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20/12/2021

FREDERIC WEHREY
Maroc : les multiples répercussions de la rébellion du Rif (1921-1926)

Frederic Wehrey (bio), The New York Review of Books, 18/12/2021

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Comme il se doit pour un mouvement anticolonial qui a créé le modèle de ceux qui ont suivi, la révolte berbère des années 1920 se répercute aujourd'hui sur un siècle d'histoire.

Une gravure représentant Abdelkrim Al Khattabi à cheval dirigeant les rebelles du Rif contre les forces espagnoles, Maroc, années 1920 ; Apic/Getty Images

Un soir d'octobre dernier, je suis monté dans un bus à Rabat, la capitale marocaine, pour un voyage d'une nuit vers la côte méditerranéenne. Après plusieurs heures, nous grimpions dans les montagnes du Rif, le véhicule gémissant et se balançant dans les virages en épingle à cheveux. Le Rif est une chaîne de montagnes relativement récente - géologiquement plus jeune que les sommets plus connus de l'Atlas et moins grandiose - qui s'élève à pic depuis la mer au nord, mais qui s'abaisse en escarpements doux au sud.

Dans la pénombre du clair de lune, le paysage paraissait assez inquiétant : des massifs imposants tapissés de maquis, des bosquets de cèdres et de sapins, et des ravins profonds entourés de rochers calcaires. Il n'était pas difficile de comprendre comment, il y a cent ans, ce terrain a fait naître la peur dans le cœur des jeunes conscrits de l’Espagne, qui gouvernait le nord du Maroc en tant que protectorat, alors qu'ils étaient confrontés à une insurrection féroce du peuple amazigh indigène, également connu sous le nom de Berbères.

« La pire guerre, au pire moment, dans le pire endroit du monde », a écrit un journaliste espagnol à propos du conflit de cinq ans connu sous le nom de guerre du Rif.

Les combats ont commencé au début du mois de juin 1921, lorsque des tribus rifaines ont tendu une embuscade à un petit contingent de forces espagnoles sur un affleurement rocheux de la frange nord du Rif, le mont Ubarran. Rétrospectivement, cet engagement n'était que l'escarmouche initiale d'une bataille beaucoup plus importante et, du point de vue espagnol, catastrophique, qui s'est déroulée un mois plus tard dans et autour du village voisin d'Annual (accentuation de la dernière syllabe). Le désastre d'Annual, comme on l'appelle aujourd'hui en Espagne, a entraîné la mort d'au moins 13 000 soldats espagnols, infligée par seulement 3 000 Rifains. Pendant dix-huit jours, les combattants ont assiégé des soldats espagnols mal entraînés et des troupes indigènes dans des avant-postes ensablés, les privant de vivres et d'eau - certains soldats ont dû boire leur urine - et les abattant à coups de fusil ou de poignard alors qu'ils se repliaient pêle-mêle vers l'enclave espagnole de Melilla. Le commandant espagnol sur le terrain, un célèbre général imprudent du nom de Manuel Fernández Silvestre, a péri dans la mêlée, peut-être par suicide. Sa dépouille n'a jamais été retrouvée.

 

Le campement espagnol à Annual après sa prise par les Rifains, Maroc, 21 juillet 1921. Photo12/UIG via Getty Images

 C'est la pire débâcle militaire de l'histoire moderne de l'Espagne et sans doute la plus grave défaite qu'une armée coloniale européenne ait subie sur le continent africain, dépassant même la déroute de l'armée italienne à la bataille d'Adoua en Éthiopie en 1896. Ses conséquences se sont propagées en Afrique du Nord, en Méditerranée et en Asie, atteignant même les USA, où elle a suscité la sympathie du public pour la cause rifaine et électrisé les panafricanistes noirs usaméricains tels que les disciples de Marcus Garvey. Le centenaire d’Annual en juillet de cette année est passé pratiquement inaperçu dans le monde anglophone, mais il reste une grande source de fierté pour les Amazighs des montagnes du Rif, un héritage troublant pour la monarchie marocaine et un traumatisme national persistant en Espagne.