance. Le coup d’État militaire de 2021 dans le pays voisin, le Myanmar, a ravivé les tensions après que des milliers de réfugiés, plus proches des Kukis sur le plan ethnique, ont franchi la frontière pour se réfugier dans l’État de Mizoram, puis dans celui de Manipur, ce qui a fait craindre aux Meiteis que leur communauté ne soit déplacée.

Le 3 mai, une manifestation d’étudiants kukis contre la décision du tribunal a été accueillie avec violence et, quelques heures plus tard, les groupes ethniques ont commencé à s’affronter. Des maisons, des magasins, des églises, des temples et des entreprises ont été détruits et une soixantaine de personnes ont été tuées au cours des deux premiers jours de violence.

Depuis lors, les affrontements et les incendies de villages se poursuivent à un rythme soutenu. Plus de 4 000 armes ont été pillées dans les armureries de la police et les officiers se disent souvent incapables de contrôler l’anarchie qui règne dans les rues, décrite par le vice-ministre indien des Affaires étrangères - dont la maison a été récemment attaquée à l’aide de bombes à essence - comme « un effondrement complet de l’ordre public ».

“Des étrangers sur notre propre terre”

Les deux parties se sont repliées sur elles-mêmes pour tenter de protéger leur territoire. À Leimaran, un village entouré de rizières et contrôlé par les Meiteis, un groupe de “volontaires pour la défense du village” - composé d’environ 150 agriculteurs, enseignants et hommes d’affaires locaux - a pris les armes dans le conflit.

Leur village, qui ne compte que 400 foyers, est situé à quelques kilomètres seulement d’un bastion kuki, ce qui en fait une véritable frontière dans cette lutte ethnique. Les villageois ont installé sept bunkers à l’ouest du village et des hommes armés montent la garde jour et nuit.


Des membres armés de la communauté meitei, derrière un bunker, surveillent les bunkers rivaux des Kukis. Photo : Altaf Qadri/AP

La route entre les deux villages a été barricadée et constitue désormais une zone tampon sinistrement silencieuse, bordée de maisons brûlées et désertes et de voitures et camions calcinés. Des militaires sont postés tous les quelques mètres.

« C’est ainsi que chaque village Meitei se prépare », explique Aheibam Dinamani Singh, 42 ans, professeur dans une école d’ingénieurs du gouvernement local, qui dirige le groupe de défense. « Je suis enseignant, mais pour l’instant, ma priorité est de me procurer une arme et de défendre ma communauté. La situation a atteint un point tel que seules les armes peuvent décider de l’avenir ».

De l’autre côté du poste de contrôle militaire, à quelques kilomètres de là, se trouve le village kuki de Maitain, où une frontière a été construite avec des bunkers et des sacs de sable, et où un groupe similaire d’habitants kukis surveille les ennemis qui étaient autrefois leurs voisins. Comme de nombreux Kukis, les sentinelles soutiennent les appels en faveur d’un État kuki indépendant, arguant qu’ils ne peuvent plus vivre aux côtés des Meiteis. « Nous sommes postés ici jour et nuit et nous continuerons à protéger notre région jusqu’à ce que nous atteignions notre objectif », déclare Hemkholien, 52 ans.

« Ils nous traitent d’étrangers sur notre propre terre. Nous sommes confrontés à une menace existentielle », dit Mawi, 48 ans, qui milite au sein du Conseil Zomi, une association regroupant les Kukis et d’autres groupes tribaux. « Nous avons subi des injustices systémiques au fil des ans de la part de la communauté majoritaire. Comment pouvons-nous vivre avec eux ? »

Mais la tribu meitei affirme que la scission de l’État remettrait en question toute son identité et prévient qu’elle est prête à la combattre à n’importe quel prix.

 

Des manifestants organisent une veillée aux flambeaux pour le retour de la paix, à Imphal, la capitale du Manipur : Aakash Hassan/The Guardian

« La frontière actuelle du Manipur est celle pour laquelle nos ancêtres se sont battus en versant leur sang. Nous ne pouvons pas la laisser être divisée », déclare Samaradra Meitei, 29 ans, un militant meitei qui tient son arme à l’intérieur d’un bunker. « La séparation du Manipur n’est pas acceptable pour nous. Nous nous battrons contre ça et il y aura beaucoup d’effusions de sang ».

Alors que certains ont cherché à donner une dimension communautaire au conflit - les Meiteis étant des hindous, la religion dominante en Inde, et les Kukis des chrétiens, très minoritaires et persécutés par le gouvernement nationaliste hindou du BJP - les personnes présentes sur le terrain insistent sur le fait que les troubles n’ont rien à voir avec la religion.

Le rôle du Myanmar voisin menace également d’attiser la violence, la junte militaire du pays soutenant les Meiteis et les combattants rebelles du Myanmar soutenant les Kukis. Les militants des deux camps reconnaissent que les combats sont alimentés par un afflux au Manipur d’armes - fusils automatiques, grenades et lance-roquettes - en provenance du Myanmar.

La police, les responsables de l’armée et les dirigeants des deux communautés ont confirmé que les militants qui se battent au Myanmar ont également franchi la frontière et lancent des attaques contre les communautés adverses. The Guardian a également constaté la présence de ces militants, armés de fusils automatiques, parmi les volontaires de la défense des villages des deux communautés.

Cette semaine, le ministre en chef du Manipur, N Biren Singh, a déclaré que l’armée commencerait à nettoyer les bunkers et les structures de défense construits par les deux parties dans les collines et les vallées, mais les dirigeants kukis affirment qu’ils s’opposeront à toute mesure de ce type.

« Les gens construisent des bunkers des deux côtés, ils positionnent leurs armes », déclare Jang Kaopao Haokip, 55 ans, un agriculteur kuki dont la maison et tout le village ont été brûlés lors des violences. « New Delhi devrait comprendre qu’il s’agit d’une préparation à la guerre ».

27/06/2023

DANIEL GILBERT
Comment des problèmes dans une usine en Inde ont conduit à une pénurie de médicaments anticancéreux aux USA

Daniel Gilbert, The Washington Post, 27/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Daniel Gilbert a rejoint le Washington Post en 2022 et écrit sur le secteur de la médecine. Auparavant, il a travaillé pendant sept ans comme journaliste d’investigation pour le Seattle Times et, avant cela, il a couvert les secteurs de l’économie et de l’énergie pour le Wall Street Journal. Twitter

 

L’usine d’Intas Pharmaceuticals produisait des médicaments dans un vaste parc industriel de l’ouest de l’Inde, loin de l’esprit des patients usaméricains atteints de cancer, jusqu’à ce que ses problèmes deviennent les leurs.

Intas Pharmaceuticals exploite plusieurs usines près d’Ahmedabad, dans l’État indien du Gujarat, dont celle-ci dans le village de Matoda. À la fin de l’année dernière, la FDA (Agence fédérale des produits alimentaires et médicamenteux) usaméricaine a constaté des problèmes dans une usine voisine d’Intas, ce qui a conduit l’entreprise à suspendre sa production. (Sam Panthaky/AFP/Getty Images)

L’usine fournissait environ 50 % de l’approvisionnement des USA en cisplatine, un médicament générique de chimiothérapie largement utilisé, une réalité que peu de gens comprenaient jusqu’à ce que la Food and Drug Administration usaméricaine inspecte le site en novembre.

Les inspecteurs ont constaté des problèmes généralisés, notamment des documents fraîchement déchirés et aspergés d’acide, ainsi qu’une “cascade de défaillances” dans l’assurance qualité. Intas a suspendu la production pendant qu’elle s’efforçait de résoudre les problèmes, ce qui a déclenché une pénurie de cisplatine, selon les experts de la chaîne d’approvisionnement. Aujourd’hui, les oncologues se démènent pour s’approvisionner ou trouver d’autres traitements, ce qui pourrait affecter des centaines de milliers de patients.

C’est le dernier cas en date d’un médicament générique soudainement difficile à obtenir aux USA, où les consommateurs ont également eu du mal, l’année dernière, à trouver toutes sortes de produits, de l’acétaminophène pour enfants aux antibiotiques en passant par les médicaments destinés à traiter le trouble déficitaire de l’attention/hyperactivité. Les raisons de ces pénuries sont diverses, mais ensemble, elles mettent l’accent sur l’activité délicate de fabrication des médicaments génériques et sur la fragilité du réseau de distribution de médicaments essentiels pour les  USAméricains.

Les médicaments génériques - copies moins chères des médicaments de marque - aident à contrôler les coûts des soins de santé, représentant plus de 90 % des prescriptions aux USA, mais moins de 20 % des dépenses en médicaments de prescription, selon l’Association for Accessible Medicines, qui représente les fabricants de médicaments génériques. Selon les experts, la concurrence croissante dans le secteur a réduit les bénéfices des fabricants, ce qui ne les incite guère à moderniser des usines vieillissantes qui tournent souvent à plein régime et qui risquent de tomber en panne.

Dans cette chaîne d’approvisionnement fragile, une perturbation dans une seule usine peut entraîner une pénurie généralisée lorsque les autres fabricants ne parviennent pas à combler la différence. Outre Intas, quatre autres entreprises fabriquant du cisplatine ont signalé une pénurie à la FDA, invoquant une “augmentation de la demande”. Cette pénurie a contribué à son tour à une pénurie de carboplatine, un médicament chimiothérapeutique qui peut être substitué au cisplatine et qui était également fabriqué dans la même usine d’Intas.

William Dahut, directeur scientifique de l’American Cancer Society, a déclaré que les patients ne peuvent pas se contenter d’attendre qu’un médicament de chimiothérapie soit disponible et risquent de voir leur cancer continuer à se développer. « Ils risquent de continuer à prendre d’autres médicaments qui ne seront peut-être pas aussi efficaces », a-t-il déclaré.

C’est précisément ce scénario qui a accru l’anxiété d’Anne Ingebretsen après qu’on lui a diagnostiqué un cancer des ovaires en avril. Le diagnostic lui-même a été un coup dur pour cette femme de 63 ans, élue à Greenwood Village (Colorado), à qui l’on a d’abord prescrit une chimiothérapie à base de carboplatine. Elle a d’abord reçu une ordonnance de carboplatine pour sa chimiothérapie. « Puis vous apprenez que vous ne recevrez pas le protocole standard, mais le protocole de deuxième intention. C’est un autre coup dur », dit-elle

Le National Comprehensive Cancer Network, une alliance de centres de cancérologie, a mené une enquête auprès de 27 de ses membres en mai et a constaté qu’entre 70 et 93 % d’entre eux manquaient de cisplatine ou de carboplatine. Ces médicaments sont utilisés pour traiter les cancers du poumon, de la vessie, du sein et de la prostate, entre autres.

« Nous n’avons pas connaissance de pénuries antérieures de médicaments anticancéreux d’une ampleur comparable à celle du cisplatine et du carboplatine », a déclaré Robert Carlson, directeur général du réseau, dans un communiqué. Ces médicaments « sont si largement utilisés - et si efficaces - dans tant de types de cancer que l’impact est bien plus important que les pénuries passées de médicaments oncologiques ».

La FDA a ajouté les médicaments fabriqués dans l’usine d’Intas à une “alerte à l’importation, en vertu de laquelle ils pourraient ne pas être autorisés aux USA, mais a exempté ceux qui font l’objet d’une pénurie. Intas et sa filiale usaméricaine, Accord Healthcare, ont collaboré avec l’agence pour vérifier la qualité des médicaments anticancéreux qu’elle a déjà produits et expédiés aux USA.

« Intas se consacre entièrement à la poursuite de son acquis en matière de fourniture de médicaments de qualité », a déclaré la société dans un communiqué.

La FDA a pris des dispositions pour importer temporairement du cisplatine d’un fournisseur chinois et étudie d’autres options de ce type. L’agence a inscrit 14 médicaments anticancéreux sur sa liste de pénuries.

« La FDA fait tout son possible pour atténuer ces pénuries », a déclaré un porte-parole.

Mais pour mettre fin aux pénuries chroniques de médicaments, il faudra changer radicalement la façon dont les médicaments génériques sont fabriqués et achetés, affirment les experts. Un rapport publié mercredi par le projet Hamilton de la Brookings Institution affirme que le gouvernement usaméricain doit intervenir, par le biais de la législation et du financement, pour inciter les fabricants à investir dans des équipements fiables et les acheteurs de leurs médicaments à payer un supplément pour la qualité.

Cela pourrait coûter jusqu’à 3 milliards de dollars par an, estime le rapport, mais c’est peu par rapport aux coûts sociétaux des pénuries de médicaments. Une analyse non publiée de la FDA en 2018 a calculé qu’une seule pénurie de norépinéphrine - un médicament contre la tension artérielle - entraînait une mortalité plus élevée et un “coût social” de 13,7 milliards de dollars.

Un bâtiment de Teva Pharmaceuticals à Jérusalem en 2017. (Ammar Awad/Reuters)

Pratiquement personne ne gagne d’argent

En 2017, Teva Pharmaceuticals, le plus grand fabricant de médicaments génériques au monde, a enregistré la perte annuelle la plus importante de son histoire. Le coupable : ses activités usaméricaines dans le domaine des génériques.

La fabrication de médicaments génériques consiste essentiellement à copier l’innovation d’une autre société et, une fois que le médicament original perd la protection de son brevet, à le proposer au public à un prix inférieur. C’est une formule qui, historiquement, a permis aux fabricants de réaliser des bénéfices substantiels tout en réduisant les coûts dans l’ensemble du système de soins de santé. Mais la viabilité de ce modèle a été remise en question ces dernières années.

Les groupes d’achat des hôpitaux, les grossistes et les distributeurs qui achètent des médicaments à Teva et à d’autres fabricants de médicaments se sont regroupés, laissant quelques grands acteurs avec une plus grande marge de manœuvre pour faire de bonnes affaires. Les réglementations et les politiques de la FDA ont également entraîné une concurrence accrue pour les médicaments génériques, exerçant une pression supplémentaire sur les fabricants pour qu’ils proposent des prix toujours plus bas.

Lorsque l’entreprise israélienne Teva a analysé les recettes qu’elle comptait tirer de la vente de génériques aux USA en 2017, elle a conclu que cette activité valait 11 milliards de dollars de moins que ce qu’elle pensait auparavant, ce qui l’a amenée à enregistrer une perte considérable.

Depuis, Teva a considérablement réduit son empreinte industrielle. En mai, la société exploitait 52 usines dans le monde, contre 80 en 2018, et prévoit de fermer jusqu’à une douzaine d’autres sites, selon une présentation aux investisseurs. Elle a signalé une pénurie actuelle de neuf médicaments anticancéreux qu’elle fabrique.

Teva a déclaré que sa nouvelle stratégie est une réponse à « la dynamique du marché qui a radicalement changé ces dernières années », selon un porte-parole, et qu’elle « ne prévoit actuellement aucun changement pour les médicaments en pénurie en raison d’une forte demande ». L’entreprise a déclaré avoir constaté une « hausse à trois chiffres de la demande » pour le cisplatine et le carboplatine en raison de la fermeture de l’usine Intas, et qu’elle « redouble d’efforts tout au long de sa chaîne d’approvisionnement pour respecter ses engagements envers ses clients et trouver des moyens de faire face à la demande excédentaire ».

« Pratiquement personne ne gagne de l’argent dans le secteur des génériques aux USA », a déclaré Carlo de Notaristefani, qui a supervisé les opérations mondiales de Teva jusqu’en 2019. L’absence de bénéfices fait qu’il est difficile pour les fabricants d’investir dans la modernisation des vieilles usines, a-t-il ajouté, ce qui crée un autre risque de perturbation, en plus des pénuries de matières premières et de la conformité aux réglementations. « Plus les usines vieillissent, plus elles sont susceptibles de subir des pannes inattendues ».

Les médicaments anticancéreux injectés sont particulièrement complexes à fabriquer et à manipuler, car ils passent directement dans la circulation sanguine du patient et doivent être produits dans une installation stérile, ce qui laisse moins de marge d’erreur que les médicaments oraux qui passent par le système digestif du corps.

L’approvisionnement en médicaments génériques injectables est également plus vulnérable aux perturbations, 15 % d’entre eux au moins n’ayant qu’un seul fabricant, selon le nouveau rapport du projet Hamilton de la Brookings Institution.

En raison des maigres bénéfices réalisés aux USA, « les usines usaméricaines continuent de fermer, tandis qu’un nombre croissant de sites sont ouverts en Inde avec le soutien du gouvernement indien », indique l’étude.

Selon les données de la FDA, les inspections de fabricants étrangers ont chuté pendant la pandémie de covid-19. Avant l’inspection de novembre, l’usine d’Intas avait été inspectée pour la dernière fois en février 2020. Cette inspection avait révélé des problèmes, mais n’avait pas donné lieu à des mesures réglementaires.

C’est ainsi que l’on aboutit à des pénuries

Le jour où les inspecteurs sont arrivés à l’usine Intas, dans l’État indien du Gujarat, ils ont remarqué « un grand sac en plastique noir qui était [caché] sous l’escalier » d’une zone de contrôle de la qualité. À l’intérieur du sac se trouvaient des documents déchirés sur les pratiques de fabrication de l’usine pour les médicaments vendus aux USA.

Dans un premier temps, un responsable d’Intas a expliqué qu’un employé avait utilisé les documents pour nettoyer un déversement sur le sol. Plus tard, un responsable du contrôle de la qualité a admis avoir saccagé les documents lorsqu’il a appris que les enquêteurs arrivaient, en les aspergeant d’acide « pour tenter de détruire les preuves des tests sur lesquels il travaillait et qui présentaient des problèmes », selon le rapport d’inspection lourdement caviardé.

Les enquêteurs de la FDA ont également trouvé un camion rempli de sacs poubelles contenant des documents déchirés concernant des tests de qualité, en attente d’autorisation pour quitter la zone de fabrication.

« Nous avons déterminé que le déchiquetage de documents était un incident isolé », a déclaré Accord Healthcare, filiale d’Intas, dans un communiqué, ajoutant qu’elle avait pris des « mesures correctives appropriées » et lancé une « initiative de culture de la qualité à l’échelle de l’entreprise ».

« Je pense que si vous n’êtes pas surveillé et que vous le savez, vous êtes tenté de faire des économies », a déclaré Erin Fox, pharmacienne en chef adjointe à l’université de l’Utah, qui suit les pénuries au niveau national. « Je crains qu’à mesure que la FDA intensifie ses inspections, elle ne découvre d’autres problèmes » qui pourraient entraîner d’autres pénuries. Le nombre de médicaments en pénurie active est le plus élevé depuis 2014, selon le service d’information sur les médicaments de l’université.

Certains experts en matière de pénuries de médicaments espèrent que la crise actuelle incitera les législateurs à donner suite à des recommandations formulées de longue date.

Marta Wosinska, chercheuse invitée à la Brookings Institution et auteure principale du document du projet Hamilton, propose des prêts à faible taux d’intérêt pour permettre aux fabricants de moderniser leurs usines et au gouvernement de stocker des médicaments génériques essentiels. Mais la réforme la plus importante, selon elle, consiste à créer un système qui évalue la qualité des fabricants et oriente la demande vers les plus fiables, en récompensant financièrement les hôpitaux qui s’approvisionnent auprès d’eux.

« Si nous voulons de la résilience, nous devrons payer pour cela », dit Mme Wosinska.

Un livre blanc publié jeudi par l’industrie a formulé des recommandations similaires, appelant à inciter les hôpitaux, les grossistes et les distributeurs à s’engager à long terme à acheter des médicaments à des prix fixes. L’idée de noter les fabricants en fonction de leur fiabilité - une mesure connue sous le nom de maturité en gestion de la qualité (QMM) - fait encore l’objet d’un débat.

Brian McCormick, responsable de la politique réglementaire mondiale de Teva, a déclaré lors d’un forum du projet Hamilton qu’il soutenait les efforts visant à améliorer la qualité des fabricants, mais qu’il craignait que le fait d’orienter la demande vers les usines les plus performantes ne nuise aux installations plus anciennes et ne conduise à une chaîne d’approvisionnement moins diversifiée.

« Je veux une installation avec une faible note QMM sur le marché usaméricain parce que je veux avoir le plus grand nombre possible de fournisseurs adéquats à notre disposition », a-t-il déclaré.

« C’est vrai, a répondu Mme Wosinska, mais ce que je ne veux pas, c’est que cet établissement détienne 50 % des parts de marché ». Elle a ajouté : « C’est ainsi que l’on finit par avoir des pénuries ».