Affichage des articles dont le libellé est Tribalisme. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Tribalisme. Afficher tous les articles

06/03/2024

BRIAN VICTORIA
La bataille pour l'âme du judaïsme : tribalisme contre universalisme, Isaïe contre Samuel

Brian Victoria, Informed Comment, 02/23/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Kyoto - Les téléspectateurs de la récente interview de Vladimir Poutine par Tucker Carlson ont peut-être été surpris par la longue référence de ce dernier à la fondation historique de la Russie. Quel est le rapport avec l'invasion actuelle de l'Ukraine par la Russie, pourrait-on se demander.

Pourtant, comme tout étudiant en histoire, et a fortiori tout diplomate, peut en témoigner, les conflits entre nations ne peuvent être compris, et encore moins résolus, sans une compréhension de leurs racines historiques. Cela pourrait-il également être vrai pour le conflit actuel entre Israël et les Palestiniens ?

Les racines de ce conflit sont souvent expliquées en référence à la création d'Israël en 1948, qui a entraîné l'expulsion de centaines de milliers de Palestiniens de leur patrie et le meurtre de milliers d'autres. Bien que les sionistes qui ont fondé Israël aient été pour la plupart des socialistes travaillistes et souvent laïques, la guerre civile qui a entraîné l'effondrement du mandat britannique sur la Palestine a fait naître un tribalisme nationaliste chez les nouveaux Israéliens. Ce tribalisme parmi les sionistes a été renforcé par le génocide de masse nazi des Juifs en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale, c'est-à-dire l'Holocauste.  Ironiquement, le tribalisme juif des paramilitaires sionistes dans la Palestine britannique tardive a également favorisé le tribalisme palestinien et arabe. Malgré l'universalisme éthique du Coran et des valeurs islamiques, des groupes musulmans extrémistes ont été séduits, au cours des dernières décennies, par les notions modernes de nationalisme ethnique, s'orientant vers un tribalisme qui leur est propre, face au colonialisme et au néocolonialisme.

La lutte au sein du judaïsme entre l'universalisme et le tribalisme remonte toutefois à beaucoup plus loin. C'est l'époque de l'auteur ou des auteurs du Second Isaïe dans la Bible hébraïque et l'Ancien Testament chrétien. Le Second Isaïe enseigne, entre autres, l'existence universelle de Dieu, c'est-à-dire non seulement le Dieu des Juifs, mais aussi celui du monde entier. Il contient en outre de nombreuses exhortations au comportement éthique et à la justice sociale. Le comportement éthique comprend des éléments tels que la prise en charge des pauvres et des opprimés, la poursuite de la justice et le traitement des autres avec compassion. 


Cela signifie que le ou les auteurs du Second Ésaïe faisaient partie d'un petit groupe de réformateurs religieux de l'Âge axial, une période baptisée ainsi par le philosophe allemand Karl Jaspers. Jaspers a identifié l'âge axial comme une transformation mondiale de la conscience religieuse qui a duré approximativement entre 800 et 200 avant l’ère chrétienne, centrée sur la Méditerranée, l'Inde et la Chine. Dans l'ensemble, ses principales caractéristiques sont l'accent mis sur la vie éthique, l'introspection individuelle et les principes universels.

Par comparaison, les multiples religions des peuples du monde avant l'ère axiale, y compris le judaïsme, étaient de nature tribale, c'est-à-dire qu'elles mettaient l'accent sur ce qui était bon pour la tribu dans son ensemble plutôt que pour chacun de ses membres, et encore moins sur ce qui était bon pour ceux qui n'appartenaient pas à la tribu. Alors que les tribus parlaient généralement d'elles-mêmes comme du “peuple”, les personnes extérieures à la tribu étaient considérées avec dédain, voire avec crainte, comme un ennemi potentiel qui, le cas échéant, devait être détruit afin d'assurer la survie de la tribu.

Il est séduisant, mais erroné, de supposer qu'au lendemain de l'ère axiale, après 200 avant l’ère chrétienne, les anciennes religions tribalo-centrées, généralement décrites comme étant de nature animiste, se sont simplement atrophiées et ont disparu. Cependant, comme l'ont démontré de nombreuses guerres ultérieures, ce n'est pas le cas. Lorsqu'une tribu, aujourd'hui appelée nation, est menacée, qu'elle soit réelle ou perçue comme telle, la population de cette nation revient à une mentalité tribale, voire à une moralité tribale, c'est-à-dire que nous sommes les seuls à être humains, l'“autre” ne l'est pas. La divinité universelle est ramenée, bien qu'inconsciemment, à son statut de divinité tribale préoccupée exclusivement par le bien-être de la tribu. Une fois tribalisée, la divinité bénit et protège la tribu, et uniquement la tribu, en lui assurant la victoire. Quant au traitement de l'ennemi de la tribu, tout est permis.


Loin des yeux, loin du cœur, par Mr. Fish

Dans le cas du conflit actuel en Israël/Palestine, ce paradigme séculaire n'est que trop clair. Ainsi, le Premier ministre Benjamin Netanyahou n'a pas hésité à invoquer l'image biblique de la bataille des tribus juives contre les Amalécites. Il a affirmé que les Israéliens étaient unis dans leur lutte contre le Hamas, qu'il a décrit comme un ennemi d'une cruauté incomparable. « Ils [les juifs israéliens] sont déterminés à éliminer complètement ce mal du monde », a déclaré Netanyahou en hébreu, avant d'ajouter : « Vous devez vous souvenir de ce qu'Amalek vous a fait, dit notre Sainte Bible. Et nous nous en souvenons ».

Netanyahou faisait référence au premier livre de Samuel, dans lequel Dieu ordonne au roi Saül de tuer tous les membres d'Amalek, une tribu rivale des anciens Israélites. « Voici ce que dit le Seigneur tout-puissant », déclare le prophète Samuel à Saül. « Je punirai les Amalécites pour ce qu'ils ont fait à Israël lorsqu'ils l'ont abandonné lors de sa remontée d'Égypte. Va donc attaquer les Amalécites et détruis tout ce qui leur appartient. Ne les épargnez pas, mettez à mort les hommes et les femmes, les enfants et les nourrissons, le bétail et les moutons, les chameaux et les ânes. » (1 Samuel 15:3)

20/08/2021

GILAD ATZMON
La théorie critique de la race et le projet juif

 Gilad Atzmon, 20/8/2021 (Bio)

Traduit par Fausto Giudice

La théorie critique de la race [TRC ; angl. Critical race theory, CRT, NdT]  fait l'objet d'un débat croissant aux USA. De façon assez particulière, les opposants à la TRC insistent sur le fait que le discours "marxiste" doit être éradiqué de la culture usaméricaine et du système éducatif. Cela me laisse perplexe, car je ne vois rien de plus éloigné de la pensée de Marx que la TRC.

Marx a proposé une analyse économique fondée sur la division en classes. Pour Marx, ceux qui se trouvent au bas de l'échelle des classes sont destinés à s'unir indépendamment de leur race, de leur sexe ou de leur orientation sexuelle. En tant que tel, Marx était aveugle à la race. Toutefois, sa vision était unificatrice, du moins en ce qui concerne la classe ouvrière. Mais la théorie critique de la race vise la direction complètement opposée. Les partisans de la TRC estiment que les personnes sont et doivent être définies politiquement par leur biologie : par la couleur de leur peau, souvent par leur sexe et/ou leur orientation sexuelle. La TRC tente de combattre le racisme, non pas en l'éliminant, mais en élevant le déterminisme biologique au rang de champ de bataille permanent.

Les théoriciens critiques de la race ne sont pas très originaux sur ce front du déterminisme biologique. Déjà à la fin du 19e siècle, le sionisme appelait les Juifs à s'identifier politiquement à leur biologie. L'appel d'Hitler au peuple aryen pour qu'il fasse de même a eu lieu environ deux décennies plus tard. Ironiquement, même les soi-disant juifs "anti"-racistes au sein des cellules politiques antisionistes "réservées aux Juifs" (telles que JVP, JVL, IJAN[1]) suivent exactement le programme sioniste et hitlérien. Ils insistent également pour s'identifier politiquement et idéologiquement à "une race"*.

On peut se demander à ce stade pourquoi les gens de la droite conservatrice qualifient la TRC de "marxiste" alors qu'elle n'a rien à voir avec Marx et a beaucoup à voir (idéologiquement) avec le sionisme et le biologisme hitlérien. Une option est que les gens de la droite usaméricaine pensent que la référence à Marx communique bien avec la foule qui les soutient. Une autre option un peu moins authentique est que Marx est un nom de code pour un "discours subversif lié aux Juifs". L'univers conservateur usaméricain est largement inspiré par le nationalisme israélien, mais il est dégoûté par l'interventionnisme cosmopolite de type Soros. La droite usaméricaine utilise peut-être un langage codé pour lutter contre sa propre paralysie. Elle a manifestement du mal à appeler un chat un chat.

Compte tenu de ce qui précède, il est fascinant d'examiner la vision juive usaméricaine du débat sur la TRC.