Les travaux de construction se sont intensifiés sur une nouvelle structure majeure d’une installation clé du programme d’armes atomiques longtemps suspecté d’Israël, selon des images satellites analysées par des experts. Ceux-ci estiment qu’il pourrait s’agir d’un nouveau réacteur ou d’une installation destinée à assembler des armes nucléaires — mais le secret qui entoure ce programme rend difficile toute certitude.
Jon Gambrell, AP
News, 3/9/2025
Traduit par Tlaxcala
Jon Gambrell est directeur de l'information pour le Golfe et l'Iran à l'agence usaméricaine Associated Press. Depuis son arrivée à l'AP en 2006, il a couvert les événements dans les pays du Conseil de coopération du Golfe, en Iran et ailleurs dans le monde.
DUBAÏ,
Émirats arabes unis (AP) — Les travaux de construction se sont intensifiés sur
une nouvelle structure majeure d’une installation clé du programme d’armes
atomiques longtemps suspecté d’Israël, selon des images satellites analysées
par des experts. Ceux-ci estiment qu’il pourrait s’agir d’un nouveau réacteur
ou d’une installation destinée à assembler des armes nucléaires — mais le
secret qui entoure ce programme rend difficile toute certitude.
Les travaux
au Centre de recherche nucléaire Shimon Peres du Néguev, près de la ville de
Dimona, relanceront les questions sur le statut largement admis d’Israël en
tant que seul État du Moyen-Orient doté de l’arme nucléaire.
Cela
pourrait également susciter des critiques internationales, d’autant plus que
cela intervient après qu’Israël et les USA ont bombardé en juin plusieurs sites
nucléaires en Iran, par crainte que la République islamique n’utilise ses
installations d’enrichissement pour se doter d’une arme atomique. Parmi les
sites attaqués figurait le réacteur à eau lourde d’Arak.
Sept experts
ayant examiné les images ont tous déclaré qu’ils pensaient que la construction
était liée au programme d’armes nucléaires longtemps suspecté d’Israël, compte
tenu de sa proximité avec le réacteur de Dimona, où aucune centrale électrique
civile n’existe. Toutefois, leurs avis divergeaient sur la nature exacte de la
nouvelle construction.
Trois
d’entre eux ont affirmé que l’emplacement et la taille de la zone en
construction, ainsi que le fait qu’elle semblait comporter plusieurs étages,
signifiaient que l’explication la plus probable était la construction d’un
nouveau réacteur à eau lourde. De tels réacteurs peuvent produire du plutonium
et un autre matériau essentiel aux armes nucléaires.
Les quatre
autres ont reconnu qu’il pouvait s’agir d’un réacteur à eau lourde, mais ont
également suggéré que les travaux pourraient être liés à une nouvelle
installation d’assemblage d’armes nucléaires. Ils ont refusé de se prononcer
définitivement, étant donné que la construction n’en était encore qu’à un stade
précoce.
« C’est probablement un réacteur — ce jugement est circonstanciel mais c’est la nature de ce type d’analyse », a déclaré Jeffrey Lewis, expert au James Martin Center for Nonproliferation Studies de l’Institut Middlebury d’études internationales, qui a fondé son évaluation sur les images et sur l’histoire de Dimona. « Il est très difficile d’imaginer qu’il s’agisse d’autre chose. »
Israël ne
confirme ni ne nie posséder des armes atomiques, et son gouvernement n’a pas
répondu aux demandes de commentaires. La Maison-Blanche, alliée la plus proche
d’Israël, n’a pas non plus répondu aux sollicitations.
Travaux
de construction en cours depuis des années
Associated
Press avait rapporté pour la première fois en 2021 des travaux d’excavation
dans l’installation, située à environ 90 kilomètres au sud de Jérusalem. À
l’époque, les images satellites ne montraient que des ouvriers creusant un trou
d’environ 150 mètres de long et 60 mètres de large près du réacteur à eau
lourde d’origine du site.
Des images prises le 5 juillet par Planet Labs PBC montrent une intensification des travaux sur le site de l’excavation. D’épaisses parois de soutènement en béton semblent être posées sur le site, qui paraît comporter plusieurs étages souterrains. Des grues dominent le chantier.
Aucun dôme de confinement ni autre élément généralement associé à un réacteur à eau lourde n’est visible pour l’instant sur le site. Cependant, un tel dôme pourrait être ajouté plus tard ou bien le réacteur pourrait être conçu sans.
Le réacteur
actuel à eau lourde de Dimona, mis en service dans les années 1960, fonctionne
depuis bien plus longtemps que la plupart des réacteurs de la même époque. Cela
suggère qu’il devra bientôt être remplacé ou rénové.
« C’est une
structure haute, ce qui est attendu, car le cœur du réacteur est assez grand »,
a expliqué Lewis. « Vu l’emplacement, la taille et le manque général de
construction alentour, il est plus probable qu’il s’agisse d’un réacteur que de
toute autre chose. »
Edwin Lyman, expert nucléaire à l’Union of Concerned Scientists, basée à Cambridge (Massachusetts), a lui aussi estimé que la nouvelle construction pourrait être un réacteur de forme rectangulaire ne présentant pas de dôme de confinement visible, tout en reconnaissant que le manque de transparence rendait difficile toute certitude.
Israël «
n’autorise aucune inspection ou vérification internationale de ce qu’il fait,
ce qui force le public à spéculer », a déclaré Lyman.
Alors que
les détails concernant Dimona restent des secrets d’État en Israël, un lanceur
d’alerte avait dans les années 1980 révélé des informations et des photos de
l’installation, amenant les experts à conclure qu’Israël avait produit des
dizaines d’ogives nucléaires.
« S’il s’agit d’un réacteur à eau lourde, ils cherchent à maintenir la capacité de produire du combustible usé qu’ils peuvent ensuite retraiter pour séparer le plutonium destiné à fabriquer davantage d’armes nucléaires », a déclaré Daryl G. Kimball, directeur exécutif de l’Arms Control Association, basée à Washington. « Ou bien ils construisent une installation pour entretenir leur arsenal ou produire de nouvelles ogives. »
Le
programme israélien reposerait sur les sous-produits d’un réacteur à eau lourde
Israël,
comme l’Inde et le Pakistan, s’appuierait sur un réacteur à eau lourde pour
fabriquer ses armes nucléaires. Ces réacteurs peuvent avoir des usages
scientifiques, mais le plutonium — qui déclenche la réaction en chaîne
nécessaire à une bombe atomique — en est un sous-produit. Le tritium en est un
autre et peut être utilisé pour accroître la puissance explosive des ogives.
Compte tenu
du secret qui entoure le programme israélien, il reste difficile d’évaluer
combien d’armes nucléaires le pays possède. Le Bulletin of Atomic Scientists
estimait en 2022 ce nombre à environ 90 ogives.
Obtenir
davantage de tritium pour remplacer la matière qui se dégrade pourrait être la
raison de la construction à Dimona, a noté Lyman, le tritium se désintégrant à
un rythme de 5 % par an.
« S’ils construisent un nouveau réacteur de production », a-t-il ajouté, « cela ne veut pas forcément dire qu’ils cherchent à accroître leur stock de plutonium, mais plutôt à fabriquer du tritium. »
Israël et
la politique de l’ambiguïté nucléaire
Israël
aurait commencé à bâtir ce site nucléaire dans le désert à la fin des années
1950, après avoir affronté plusieurs guerres avec ses voisins arabes depuis sa
fondation en 1948, dans le sillage de la Shoah.
Sa politique
d’ambiguïté nucléaire est considérée comme ayant contribué à dissuader ses
ennemis.
Israël fait partie des neuf pays confirmés ou soupçonnés de détenir l’arme atomique, et de seulement quatre qui n’ont jamais adhéré au Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), un accord international majeur visant à empêcher la prolifération des armes nucléaires. Cela signifie que l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), l’organisme onusien de contrôle du nucléaire, n’a aucun droit de mener des inspections à Dimona.
Interrogée sur la construction, l’AIEA, basée à Vienne, a rappelé qu’Israël « n’est pas tenu de fournir d’informations sur d’autres installations nucléaires dans le pays » en dehors de son réacteur de recherche de Soreq.
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