Oded Yaron & Omer Benjakob, Haaretz, 5/3/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Le Trésor usaméricain sanctionne le fondateur
israélien d’Intellexa Consortium pour le rôle que cette compagnie a joué dans
le développement et la vente de “technologies d’espionnage commercial utilisées
pour cibler des USAméricains”.
Tal Dilian, fondateur d’Intellexa, dans sa villa
de Chypre Photo : Yiannis Kourtoglou / REUTERS
Les USA ont imposé mardi des sanctions
personnelles à l’ancien officier de renseignement israélien Tal Dilian, qui est
à l’origine des cyber-entreprises Cytrox et Intellexa, qui ont mis au point le
logiciel espion Predator utilisé pour la surveillance des téléphones portables.
Ces sociétés, qui opèrent en dehors de la
supervision du ministère israélien de la défense, sont au cœur d’un scandale
mondial après la découverte de plusieurs affaires impliquant l’utilisation de
technologies d’espionnage contre des hommes politiques, des journalistes et d’autres
cibles en Grèce et dans d’autres pays.
Le Trésor usaméricain a annoncé mardi que son “Office
of Foreign Assets Control” [Bureau de contrôle des avoirs étrangers] a désigné
deux personnes et cinq entités associées au consortium Intellexa pour leur rôle
dans « le développement, l’exploitation et la distribution d’une
technologie commerciale d’espionnage utilisée pour cibler des USAméricains, dont
des représentants du gouvernement US, des journalistes et des experts
politiques ».
« La prolifération des logiciels espions
commerciaux pose des risques distincts et croissants pour la sécurité des USA et
a été utilisée à mauvais escient par des acteurs étrangers pour permettre des
violations des droits humains et le ciblage de dissidents dans le monde entier
à des fins de répression et de représailles », poursuit le communiqué du
Trésor.
Les nouvelles sanctions personnelles impliquent
le gel de tous les avoirs de Dilian, ainsi que de ceux de son beau-père et de
ses diverses sociétés aux USA, ou de celles qui sont contrôlées par des
citoyens USaméricains.
Tout intérêt commercial de ce type doit être
signalé à l’Office of Foreign Assets Control, qui est chargé d’administrer la
liste noire du ministère US du commerce.
Les sanctions interdisent également à tous les
citoyens usaméricains d’exercer une quelconque activité commerciale avec Dilian
et l’une de ses sociétés, à moins qu’ils n’obtiennent un permis spécial.
La déclaration du département du Trésor indique
en outre que les institutions financières, les entreprises et les particuliers
qui continuent à faire des affaires avec Dilian peuvent également faire l’objet
de sanctions. Parmi les activités susceptibles d’entraîner des sanctions
figurent les dons, les paiements, les biens et les services fournis à Dilian et
à ses associés ou par eux.
Dilian. Predator fait partie du portefeuille d’outils
d’espionnage d’Intellexa. Photo : Yiannis Kourtoglou / REUTERS
En juillet 2023, Intellexa et Cytrox ont été
ajoutées à une liste noire usaméricaine d’entreprises agissant contre les
intérêts usaméricains, mais c’est la première fois que des sanctions
personnelles ont été imposées aux dirigeants de l’entreprise, y compris à
Dilian.
Jusqu’à présent, l’entreprise figurait sur la
liste de la Chambre de commerce en tant qu’entité avec laquelle les organismes
et agences gouvernementaux officiels ne sont pas autorisés à faire des
affaires. À partir d’aujourd’hui, les sanctions sont devenues personnelles et
marquent ainsi une étape dans la lutte des USA contre les cyber-risques
offensifs mondiaux.
À cet égard, la décision d’aujourd’hui représente
l’aboutissement d’un long combat qui a commencé en 2021, lorsque le ministère usaméricain
du commerce a ajouté les sociétés israéliennes de logiciels espions NSO group
et Candiru, ainsi que des sociétés russes et singapouriennes, à sa liste d’entités
pour des activités contraires aux intérêts de la sécurité nationale ou de la
politique étrangère des USA.
Outre les sanctions imposées à Dilian, ancien
commandant de l’unité 81 des
services de renseignement de l’armée israélienne, des sanctions ont également
été prises à l’encontre de sa compagne et ex-femme, Sara Aleksandra
Hamou [alias Sara S. elle
enregistré 4 entreprises à Chypre], que le
gouvernement usaméricain définit comme une « spécialiste de la
délocalisation qui a fourni des services de gestion au consortium Intellexa »,
notamment en louant ses bureaux en Grèce.
Le codirecteur général d’Intellexa, Tal Dilian,
pose pour une photo dans sa maison de Limassol, à Chypre, en avril 2020.Photo :
Yiannis Kourtoglou / REUTERS
Des sanctions ont également été imposées à cinq
autres entités commerciales du consortium Intellexa, dont quatre avaient déjà
été ajoutées à la liste des entités du ministère usaméricain du commerce l’année
dernière. L’autre entreprise, qui n’a pas encore été mentionnée dans les
sanctions, est Thalestris [basée en Irlande].
Alors que ces entreprises opèrent depuis Israël
conformément à la législation israélienne, Intellexa échappe à la supervision
du ministère israélien de la défense. L’inscription de la société sur la liste
noire l’année dernière a marqué l’effort des USA non seulement pour freiner l’industrie
israélienne des logiciels espions, mais aussi pour surveiller les Israéliens à
l’étranger.
« Les mesures prises aujourd’hui
représentent une avancée tangible dans la lutte contre l’utilisation abusive d’outils
de surveillance commerciaux, qui représentent de plus en plus un risque pour la
sécurité des USA et de leurs citoyens », a déclaré Brian E. Nelson,
sous-secrétaire d’État au Trésor chargé du terrorisme et du renseignement
financier.
« Les USA s’attachent à établir des
garde-fous clairs pour le développement et l’utilisation responsables de ces
technologies, tout en garantissant la protection des droits humains et des
libertés civiles des individus dans le monde entier », a poursuivi Nelson.
Le logo de la société israélienne de
logiciels espions NSO. Photo : Ohad Zwigenberg
Plusieurs rapports d’enquête ont été publiés ces
dernières années, notamment dans Haaretz, concernant les activités d’Intellexa
dans le monde. Le premier rapport concernait le déménagement de la société de
Chypre en Grèce.
Dilian et la société ont fait l’objet d’une
enquête criminelle à Chypre par le passé, et une société affiliée a été
reconnue coupable cette année d’avoir siphonné illégalement des données de l’aéroport
de Larnaca - bien que Dilian lui-même ait été blanchi de tous les chefs d’accusation.
Il s’agissait du premier cas d’un ressortissant
européen ciblé par le logiciel espion Predator créé par la société israélienne
Cytrox, qui appartient à Intellexa.
Il a été révélé par la suite que le chef du Parti
socialiste grec avait également été la cible d’espionnage, de même qu’un haut responsable
de Meta [ex-Facebook].
Le logiciel espion Pegasus vendu par le NSO
israélien, ou le Predator de Cytrox, peuvent être utilisés par les
gouvernements pour suivre et surveiller leurs propres citoyens, sans raison, de
manière presque invisible et en toute dénégation, voire en toute impunité. Photos
: Sebastian Scheiner, AP / Andrei Minsk / Shutterstock, photoshopées par Anastasia
Shub
En collaboration avec un groupe de journalistes, Haaretz
a révélé comment le logiciel espion Predator d’Intellexa a également été vendu
à une milice soudanaise et même à des militants du Bangladesh - des pays avec
lesquels les Israéliens n’ont pas le droit de faire des affaires.
Depuis lors, une série de rapports a été publiée
sur l’entreprise et ses logiciels espions - fabriqués par Cytrox - qui, comme l’a
révélé Haaretz, a reçu un investissement initial des Industries
aérospatiales israéliennes, qui se sont par la suite retirées de l’entreprise.
Les cyber-entreprises Sekoia.io et Recorded
Future ont simultanément publié des enquêtes sur les sanctions qui ont révélé l’existence
d’une nouvelle infrastructure de logiciels espions Predator dans 11 pays aux
régimes répressifs. La plupart des pays avaient déjà été identifiés, mais la
nouvelle infrastructure a également été découverte pour la première fois aux
Philippines et au Botswana, ont noté les chercheurs du groupe Insikt de
Recorded Future.
De vastes infrastructures ont également été
découvertes en Arabie saoudite, en Angola, en Arménie, en Égypte, en Indonésie,
au Kazakhstan, à Oman, à Madagascar et à Trinité-et-Tobago.