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22/09/2023

SASKIA SOLOMON
“Un Jacuzzi est une personne, pas une machine” : La saga mousseuse de la famille Jacuzzi

 Une histoire d’immigrés, un rêve usaméricain, une machine qui a défini la sensualité bourgeoise.

Saskia Solomon, The New York Times, 11/8/2023
Photos : Whitten Sabbatini pour le New York Times, via Paulo Jacuzzi
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Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Saskia Salomon est une journaliste britannique qui a écrit pour le New York Times, Asia Today, le Seattle Times, le Financial Times et The Economist. Elle est titulaire d’une maîtrise en littérature anglaise de l’université d’Édimbourg. @SaskiaSolomon

Candido Jacuzzi n’avait pas l’intention de faire de son nom de famille une marque mondiale. Il n’avait pas non plus l’intention de faire prospérer une entreprise qui, bien qu’elle ait créé la fortune de la famille, a failli la déchirer. Il voulait simplement soulager la douleur physique de son fils, par tous les moyens possibles.

Teresa et Giovanni Jacuzzi ont eu 13 enfants. Il s’agissaitt, par ordre de naissance de Rachele, Valeriano, Francesco, Giuseppe, Gelindo, Giocondo, Felicità, Angelina, Ancilla, Candido, Cirilla, Stella et Gilia.

Le jacuzzi - ce récipient deau bouillonnante connu et apprécié dans le monde entier - est peut-être aujourd’hui destiné à la convivialité dans les arrière-cours, un must pour les yachts, les hôtels et les chalets, les fêtes de vacances de printemps et les paquebots de croisière, mais sa technologie a été conçue avec une seule personne à l’esprit : Kenneth Jacuzzi, un garçon de moins de 2 ans, atteint de polyarthrite rhumatoïde juvénile à la suite d’une angine à streptocoques.

Cet empire commence, et finit, par la famille - sept frères, pour être exact, Candido étant le septième. Il commence bien avant que son fils ne soit diagnostiqué en 1943, même si cela a été le catalyseur.

Au début du XXe siècle, les Jacuzzi formaient un clan important à Casarsa della Delizia, une commune agricole de la province de Pordenone, dans le Frioul, au nord-est de l’Italie. Ayant grandi sur cette colline entourée de vignobles, les frères et sœurs commençaient à travailler tôt et portaient des sabots en bois, réservant les pantoufles faites à la main pour la messe.

Bien que l’argent fût souvent rare, la famille avait pour piliers ses parents profondément religieux : Teresa, qui ne travaillait pas en dehors de la maison, et Giovanni, charpentier. Descendants d’agriculteurs et de dockers, ils ont élevé non seulement sept fils, mais aussi six filles. Il s’agissait, dans l’ordre, de : Rachele, Valeriano, Francesco, Giuseppe, Gelindo, Giocondo, Felicità, Angelina, Ancilla, Candido, Cirilla, Stella et Gilia. Une treizaine ambitieuse : les garçons étudiaient pour devenir ingénieurs et les filles pour devenir couturières.


Le premier enfant Jacuzzi à venir en Amérique et le deuxième plus âgé, Valeriano, avec sa femme Giuseppina en 1919

Alors que l’Europe est en pleine mutation et que la guerre menace, Giovanni élabore un plan pour faire partir ses fils aux USA. Les frères se rendent là où il y a du travail. Pour certains, il s’agit de l’Idaho rural ; pour d’autres, de la Californie ensoleillée, où toute la famille finira par s’installer.

« Ils creusaient des fossés, construisaient des chemins de fer, faisaient tout ce qu’ils pouvaient pour gagner de l’argent et le renvoyer en Italie, et essayer de faire venir le reste de la famille », explique Paulo Jacuzzi, 54 ans, le petit-fils de Valeriano Jacuzzi, le deuxième plus âgé des treize enfants et le premier à arriver en USAmérique.

L’exode s’est fait progressivement, de 1907 à 1920. « Les sœurs sont arrivées lors de la deuxième vague », ajoute Paulo.

Les frères, qui ne parlaient qu’un anglais rudimentaire, ont d’abord travaillé dans les orangeraies californiennes, avant de se regrouper et d’utiliser leur formation d’ingénieurs en mécanique pour créer un atelier d’usinage à Berkeley en 1915, sous le nom de Jacuzzi Brothers Incorporated.

Ils se lancent dans l’aviation et c’est à Rachele, l’âiné et le plus doué, que l’on doit l’invention de l’hélice en cure-dents Jacuzzi. Sa conception ultralégère s’est avérée déterminante pour les avions militaires usaméricains pendant la Première Guerre mondiale (elle est actuellement exposée à la Smithsonian Institution de Washington, à côté de l’avion à bord duquel Charles Lindbergh traversa l’Atlantique, le Spoirit of St Louis).


Mais alors que les premiers signes de réussite se font sentir, une tragédie survient : leur frère Giocondo, âgé de 26 ans, est tué, avec trois autres passagers, dans un accident d’avion.

Ils volaient dans un Jacuzzi J-7 - le premier monoplan usaméricain à cabine fermée - lors d’un vol d’essai en 1921. Craignant la perte d’un autre fils, leur mère a exclu toute nouvelle aventure dans l’aviation.

« Ils étaient littéralement cloués au sol », dit Paulo.

Après une période de stagnation, les frères ont dû faire face à des dettes dues à la perte de l’avion coûteux et se sont réorientés vers la terre. Ils travaillent à la mise au point de systèmes d’irrigation pour les vergers et conçoivent une gamme de pompes à injection pour puits profonds. Ils vendent ensuite leurs brevets à de grandes entreprises en échange de redevances et se lancent dans la fabrication de produits pour piscines.

Le passage à l’eau leur a permis de se lancer dans l’hydrothérapie lorsque, en 1943, le fils de Candido, âgé de 15 mois, est tombé malade.

Le pronostic était sombre et les médecins n’étaient pas certains qu’il vivrait au-delà de 3 ans. Le garçon était autrefois actif et en bonne santé, mais les médecins ont dit à la famille qu’il perdrait lentement sa mobilité et serait incapable de vivre de façon autonome.

Dévastés, Candido et sa femme, Inez, ont tout essayé, y compris un plâtre intégral pour tenter de faire repousser ses membres, et même le “traitement à l’or”, consistant en injections de sels d’or dans le corps.

Mais c’est leur initiation à l’hydrothérapie par le biais du bassin Hubbard de l’hôpital Herrick de Berkeley qui leur a donné une lueur d’espoir. Le Hubbard était une cuve de forme ovale avec un banc en bois, dans laquelle l’eau tourbillonnait et frappait le corps du patient pour le soulager de ses raideurs et améliorer sa souplesse.

Cette forme d’hydrothérapie a eu un effet si immédiat sur le bien-être du garçon qu’ils l’y ont emmené deux fois par semaine. Mais le trajet d’une heure était éprouvant pour Inez et douloureux pour Ken, qui se tordait de douleur pendant le trajet. « Alors elle rentre à la maison et dit à Candido : “Dis donc, je fais tout ce trajet, pourquoi ne peux-tu pas faire quelque chose comme ça à la maison ?“ », se souvient Paulo. « Et c’est exactement ce qu’ils ont fait ».


Essor et déclin d’une activité de loisir

Le J-300 est une pompe conçue par Candido qui crée un tourbillon d’eau chaude similaire à celui du Hubbard et qui peut être attachée à une baignoire. Mais Ken pouvait y étendre tout son corps, alors que dans le Hubbard, il devait rester assis.

Après avoir compris le potentiel sanitaire de la pompe et apporté des améliorations structurelles à sa conception, les frères ont commencé à vendre des unités en 1949, par l’intermédiaire de magasins de matériel de bain et de pharmacies, avant d’élargir leur champ d’action au marché commercial plus large au milieu des années 1950.

 

Candido Jacuzzi avec son fils Kenneth, atteint de polyarthrite rhumatoïde, à l’origine du développement de l’hydromassage

 

Une campagne publicitaire le présente comme un “appareil d’hydromassage léger et portable”, parfait pour « l’homme d’affaires fatigué ou la ménagère pressée, pour le golfeur aux muscles endoloris, pour les douleurs des personnes âgées, pour les jeunes qui gambadent et pour ceux qui veulent simplement se détendre et se faire dorloter dans un bain d’hydromassage ».

Pour certains consommateurs, l’idée de mélanger un appareil électrique à l’eau était inquiétante. C’est pourquoi les Jacuzzi ont commencé à fabriquer des baignoires équipées de cette technologie, dont la première est devenue le bain à remous original, connu sous le nom de bain romain (la famille possède aujourd’hui plus de 50 brevets). Ces premiers modèles étaient équipés de plusieurs raccords de jets muraux, de chauffages et de filtres de pompe de recirculation, ainsi que de marches antidérapantes et d’un rail de sécurité en option.

C’est ainsi qu’est né le jacuzzi.

En ajoutant des panneaux en fibre de verre, le jacuzzi pouvait être configuré dans différentes formes et tailles, ce qui a donné naissance à la piscine d’hydrothérapie Luxury Line en 1966, l’année même où elle a fait ses débuts au cinéma dans “The Fortune Cookie”, réalisé par Billy Wilder et mettant en vedette Walter Matthau et Jack Lemmon.

 

Coïncidant avec la prospérité de l’après-guerre, le Jacuzzi est arrivé sur le marché au moment idéal.


 Les années 1960 et 1970 ont été marquées par la présence de piscines scintillantes et par un sentiment croissant d’importance accordée à la santé et au bonheur.

 Le jacuzzi était un puissant symbole visuel de statut social : des publicités dans des magazines de luxe montraient des hommes et des femmes se prélassant dans des cuves bouillonnantes. Il offrait un plaisir sain à la famille, un endroit l’adolescent incompris pouvait cuver son humeur boudeuse, ou un monde sensuel en soi.

Dans les années 80, les jacuzzis étaient reconnus dans le monde entier. L’entreprise a ouvert des usines au Canada, au Mexique, au Brésil, au Chili et en Italie, ainsi qu’aux USA, en choisissant Lonoke, dans l’Arkansas, comme plaque tournante.

Tous les enfants et petits-enfants étaient censés participer pendant les vacances scolaires et universitaires : ils travaillaient sur les chaînes de montage, emballaient les cartons et répondaient au téléphone. Il y a toujours eu cette idée de « faire ça pour la famille », dit Paulo à propos du sens de l’unité de la famille Jacuzzi.

« Si vous avez un jacuzzi, surtout si vous êtes un homme hétérosexuel, c’est une manière de faire une déclaration sur vous-même en voulant paraître très cool et délicat », dit Rax King, qui écrit sur la culture pop dans son livre “Tacky” et anime un podcast intitulé “Low Culture Boil” (Bouillon de basse culture).

À la fin du XXe siècle, il était évident que même un hôtel, un chalet ou un club de remise en forme de qualité moyenne devait disposer d’un jacuzzi. Sa forme en cratère est apparue dans des drames d’adolescents, des films policiers des années 70 et des feuilletons des années 80. Un jacuzzi qui voyage dans le temps a servi de base à un film entier. "Le L’émission de divertissement de NBC Saturday Night Live les a utilisés dans un sketch récurrent, et l’une des scènes les plus mémorables de Scarface est celle où Al Pacino est immergé dans le jacuzzi d’une chambre à coucher. Plus récemment, le film Triangle of Sadness, de Ruben Östlund, nominé aux Oscars, a mis en scène la tension de classe du côté d’un jacuzzi.

Triangle of Sadness, capture d'écran

Mais aujourd’hui, l’attrait du jacuzzi est de moins en moins évident. Comme les limousines rallongées et les réfrigérateurs avec distributeur de glaçons, il en est venu à représenter le style de vie idéal d’un passé récent. Le jacuzzi n’est plus aussi désiré que, par exemple, une Tesla, la dernière paire de bottes ou une foule d’innovations numériques moins tangibles. Son omniprésence semblait en faire moins un luxe : au fur et à mesure que le marché se développait, des modèles similaires sont apparus, tous connus sous le nom de “jacuzzis”.

S’ils ont fait des étincelles lors de leur lancement, ils n’ont pas toujours été exempts de problèmes. Si un spa n’est pas nettoyé régulièrement, il y a un risque de microbes nocifs, de moisissures et de maladies transmises par l’eau, comme la maladie du légionnaire.

Bien que certaines personnes aient acheté des jacuzzis pendant la pandémie pour tromper leur ennui pendant le confinement, ces jacuzzis ont perdu de leur attrait au cours des dernières décennies. Il s’agit peut-être d’un problème d’image : les jacuzzis, autrefois amusants, excitants et nouveaux, ont fini par être associés à une sorte de banalité de banlieue résidentielle. En 2023, il y a plus de chances que vous trouviez des tableaux d’inspiration pour des plongeons dans le froid que pour des jacuzzis bouillonnants.

 

À la fin du XXe siècle, il était évident que même un hôtel, un chalet ou un club de remise en forme de taille moyenne devait disposer d’un jacuzzi. Sa forme de cratère a été utilisée dans des drames pour adolescents, des films policiers des années 70 et des feuilletons des années 80

« Pendant les 30 premières années de son existence, le spa était un objet exotique : on pouvait transporter une source d'eau chaude dans sa maison », dit Mme King lors d'un entretien téléphonique. « Aujourd'hui, tout le monde se dit : "Oui, c'est possible. Vous pouvez transporter la source chaude dans votre maison, mais vous pouvez aussi attraper une infection si quelqu'un ne la nettoie pas correctement, et, parmi mes connaissances, au moins, personne n'a l'espace nécessaire chez soi ».

À la fin des années 1970, la famille Jacuzzi est une dynastie divisée. À cette époque, 257 membres de la famille sont associés à l’entreprise et, au fur et à mesure que celle-ci se développe, ils commencent à embaucher des personnes extérieures pour occuper des postes de direction, ce qui modifie la dynamique interne.

Leur histoire n’a pas été exempte de “défauts et de maladresses”, comme l’a écrit Remo Jacuzzi, 87 ans, le père de Paulo et fils de Valeriano, dans sa biographie de 2007 intitulée Spirit, Wind & Water, expliquant qu’ « il y a eu des moments sombres dans l’histoire de la famille Jacuzzi, lorsque quelques membres de la famille ont pris la plupart des décisions et que les autres en ont ressenti les répercussions ».

Candido est devenu de plus en plus dictatorial dans son style de direction, selon le livre de Remo, et, comme cela a été révélé plus tard, il a commencé à faire des affaires dans le dos de ses frères et a pris la décision de créer une société holding nommée JacBros en Suisse en 1959.

« Il semble que Candido ait oublié que ce n’est pas lui, mais l’oncle Rachele, qui a fondé Jacuzzi Brothers », écrit Remo, se souvenant d’un incident survenu lors d’un mariage où un invité a innocemment demandé à Candido s’il était membre du clan Jacuzzi. Ce à quoi Candido a répondu : « Je suis LE Jacuzzi ».

Les tensions se sont accumulées sous la surface pendant un certain temps. Dans un procès de 1961 (au titre mémorable : Jacuzzi contre Jacuzzi, une moitié de la famille a poursuivi l’autre, accusant le côté de Candido de vendre des actifs sans consultation appropriée et de les dépouiller de leurs pensions.

 


L’équipe de direction de Jacuzzi en 1950

 La procédure judiciaire a débuté en 1967, plus de cinq ans après le dépôt de la plainte. Certains membres ont découvert, à leur grand désarroi, qu’ils étaient suivis par des enquêteurs privés engagés par leur propre chair et leur propre sang.

Inculpé par un grand jury usaméricain de cinq chefs d’accusation de fraude fiscale, qui avaient été signalés à l’I.R.S. [Service des impôts fédéral] au cours du procès, Candido s’enfuit d’abord en Italie en 1969, puis en Amérique du Sud. Dans une rare interview accordée à Sports Illustrated en 1975, il déplore la décision d’inclure des membres extérieurs à la famille dans le conseil d’administration, ce qui, selon lui, a compliqué les choses. « Lorsqu’il n’y avait que nous, les frères, nous mettions une bouteille de vin sur la table et nous réglions nos problèmes », a-t-il déclaré. « Aujourd’hui, nous sommes trop nombreux pour ça ».

En 1979, ils ont vendu l’entreprise pour 73 millions de dollars au conglomérat manufacturier Walter Kidde & Company, perdant ainsi le droit d’utiliser le nom de la famille pour tous les futurs produits de spa. Roy Jacuzzi, fils de Joseph, le frère de Candido, est la seule personne qui reste de l’entreprise d’origine.

Bien qu’il soit douloureux pour Paulo de se remémorer les événements qui ont conduit à cette rupture, il ne semble pas amer. « Je pense qu’il faut parfois ouvrir la voie à l’étape suivante », explique-t-il. « C’était encore bien, mais il y avait tellement de ficelles qui tiraient dans tous les sens. À l’époque, ils ne faisaient pas que des baignoires, des spas, des grils à gaz et des hélices. Ils proposaient également tous ces produits complémentaires liés au mode de vie. Ils ne se concentraient plus sur leur métier ».

Pour plusieurs membres de la famille, dont Remo, qui travaillait alors pour l’entreprise depuis plus de vingt ans, la mission de l’entreprise s’était éloignée de son objectif initial.

 

“Pour moi”, écrit Remo, sur une photo des années 80, dans sa biographie de 2007, Spirit, Wind & Water, « un Jacuzzi, c’est une personne, pas une machine. Un Jacuzzi est un membre de ma famille”. L’usine Jason International, à droite.

 Après avoir travaillé quelques années pour les nouveaux propriétaires de Jacuzzi Inc., Remo est parti et a fondé Jason International en 1982 dans le but de retrouver les qualités thérapeutiques de l’invention. Paulo, son fils, en a été le président pendant six ans, jusqu’en 2021.

“Pour moi, écrit Remo dans son livre, un Jacuzzi, c’est une personne, pas une machine. Un Jacuzzi est un membre de ma famille”.

Il m’a fait une offre que je ne pouvais pas refuser.

À l’usine Jason International de North Little Rock, dans l’Arkansas, il est facile de voir que, tout comme la famille, l’entreprise s’appuie sur un rythme particulier.

“Nous avons 70 à 80 modèles de baignoires différents”, explique Aaron Patillo, ingénieur en chef de l’usine. Il s’efforce de se faire entendre par-dessus le vrombissement des machines.



“Un jour normal, nous pouvons fabriquer 12 types différents de produits, en fonction de la demande”.


 

La séparation d’avec l’ancienne entreprise a représenté un défi en matière de stratégie de marque. Ne pouvant utiliser le nom de famille sur aucun des produits, Remo a opté pour Jason, un mélange astucieux de “Jacuzzi” et de “son” [fils]

« Derrière chaque bain Jason se cache un jacuzzi », proclamait un un slogan. « Un produit si bon que j’aimerais pouvoir y apposer mon nom », dit un autre, avec la signature élaborée de Remo.

« Nous avons reçu quelques injonctions de cessation et de désistement », dit Paulo en gloussant. Son père, qui s’est installé dans une maison de retraite avec sa femme de 60 ans, l’a envoyé à la bibliothèque pour se documenter sur le droit d’auteur. « Mais ils ne pouvaient rien faire. Un “jacuzzi” était un mot à la mode pour désigner un bain à remous, et ils ne pouvaient pas revendiquer un droit d’auteur exclusif ».

« C’est génial que Remo ait eu le cran de lancer ça », a déclaré Sandy Morehead, directrice de l’expérience client chez Jason, en faisant référence au slogan de l’entreprise. « Il me disait que c’était la meilleure dépense qu’il ait jamais faite ».

Paulo dit : « Vous vendez un produit et une histoire, et c’est un avantage lorsque vous vendez une marchandise ». Il était logique que Paulo, qui est le plus jeune d’une famille de six enfants, travaille à l’accueil. « Ils se sont dit : “Nous allons lui faire raconter l’histoire de la famille et vendre le produit”. Mon rôle était de veiller à ce que, au-delà de votre génération, nous perpétuions l’héritage de votre père et, plus important encore, l’héritage de votre famille, car ce n’est pas seulement le fait d’un seul homme, mais de toute la famille ».

« Nous avions l’habitude de plaisanter en disant que le jacuzzi était le septième enfant de mon père, et son préféré, qui ne pouvait pas faire de mal », a déclaré Paulo, qui a accepté de parler au nom de son père. « Mon père ne l’a jamais dit à haute voix, mais il était entendu que la famille est la chose la plus importante que l’on possède ».

C’est pour cette raison qu’il a pris la tête de Jason en 2015, après avoir travaillé pendant des années dans un centre d’addictologie au Texas. « En outre, ajoute-t-il en se penchant en avant et en adoptant un accent italo-usaméricain exagéré, faisant un geste avec sa main contractée comme une tulipe fermée, il m’a fait une offre que je ne pouvais pas refuser ».

 

« Vous vendez un produit et une histoire et c’est un avantage lorsque vous vendez une marchandise », a déclaré Paulo Jacuzzi, à droite, avec son père, Remo.

 Il y a deux ans, Paulo s’est senti à la croisée des chemins dans son rôle au sein de l’entreprise familiale. La moitié de la famille avait déjà créé des entreprises dans d’autres secteurs, comme Jacuzzi Family Vineyards [vignobles].

Finalement, la décision a été prise, avec l’accord de Remo, de vendre Jason International tout en conservant des parts dans l’entreprise.

Lorsque Robert Easter, président d’American Industrial Brands, qui a racheté Jason en 2021, a envisagé pour la première fois d’acheter l’entreprise, il a voulu tester le produit. Il a fait installer deux bains à remous Jason au siège de son entreprise, dans le nord de la Floride, et s’est baigné dans les deux. Il a déclaré que de nombreux clients achètent maintenant des bains à remous d’intérieur pour des raisons thérapeutiques, comme le soulagement de douleurs sévères dues à l’eczéma - un retour à l’objectif initial du jacuzzi.

« Rome a peut-être inventé le bain, mais il a fallu un Jacuzzi pour le perfectionner », dit M. Easter. "C’est une histoire usaméricaine, mais c’est aussi une histoire internationale.

Ken, le garçon qui a tout déclenché, a surpris les médecins en vivant bien au-delà de l’âge de 3 ans, même s’il se déplaçait en fauteuil roulant. Il s’est marié, a obtenu un MBA et a travaillé pendant un certain temps comme gérant d’un jacuzzi en Italie. Il est décédé en 2017 à l’âge de 75 ans.

Easter était conscient qu’il achetait non seulement une autre marque, mais aussi tout un patrimoine, et il a essayé de mettre la famille à l’aise.

Cette démarche s’est étendue à l’apparence de l’usine. La façade du bâtiment a été rénovée et ses fausses pierres, sa véranda et ses volets en bois verrouillés sur des fenêtres inexistantes évoquent une villa. Une mosaïque colorée représentant les armoiries de la famille Jacuzzi a été intégrée au mur à côté de la porte d’entrée. En son centre, presque comme une colonne vertébrale, leur devise autoproclamée : “Aqua Vita Est”.

L’eau, c’est la vie.

Une version de cet article a été publiée le 13 août 2023 dans la section Styles, page 8 de l’édition papier de New York avec le titre : “A Jacuzzi Is a Person, Not a Machine” (Un Jacuzzi est une personne, pas une machine).