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01/06/2025

GIDEON LEVY
Si vous êtes choqués par le fait que des Israéliens tabassent un chauffeur de bus arabe, comment n’êtes-vous pas choqués par un génocide ?

Gideon Levy, Haaretz, 1/6/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La dynamique du pouvoir est également similaire : des dizaines de personnes contre un chauffeur, comme l’armée la mieux équipée du monde contre la population impuissante de Gaza.


Le groupe de supporters d’extrême droite La Familia assiste à un match du Beitar Jérusalem au Teddy Stadium. Photo : AHMAD GHARABLI / AFP

Ils lui ont donné des coups de pied et l’ont battu, lui ont lancé des objets et l’ont frappé alors qu’il gisait, blessé et sans défense, sur le plancher du bus. Une foule de personnes se tenait autour de lui : certaines applaudissaient, d’autres restaient silencieuse set quelques-unes étaient hébétées.

L’agression brutale de deux chauffeurs de bus arabes à Jérusalem jeudi soir est l’agression qu’Israël commet dans la bande de Gaza depuis 20 mois.

Comme un village modèle, une version réduite qui se ressemble étrangement. En Israël, la maquette a suscité plus d’opposition que l’original, mais la guerre à Gaza est infiniment plus brutale que l’attaque à Jérusalem.

Les hooligans supporters l’équipe de football du Beitar Jérusalem n’ont pas besoin d’une raison pour frapper un chauffeur de bus arabe qui leur fournit un service, mais cette fois-ci, elle en a eu une : Zahi Ahmed, un joueur arabe, a eu l’audace de marquer un but contre le Beitar, aidant ainsi son équipe, l’Hapoel Be’er Sheva, à remporter la Coupe d’État d’Israël en finale.

Pour les hooligans du Beitar, un but marqué par un joueur arabe, surtout en finale de la coupe, c’est presque un 7 octobre. ça ne peut être ignoré. Comme après le 7 octobre, une réponse immédiate est nécessaire. Pour eux, le championnat aurait dû être exempt d’Arabes depuis longtemps ; l’audace d’un joueur arabe marquant contre l’équipe la plus juive - en finale de la coupe, qui plus est - ne pouvait rester sans réponse.

Si vous avez été stupéfaits par l’assaut, comment ne pas l’être par la guerre ?

L’assaut et la guerre avaient tous deux un prétexte. On ne peut pas comparer les horreurs du 7 octobre à un but de football, mais on ne peut pas non plus comparer deux chauffeurs de bus blessés à un millier de bébés morts. Le 7 octobre a été un crime horrible. Aux yeux de La Familia, un groupe ultra qui soutient le Beitar, un Arabe qui marque un but contre une équipe juive, c’est également un crime qui ne peut être passé sous silence.

Des supporters du Beitar Jérusalem agressant un chauffeur de bus palestinien à Jérusalem jeudi

À partir de là, la similitude ne fait qu’augmenter. Dans les deux cas, la réponse a été illégale, illégitime et totalement disproportionnée. Qualifier la guerre à Gaza de guerre juste – « la guerre la plus juste de notre histoire » - est aussi insensé que de dire que les supporters du Beitar avaient une raison de frapper les chauffeurs. Ces derniers ont autant de liens avec la perte du Beitar que les enfants de Gaza avec le 7 octobre.

Dire que lobjectif de la guerre est de libérer les otages et de vaincre le Hamas est aussi ridicule que de penser que l’agression d’un chauffeur de bus empêchera les joueurs arabes de marquer des buts. Les hooligans pensaient dissuader les joueurs par l’agression, et Israël pense dissuader Gaza par le génocide. La soif de vengeance est également similaire.

Dans les deux cas, il n’y a eu aucune retenue, ni légale ni morale. Tabasser sans pitié, c’est comme bombarder et pilonner sans pitié. Dans les deux cas, la plupart des victimes sont innocentes. La dynamique du pouvoir est également similaire : des dizaines de personnes contre un chauffeur, comme l’armée la mieux équipée du monde contre une population sans défense. Un assaut brutal contre Gaza. Bombarder et pilonner la bande de Gaza, même lorsqu’elle est déjà au sol, malade, affamée et en sang, tout comme donner des coups de pied au chauffeur qui gît meurtri et en sang.

Ces agressions n’étaient pas les premières du genre à Jérusalem, et elles ne seront pas les dernières ; selon le syndicat des chauffeurs de bus, il y a chaque jour au moins deux agressions contre des chauffeurs arabes à Jérusalem. L’attaque actuelle contre Gaza n’est pas non plus la première, bien sûr, ni la dernière.

Quant à la foule qui l’entoure : « Oh, oh ! », crient les badauds, choqués ou excités. Personne n’a pris la défense des chauffeurs, pas même un seul juste de Jérusalem. Les deux chauffeurs ne se remettront pas rapidement du traumatisme, et il est douteux qu’ils puissent à nouveau conduire un bus dans cette ville fasciste. Gaza ne s’en remettra pas non plus. Elle restera à jamais abasourdie par ce qu’Israël lui a fait subir.

Regardez les agressions à Jérusalem et voyez Israël ; regardez les spectateurs passifs qui crient « Oh, Oh » - et voyez-nous, presque chacun d’entre nous.

30/05/2025

GIDEON LEVY
La ville palestinienne de Bruqin subit un double saccage à la suite d’une attaque terroriste

Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 30/5/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Après le meurtre terroriste de Tzeela Gez, dont le bébé est mort jeudi après avoir été mis au monde dans un état grave, les colons se sont déchaînés sur la ville palestinienne de Bruqin, où l’armée a effectué une attaque peu de temps après. L’armée israélienne a arrêté et tué un suspect. Selon des indices, il a été exécuté alors qu’il était menotté

Un Dieu de vengeance est le Seigneur, et une armée de vengeance est l’armée d’Israël. Les colons aussi ont soif de vengeance – et personne ne les en empêche. La ville palestinienne de Bruqin, située face à la colonie de Brukhin en Cisjordanie, l’a appris à ses dépens ces derniers jours. Ses habitants sont encore sous le choc de la campagne punitive qu’ils ont subie.


Drapeaux israéliens placés sur une maison palestinienne détruite par l’armée israélienne à Bruqin, en Cisjordanie.

Le chef du conseil régional de Shomron (Samarie), Yossi Dagan, a appelé à raser toute la ville et à expulser tous ses habitants. « Que le sort de Bruqin soit le même que celui du camp de réfugiés de Jénine », a affirmé le fonctionnaire des colons, qui a été contraint de cesser de parler lors des funérailles de Tzeela Gez, de Brukhin, victime de l’attaque terroriste de la mi-mai, dans le sillage de laquelle cette folle campagne de vengeance et de vengeance a été lancée.

Bruqin et Brukhin sont situés sur des crêtes des deux côtés de l’autoroute 446, à l’ouest d’Ariel. La route de l’autoroute à Brukhin est directe et courte ; la route jusqu’à Bruqin, une ville de 5 000 habitants, est longue et sinueuse. Une barrière métallique jaune bloque la route qui menait à la ville, et la déviation serpente entre les villages de la région, faisant mille tours, afin d’aggraver le calvaire des habitants – c’est la même chose pour pratiquement toutes les  communautés palestiniennes de Cisjordanie depuis le début de la guerre dans la bande de Gaza.


La ville palestinienne de Bruqin en Cisjordanie, et des drapeaux israéliens placés sur une maison palestinienne détruite par l’armée israélienne

Les signes des récents déchaînements de l’armée et des colons sont évidents sous la forme de maisons incendiées et de squelettes de voitures brûlées, dans la démolition d’un immeuble de trois étages à la périphérie de la ville, et surtout dans les monstrueux travaux de terrassement actuellement effectués par les bulldozers aux abords de la ville, apparemment dans le but d’isoler encore plus la ville. Les colons y ont déjà installé une cabane et ont creusé un chemin de terre parallèle à la 446 – prélude à un avant-poste punitif.

Les soldats ont également fait irruption dans le bâtiment du conseil municipal, l’endommageant. Dans son bureau, le chef du conseil, Faed Sabra, 52 ans, et ses assistants rédigent un rapport détaillé sur tous les dégâts causés par l’armée et les colons sous son patronage. Les soldats ont envahi 740 maisons, que ce soit pour effectuer des perquisitions ou pour harceler et intimider les habitants. Ils ont pris le contrôle de 23 maisons, expulsé les habitants et y sont restés pendant toute la durée du couvre-feu de neuf jours. Les colons ont incendié huit voitures, une maison de trois étages a été démolie et cinq autres maisons partiellement endommagées, et le camion à ordures du conseil a été mis en fourrière (sur la base de l’incroyable allégation selon laquelle il avait ramassé des ordures dans la zone C, les sections de la Cisjordanie sous contrôle israélien total).

Et pendant ce temps, les bulldozers de Tsahal sont à l’œuvre sur la crête à l’extrémité de la ville, au nord-ouest, sans que personne, pas même le chef du conseil, n’ait la moindre idée de ce que prépare l’armée. La section creusée est également ornée de dizaines de drapeaux israéliens, qui ont été placés là après l’attaque terroriste, comme si Bruqin avait été annexé à Israël et faisait maintenant partie de son territoire souverain. Provocation, les drapeaux sont aussi une sorte de punition.

Et surtout, les soupçons abondent sur les circonstances dans lesquelles Nael Samara, soupçonné d’avoir perpétré l’assassinat de Tzeela Gez. Les témoignages suggèrent qu’il était menotté au moment où il a été abattu par les mêmes soldats qui l’avaient arrêté plusieurs heures plus tôt.


Yaffi Barakat se tient près de la porte d’entrée de sa maison détruite à Bruqin.

Gez, une mère de trois enfants qui se rendait à la salle d’accouchement pour donner naissance à son quatrième, a été tuée le 14 mai dans une fusillade sur la route près de Brukhin, où elle vivait. L’armée a fait une descente dans le village de Bruqin, a pris le contrôle de dizaines de maisons, a expulsé leurs habitants et a transformé les structures en centres d’interrogatoire pour de nombreux hommes de la ville. Les interrogatoires ont été violents, raconte le chef du conseil, Sabra. Il souligne que même les malades et les personnes âgées n’ont pas été autorisés à quitter leur domicile pendant la durée du couvre-feu, y compris trois patients dialysés qui ont été contraints d’attendre cinq jours avant d’être autorisés à se faire soigner.

Alors que l’armée menait des interrogatoires, les colons déversaient leur fureur sur les villageois et vandalisaient leurs biens. Le déchaînement a duré des jours après l’attaque terroriste ; pas plus tard que jeudi dernier, plus d’une semaine après le meurtre de Gez, des maisons étaient encore incendiées.

Lorsque nous sommes arrivés au bâtiment du conseil, des ouvriers déchargeaient des extincteurs rouges d’une voiture. C’est le seul moyen dont disposent les habitants de la ville pour se protéger et protéger leurs biens contre les incendies criminels. Sous les auspices du couvre-feu, l’armée a également démoli le bâtiment de trois étages mentionné plus haut, affirmant qu’il avait été construit illégalement. Le chef du conseil, Sabra, a déclaré que 245 dunams (24,5 ha) des terres de la ville ont été expropriés pour les besoins de l’armée après la fusillade. C’est dans cette zone que les bulldozers sont maintenant à l’œuvre. Sabra estime qu’entre 200 et 300 colons ont attaqué la ville dans les jours qui ont suivi l’attaque terroriste.

 


Des employés municipaux déchargent des extincteurs d’une voiture.

Et il y a aussi eu le meurtre de Nael Samara, plâtrier de métier, âgé de 37 ans, marié et père de trois enfants. Il a été arrêté par l’armée samedi matin, trois jours après la fusillade. L’image qui ressort des témoignages recueillis par Salma a-Deb’i, chercheuse de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, de la veuve de Samara, de son père et de son oncle, est celle d’une exécution.

La veuve, Athadel, a raconté que ce matin-là, entre 7 et 8 heures, son mari l’a réveillée et lui a dit que l’armée était à l’extérieur de la maison. Ils s’attendaient à l’arrivée de soldats, a-t-elle dit, car ils avaient visité la plupart des maisons de la ville. Le couple a ouvert la porte et les soldats ont ordonné à Nael de sortir et lui ont dit de lui remettre sa carte d’identité et son téléphone. Les enfants dormaient. Suivant la pratique habituelle, les soldats ont menotté Nael et lui ont bandé les yeux avec un chiffon avant de l’emmener. Quelques soldats sont restés dans la maison et ont ordonné à Athadel de s’asseoir sur une chaise à l’entrée.

Quand les enfants se sont réveillés, elle a dit qu’elle voulait leur donner à manger. Les soldats lui ont permis d’aller à la cuisine. Ensuite, elle est retournée à la chaise près de la porte d’entrée et y est restée jusqu’à 14 h 30 ou 15 h, lorsqu’elle a entendu une voix crier « Allahu akbar » (« Dieu est grand ») depuis l’arrière-cour. Elle a reconnu la voix de son mari. Cela a été suivi d’une rafale de coups de feu, qui a également été entendue dans toute la ville. Elle a essayé de se lever pour voir ce qui se passait, mais les soldats lui ont dit de ne pas bouger.

Un grand nombre de soldats sont arrivés, et après environ 15 minutes, ils sont tous partis. Athadel est allée chez sa belle-famille sans savoir ce qui était arrivé à son mari, alors même que des rumeurs se répandaient dans la ville selon lesquelles Nael avait été tué par les soldats. Quelques heures plus tard, Athadel a été contactée par l’Administration de coordination et de liaison du district palestinien. Les autorités israéliennes, lui a-t-on dit, les avaient informés que Nael avait été tué.


Fahad Barakat se tient dans son escalier, après que ses vitres ont été brisées, à Bruqin, ce mois-ci.

Un voisin, Knaan Samara, 21 ans, qui a assisté aux événements depuis son balcon, a ensuite été battu par des soldats. Selon les témoignages recueillis par a-Deb’i, il s’est rendu à la clinique médicale pour faire panser ses blessures – il avait une profonde entaille à la tête et une autre à une jambe – mais une unité de l’armée est arrivée à la clinique et l’a placé en détention. Les soldats ont dit au personnel de la clinique, qui voulait envoyer le blessé à l’hôpital : « Nous ferons ce qui doit être fait. » Depuis, Knaan Samara est en détention, ainsi que son frère, Abidian, 40 ans.

Avant d’être arrêté, Knaan a raconté à ses parents qu’il avait vu des soldats tirer sur Nael alors qu’il était menotté et les yeux bandés. Le père de Knaan, Sami Samara, 62 ans, a déclaré qu’il avait vu des soldats ramener Nael chez lui, menotté et les yeux bandés. La chercheuse de terrain de B’Tselem dit qu’elle a vu des photos de l’endroit, à l’arrière de la maison, où Nael a été abattu, dans lesquelles des taches de sang étaient visibles, mais que lorsqu’elle s’y est rendue quelques jours plus tard, il n’y avait aucun signe de sang ou des douilles de cartouches qui étaient également apparues sur les photos. La famille de Naël affirme que quelques heures après l’incident, deux véhicules de police sont arrivés sur les lieux.


La maison d’un Palestinien détruite par l’armée israélienne à Bruqin

La famille a également noté qu’il y a trois mois, Nael s’était cassé une jambe dans un accident de travail. Il avait du mal à marcher et a cessé de travailler. L’affirmation de l’armée selon laquelle il était en train de courir lorsqu’il a fui la scène de l’attaque terroriste n’a aucun sens, disent-ils, étant donné l’état de sa jambe. Était-il le terroriste qui a perpétré l’attaque ? A-t-il été exécuté de sang-froid par des soldats alors qu’il était menotté ?

L’unité du porte-parole de Tsahal a renvoyé Haaretz cette semaine au long communiqué publié le lendemain du meurtre. Après avoir déclaré que l’attaque terroriste avait été résolue et que l’auteur avait été éliminé, le communiqué poursuit : « Au cours d’une poursuite et de recherches ciblées par des combattants de Tsahal de la brigade Ephraïm, guidés par le Shin Bet [service de sécurité], un terroriste a été repéré en train de courir vers les forces, tenant un sac soupçonné d’être piégé, et les appelant. Face à une menace immédiate, les combattants ont éliminé le terroriste. Nos forces n’ont pas eu de pertes.

À la suite d’une enquête menée par le Shin Bet, l’armée israélienne et le district de police de Shai [Samarie et Judée], il a été découvert que Nael Samara, le terroriste éliminé, avait perpétré l’attaque près de la colonie de Brukhin, au cours de laquelle Tzeela Gez, de mémoire bénie, a été assassinée. Le terroriste Samara a purgé une peine de prison pour son activité au sein de l’organisation terroriste Hamas, a été libéré en 2010 et a été emprisonné à nouveau pendant plusieurs jours en 2019 pour incitation à la haine sur Internet. Le sac qu’il portait contenait un fusil M-16 et d’autres moyens de combat, qui ont été utilisés pour perpétrer l’attaque ».


Le chef du conseil municipal, Faed Sabra

« Dans le cadre de l’enquête du Shin Bet, l’armée israélienne a arrêté un certain nombre d’autres suspects soupçonnés d’avoir perpétré l’attaque, y compris le chef de l’escouade, qui est soupçonné d’être impliqué dans la perpétration de l’attaque. »

Cette semaine, j’ai demandé aux responsables de Tsahal comment ce récit concordait avec le témoignage de la femme de Samara, qui a raconté que son mari avait déjà été arrêté par des soldats ce matin-là et ramené à la maison menotté. Des sources militaires ont reconnu qu’il avait effectivement été arrêté dans la matinée et amené à la maison à midi, mais qu’il avait ensuite tenté d’attaquer les soldats en criant « Allahou akbar ».

Les soldats ont-ils enlevé les menottes de Nel, une fois arrivés à  la maison ? Très peu probable. Une personne menottée, enchaînée et ayant les yeux bandés pourrait-elle constituer un danger pour les soldats ? Très peu probable. L’unité du porte-parole de Tsahal a refusé cette semaine de se prononcer sur la question de savoir s’il était menotté lorsqu’il a été abattu, et s’est contentée d’une référence au communiqué. Le soupçon qu’il ait été abattu alors qu’il était menotté reste plus fort que toute autre version.

Drapeaux israéliens à Bruqin, en Cisjordanie

Jeudi dernier, le 22 mai, l’armée israélienne a quitté la ville et la vie est censée être revenue à la normale. Seulement censée. Les habitants calculent les dégâts causés, d’autres font des réparations, et tout le monde a peur du prochain pogrom.

Yaffi Barakat, 30 ans, marié et père de cinq enfants, vit à la périphérie de la ville, dans une maison de deux étages relativement neuve qu’il a construite pendant les sept années où il a travaillé en Israël. Il avait déjà remplacé les fenêtres de la maison qui avaient été brisées immédiatement après l’attaque terroriste. Jeudi soir dernier, les colons sont revenus et cette fois-ci ont mis le feu à une partie de la maison, brisé à nouveau les fenêtres et laissé une inscription peu claire maculée de bleu et accompagnée d’une étoile de David sur le sol de son porche. Les lits des enfants, au deuxième étage, sont recouverts de pierres que les colons ont jetées sur la maison, qui, heureusement – par peur des colons – était vide à l’époque.

Le balcon de la maison offre une vue sur le nouveau quartier de maisons en cours de construction à Brukhin sur la colline d’en face. Les sols de la maison, sur les deux niveaux, sont encore recouverts de verre brisé, il faut donc marcher prudemment. Yaffi a entassé les canapés et autres meubles dans une pièce intérieure de la maison, afin qu’ils ne prennent pas feu lors du prochain incendie criminel. Entre-temps, Yaffi, dont le visage reflète peur et désespoir, ne vit plus ici.


26/05/2025

DAHLIA SCHEINDLIN
Que faudra-t-il pour que les Israéliens reconnaissent la souffrance à Gaza ?

Dahlia Scheindlin, Haaretz 22/5/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Alors que les ministres de Netanyahou incitent au génocide, les protestations israéliennes de base contre la mort des enfants de Gaza se multiplient, et d’éminents critiques nationaux qualifient l’extension de la guerre par Israël d’« ordre manifestement illégal ». L’opinion publique israélienne s’approche-t-elle d’un point de basculement vers la reconnaissance du droit à la vie des Palestiniens ?

Des Palestiniens attendent de recevoir de la nourriture préparée par une cuisine caritative dans la ville de Gaza, hier. Photo : Mahmoud Issa/Reuters

Les estimations des morts directes à Gaza suite à la guerre se situent entre 52 000 et 64 000, et les morts indirectes pourraient se chiffrer à des centaines de milliers à l’heure actuelle. En mars, l’UNICEF a indiqué qu’environ 15 000 des morts étaient des enfants ; jeudi, le ministère de la santé de Gaza a avancé le chiffre de 16 500 enfants.

Des villes, des villages et des camps ont été éradiqués ; les infrastructures, les écoles, les hôpitaux, les centres culturels et éducatifs ont été décimés. Les corps pourrissent sous le béton écrasé, les chiens mangent les corps, les enfants meurent de malnutrition. Les habitants manquent d’eau, de nourriture, de médicaments, d’égouts, de maisons - sans parler de la sécurité contre les bombes israéliennes, qui visent même leurs misérables tentes.

Depuis 19 mois, les Israéliens ont endurci leur cœur face à une souffrance à Gaza qui défie les mots. Cela changera-t-il un jour, et que faudra-t-il pour cela ?

Après près de trois mois de siège total de Gaza par Israël, qui a bloqué toute aide, les dirigeants du monde entier se sont alignés pour condamner la catastrophe humanitaire et demander à Israël d’autoriser l’entrée de l’aide, tout en exigeant un cessez-le-feu, la libération des otages et une solution politique à long terme. La liste va du président Donald Trump aux dirigeants de la France, du Royaume-Uni et du Canada, en passant par le nouveau pape Léon XIV et même Piers Morgan. Les Israéliens s’en soucient-ils ?

 Cela dépend à qui vous posez la question. À en juger par l’incitation au génocide du ministre des finances d’extrême droite Bezalel Smotrich, par les justifications de fou de Benjamin Netanyahou pour poursuivre la guerre, ou par des pontes comme Nave Dromi - qui a affirmé avec désinvolture dans le portail d’information israélien Ynet que les Israéliens ne s’intéressent pas à la faim et à la souffrance humaine à Gaza parce que les Gazaouis l’ont provoquée eux-mêmes - la réponse est non. Ils affirment sans équivoque que les 15 000 - ou maintenant plus de 16 000 - enfants gazaouis morts, et très certainement ceux qui sont encore en vie, l’ont provoqué eux-mêmes.

De la fumée s’élève de Gaza après une explosion, aujourd’hui. Photo : Ammar Awad/Reuters

Les sondages n’apportent que des réponses partielles à la question de savoir dans quelle mesure ces opinions sont réellement répandues. Sur la plupart des questions, les Israéliens ont exprimé des attitudes plus extrêmes au cours des premières phases de la guerre. Un sondage réalisé en janvier 2024 pour Canal 12 a révélé qu’un peu plus de 20 % d’entre eux étaient favorables à la poursuite de l’aide humanitaire qu’Israël avait commencé à autoriser à partir de la fin de l’année 2023, tandis que 72 % souhaitaient qu’elle s’arrête. Un sondage réalisé mercredi pour Canal 13 a montré un léger changement : 34 % des personnes interrogées ont déclaré qu’Israël devrait autoriser l’aide humanitaire à Gaza, soit un peu plus d’un tiers, tandis qu’une majorité, 53 %, a déclaré qu’il ne devrait pas autoriser l’aide, et 13 % ne savaient pas.

Mais les sondages peuvent être complétés par des développements, des déclarations et des anecdotes. Bien qu’ils ne donnent pas de chiffres précis, ils suggèrent la direction dans laquelle le vent souffle, en particulier si les personnes à l’origine de ces développements sont influentes.



Des manifestantes à Tel Aviv participent à une installation représentant des photos d’enfants morts à Gaza, le mois dernier. Photo Tomer Appelbaum

Il y a un an, un groupe d’activistes et d’artistes a réalisé des installations artistiques publiques - des peintures illustrant les souffrances des enfants de Gaza. Mais au cours des derniers mois, après qu’Israël a rompu le cessez-le-feu en mars, les activistes ont commencé à brandir des photos d’enfants de Gaza qui avaient été tués. Des dizaines de personnes les ont rejoints, puis des centaines, notamment lors des manifestations hebdomadaires du samedi soir dans le centre de Tel-Aviv.

Ces deux dernières semaines, des militants se sont présentés à la base aérienne de Tel Nof, dans le centre d’Israël, formant une file silencieuse de personnes vêtues de noir, tenant des affiches d’enfants et de bébés tués à Gaza, tandis que le personnel de la base entrait et sortait en voiture. J’ai participé à la manifestation de la semaine dernière avec une certaine appréhension ; dans le climat actuel en Israël, il n’était pas impossible que les soldats de la base ou la police elle-même fassent usage de violence à notre encontre.

En fait, les deux fois, les forces de sécurité - soldats et policiers en grand nombre - ont toléré la file de personnes et d’affiches le long de la route menant à la base. Les manifestants n’ont pas été chassés de la route par les soldats qui entraient et sortaient. Quelques-uns ont lancé des insultes et un ou deux soldats en colère se sont arrêtés pour discuter avec le groupe. Un soldat qui avait quitté la base en voiture a demandé au chauffeur de se garer lorsque les autres occupants de la voiture ont commencé à insulter les manifestants. Il est sorti, a fait demi-tour et a dit aux manifestants « kol hakavod », ce qui signifie en gros « bravo ».

À un moment donné, une voiture a quitté la base avec des enfants à l’arrière, qui regardaient curieusement par la fenêtre. L’enfant ne demanderait-il pas à ses parents : « Que font ces gens ? » Selon moi, cette question oblige les parents à ressentir quelque chose, ou bien elle façonne l’esprit de l’enfant - ou les deux.

Cette semaine, l’organisation de solidarité judéo-arabe Standing Together a organisé à la hâte une manifestation près de la frontière de Gaza, appelant à mettre fin à la guerre. Bien qu’il s’agisse d’une manifestation éclair, les participants ont rapporté que près de 1 000 personnes s’étaient jointes à eux, appelant à « refuser leur guerre », à « choisir la vie » ou, comme l’activiste social de longue date Ron Gerlitz l’a écrit à l’occasion de cet événement, « concluez l’accord. Arrêtez la guerre. Arrêtez les fusillades. Arrêtez la famine. Maintenant ! »

Des manifestants en route vers la frontière de Gaza brandissent des photos d’enfants palestiniens et appellent à la fin de la guerre dimanche. Photo Eliahu Hershkovitz

Les généraux s’expriment

Ces activités ont été menées par des détracteurs de longue date de l’occupation et de la guerre. Mais d’autres éminents critiques récents viennent d’horizons assez différents. Mercredi, l’ancien premier ministre Ehud Olmert, qui a passé l’essentiel de sa carrière au sein du Likoud, a déclaré à la BBC qu’Israël était à deux doigts de commettre des crimes de guerre. Plus tard dans la journée, il est revenu sur ses propos lors d’interviews accordées aux médias israéliens, déclarant à la radio Reshet B que les colons de Cisjordanie (Olmert a utilisé l’acronyme pour désigner la Judée et la Samarie) qui appellent à brûler des maisons « appellent désormais au génocide ».

Yair Golan était chef d’état-major adjoint des forces de défense israéliennes avant de se lancer dans la politique et de devenir récemment le chef du parti de gauche Les Démocrates (fusion du parti travailliste et du parti Meretz). Cette semaine, Golan a déclaré qu’Israël « tuait des bébés par hobby », ce qui lui a valu la colère ardente du Premier ministre et de tous les autres membres de la droite, mais a également forcé la société israélienne à débattre de la question.

Moshe Radman, un éminent leader du mouvement pro-démocratique de 2023, et toujours un activiste influent, a écrit sur X que ce que Golan a dit « aurait dû être dit sur toutes les scènes, par toute personne saine d’esprit ayant un brin de sagesse dans le cerveau et de miséricorde dans le cœur».

Golan est lui aussi associé depuis longtemps à des positions de gauche et dirige un parti fermement ancré à gauche. Moshe « Bogie » Ya’alon ne peut en aucun cas être considéré comme un homme de gauche ; il a été chef d’état-major des FDI et ministre de la défense sous Benjamin Netanyahou avant de quitter la politique et de devenir un critique virulent de Netanyahou et de l’assaut contre les institutions israéliennes. En décembre, Yaalon a qualifié les actions des FDI dans le nord de Gaza de « nettoyage ethnique », ce qui a déclenché une tempête de feu.

Au début du mois, dans une interview accordée à Ynet, Yaalon a qualifié de « crime de guerre » le projet du cabinet israélien d’étendre la guerre par l’expulsion des habitants de Gaza, appelant le nouveau chef de l’armée, Eyal Zamir, à refuser ces ordres. Zamir, a-t-il dit - se référant aux plans du gouvernement pour étendre la guerre, et peut-être même à sa poursuite en général - « n’a pas bloqué l’ordre manifestement illégal qui est surmonté d’un drapeau noir - et il place nos soldats dans le rôle de criminels de guerre ».

La doctrine du « drapeau noir » à laquelle se réfère Yaalon renvoie à une décision juridique prise à la suite du massacre de Kafr Qasem en 1956, qui exigeait d’un soldat qu’il ne se conforme pas à un ordre illégal. En ce qui concerne le refus des ordres, une pétition circule actuellement avec des dizaines de signataires - universitaires et autres personnalités publiques - appelant directement les soldats à refuser d’exécuter des ordres criminels, citant en particulier les plans d’expulsion des habitants de Gaza et l’alerte à la famine et à la crise humanitaire dans la bande de Gaza.

L’ancien président Reuven Rivlin participe à une cérémonie commémorative du massacre de Kafr Qasem en 2014.Photo : Mark Neiman/Government Press Office

Yaalon a également défendu le commentaire de Yair Golan selon lequel « un État normal ne tue pas... des bébés comme un hobby ». Sur X, Yaalon a écrit : « Yair Golan a fait une erreur... Bien sûr qu’il ne s’agit pas d’un "hobby" ! Il s’agit d’une idéologie messianique, nationaliste et fasciste, soutenue par des décisions rabbiniques... et des déclarations de politiciens. Il ne s’agit pas d’un “hobby”, mais d’une politique gouvernementale ».

Rien de tout cela ne signifie que la société israélienne a atteint un point de basculement. Les réactions sur les réseaux sociaux aux images d’enfants de Gaza, par exemple, sont souvent glaçantes. Mais si ces images continuent à circuler, il semblera bientôt que, où que l’on se tourne, on trouvera des photos de bébés tués à Gaza - et des Israéliens qualifiant la guerre de crime. Pour trop de vies perdues, il sera trop tard.


25/05/2025

GIDEON LEVY
N’y aura-t-il pas un seul Israélien pour dire : “Mettez fin à la guerre pour le bien de Gaza” ?
Il n’y a pas un seul juste à Sodome

Gideon Levy Haaretz, 25/5/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

En Israël, il y a plus de quelques politiciens et personnalités publiques qui appellent à mettre fin à la guerre. Il y a beaucoup de gens qui se battent courageusement pour la libération des otages. Beaucoup d’autres souhaitent ardemment que le gouvernement actuel soit renversé. Certains craignent pour la position internationale d’Israël, qui devient un État paria. Beaucoup s’inquiètent également des conséquences de l’ostracisme d’Israël et de ses coûts économiques et sociétaux. 

Des personnes en deuil assistent aux funérailles de Palestiniens tués lors de frappes israéliennes, à l’hôpital Nasser, à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, vendredi. Photo : Hatem Khaled/ REUTERS

Et il n’y a pas un seul juste à Sodome. Rares sont ceux qui s’inquiètent publiquement non seulement de la réputation et de la moralité d’Israël, mais aussi et surtout du sort des habitants de Gaza.

Aucune personnalité israélienne ne voit son sommeil troublé par les enfants qui hurlent de terreur et de douleur dans les hôpitaux, par les personnes âgées qui sont transportées d’un endroit à l’autre dans des charrettes tirées par des ânes et par l’élimination de familles entières, l’une après l’autre.

La souffrance de Gaza est un bruit secondaire dans la conversation publique, un bruit de fond dans un tout autre débat. Même les meilleurs d’entre nous ne s’intéressent qu’aux implications de la guerre pour Israël.

La voix humaine est absente ; l’humanisme est mort. Il est complètement absent de la politique ; la plupart des intellectuels ont été frappés de mutisme, et il n’y a aucune allusion à cela dans les médias. Il n’y a pas un seul Yeshayahu Leibowitz, Janusz Korczak ou Bertrand Russell pour crier : cela doit cesser quel qu’en soit le prix, à cause de ce que Gaza a subi. L’ensemble de la société israélienne n’a pas l’humanité élémentaire pour être ébranlée par la souffrance des pires victimes.

Le choc humain provoqué par ce qui s’est passé le 7 octobre n’a pas été remplacé par un choc similaire provoqué par ce qu’Israël fait à Gaza. Comment cela se fait-il ? Parce que nous sommes juifs et qu’ils ne le sont pas ? La bonté humaine ne peut-elle pas franchir les frontières et estomper les affinités nationales face à la destruction ? « Ne nous dérangez pas, nous sommes encore au 7 octobre ».


Des enfants palestiniens attendent devant un camion de distribution de repas chauds dans un camp de déplacés près du port de la ville de Gaza, jeudi.
Photo Omar Al Qattaa/AFP

 Mais depuis, nous avons commis mille 7 octobre qui n’ont pas réussi à toucher le cœur des Israéliens. Les médias traîtres aident en effet les gens à ne pas voir les horreurs. Mais même sans les médias, on peut savoir qu’une catastrophe épouvantable est en train de se produire là-bas grâce à notre travail.

Les protestations contre ça ne sont pas entendues ici. Les causes de cette situation sont nombreuses, mais rien ne la justifie. Il est évident que les gens se soucient davantage de leurs propres concitoyens, et chaque nation s’occupe d’abord de son propre peuple. Mais ça ? Dans quelle mesure ? Lorsqu’il y a quelques jours, j’ai montré à une parente une horrible vidéo de Gaza, elle m’a demandé machinalement : « Tu es sûr que ce n’était pas une vidéo truquée ? ». Rien ne fissurera le mur de protection que les Israéliens ont construit autour d’eux. Rien à Gaza ne suscite la moindre culpabilité. Nous n’avons même pas le genre de protestation qui a secoué les USA pendant des années, celle contre la guerre du Viêt Nam. Il n’y a pas d’Eugène McCarthy qui se présente avec un programme anti-guerre.

Prenons l’exemple de l’article d’Orna Rinat, paru jeudi en hébreu, qui est peut-être l’article le plus dérangeant publié en Israël au sujet de la guerre. A-t-il fait des vagues ? Où est la personne qui montera sur les podiums pour dire que l’horreur doit cesser avant tout en raison de la souffrance des habitants de Gaza, et au diable toutes les autres considérations savantes ?

L’ancien Premier ministre Ehud Barak, l’un des leaders du mouvement de protestation, a écrit jeudi un autre essai mordant appelant à la fin de la guerre. Je l’ai lu deux fois. Il n’y a pas la moindre trace de compassion ou de sympathie humaine pour la bande de Gaza. La dernière chose qui intéresse Barak, c’est la souffrance qui y règne. Il a de nombreuses explications sur les raisons pour lesquelles la guerre doit être arrêtée. Il parle même de la nécessité d’une « aide humanitaire », principalement pour apaiser le monde. Mais où sont les protestations contre les destructions ?

L’éditorial de l’ancien Premier ministre Ehud Olmert dans le même numéro était à la fois plus courageux et plus humain.

À l'époque de l'apartheid en Afrique du Sud, les Juifs blancs se sont engagés dans la lutte, oui, la lutte contre l'apartheid, aux côtés des Noirs. Ils ont été blessés, emprisonnés pendant des années et sont même morts. En Israël, il n'y a même pas quelqu'un pour exprimer la douleur des victimes.

La guerre doit cesser avant tout parce qu'il s'agit d'une guerre de destruction, qui cause des souffrances inhumaines à la population de Gaza. Il n'y a personne en Israël qui puisse l'exprimer en ces termes.