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22/12/2024

DAHLIA SCHEINDLIN
Israël est-il vraiment en train de construire un empire au Moyen-Orient ?

Dahlia Scheindlin, Haaretz, 19/12/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Alors que l’armée israélienne s’apprête à passer un temps indéterminé sur les hauteurs du Golan syrien et que les colons font la queue pour pénétrer à Gaza et au Liban, il est de plus en plus difficile de s’opposer à l’idée qu’Israël est en train de construire un empire.

Netanyahou en visite sur le plateau du Golan syrien occupé mardi. Photo Maayan Toaf/Bureau de presse du gouvernement israélien

Dans les premiers mois de l’année 2024, un collègue arabe d’un pays du Moyen-Orient a demandé ce qu’Israël essayait de faire. Israël semblait se comporter comme l’empire musulman en expansion du début du Moyen-Âge, disait le collègue avec anxiété, prêt à conquérir tout le Moyen-Orient.
Cela ressemblait à une vision paranoïaque, ou du moins très exagérée, d’Israël en tant qu’agresseur expansionniste maléfique perpétuel. Il est vrai que la guerre d’Israël à Gaza était déjà plus que brutale au début de l’année 2024, et j’espérais déjà ardemment un cessez-le-feu bien avant cela. Et dès la fin du mois de janvier, il était clair que des éléments radicaux de la coalition au pouvoir avaient des idées folles sur l’occupation de Gaza.
Néanmoins, Israël n’avait pas vraiment de plan de conquête territoriale dans d’autres pays. D’une part, les Palestiniens ont la malchance d’être nés sur une terre que les juifs considèrent comme un héritage biblique. Par consensus et par la Realpolitik du 20e siècle, les sionistes de tous bords ont limité leur revendication, même maximaliste, au mandat britannique historique de la CisJordanie. (Le rêve des « deux rives » du Jourdain du Likoud a perduré, mais s’est évanoui au siècle dernier). À partir des années 1990, les sionistes de gauche se sont contentés d’un Israël moderne situé à l’intérieur de la Ligne verte.
En outre, c’est la décision idiote [sic] du Hezbollah de participer à la guerre, en inspirant les Houthis du Yémen, qui a internationalisé le tout. La décision du Premier ministre Ehud Barak de quitter unilatéralement le Liban en 2000 était très populaire dans les sondages de l’époque, selon les enquêtes sur la sécurité nationale et l’indice de paix disponible sur Data Israel - et les Israéliens étaient euphoriques lorsque cela s’est produit. Malgré des années de révisionnisme en Israël affirmant que c’était une mauvaise idée, personne n’a appelé à réoccuper l’endroit.
Mais franchement, il est de plus en plus difficile de s’opposer à l’affirmation qu’un « empire » est en cours de construction. Après des mois d’escalades limitées, quoique meurtrières, avec le Hezbollah, Israël est passé à la guerre totale en septembre ; les explosions de bipeurs et l’assassinat de Hassan Nasrallah étaient le prélude à une invasion aérienne et terrestre de grande envergure, destinée à éliminer à jamais la menace militaire que représente le Hezbollah. Mais quelle était la valeur ajoutée, en termes de sécurité, du fait de qualifier le Liban de « partie de la terre promise », comme l’a fait en juin un nouveau groupe ésotérique appelé « Wake up the North » (Réveille-toi, le Nord) ? C’est à ce moment-là qu’ Anshel Pfeffer a mis en garde, dans Haaretz, contre le fait de rejeter de telles déclarations lors de la conférence en ligne du nouveau groupe, simplement parce que la colonisation du Liban semblait farfelue.
En novembre, Ze’ev Erlich, connu par sa communauté comme un chercheur de la « Terre d’Israël » de la colonie d’Ofra en Cisjordanie, a été tué au Liban. Il s’était apparemment engagé dans l’armée et effectuait des recherches sur une ancienne forteresse. Les forces de défense israéliennes enquêtent sur les raisons pour lesquelles il se trouvait là en tant que civil, et non pour des besoins opérationnels, apparemment avec l’aide de certains membres d’une unité de l’armée. Il est difficile d’imaginer ce que cet homme de 71 ans aurait pu apporter sur le plan opérationnel. On a plutôt l’impression qu’il était là pour réhistoriciser le territoire libanais dans le cadre de ses recherches sur la « Terre d’Israël ».
Cette semaine, les FDI ont également admis que des membres de Wake up the North étaient entrés au Liban et y avaient monté des tentes. Le groupe a réagi à ce rapport en affirmant haut et fort son intention de s’installer dans le sud du Liban : « Bientôt, ce ne sera plus de l’autre côté de la frontière », a écrit le groupe dans un message sur WhatsApp.
Entre-temps, le misérable dictateur syrien Bachar El Assad est tombé et s’est enfui, vaincu par les rebelles. En réponse, Israël a immédiatement pénétré dans la zone démilitarisée du plateau du Golan, à l’intérieur de la Syrie, pour la première fois depuis les termes de l’armistice de 1974. Les dirigeants israéliens font savoir qu’il ne s’agit pas d’une brève incursion : Benjamin Netanyahou a annulé sa comparution devant le tribunal mardi pour se rendre sur le versant syrien du mont Hermon [Jebel
ech-Cheikh]. Il a déclaré qu’Israël resterait en territoire syrien - qu’il a qualifié de « lieu très important » - pour le moment. Cette déclaration est déjà plus ouverte que celle du ministre de la défense, Israël Katz, qui a déclaré vendredi dernier que les forces de défense israéliennes devaient se préparer à rester sur place pendant l’hiver.

Le ministre de la Défense Israël Katz en visite sur le versant syrien du Mont Hermon [Jebel ech-Cheikh]  mardi. Photo porte-parole du ministère de la Défense israélien

Il semble encore choquant qu’Israël conquière ou occupe de nouveaux territoires souverains d’autres pays pour la première fois depuis l’invasion du Liban il y a 42 ans. Mais il n’y a pas de meilleure façon de rendre moins choquants les desseins d’Israël sur Gaza : l’expulsion massive et la destruction quasi-totale du nord, les colons qui campent le long des frontières dans l’attente du butin sont désormais des nouvelles d’hier. Qui se souvient encore de l’annexion régulière de la Cisjordanie ? Bezalel Smotrich a récemment déclaré que près de 23 000 dunams [2 300 hectares] de terres de Cisjordanie étaient des « terres d’État », une manière bureaucratique sophistiquée de permettre la poursuite de l’expansion des colonies.
Pourtant, un autre drame est en cours dans les étages souterrains du tribunal de district de Tel Aviv. À propos du témoignage de Netanyahou, un collègue d’un autre pays voisin s’est étonné : « Vous voulez dire qu’il s’est présenté lui-même ? Vous n’avez aucune idée de ce que cela signifie ». Comment le même pays qui réprime et détruit les Palestiniens, et qui envahit impunément des territoires étrangers, peut-il en même temps juger un dirigeant en exercice - ce qui semble être le summum de la responsabilité démocratique ?
Il est facile d’être cynique, comme si tout cela n’était qu’un spectacle. Mais en regardant Netanyahou au tribunal, il est clair que, même s’il est malheureux, il s’est soumis à l’autorité de la seule institution israélienne capable de le restreindre : le pouvoir judiciaire, encore indépendant.

Netanyahou comparaissant devant le tribunal de district de Tel Aviv la semaine dernière. Photo Miriam Elster/Flash90

La réponse la plus juste est qu’il ne s’agit pas d’une bataille à armes égales entre les forces de l’impérialisme et de la démocratie, luttant pour l’âme d’Israël. Si la démocratie gagne la bataille, elle ne peut pas continuer à être un occupant conquérant et gagner la guerre. Mais il s’agit d’un conflit asymétrique ; si Israël ne change pas rapidement de cap, la partie la plus faible perdra.

19/12/2024

GIDEON LEVY
Sur fond de deuil et de désastre, Israël est devenu aveugle

Gideon Levy, Haaretz,  19/12/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Des Palestiniens marchent sur une route de terre bordée de décombres de bâtiments détruits dans la ville de Gaza, le 7 octobre 2024. Photo Omar Al-Qattaa/AFP

Un professeur israélien qui vit aux USA depuis des décennies était en Israël cette semaine lors de l’une de ses fréquentes visites. Il enseigne dans une université prestigieuse, est né dans un kibboutz, est le descendant d’une famille de combattants de la guerre de 1948 et d’aristocrates intellectuels, si tant est que cela existe en Israël. Il est toujours profondément enraciné ici, malgré la distance des années, et pas seulement parce qu’une partie de sa famille est ici. Depuis son lieu de résidence USA, il veille à regarder les nouvelles sur l’une des chaînes de télévision israéliennes tous les soirs. Certains de ses amis sont ici, et il fait des recherches et écrit sur Israël, entre autres choses.
Nous sommes tous deux de la même génération et de la même ville, mais jusqu’à il y a quelques jours, nous ne nous étions jamais rencontrés. 

Il y a quelques jours, il est venu chez moi. C’était son dernier jour en Israël, il est parti hier. Avant de nous séparer, il m’a dit que cette fois-ci, il se sentait étouffé. Il voulait vraiment partir. Il ne comprenait pas comment il était encore possible de vivre ici. Dans les contacts qu’il a eus au cours de l’année écoulée avec des directeurs d’université en Israël, il a senti un changement radical en direction d’une corruption morale. La femme de son ami d’enfance, un ancien juge de la Cour suprême, lui a dit cette semaine qu’elle avait du mal à accepter ses opinions. Elle ne lui avait jamais dit cela auparavant. Son mari était l’un des piliers libéraux de la Cour suprême.

Il est convaincu qu’Israël commet un génocide à Gaza - il connaît bien le sujet en raison de sa profession - et il explique pourquoi : Il n’existe pas de définition du nettoyage ethnique dans le droit international, mais il s’agit d’une étape sur la voie du génocide. Lorsqu’une population est expulsée par la force, non pas vers un lieu sûr, mais vers un endroit où l’on continue à la tuer, il s’agit d’un génocide. Il ne fait plus aucun doute qu’Israël procède à un nettoyage ethnique dans le nord de la bande de Gaza. Israël le déclare, et ses actes en sont la preuve évidente. De plus, la destruction systématique par Tsahal de tout le nord de la bande, ne laissant que des ruines sur son passage, témoigne de l’intention de ne pas permettre un retour.

Le visiteur est convaincu que lorsque la Cour internationale de justice devra décider si Israël a commis un génocide, elle se concentrera sur le nord de la bande de Gaza, comme elle l’a fait à l’époque pour Srebrenica. Là, « seulement » quelque 8 000 Bosniaques ont été massacrés, pour la plupart des hommes, alors que la ville avait été déclarée « zone de sécurité ». La Haye et le monde entier ont établi à jamais qu’il s’agissait d’un génocide, et les coupables ont été jugés et condamnés.

Lorsque vous bombardez sans pitié une population déplacée sur son nouveau lieu de résidence, comme le font les Forces de défense israéliennes, il s’agit d’un génocide. Si cela ressemble à un génocide et opère comme un génocide, c’est un génocide. En Israël, il est impossible de dire ça, même aux libéraux. Dans les universités prestigieuses des USA, dont les donateurs sont juifs, il est également difficile de le dire. Les oreilles israéliennes et juives ne sont pas prêtes à l’entendre, et peu importe ce que la réalité démontre.

Mon visiteur a découvert que même ses meilleurs amis, les libéraux israéliens, les intellectuels et les gens de paix et de conscience, ne sont pas prêts à l’accepter. Les divergences d’opinion se sont transformées en hostilité. Cela ne s’était jamais produit auparavant. Il y a toujours eu un camp de soutien ici, même pour les opinions radicales. Il y a eu des manifestations de haine, parfois même de violence, mais de l’autre côté, il y avait un camp plus petit mais tout aussi déterminé. C’est fini.

Le visiteur occasionnel l’a bien senti. Il est peut-être encore possible de trouver quelques radicaux en marge, mais pas de camp radical - dans la situation la plus radicale de l’histoire du pays.

Israël s’est embourbé dans son deuil et son désastre et est devenu totalement aveugle. Personne ne prête attention au désastre bien plus horrible de Gaza. Beaucoup de choses ont déjà été écrites ici sur le rôle méprisable des médias dans la création de cette situation, mais la responsabilité de ce « dégrisement » total repose sur la conscience de chaque Israélien qui aura retrouvé ses esprits. Cela pourrait bien le hanter un jour ou l’autre.

L’invité est parti. Il reviendra sûrement, mais il ne lui reste ici que quelques rares interlocuteurs, qu’in peut compter sur les doigts d’une seule main.


Anne Derenne


07/12/2024

“La destruction de Gaza définira désormais nos vies et celles de nos enfants” : le témoignage d’un soldat israélien


L'important est de refléter ce qui se passe pour le public israélien. Faire remonter les choses à la surface. Ainsi, les gens ne diront pas après coup qu'ils ne savaient pas.

Le nord de la bande de Gaza, ce mois-ci. Comment une personne trouve-t-elle la force de se lever face à l'horreur ? Photo : Omar Al-Qattaa / AFP

Anonyme, Haaretz , 28/11/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

L'auteur est un soldat de réserve israélien qui a participé aux opérations terrestres au Liban et dans la bande de Gaza au cours de l'année écoulée.

Ce qui est vraiment surprenant, c'est la rapidité avec laquelle tout en vient à sembler normal et raisonnable. Au bout de quelques heures, on s'efforce d'être impressionné par l'ampleur des destructions, on se dit des phrases comme « C'est de la folie », mais en réalité, on s'y habitue assez vite.
Ça devient banal, kitsch. Un autre tas de pierres. Ici, il s'agissait probablement d'un bâtiment d'une institution officielle, là, de maisons et ici, d'un quartier. Dans toutes les directions, on voit des tas de barres d'armature, de sable, de béton et de parpaings. Des bouteilles d'eau en plastique vides et de la poussière. Jusqu'à l'horizon. Jusqu'à la mer. Le regard se porte sur un bâtiment encore debout. « Pourquoi n'ont-ils pas démoli ce bâtiment ? », demande ma sœur sur WhatsApp après que je lui ai envoyé une photo. « Et aussi, ajoute-t-elle, pourquoi diable es-tu allé là-bas ? »
La raison de ma présence ici est moins intéressante. Je ne suis pas le sujet de l'histoire. Et il ne s'agit pas non plus d'un réquisitoire contre les forces de défense israéliennes. Ça a sa place ailleurs, dans les éditoriaux, à la Cour pénale internationale de La Haye, dans les universités des USA, au Conseil de sécurité des Nations unies.
L'important est de refléter ce qui se passe pour le public israélien. De faire remonter les choses à la surface. Ainsi, les gens ne diront pas après coup qu'ils ne savaient pas. Je voulais savoir ce qui se passait ici. C'est ce que j'ai dit à tous mes amis, trop nombreux pour être comptés, qui m'ont demandé : « Pourquoi es-tu allé à Gaza ? »
Il n'y a pas grand-chose à dire sur les destructions. Elles sont partout. Elles sautent aux yeux lorsqu'on s'approche de ce qui était un quartier résidentiel depuis le point d'observation d'un drone : un jardin cultivé entouré d'un mur brisé et d'une maison pulvérisée. Une cabane improvisée avec un toit en tôle au fond d'une allée. Des taches sombres dans le sable, les unes à côté des autres : apparemment, il y avait là une sorte de bosquet. Peut-être une oliveraie. C'est la saison de la récolte des olives. Et il y a du mouvement - une personne grimpant sur un tas de décombres, ramassant du bois sur un trottoir, écrasant quelque chose avec une pierre. Le tout vu depuis la trajectoire de vol d'un drone.
Plus on se rapproche des routes logistiques - Netzarim, Kissufim, Philadelphi - moins il y a de structures encore debout. La destruction est énorme, et elle est là pour durer. Et c'est ce que les gens doivent savoir : tout cela ne sera pas effacé dans les 100 prochaines années. Quels que soient les efforts déployés par Israël pour la faire disparaître, pour l'estomper, la destruction de Gaza définira désormais nos vies et celles de nos. C'est le témoignage d'un déchaînement effréné. Un ami a écrit sur le mur de la salle des opérations : « Au silence répondra le silence, à Nova répondra la Nakba ». Les commandants de l'armée ont repris ce graffiti.
Pour un militaire, la destruction est inévitable. Combattre un ennemi bien équipé dans une zone urbaine densément peuplée signifie une destruction massive des bâtiments - ou une mort certaine pour les soldats. Si un commandant de brigade devait choisir entre la vie des soldats sous son commandement et la destruction du territoire, un F-15 chargé de bombes se dirigerait déjà vers la piste de la base aérienne de Nevatim et une batterie d'artillerie serait en train d'aligner son tir. Personne ne prendra de risques. C'est la guerre.
Israël peut se battre ainsi grâce au flux d'armes qu'il reçoit des USA, et la nécessité de contrôler le territoire avec un minimum d'effectifs est poussée à son paroxysme. Il en va de même pour Gaza et le Liban. La principale différence entre le Liban et l'enfer jaune qui nous entoure réside dans les civils. Contrairement aux villages du sud du Liban, à Gaza les civils sont toujours là. Ils se traînent d'un nœud de combat à l'autre, traînant des sacs à dos surchargés, des jerricanes. Des mères avec leurs enfants marchent péniblement le long de la route. Si nous avons de l'eau, nous la leur donnons. Les capacités technologiques de l'armée israélienne se sont développées de manière impressionnante au cours de cette guerre. La puissance de feu, la précision, la collecte de renseignements par des drones : elles font contrepoids aux mondes souterrains que le Hamas et le Hezbollah ont construits pendant de nombreuses années.
Vous vous retrouvez à regarder de loin, pendant des heures, un civil qui traîne une valise sur quelques kilomètres sur la route de Salah al-Din. Le soleil brûlant tape sur lui. Et vous essayez de comprendre : est-ce un engin explosif ? S'agit-il de ce qui reste de sa vie ? Vous observez les gens qui s'affairent près de l'enceinte de tentes au milieu du camp, vous cherchez des engins explosifs et vous regardez les dessins sur le mur dans des tons gris de charbon de bois. Ici, par exemple, c'est l'image d'un papillon.
Cette semaine, j'ai surveillé un camp de réfugiés à l'aide d'un drone. J'ai vu deux femmes marcher main dans la main. Un jeune homme est entré dans une maison à moitié détruite et a disparu. Peut-être s'agit-il d'un agent du Hamas venu délivrer un message par une entrée cachée dans un tunnel où des otages sont détenus ? D'une hauteur de 250 mètres, j'ai suivi une personne à vélo le long de ce qui avait été une route à la limite du quartier - une sortie d'après-midi au milieu d'une catastrophe. À l'une des intersections, le cycliste s'est arrêté près d'une maison d'où sortaient quelques enfants, puis il a continué dans les profondeurs du camp de réfugiés lui-même.
Tous les toits sont troués par les bombardements. Sur chacun d'entre eux se trouvent des tonneaux bleus destinés à recueillir l'eau de pluie. Si vous voyez un baril sur la route, vous devez en informer le centre de contrôle et le marquer comme un possible engin explosif. Ici, un homme fait cuire des pitas. À côté de lui, un homme dort sur un matelas. Par quelle force d'inertie la vie continue-t-elle ? Comment une personne peut-elle se réveiller au milieu d'une telle horreur et trouver la force de se lever, de trouver de la nourriture, d'essayer de survivre ? Quel avenir le monde lui offre-t-il ? Chaleur, mouches, puanteur, eau sale. Un jour de plus s'écoule.
J'attends l'écrivain qui viendra écrire sur ce sujet, le photographe qui le documentera, mais il n'y a que moi. Les autres combattants, s'ils ont des pensées hérétiques, les gardent pour eux. Nous ne parlons pas des politiciens parce qu'ils l'ont demandé, mais la vérité est que cela n'intéresse tout simplement pas ceux qui ont fait 200 jours de service de réserve cette année. Les réserves s'effondrent. Ceux qui se présentent sont déjà indifférents, préoccupés par leurs problèmes personnels ou par d'autres questions. Enfants, licenciements, études, conjoints. Ils ont renvoyé le ministre de la défense. Einav Zangauker, dont le fils Matan est retenu en otage quelque part ici. Les sandwichs à la schnitzel sont arrivés.
Les seuls qui s'excitent pour quelque chose, ce sont les animaux. Les chiens, les chiens. Ils remuent la queue, courent en masse, jouent les uns avec les autres. Ils chassent les restes de nourriture que l'armée a laissés derrière elle. Ici et là, ils osent s'approcher des véhicules dans l'obscurité, tentent d'emporter une boîte contenant des saucisses kabanos [version israélienne de saucisses de port d’origine polonaise, cachérisée avec de la viande de poulet ou de dinde, NdT]et sont chassés par une cacophonie de cris. Il y a aussi beaucoup de chiots.
Au cours des deux dernières semaines, la gauche israélienne s'est inquiétée de voir l'armée creuser les routes est-ouest de la bande de Gaza. La route de Netzarim, par exemple. Qu'est-ce qui n'a pas été dit à ce sujet ? Qu'elle est en train d'être goudronnée, qu'il y a des bases cinq étoiles dessus. Que les FDI sont là pour rester, que sur la base de cette infrastructure, le projet de colonisation dans la bande de Gaza va reprendre.
Je ne rejette pas ces préoccupations. Il y a suffisamment de fous qui n'attendent que l'occasion. Mais les routes de Netzarim et de Kissufim sont des zones de combat, des zones entre d'énormes concentrations de Palestiniens. Une masse critique de désespoir, de faim et de détresse. Ce n'est pas la Cisjordanie. Le retranchement le long de la route est tactique. Plus que d'assurer une emprise civile sur le territoire, il s'agit d'assurer la sécurité de soldats usés. Les bases et les avant-postes sont des structures portables qui peuvent être démontées et enlevées par un convoi de camions en quelques jours. Bien sûr, ça pourrait changer.
Pour nous tous, de la salle de contrôle aux derniers combattants, il est clair que le gouvernement ne sait absolument pas comment procéder à partir d'ici. Il n'y a pas d'objectifs à atteindre, pas de capacité politique à reculer. À l'exception de Jabalya, il n'y a pratiquement pas de combats. Il n'y a que des combats à la périphérie des camps. Et encore, ces combats sont partiels, par crainte de la présence d'otages. Le problème est diplomatique, non militaire et non tactique. Il est donc clair pour tout le monde que nous serons appelés une nouvelle fois, pour les mêmes missions. Les réservistes viendront encore, mais moins nombreux.
Où se situe la limite entre la compréhension de la « complexité » et l'obéissance aveugle ? Quand avez-vous gagné le droit de refuser de participer à un crime de guerre ? C'est moins intéressant. Ce qui est plus intéressant, c'est de savoir quand le grand public israélien se réveillera, quand un leader se présentera pour expliquer aux citoyens dans quel terrible pétrin nous nous trouvons, et qui sera le premier porteur de kippa à me traiter de traître. Car avant La Haye, avant les universités usaméricaines, avant la condamnation au Conseil de sécurité, c'est d'abord et avant tout une affaire interne pour nous. Et pour 2 millions de Palestiniens.


06/12/2024

Susan Abulhawa : « Vous devrez soit partir soit apprendre enfin à vivre avec les autres sur un pied d’égalité »
Discours au débat de l’Oxford Union

L’Oxford Union Society, communément appelée Oxford Union, est une société de débat dans la ville d’Oxford, en Angleterre, dont les membres proviennent principalement de l’université d’Oxford. Fondée en 1823, c’est l’une des plus anciennes associations étudiantes britanniques et l’une des plus prestigieuses au monde. Elle vient d’organiser un débat sur la motion « Cette chambre croit qu’Israël est un État d’apartheid responsable de génocide ». La motion a été adoptée par 278 voix contre 59 par la « chambre », une copie conforme du parlement britannique.
 

Les orateurs intervenant en faveur de la motion étaient l’écrivaine usaméricaine d’origine palestinienne Susan Abulhawa, le poète palestinien Mohammed el Kurd et l’écrivain israélien antisioniste Miko Peled et Ebrahim Osman-Mowafy, président de l’Union.

Les orateurs de l’opposition étaient Jonathan Sacerdoti, journaliste britannique sioniste, Natasha Hausdorff, directrice juridique de UK Lawyers for Israel, Yoseph Haddad, militant sioniste israélo-arabe, et Mosab Hassan Yousef, fils d’un fondateur du Hamas, qui a été un informateur du Shin Bet d’Israël pendant dix ans avant de s’enfuir aux USA.

L’événement, auquel assistaient de nombreux étudiants d’Oxford, s’est déroulé dans une atmosphère tendue, avec de fréquentes interruptions et des échanges animés, les orateurs ayant été interpellés à plusieurs reprises par des membres de l’auditoire.
« Nous l’avons fait »

L’orateur de l’opposition Mosab Hassan Yousef a suscité la controverse en demandant si le public aurait condamné l’attaque menée par le Hamas le 7 octobre 2023 s’il en avait eu connaissance à l’avance.
La réponse a été mitigée, seuls quelques députés ayant levé la main.
Yousef a accusé la majorité du public d’être des « terroristes », provoquant l’indignation, et a en outre déclaré que les Palestiniens n’existent pas, affirmant que l’Oxford Union avait été « détournée par les musulmans ».
Le débat a atteint son point d’ébullition lorsque l’orateur de l’opposition, Yoseph Haddad, ardent défenseur d’Israël, a été prié de quitter l’hémicycle.
Haddad, connu pour son approche provocatrice, a utilisé de nombreux accessoires et affiches pendant son discours et a porté un tee-shirt avec une image du chef du Hezbollah assassiné, Hassan Nasrallah, accompagnée de la légende suivante : « Votre héros terroriste est mort ! « Votre héros terroriste est mort ! C’est nous qui l’avons fait ».
Pendant le discours de Haddad, un étudiant palestinien de Gaza s’est levé, s’est dit personnellement offensé et a demandé au président du syndicat d’expulser Haddad. L’échange s’est intensifié lorsque Haddad a répliqué, ce qui a incité le président à lui donner un avertissement.
L’étudiant, qui étudie les mathématiques et la physique, a ensuite prononcé un discours impromptu pendant l’entracte, ajoutant une perspective profondément personnelle au débat.

 
Attaque du 7 octobre : « Héroïque »
Les partisans de la motion ont concentré leurs arguments sur les violations des droits de l’homme et le bilan civil dévastateur à Gaza.
Le poète et activiste palestinien Mohammed El-Kurd, après avoir prononcé un discours enflammé, a quitté l’hémicycle, qualifiant par la suite l’opposition de « négationnistes du génocide ».
Le président de l’Oxford Union, Ebrahim Osman-Mowafy, qui soutient la motion, a raconté l’histoire poignante de Shaban al-Daloum, 19 ans, brûlée vive en octobre lors d’une frappe aérienne israélienne sur l’hôpital Al-Aqsa, dans le nord de la bande de Gaza.
Osman-Mowafy a décrit la mort de Shaban comme faisant partie de « l’holocauste » qu’Israël continue de perpétrer contre Gaza.
Le débat a été marqué par des moments peu conventionnels. La sortie immédiate de Mohammed El-Kurd après son discours a laissé une tension palpable, tandis que l’activiste et auteur israélo-usaméricain Miko Peled, un autre partisan de la motion, a qualifié l’attaque du 7 octobre d’« héroïque », ce qui a provoqué un tollé de la part des orateurs de l’opposition et d’une partie de l’auditoire.
Fondée il y a 201 ans, l’Oxford Union a une longue tradition de débats sur des sujets controversés, qui attirent souvent l’attention du monde entier.
Bien que l’issue du débat n’ait pas d’implications politiques directes, elle met en lumière la dynamique changeante de l’opinion publique sur les atrocités commises par Israël à Gaza, en particulier au sein des espaces universitaires.

Ci-dessous notre traduction de l’intervention de Susan Abulhawa


Je ne répondrai pas aux questions tant que je n’aurai pas fini de parler ; je vous prie donc de ne pas m’interrompre.
Répondant à la question de savoir ce qu’il fallait faire des habitants indigènes du pays, Chaim Weizman, un juif russe, a déclaré au Congrès sioniste mondial en 1921 que les Palestiniens étaient comparables aux « rochers de Judée, des obstacles qu’il fallait franchir sur un chemin difficile ».
David Grün, un juif polonais, qui a changé son nom en David Ben Gurion pour paraître pertinent dans la région, a déclaré : « Nous devons expulser les Arabes et prendre leur place »
Il existe des milliers de conversations de ce type parmi les premiers sionistes qui ont comploté et mis en œuvre la colonisation violente de la Palestine et l’anéantissement de son peuple autochtone.
Mais ils n’ont que partiellement réussi, assassinant ou nettoyant ethniquement 80 % des Palestiniens, ce qui signifie que 20 % d’entre nous sont restés, un obstacle durable à leurs fantasmes coloniaux, qui est devenu l’objet de leurs obsessions dans les décennies qui ont suivi, en particulier après la conquête de ce qui restait de la Palestine en 1967.
Les sionistes ont déploré notre présence et ont débattu publiquement dans tous les cercles - politiques, universitaires, sociaux, culturels - de ce qu’ils allaient faire de nous ; de ce qu’ils allaient faire de la natalité palestinienne, de nos bébés, qu’ils considéraient comme une menace démographique.
Benny Morris, qui devait être ici à l’origine, a un jour regretté que Ben Gourion « n’ait pas fini le travail » en se débarrassant de nous tous, ce qui aurait évité ce qu’ils appellent le « problème arabe ».
Benjamin Netanyahou, un juif polonais dont le vrai nom est Benjamin Mileikowsky, a un jour déploré l’occasion manquée, lors du soulèvement de la place Tiananmen en 1989, d’expulser de larges pans de la population palestinienne « alors que l’attention du monde était concentrée sur la Chine ».
Parmi les solutions qu’ils ont formulées pour remédier à la nuisance de notre existence figure la politique consistant à « leur briser les os » dans les années 80 et 90, ordonnée par Yitzhak Rubitzov, juif ukrainien qui a changé de nom pour devenir Yitzhak Rabin (pour les mêmes raisons).
Cette politique horrible, qui a paralysé des générations de Palestiniens, n’a pas réussi à nous faire partir. Et frustré par la résilience palestinienne, un nouveau discours a vu le jour, surtout après la découverte d’un énorme gisement de gaz naturel au large de la côte du nord de Gaza, d’une valeur de plusieurs milliards de dollars.
Ce nouveau discours trouve un écho dans les propos du colonel Efraim Eitan, qui a déclaré en 2004 : « nous devons tous les tuer ».
Aaron Sofer, un soi-disant intellectuel et conseiller politique israélien, a insisté en 2018 sur le fait que « nous devons tuer, tuer et tuer. Toute la journée, tous les jours. »
Lorsque j’étais à Gaza [lire ici et ici], j’ai vu un petit garçon qui n’avait pas plus de 9 ans et dont les mains et une partie du visage avaient été arrachées par une boîte de nourriture piégée que des soldats avaient laissée derrière eux pour les enfants affamés de Gaza. J’ai appris par la suite qu’ils avaient également laissé de la nourriture empoisonnée pour les habitants de Shujaiyya et que, dans les années 1980 et 1990, les soldats israéliens avaient laissé des jouets piégés dans le sud du Liban, qui explosaient lorsque des enfants excités les ramassaient.
Le mal qu’ils font est diabolique, et pourtant, ils s’attendent à ce que vous croyiez qu’ils sont les victimes. Invoquant l’holocauste européen et criant à l’antisémitisme, ils attendent de vous que vous suspendiez la raison humaine fondamentale pour croire que les tirs quotidiens sur des enfants, appelés « coups de feu mortels », et les bombardements de quartiers entiers qui enterrent des familles vivantes et anéantissent des lignées entières relèvent de l’autodéfense.
Ils veulent vous faire croire qu’un homme qui n’avait rien mangé depuis plus de 72 heures, qui a continué à se battre alors qu’il n’avait qu’un bras en état de marche, que cet homme était motivé par une sauvagerie innée et une haine ou une jalousie irrationnelle des Juifs, plutôt que par le désir indomptable de voir son peuple libre dans sa propre patrie.
Il est clair pour moi que nous ne sommes pas ici pour débattre de la question de savoir si Israël est un État d’apartheid ou un État génocidaire. Ce débat porte en fin de compte sur la valeur des vies palestiniennes, sur la valeur de nos écoles, de nos centres de recherche, de nos livres, de notre art et de nos rêves, sur la valeur des maisons que nous avons travaillé toute notre vie à construire et qui contiennent les souvenirs de générations entières, sur la valeur de notre humanité et de notre action, sur la valeur de nos corps et de nos ambitions.
Car si les rôles étaient inversés - si les Palestiniens avaient passé les huit dernières décennies à voler les maisons des Juifs, à les expulser, à les opprimer, à les emprisonner, à les empoisonner, à les torturer, à les violer et à les tuer ; si les Palestiniens avaient tué environ 300 000 Juifs en un an, pris pour cible leurs journalistes, leurs penseurs, leurs travailleurs de la santé, leurs athlètes, leurs artistes, bombardé tous les hôpitaux, universités, bibliothèques, musées, centres culturels et synagogues d’Israël, tout en installant une plate-forme d’observation où les gens venaient assister à leur massacre comme s’il s’agissait d’une attraction touristique ;
si les Palestiniens les avaient rassemblés par centaines de milliers dans des tentes fragiles, les avaient bombardés dans des zones dites sûres, les avaient brûlés vifs, leur avaient coupé la nourriture, l’eau et les médicaments ;
si les Palestiniens avaient obligé les enfants juifs à marcher pieds nus avec des casseroles vides, à rassembler la chair de leurs parents dans des sacs en plastique, à enterrer leurs frères et sœurs, leurs cousins et leurs amis, à sortir de leurs tentes au milieu de la nuit pour dormir sur les tombes de leurs parents, à prier pour mourir afin de rejoindre leur famille et de ne plus être seuls dans ce monde terrible, et s’ils les avaient terrorisés au point que leurs enfants perdent leurs cheveux, leur mémoire et leur esprit, et que ceux qui n’ont que 4 ou 5 ans meurent d’une crise cardiaque ;
si nous forcions impitoyablement leurs bébés de l’unité de soins intensifs néonatals à mourir, seuls dans des lits d’hôpitaux, en pleurant jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus pleurer, en mourant et en se décomposant au même endroit ;
si les Palestiniens utilisaient des camions d’aide à la farine de blé pour attirer les Juifs affamés, puis ouvraient le feu sur eux lorsqu’ils se rassemblaient pour collecter le pain d’une journée ; si les Palestiniens autorisaient finalement une livraison de nourriture dans un abri où se trouvaient des Juifs affamés, puis mettaient le feu à l’ensemble de l’abri et au camion d’aide avant que quiconque ne puisse goûter à la nourriture ;
si un tireur d’élite palestinien se vantait d’avoir brisé 42 rotules juives en une journée, comme l’a fait un soldat israélien en 2019 ; si un Palestinien admettait sur CNN qu’il avait écrasé des centaines de Juifs avec son char d’assaut, leur chair écrasée restant dans la bande de roulement du char ;
si les Palestiniens violaient systématiquement les médecins, patients et autres captifs juifs avec des tiges métalliques brûlantes, des bâtons dentelés et électrifiés, et des extincteurs, violant parfois jusqu’à la mort, comme cela s’est produit avec le Dr Adnan Al Bursh et d’autres ;
si les femmes juives étaient forcées d’accoucher dans la saleté, de subir des césariennes ou des amputations de jambe sans anesthésie ; si nous détruisions leurs enfants puis décorions nos chars avec leurs jouets ; si nous tuions ou déplacions leurs femmes puis posions avec leur lingerie...
si le monde assistait en temps réel à l’anéantissement systématique des Juifs, il n’y aurait pas de débat sur la question de savoir s’il s’agit d’un acte terroriste ou d’un génocide.
Et pourtant, deux Palestiniens - moi-même et Mohammad el-Kurd - sont venus ici pour faire exactement cela, endurant l’indignité de débattre avec ceux qui pensent que nos seuls choix de vie devraient être de quitter notre patrie, de nous soumettre à leur suprématie ou de mourir poliment et tranquillement.
Mais vous auriez tort de penser que je suis venue pour vous convaincre de quoi que ce soit. La résolution de la chambre, bien que bien intentionnée et appréciée, n’a que peu d’importance au milieu de l’holocauste de notre époque.
Je suis venue dans l’esprit de Malcolm X et de Jimmy Baldwin, qui se sont tous deux tenus ici et à Cambridge avant ma naissance, face à des monstres bien habillés et s’exprimant bien, qui nourrissaient les mêmes idéologies suprémacistes que le sionisme - ces notions de droit et de privilège, d’être favorisé, béni ou choisi par la divinité.
Je suis ici pour le bien de l’histoire. Pour parler aux générations qui ne sont pas encore nées et pour les chroniques de cette époque extraordinaire où le bombardement en tapis de sociétés indigènes sans défense est légitimé.
Je suis ici pour mes grands-mères, qui sont toutes deux mortes en tant que réfugiées sans le sou alors que des Juifs étrangers vivaient dans leurs maisons volées.
Je suis également venue pour m’adresser directement aux sionistes d’ici et d’ailleurs.
Nous vous avons accueillis dans nos maisons lorsque vos propres pays ont tenté de vous assassiner et que tous les autres vous ont repoussés.  Nous vous avons nourris et habillés, nous vous avons donné un abri et nous avons partagé avec vous les richesses de notre terre, et lorsque le moment est venu, vous nous avez chassés de nos propres maisons et de notre patrie, puis vous avez tué, volé, brûlé et pillé nos vies.
Vous avez creusé nos cœurs parce qu’il est clair que vous ne savez pas comment vivre dans le monde sans dominer les autres.
Vous avez franchi toutes les limites et nourri les pulsions humaines les plus viles, mais le monde entrevoit enfin la terreur que nous avons endurée entre vos mains pendant si longtemps, et il voit la réalité de ce que vous êtes, de ce que vous avez toujours été. Ils observent avec stupéfaction le sadisme, l’allégresse, la joie et le plaisir avec lesquels vous dirigez, observez et encouragez les détails quotidiens de la destruction de nos corps, de nos esprits, de notre avenir et de notre passé.
Mais quoi qu’il arrive à partir d’ici, quels que soient les contes de fées que vous vous racontez et que vous racontez au monde, vous n’appartiendrez jamais vraiment à cette terre. Vous ne comprendrez jamais le caractère sacré des oliviers, que vous coupez et brûlez depuis des décennies, juste pour nous contrarier et nous briser le cœur un peu plus. Aucun natif de cette terre n’oserait faire une telle chose aux oliviers. Aucun habitant de cette région ne bombarderait ou ne détruirait un patrimoine aussi ancien que Baalbek ou Battir, ou ne détruirait des cimetières anciens comme vous détruisez les nôtres, comme le cimetière anglican de Jérusalem ou le lieu de repos des anciens savants et guerriers musulmans à Mamilla. Ceux qui sont originaires de cette terre ne profanent pas les morts ; c’est pourquoi ma famille s’est occupée pendant des siècles du cimetière juif du Mont des oliviers, en tant que travail de foi et de soin pour ce que nous savons être une partie de nos ancêtres et de notre histoire.
Vos ancêtres seront toujours enterrés dans vos pays d’origine, en Pologne, en Ukraine et ailleurs dans le monde, d’où vous êtes venus. Le mythe et le folklore du pays vous seront toujours étrangers.
Vous ne maîtriserez jamais le langage vestimentaire des thobes que nous portons, qui ont jailli de la terre par l’intermédiaire de nos aïeules au fil des siècles - chaque motif, dessin et modèle évoquant les secrets de la tradition locale, de la flore, des oiseaux, des rivières et de la faune.
Ce que vos agents immobiliers appellent dans leurs annonces à prix élevé « maison arabe ancienne » conservera toujours dans ses pierres les histoires et les souvenirs de nos ancêtres qui les ont construites. Les photos et les peintures anciennes de la terre ne vous contiendront jamais.
Vous ne saurez jamais ce que l’on ressent lorsqu’on est aimé et soutenu par ceux qui n’ont rien à gagner de vous et, en fait, tout à perdre.  Vous ne connaîtrez jamais le sentiment des masses du monde entier qui se déversent dans les rues et les stades pour chanter votre liberté ; et ce n’est pas parce que vous êtes juifs, comme vous essayez de le faire croire au monde, mais parce que vous êtes des colonisateurs violents et dépravés qui pensent que votre judaïté vous donne droit à la maison que mon grand-père et ses frères ont construite de leurs propres mains sur des terres qui appartenaient à notre famille depuis des siècles. C’est parce que le sionisme est un fléau pour le judaïsme et, en fait, pour l’humanité.
Vous pouvez changer vos noms pour qu’ils soient plus adaptés à la région et vous pouvez prétendre que le falafel, le houmous et le zaatar sont vos anciennes cuisines, mais dans les recoins de votre être, vous sentirez toujours la piqûre de cette falsification et de ces vols épiques, c’est pourquoi même les dessins de nos enfants accrochés aux murs à l’ONU ou dans un service hospitalier provoquent une crise d’hystérie chez vos dirigeants et vos juristes.
Vous ne nous effacerez pas, quel que soit le nombre d’entre nous que vous tuerez, jour après jour. Nous ne sommes pas les rochers que Chaim Weizmann pensait pouvoir éliminer de la terre. Nous sommes son sol même. Nous sommes ses rivières, ses arbres et ses histoires, parce que tout cela a été nourri par nos corps et nos vies pendant des millénaires d’occupation continue et ininterrompue de cette parcelle de terre entre le Jourdain et la Méditerranée, depuis nos ancêtres cananéens, hébreux, philistins et phéniciens, jusqu’à tous les conquérants et pèlerins qui sont allés et venus, qui se sont mariés ou ont violé, aimé, réduit en esclavage, converti d’une religion à l’autre, se sont installés ou ont prié sur notre terre, laissant des morceaux d’eux-mêmes dans nos corps et dans notre héritage. Les histoires légendaires et tumultueuses de cette terre sont littéralement inscrites dans notre ADN. Vous ne pouvez pas tuer ou propager cela, quelle que soit la technologie de la mort que vous utilisez ou les arsenaux médiatiques d’Hollywood et des grandes entreprises que vous déployez.
Un jour, votre impunité et votre arrogance prendront fin. La Palestine sera libre ; elle retrouvera sa gloire pluraliste multireligieuse et multiethnique ; nous rétablirons et développerons les trains qui vont du Caire à Gaza, à Jérusalem, Haïfa, Tripoli, Beyrouth, Damas, Amman, Koweït, Sanaa, et ainsi de suite ; nous mettrons fin à la machine de guerre usaméricano-sioniste de domination, d’expansion, d’extraction, de pollution et de pillage
... et vous devrez soit partir soit apprendre enfin à vivre avec les autres sur un pied d’égalité.


YOSSI MELMAN
L’homme qui a interrogé Netanyahou est convaincu de la culpabilité du Premier ministre
Entretien avec Eli Assayag, ancien chef de la police israélienne


Dans sa première interview depuis sa retraite, le général de brigade Eli Assayag parle également à Haaretz de la « catastrophe » qui pourrait découler de la prise de contrôle de la police par  Itamar Ben-Gvir.

Eli Assayag. Il a compris qu’il ne serait pas promu « peut-être parce que je m’occupais de ces affaires sensibles ». Photo Tomer Appelbaum

Yossi Melman, Haaretz, 2/12/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

À la mi-2018, le général de brigade Eli Assayag et deux autres enquêteurs ont quitté les bureaux de l’unité anticorruption Lahav 433 de la police pour se rendre au siège du Mossad, près de Tel-Aviv.
Objectif : interroger le chef du Mossad de l’époque, Yossi Cohen - en tant que témoin et non en tant que suspect - dans l’affaire dite des sous-marins [dite "Affaire 3000" : achat par Israël de sous-marins Dolphin et de navires guerre Sa'ar, fabriqués par ThyssenKrupp, pour 2 milliards de dollars, faisant l'objet d'une commission d'enquête de l'État établie par le gouvernement Lapid-Gantz, lire ici NdT], dans laquelle des associés du Premier ministre Benjamin Netanyahou sont soupçonnés d’avoir reçu des pots-de-vin. Les malversations présumées - des pots-de-vin pour qu’Israël achète plus de navires de guerre qu’il n’en avait besoin - ont eu lieu lorsque Cohen dirigeait le Conseil national de sécurité d’Israël.
De retour au siège du Mossad, lorsque la voiture a franchi le portail et ses gardes armés, les enquêteurs ont atteint le bâtiment principal - et ses jardins bien entretenus - où se trouve le bureau du chef du Mossad. Les trois hommes ont été accueillis par l’assistante de Cohen, qui leur a demandé de lui donner leurs téléphones portables.

L’ancien chef du Mossad, Yossi Cohen. Il ne voulait pas être photographié dans un poste de police. Photo Ohad Zwigenberg

Assayag a refusé. « Pas de problème », lui a-t-il dit. « Nous allons retourner à notre bureau et y convoquer Yossi Cohen ». Cohen a cédé. Il ne voulait pas être photographié dans un commissariat de police.
« Je n’ai jamais fait de concessions au cours de ma carrière », déclare Assayag, ancien chef de l’unité de la police chargée de la lutte contre la criminalité financière. « Toute personne ayant commis une infraction ou ayant été convoquée pour témoigner a été traitée de manière équitable et professionnelle. En même temps, je n’ai jamais été flagorneur ou rampant, même si les personnes impliquées étaient très haut placées ».
Assayag a dirigé les enquêtes sur l’affaire des sous-marins et sur l’affaire dite « Bezeq-Walla », l’une des deux affaires dans lesquelles Netanyahou est poursuivi sur le soupçon d’avoir échangé des faveurs réglementaires contre une couverture médiatique positive.
C’est Assayag qui a recommandé l’annulation d’un accord de plaidoyer avec Michael Ganor, un suspect dans l’affaire du sous-marin. Ganor est actuellement jugé pour avoir offert et donné des pots-de-vin, pour blanchiment d’argent, pour évasion fiscale et pour avoir violé les lois sur les partis politiques.
Pourquoi avez-vous recommandé la révocation de l’accord conclu avec Ganor ?
« Je serai prudent car le procès est toujours en cours et je pourrais être appelé à témoigner devant le tribunal. D’une manière générale, je peux dire que j’ai pris ma décision après qu’il a changé sa version des faits et tenté de modifier les conditions de l’accord
».

Eli Assayag a également interrogé Netanyahou dans l’affaire Bezeq-Walla, dans laquelle il est accusé de corruption, de fraude et d’abus de confiance. Dans cette affaire, Shaul et Iris Elovitch, principaux actionnaires de la société de télécommunications Bezeq, sont jugés pour corruption, obstruction à la justice et subornation de témoins au cours d’une enquête.

Shaul et Iris Elovitch, principaux actionnaires de la société de télécommunications Bezeq. Ils sont également jugés. Photo Moti Milrod

L’enquête la plus rapide
Assayag a pris sa retraite de la police en mars 2021, à la fin du cinquième mandat de Netanyahou en tant que premier ministre. Selon les médias de l’époque, Assayag a pris sa retraite parce qu’il n’a pas été promu, peut-être en raison de son rôle dans les enquêtes.
Assayag présente la chose ainsi : « J’ai pris ma retraite à l’âge de 58 ans, après 36 ans dans la police. On ne m’a pas montré la porte, mais j’ai compris que je ne serais pas promu, peut-être parce que j’ai traité ces affaires sensibles ».
Il s’agit de la première interview accordée par M. Assayag aux médias depuis qu’il a pris sa retraite.


Eli Assayag : « Parfois, il se mettait en colère et perdait son sang-froid. Cela fait partie d’un interrogatoire : amener l’accusé à entrer dans un état d’esprit où il dit les choses de manière authentique, où il dit la vérité ». Photo Tomer Appelbaum

Il n’est pas disposé à parler de son interrogatoire de Netanyahou parce qu’il pourrait encore être appelé à témoigner dans le procès du Premier ministre. Il se contente de dire qu’à son grand désarroi, Netanyahou a repoussé à plusieurs reprises les séances. Une fois la date fixée, Assayag pensait que l’interrogatoire devait avoir lieu dans les bureaux de Lahav 433, mais le procureur général de l’époque, Avichai Mendelblit, a demandé aux enquêteurs de se rendre au bureau du Premier ministre.
« L’interrogatoire a été mené de manière professionnelle, avec rigueur, propreté et brièveté », explique Assayag. « En moins de neuf mois, nous avons terminé l’enquête et transmis le dossier au bureau du procureur de l’État. Il s’agit de l’enquête la plus rapide jamais menée dans une affaire de criminalité en col blanc ».

Les enregistrements filmés donnent l’impression que Netanyahou était arrogant envers les interrogateurs de la police, et que ceux-ci étaient parfois plutôt dociles.

« Je ne pense pas que ça ait été le cas. Parfois, il s’est mis en colère et a perdu son sang-froid. Cela fait partie d’un interrogatoire - amener l’accusé à entrer dans un état d’esprit dans lequel il dit les choses de manière authentique ; il dit la vérité. »


Benjamin Netanyahou au tribunal de district de Jérusalem. Photo Ben Hakoon


Êtes-vous convaincu de la culpabilité de Benjamin Netanyahou ?
« Si je n’étais pas convaincu, je n’aurais pas recommandé [une mise en accusation].

Ben-Gvir le « client »
Eli Assayag est né en 1962 à Ashkelon dans une famille qui avait immigré du Maroc. Pendant son service militaire, il a participé à la guerre du Liban qui a éclaté en juin 1982.
En 1986, il est entré dans la police. Il est titulaire d’un diplôme de droit de l’Ono Academic College et d’un diplôme d’études supérieures en sciences politiques de l’université de Haïfa. Il a également étudié au Collège de sécurité nationale.
Après sa phase de formation dans la police, il a été affecté au district de Tel Aviv en tant qu’enquêteur. Trois ans plus tard, il devient coordinateur du renseignement et dirige des agents. En 1991, il a suivi un cours pour officiers et est devenu officier de renseignement dans le district de Tel Aviv.
Il espère toujours que son expérience aidera la police à améliorer ses compétences en matière de renseignement. Au cours de sa carrière, il a été en contact avec des collègues du Mossad et du service de sécurité Shin Bet.

Le travail de renseignement au sein de la police s’apparente-t-il à la gestion d’agents au sein du Shin Bet ou du Mossad ?
« Oui et non. Le Mossad et le Shin Bet dirigent des agents et peuvent utiliser les renseignements qu’ils obtiennent pour déjouer des attentats en [Cisjordanie] ou à l’étranger. Pour nous, à la police, le fait de déjouer un crime ou d’autres succès n’est possible que si nous pouvons fournir au tribunal des preuves qui aboutissent à une condamnation. Sans cela, nous n’avons rien fait ».

Assayag a assumé de nombreuses fonctions au sein de la police, notamment dans le cadre d’affaires de drogue graves telles que celle impliquant le trafiquant de drogue international Zeev Rosenstein. Assayag a également dirigé l’unité d’enquête de la police en Cisjordanie, où il a lutté contre les crimes violents commis par de jeunes colons - les « jeunes du sommet des collines » - à l’encontre de Palestiniens.

En mai 2011, une voiture palestinienne a été incendiée près d’Hébron, en Cisjordanie, dans le cadre d’une opération dite d’étiquetage des prix [« price tag operation » : acte de vandalisme punitif contre des Palestiniens, NdT]. L’incendiaire était Hannah Hananya, considérée comme l’égérie des jeunes des collines. Elle a commis ce crime alors qu’elle était censée être assignée à résidence chez Itamar Ben-Gvir. À l’époque, Ben-Gvir était un militant radical de la colonisation et un terroriste condamné ; aujourd’hui, il est ministre de la sécurité nationale.
Il était censé servir d’agent de probation pour le tribunal. Ben-Gvir a intenté un procès en diffamation - toujours en cours - contre Hananya et l’émission d’information d’investigation « Uvda » de Canal 12 concernant la publication d’informations sur cet incident.
Hananya était la cible de l’unité d’Assayag et de la division juive du Shin Bet en raison d’activités telles que l’entrée illégale dans une ancienne synagogue à Jéricho, l’intrusion dans une base militaire et le saccage d’une voiture, ainsi que la manifestation devant le domicile du chef de la division juive du Shin Bet. Hananya a été arrêtée et a purgé une courte peine de prison.

Itamar Ben-Gvir. La dégradation de l’état de la police sous sa direction retourne les tripes d’Assayag. Photo : Olivier Fitoussi

Elle a déclaré qu’elle avait informé les enquêteurs de la police d’autres projets de violence contre des Palestiniens, mais qu’elle n’avait pas été prise au sérieux.
« Nous avons travaillé avec le Shin Bet, mais c’est lui qui nous donnait des lignes directrices et des directives venant d’en haut », dit Assayag. « Je ne pense pas qu’ils se soient beaucoup investis dans la lutte contre la criminalité ultra-nationaliste juive ».

Est-ce que la police et vous-même étiez désireux de vous attaquer à ce problème ?
« J’ai traité ce dont j’étais témoin. Notre unité était petite. Elle a été élargie par la suite. Le Shin Bet ne nous informait pas toujours de tout. »

Avez-vous rencontré Ben-Gvir lorsque vous étiez dans le district de Judée et Samarie en Cisjordanie ?
« Non, pas en personne. Mais il était l’un des « clients » [suspects potentiels d’incidents violents] sur lesquels on se penchait.
Ben-Gvir n’a pas répondu aux demandes de commentaires pour cet article.

Le renseignement humain est précieux

Assayag estime que les efforts de la police israélienne en matière de renseignement peuvent encore être améliorés. « Le travail d’un officier de renseignement de la police est difficile ; il prend 24 heures par jour, sept jours par semaine », dit-il. « Les officiers traitants étaient autrefois des policiers chevronnés qui persévéraient dans ce travail. La jeune génération n’est pas enthousiaste à l’idée de faire ce genre de travail, et le taux de rotation est élevé.
« Malheureusement, la dépendance à l’égard de la technologie est de plus en plus forte. Mais le SIGINT [renseignement d’origine électromagnétique utilisant des dispositifs d’écoute] n’est pas tout. Voyez l’émoi suscité par l’utilisation du logiciel espion Pegasus [outils développés par l’entreprise israélienne controversée NSO]. La capacité de ces méthodes à produire des renseignements pertinents est très limitée. Elle est surestimée. Le SIGINT ne donne pas vraiment de résultats satisfaisants ; l’enthousiasme pour ce type de surveillance est très exagéré. Il faut investir beaucoup plus dans le HUMINT, le renseignement humain ».
Il est temps, après les 100 jours de grâce, que Danny prenne les choses en main et devienne indépendant », déclare Assayag à propos du nouveau chef de la police Danny Levy.

Que voulez-vous dire par là ?
« Il faut changer le concept de gestion des opérations. J’estime qu’il y a 500 officiers de renseignement de la police dans tout le pays. Je propose qu’ils soient tous placés dans les commissariats de police. Ils connaissent la zone dans laquelle ils travaillent. Ils savent comment exploiter les sources. Un agent fournira les renseignements qu’il recueille à son commissariat local et aux échelons supérieurs tels que le district et le Lahav 433. »
« Il faut sortir des sentiers battus. L’unité de renseignement et d’enquête doit être responsable de la stratégie. Elle déterminera les cibles, et les agents sur le terrain agiront en conséquence, mais ils conserveront une certaine indépendance et une capacité d’influence.
« De cette manière, nous pouvons limiter les effectifs et augmenter les salaires. Il faut améliorer le processus de sélection et attirer des personnes ayant des compétences académiques et une formation adéquate.
« Il faut mieux former les agents de renseignement pour qu’ils s’adaptent aux défis modernes. Ils doivent comprendre les crypto-monnaies, que de nombreux criminels utilisent pour brouiller les pistes. Il faut connaître le blanchiment d’argent, le fonctionnement de la criminalité financière sophistiquée, et pas seulement la criminalité classique comme les atteintes aux biens, les cambriolages ou les meurtres.
« Il faut prendre des mesures telles que la création de sociétés écrans pour pénétrer les organisations criminelles, qui ont souvent plus de connaissances et de moyens que la police. Mais je doute que ma proposition soit adoptée ».

Détérioration mortelle
La personne qui doit prendre cette décision est le nouveau chef de la police, le général de division Danny Levy, qui vient de terminer ses 100 premiers jours en fonction. Assayag le connaît assez bien ; ils ont travaillé ensemble au district de Tel-Aviv, mais dans des services différents.
« Danny est un bon policier qui s’est développé à partir de la base. Ces dernières années, les commissaires ont été parachutés du Shin Bet [Roni Alsheich] ou de la police des frontières [Kobi Shabtai]. Il est tout à fait capable de faire ce travail », affirme Assayag.


Le chef de la police Danny Levy : « un bon flic qui a grandi à partir de la base » 
 Photo Olivier Fitoussi

« Je suis pour un commissaire qui a grandi dans la police. Mais Danny doit développer son indépendance et se dissocier du ministre ».
La détérioration de l’état de la police sous Ben-Gvir retourne les tripes d’Assayag. « Après la nomination de Ben-Gvir au poste de ministre de la sécurité nationale, la police a changé. Elle utilise une force disproportionnée contre les manifestants [israéliens juifs, NdT] », explique-t-il.
« Cela découle de l’esprit du commandant. Il est temps, après les 100 jours de grâce, que Danny prenne les choses en main et devienne indépendant. Si aucun adulte responsable n’est trouvé pour arrêter la détérioration, une catastrophe s’ensuivra dans la société israélienne. »



05/12/2024

DAHLIA SCHEINDLIN
Pourquoi les Israéliens n’ont aucune excuse de ne pas savoir ce qui se passe à Gaza

Un garçon blessé est évacué après une frappe israélienne dans la ville de Gaza . Photo Omar Al-Qattaa/AFP

La couverture de la guerre par les médias dominants israéliens est remarquablement conformiste et repliée sur elle-même, mais ce n’est pas la seule raison qui explique le manque de couverture de la mort et de la destruction à Gaza. Le public israélien a également fait un choix

Dahlia Scheindlin, Haaretz, 4/12/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La récente décision du gouvernement israélien de couper tout contact avec notre journal est un coup alarmant porté à la couverture médiatique critique.
Dans le même temps, le gouvernement Netanyahou fait avancer avec énergie la législation visant à dissoudre le radiodiffuseur public israélien, Kan, qu’il juge depuis longtemps trop critique et trop indépendant. Al Jazeera est interdite en Israël depuis le mois de mai.
Ces mesures représentent des attaques autoritaires importantes, mais familières, contre la presse libre. Mais d’une certaine manière, elles ne font que détourner l’attention. Le problème le plus profond de la couverture israélienne de la guerre vient des médias eux-mêmes - et du public israélien.
(In)fameusement, les grands médias israéliens ont laissé un trou béant là où ils auraient dû couvrir les horreurs de la guerre à Gaza. Certains pensent même que si les Israéliens avaient vu plus d’horreurs chaque soir, ils n’auraient peut-être pas toléré les combats aussi longtemps.
Mais les gardiens des médias ont fait ce choix volontairement, et non sous la contrainte du gouvernement. En outre, après plus d’un an (et bien avant), ce qui passe à la télévision n’a plus d’importance : les Israéliens n’ont aucune excuse pour ne pas savoir.

Un Palestinien inspecte une école abritant des personnes déplacées après qu’elle a été touchée par une frappe israélienne, dans la ville de Gaza, mardi. Photo Mahmoud Sameer/Reuters

Les médias au service du moral des troupes
La mobilisation volontaire des médias israéliens est bien antérieure à la guerre actuelle et résulte d’une histoire de collusion avec le gouvernement plutôt que d’un contrôle direct de l’État. Dans la Palestine mandataire, les rédacteurs en chef des journaux sionistes se sont réunis pour coordonner la manière de présenter aux autorités coloniales britanniques les meilleurs arguments en faveur de la création d’un État.
Ce que l’on a appelé le « comité des rédacteurs »  a perduré après l’indépendance. À l’époque, les rédacteurs travaillaient main dans la main avec les dirigeants politiques pour recevoir des secrets de choix, tout en décidant collectivement de ce qu’il valait mieux ne pas rendre public.
Le comité des rédacteurs n’existe plus, mais la télévision, la radio et les journaux israéliens sont remarquablement conformistes et repliés vers l’intérieur, vers Israël, dans leur couverture de la guerre. Le gouvernement n’a pas à dire aux rédacteurs en chef de la télévision ce qu’ils doivent faire. Même la censure militaire n’est qu’un obstacle modéré (voir l’enquête de Local Call et de +972 Magazine sur la sélection des cibles par l’IA  israélienne, qui a passé la censure et fait des vagues dans le monde entier).
Mais il est trompeur de conclure que les Israéliens ont simplement succombé à la négligence de Gaza dans les reportages télévisés grand public.
D’une part, les critiques israéliens ont eux-mêmes remarqué le problème. Les auteurs de Haaretz ont bien sûr abordé les échecs des médias en temps de guerre. Dans The Seventh Eye, une publication de surveillance des médias, Chen Egri a écrit sur le manque de couverture de Gaza https:/www.the7eye.org.il/520983, notant que c’est principalement Haaretz et Local Call qui publient une couverture extensive des dégâts à Gaza, en hébreu.

Une femme palestinienne est embrassée alors qu’elle réagit sur le site d’une frappe israélienne sur une école abritant des personnes déplacées, dans la ville de Gaza, mardi. Photo Mahmoud Sameer/Reuters

Les critiques ne se limitent pas à la gauche. Amnon Levy, l’un des correspondants les plus influents et les plus appréciés de la télévision israélienne grand public, a récemment écrit dans Ynet - un portail d’information centré sur le grand public - que les journalistes « sont confrontés à un dilemme : montrer les atrocités de la guerre ? L’abandon des otages ? Les destructions que nous avons causées à Gaza ? Sur les jeunes qui quittent le pays ? ... Si nous ne les montrons pas, nous trahissons notre mission ». Mais il conclut que les grandes chaînes de télévision ont surtout choisi cette dernière voie.
Shai Lahav est un documentariste chevronné et un chroniqueur du Maariv, dont le travail comprend des séries télévisées diffusées sur Kan 11, la chaîne financée par l’État. Il écrit également des pièces de théâtre et des paroles de chansons et s’intéresse de près à la culture populaire et aux médias.
Dans un article publié en juin, il a reproché aux chaînes de télévision israéliennes de ne pas montrer davantage les destructions à Gaza. Il a souligné dans une interview qu’il se situait au centre de l’échiquier politique et qu’il n’était pas un « suspect habituel » de la gauche, et que sa foi en une résolution pacifique du conflit a été ébranlée après le 7 octobre.
Mais Lahav pense qu’Israël est handicapé par le fait de ne pas voir ce que le monde entier sait, comme la controverse mondiale sur le raid des Forces de défense israéliennes pour sauver quatre otages en juin, où des centaines de Palestiniens ont été tués.
Lundi, Lahav a attiré l’attention sur un rapport du New York Times exposant une importante base militaire en cours de construction dans le centre de la bande de Gaza, qui semble étrangement permanente. Haaretz a enquêté et publié cette histoire des semaines auparavant, mais où est le reste des grands médias israéliens ? Les Israéliens qui ne lisent peut-être pas le New York Times ne devraient-ils pas être informés par des sources locales ?
Lahav pense que les journaux télévisés devraient au moins inclure des émissions spéciales, peut-être dans les éditions les plus longues du week-end, sur la situation à Gaza. Il faut que cela vienne aussi des Palestiniens, et pas seulement de ceux qui disent « Nous détestons le Hamas » », a-t-il déclaré, faisant référence à la tendance des journaux télévisés israéliens à mettre l’accent sur les critiques palestiniennes du Hamas (ou sur la haine arabe du Hezbollah). Le fils de Lahav a effectué son service de réserve à Gaza et dans le nord du pays, tandis que lui-même a servi lors de la première intifada. Fort de ces expériences, il est convaincu que « l’obligation de connaître toutes les parties est plus importante que jamais ».

De nombreuses sources

Mais quelles que soient les faiblesses des grands médias israéliens, ils ne racontent tout simplement pas toute l’histoire. Selon les rapports d’évaluation, environ 40 % des Israéliens, dans le meilleur des cas, regardent les principaux programmes d’information télévisés. En revanche, l’Association israélienne de l’Internet a constaté que 89 % des Israéliens ont utilisé l’Internet en 2022 et 2023, et que 78 % utilisent les médias sociaux - Israël se classe cinquième sur 19 pays développés pour ce qui est de ces derniers, selon le prestigieux Pew Research Center. Il est impossible que les Israéliens soient exclusivement nourris à la cuillère par des informations télévisées maladroites.

Des Palestiniens déplacés s’abritent dans une école à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, mardi. Photo Hatem Khaled/Reuters

Tehilla Shwartz Altshuler, spécialiste du droit et de la politique des médias à l’Institut israélien de la démocratie, a noté que les Israéliens ne recherchent pas seulement des opinions en chambre d’écho sur ces applications, mais aussi des informations concrètes.
C’est particulièrement vrai pour Telegram, où les gens peuvent rejoindre des canaux qui sont personnalisés, notoirement non censurés et non régis par un algorithme. Les Israéliens les utilisent déjà largement pour renforcer leur attitude militante ou intransigeante. Au grand dam de l’armée, des soldats ont fièrement documenté leurs propres excès à Gaza sur leurs comptes de médias sociaux.
Mais les médias sociaux offrent tous les types d’informations, accessibles avec de la curiosité et quelques clics. Les juifs israéliens ne connaissent peut-être pas les Palestiniens de Gaza crédibles à suivre sur Instagram, et ne voient peut-être pas les articles les plus graphiques, mais beaucoup d’entre eux obtiennent des informations qui vont bien au-delà des news israéliennes traditionnelles.
Shwartz Altshuler est fascinée par une chaîne appelée Abu Ali Express, dirigée par un Israélien anonyme dont les informations sur le monde arabe - et les Palestiniens - se sont avérées fiables à plusieurs reprises. Il est également controversé, puisqu’il a été engagé pour conseiller les FDI sur leurs opérations psychologiques concernant ces questions. En 2022, Haaretz a révélé son nom [Gilad Cohen] et a indiqué que son contrat de consultant avec les FDI avait pris fin au début de l’année 2022. Lorsqu’il a finalement accordé une interview à Israel Hayom cet été (en insistant toujours sur l’anonymat), il n’avait rien d’un  gauchiste.
Elle note que les gens peuvent en apprendre beaucoup plus sur Gaza, le Liban et le Moyen-Orient ici que dans les journaux télévisés israéliens. « Vous êtes exposés à beaucoup plus de matière première, et donc à plus d’informations en provenance de Gaza qui sont basées sur des sources locales, des sources arabes, et qui ne dépendent pas uniquement des [reporters israéliens] embarqués ».
Avec plus d’un demi-million d’abonnés, explique-t-elle, son audience rivalise avec celle d’une chaîne de télévision traditionnelle. Malgré son implication dans les forces de défense israéliennes, l’objectif qu’il poursuit - y compris les informations détaillées en provenance de Gaza - est bien plus large que les informations télévisées du soir. « L’idée que les Israéliens ne connaissent Gaza que par les médias traditionnels n’est pas correcte », affirme-t-elle.
En conséquence, malgré le discours sur l’absence de couverture médiatique de Gaza, une enquête de l’Institut israélien de la démocratie réalisée en avril a révélé que 84 % des Israéliens ont déclaré avoir vu de nombreuses ou quelques « images ou vidéos montrant les destructions massives à Gaza ».

Un bâtiment détruit à la suite d’une frappe israélienne dans le quartier Sabra de la ville de Gaza, mardi. Photo Omar Al-Qattaa/AFP

Savoir et ne pas savoir
Avec autant de sources d’information disponibles, le problème est peut-être plus psychologique que technique. Personne au monde ne serait capable de tourner la page sur le 7 octobre [ni sur la Nakba ni sur les innombrables guerres menées par Israël, NdT]. Les Israéliens peuvent voir des vidéos de Gaza sur Telegram et, en même temps, ils consomment beaucoup de médias grand public qui couvrent chaque Israélien blessée, l’histoire de chaque otage et les funérailles de chaque Israélien tué.
Lorsqu’on lui a demandé ce qu’il pensait que les journaux télévisés du soir pouvaient faire de mal, Lahav a fait remarquer que malgré certaines distinctions entre les chaînes d’information télévisées, « il n’est question que de nos souffrances... on n’entend pas un mot de la partie gazaouie. C’est absurde ». Et il a fait allusion à quelque chose que j’ai moi aussi expérimenté : une certaine aliénation par le chagrin. « Je connais beaucoup de gens qui ne peuvent plus regarder [les reportages sur le deuil], parce qu’ils n’en peuvent plus », dit-il.
Les émissions de radio du matin couvrent souvent les funérailles de la veille, tandis que les bulletins d’information de fin de soirée présentent les funérailles du jour même. Entre les deux, de longs entretiens avec les familles endeuillées donnent aux auditeurs moins de temps pour obtenir davantage d’informations. Je suppose qu’ils développent également une plus grande résistance personnelle à l’empathie envers les Palestiniens.
Les sondages montrent régulièrement que la majorité des Palestiniens n’ont pas vu les vidéos des atrocités du 7 octobre, ne croient pas qu’elles se sont produites et pensent que l’attaque du Hamas était justifiée. [le compte rendu du sondage par le Centre palestinien de recherche sur la politique et les sondages ne dit rien de tel. Lire un extrait de leur communiqué à la fin de cet article, NdT]
Mark Lilla, spécialiste des sciences humaines à l’université de Columbia, consacre un livre à paraître à « ne pas vouloir savoir » , ce qui est le sous-titre même de son ouvrage
[Ignorance and Bliss: On Wanting Not to Know - Ignorance et béatitude : De la volonté de ne pas savoir]. Dans un essai publié par le New York Times, il évoque la tendance moderne à s’accrocher à des opinions indiscutablement erronées ou à refuser de renoncer à notre ignorance. Son livre traite de l’humanité, et non d’Israël, de sorte que les Israéliens ne sont certainement pas uniques.
Mais Lilla insiste sur le fait qu’en matière de recherche de la vérité, « nos vies sont en jeu » - un argument qui est bien plus angoissant sur un champ de bataille ensanglanté. Les Israéliens doivent commencer à prendre la responsabilité de savoir, car quelque part, des vies en dépendent.

NdT
« Soutien à l'attaque du 7 octobre : une fois de plus, les résultats montrent un déclin du soutien global à l'offensive du Hamas du 7 octobre. La baisse, de 13 points de pourcentage, est significative à la fois en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, mais plus encore dans cette dernière où la baisse est de 18 points, s'établissant aujourd'hui à 39%. Dans notre précédent sondage, la baisse de l'opinion positive sur l'attaque du 7 octobre s'élevait à 14 points de pourcentage. Il est important de noter que le soutien à cette attaque ne signifie pas nécessairement un soutien au Hamas et ne signifie pas non plus un soutien aux meurtres ou aux atrocités commises contre les civils. En effet, près de 90 % du public estime que les hommes du Hamas n'ont pas commis les atrocités décrites dans les vidéos prises ce jour-là. Le soutien à l'attentat semble toutefois provenir d'un autre motif : les résultats montrent que plus de deux tiers des Palestiniens estiment que l'attentat a placé la question palestinienne au centre de l'attention et a mis fin à des années de négligence aux niveaux régional et international. »
Source :
Palestinian Center for Policy and Survey Research,
Press Release: Public Opinion Poll Nr. 93, 17/9/2024