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15/12/2025

Pour Israël, une agence d’aide de l’ONU est un groupe terroriste

Gideon Levy, Haaretz, 14/12/2025
Traduit par Tlaxcala

La campagne de diffamation insensée d’Israël contre l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), qui a atteint son paroxysme la semaine dernière avec le raid inconsidéré sur son siège à Jérusalem et le hissage du drapeau israélien, découle d’une raison profonde qu’Israël n’admettrait jamais : l’UNRWA est la principale agence qui aide les réfugiés palestiniens depuis 1948. C’est là son véritable péché ; le reste n’est que prétextes et propagande. L’UNRWA a sauvé les réfugiés, donc l’UNRWA est l’ennemi.


Des soldats israéliens opèrent près du siège de l’UNRWA à Gaza City en février 2024. Photo Dylan Martinez / Reuters

Pendant de nombreuses années, l’UNRWA a servi d’idiot utile à Israël, finançant l’occupation et assumant les fonctions qui, selon le droit international, relèvent de la responsabilité de la puissance occupante. À l’époque où Israël se souciait encore un peu de la population, principalement pour qu’elle reste tranquille, et où les décisions étaient prises sur la base de la raison et non uniquement par haine, l’UNRWA avait sa place.


Un véhicule de la police israélienne à l’entrée du siège de l’UNRWA à Sheikh Jarrah pendant le raid cette semaine. Photo Silwanic

Puis est arrivé le 7 octobre, et Israël a aussi mordu la main qui nourrissait ses victimes. Il a perdu tout intérêt pour la situation des Palestiniens et a cessé de les considérer comme des êtres humains. Pour Israël, l’UNRWA est devenu une organisation terroriste, et l’administration Trump s’est empressée d’être d’accord.

Le premier prétexte sorti par la machine de propagande israélienne était que des employés de l’UNRWA étaient impliqués dans les événements du 7 octobre. Ce n’était pas le Hamas qui a attaqué Israël, c’était l’UNRWA. Israël a affirmé que 12 des travailleurs de l’agence avaient participé au massacre : 12 sur les 13 000 employés de l’UNRWA à Gaza. Les médias israéliens et les chœurs de propagande ont répandu le poison : l’UNRWA, c’est Noukhba, la force d’élite du Hamas qui a mené le massacre.

L’agence a licencié ceux qui auraient pu être impliqués, mais elle n’avait aucune chance. Personne n’a jamais demandé combien d’employés de Bank Leumi ont bombardé des enfants à Gaza, combien d’employés de l’Université hébraïque de Jérusalem ont pilonné des hôpitaux dans la bande de Gaza ou combien de membres du personnel du ministère de l’Éducation ont tué des personnes attendant de l’aide. Le sort de l’UNRWA était scellé. Les histoires, jamais prouvées, de « centres de commandement » du Hamas dans les abris anti-bombes de l’UNRWA, seul refuge de centaines de milliers de personnes, ont également attisé l’injure.

Des personnes marchent devant le siège endommagé de l’UNRWA à Gaza City en février 2024. Photo AFP

Puis les vieux comptes ont été rouverts : l’UNRWA perpétue le statut de réfugié des Palestiniens. Sans l’UNRWA, il n’y aurait plus de réfugiés palestiniens. Le réfugiéisme est la dernière preuve de la Nakba, c’est pourquoi Israël n’aime pas ça. Après avoir effacé plus de 400 villages, les camps de réfugiés sont restés le seul rappel sanglant de 1948. C’est le crime de l’UNRWA, soutient aussi le documentaire de Duki Dror diffusé sur la télévision publique Kan. Les Européens sont naïfs, affirme Dror, comme le disent toujours les Israéliens à propos des agences d’aide. Ils sont naïfs, seuls nous, Israéliens, sommes lucides.

L’UNRWA n’a pas perpétué le statut de réfugié des Palestiniens. L’occupation l’a fait. Si les Palestiniens avaient un État, il assumerait la responsabilité à leur égard. Le sommet de l’absurdité propagandiste est survenu lorsque Dror a déclaré dans une interview : « À l’ONU, la Palestine est considérée comme un “État observateur non membre”, et on ne peut pas être réfugié quand on a un État. Décidez, soit vous êtes un État, soit vous êtes des territoires occupés. »

C’est vraiment pas gentil de votre part, réfugiés palestiniens, de ne pas avoir encore pris votre décision. Mais Israël a décidé pour vous il y a longtemps. En 1967, il a décidé de l’occupation, et depuis, il n’a pas changé d’un iota sa décision. Maintenant, il dit qu’il n’y aura jamais d’État. Et c’est l’UNRWA qui a perpétué leur statut de réfugié. Et, bien sûr, il y a le programme scolaire de l’UNRWA, entièrement constitué d’ « appels à la haine » contre Israël. Comme s’il fallait l’UNRWA pour que les enfants palestiniens haïssent Israël. Il leur suffit, pour haïr quiconque leur a fait tout cela, d’ouvrir leur fenêtre, s’ils en ont encore une. L’UNRWA aurait dû leur apprendre à aimer Israël.

Un remplaçant a été trouvé pour l’UNRWA : la Fondation humanitaire pour Gaza. Cette agence usaméricaine a été fermée, heureusement, après qu’environ 1 000 personnes ont été tuées. Les attaques contre l’UNRWA continuent, et il n’y a pas de substitut.

Vendredi dernier, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté, à une large majorité, une résolution appelant Israël à coopérer avec l’UNRWA, après que la Cour internationale de justice a également jugé infondées les accusations contre l’agence. L’ambassadeur d’Israël à l’ONU, Danny Danon, s’est empressé de répondre : l’UNRWA est une organisation terroriste. Cachez donc ces réfugiés que nous ne saurions voir. 

29/11/2025

Les transformations de la doctrine sécuritaire israélienne après la guerre avec l’Iran : enseignements tirés et stratégies futures de dissuasion

Ameer Makhoul, Progress Center for Policies, 27/11/2025

 :النسخة العربية

تحولات العقيدة الأمنية الإسرائيلية بعد حرب إيران: الدروس المستخلصة واستراتيجيات الردع المقبلة

 Traduit par Tlaxcala

Introduction

Les déclarations des responsables militaires et sécuritaires israéliens — ainsi que les évolutions sur le terrain au Liban, en Syrie et en Cisjordanie — indiquent un changement structurel dans la doctrine sécuritaire d’Israël durant la période qui a suivi la guerre Israël–Iran, à la suite des répercussions de l’échec du 7 octobre 2023 et de la guerre multi-fronts. Ces indicateurs révèlent une reformulation complète des concepts militaires, des piliers de la dissuasion et des cadres opérationnels. Ils reflètent un passage de stratégies de confinement et de dissuasion mutuelle vers des approches plus offensives et préventives, centrées sur la destruction proactive, la redéfinition de la profondeur d’engagement et la volonté d’imposer une guerre d’usure unilatérale et continue sans provoquer de réponses.

Ce document analyse ces transformations à travers une méthodologie comparative combinant discours militaire israélien et évaluations de terrain, et anticipe leurs implications pour l’environnement régional.

Guerre des 12 jours, par Thiago, Brésil

I. Implications stratégiques des déclarations militaires israéliennes

1. La « hardiesse » de l’Iran et l’évolution de la perception de la menace

Boaz Levy, PDG d’Israel Aerospace Industries, a déclaré lors de la conférence UVID2025 que « la plus grande surprise n’était pas technologique, mais comportementale », faisant référence à la disposition de l’Iran à lancer un « volume sans précédent de missiles au cœur d’Israël ».
Cette analyse signale un changement majeur dans la perception israélienne du risque iranien — non seulement comme menace technologique, mais comme preuve de la volonté de l’Iran d’engager une confrontation directe à haut coût au cœur même d’Israël.

Dans cette perspective, Israël accorde la priorité au renforcement de ses capacités de défense antimissile, notamment les systèmes avancés Arrow-4 et Arrow-5, développés en étroite coopération avec les USA.

2. Évaluation de l’INSS : opportunités stratégiques manquées et montée en puissance du Hezbollah

Tamir Hayman, directeur de l’Institut d’études de sécurité nationale (INSS), affirme qu’Israël continue de « manquer des opportunités stratégiques », notamment celles qui auraient pu stopper le réarmement du Hezbollah après le cessez-le-feu.
Son analyse repose sur l’équation suivante :

  • Si le Hezbollah continue de renforcer ses capacités plus vite qu’Israël ne peut les éroder,
  • Israël devra choisir entre s’adapter à cette montée en puissance et lancer une nouvelle guerre.

Hayman ajoute que, du point de vue israélien, une « domination jihadiste soutenue par la Turquie » pourrait être moins menaçante qu’une « hégémonie iranienne qui renforce le Hezbollah ».

Ces déclarations structurent le comportement militaire israélien au Liban et en Syrie et renforcent l’idée, dominante en Israël, que la principale menace au nord est l’axe Iran–Hezbollah.

II. Transformations sur le terrain dans la conduite militaire israélienne

1. Du confinement à la « fin du confinement » : la doctrine de neutralisation préventive

Les opérations israéliennes dans le sud du Liban indiquent une transition du confinement et de la dissuasion réciproque vers une doctrine de neutralisation préventive des menaces avant qu’elles ne mûrissent.
Cette approche repose sur :

  • L’élargissement du champ d’action militaire aux menaces potentielles, et non seulement présentes ;
  • Le développement d’un renseignement opérationnel doté de capacités « transfrontalières », nécessitant une coordination sophistiquée avec les USA, le Royaume-Uni et l’Allemagne ;
  • Le ciblage d’infrastructures de commandement et de contrôle plus en profondeur au Liban, et non seulement proches de la frontière.

L’objectif est de démanteler les capacités militaires du Hezbollah avant qu’elles ne deviennent une menace stratégique.

2. L’impact du 7 octobre : reconstruire le cadre de référence sécuritaire

L’échec du 7 octobre 2023 a marqué un tournant décisif. « Empêcher un autre 7 octobre » structure désormais l’ensemble des politiques sécuritaires, en ligne avec le concept de « l’Israël spartiate » de Netanyahou, qui implique :

  • La militarisation de la société et de l’économie ;
  • La priorité accordée aux solutions sécuritaires plutôt que politiques ;
  • L’expansion des actions préventives au détriment de la gestion du conflit.

Dans ce contexte, Israël met en œuvre le projet du « Nouveau Levant » dans les territoires syriens occupés — un système avancé de fortifications appuyé par une surveillance basée sur l’IA à travers cinq positions avancées — afin de bloquer toute manœuvre ou infiltration vers le Golan occupé.

Israël a également établi neuf nouveaux sites opérationnels, consolidant un virage vers une présence militaire permanente.

3. Sud-Liban : produire une zone tampon de facto

Le déploiement israélien dans le sud du Liban révèle une approche systématique visant à :

  • Créer les conditions opérationnelles d’une zone tampon de facto sans déclaration officielle ;
  • Consolider cinq positions opérationnelles principales ;
  • Cibler la banlieue sud de Beyrouth afin de relier la géographie du champ de bataille à une pression stratégique.

Ces mesures visent à reconstruire une dissuasion unilatérale tout en réduisant la capacité du Hezbollah à se réarmer, manœuvrer ou lancer des ripostes proportionnelles.

III. Tournant en Cisjordanie : de la surveillance à la fermeture stratégique

Sous prétexte d’empêcher « une opération de type 7 octobre », l’armée israélienne a adopté un modèle en Cisjordanie fondé sur :

  • Le déplacement continu des camps (de réfugiés)-bastions armés (Jénine, Tulkarem) ;
  • La désignation de vastes zones comme zones militaires fermées ;
  • L’imposition de restrictions prolongées sur la circulation des civils ;
  • La projection du combat dans la profondeur de l’adversaire via des opérations préventives de grande ampleur.

Cela marque la fin des politiques traditionnelles de confinement au profit d’un modèle reposant sur un contrôle militaire total.

 

Emad Hajjaj, Palestine/Jordanie

IV. La guerre des drones : la forme de la prochaine confrontation

Les évaluations israéliennes indiquent que les guerres futures se structureront autour des drones offensifs et défensifs, et qu’Israël doit déplacer l’ensemble du théâtre de conflit en territoire ennemi afin d’empêcher les attaques sur sa propre profondeur.
En conséquence, Israël redéfinit sa doctrine frontalière autour du principe de « l’éloignement préventif des menaces » plutôt que leur simple interception.

La récente évacuation à grande échelle des habitants du nord est de plus en plus considérée en Israël comme une « erreur stratégique », poussant l’armée à construire des frontières défensives plus profondes pour empêcher le transfert de la guerre vers le front intérieur.

V. De la dépendance au partenariat : transformation des relations usaméricano-israéliennes

Israël cherche à passer d’une dépendance unilatérale envers les USA à un partenariat stratégique mutuellement bénéfique, en particulier dans :

  • La technologie militaire ;
  • La défense antimissile ;
  • La guerre fondée sur l’intelligence artificielle.

Israël considère la montée en puissance technologique de l’Iran — en partie basée sur la technologie chinoise — comme un facteur clé pour approfondir la coopération militaro-technologique avec les USA, afin de garantir une position avancée dans la course mondiale à la supériorité technologique.

Conclusion

La doctrine sécuritaire israélienne en train d’émerger se caractérise par :

  • L’absence d’horizon politique, les approches militaires éclipsant la diplomatie et la montée du récit de « l’Israël spartiate » ;
  • La reconstruction de la dissuasion par le déplacement de la guerre dans la profondeur des adversaires et le remplacement de la dissuasion mutuelle par une dissuasion unilatérale basée sur la supériorité militaire et technologique ;
  • La transformation de la géographie environnante en zones tampons implicites (sud-Liban, Golan et sud de la Syrie, parties de la Cisjordanie et de Gaza) ;
  • L’adoption d’un modèle de guerre multi-fronts, nécessitant une supériorité technologique et informationnelle combinée, développée conjointement avec les USA ;
  • Un investissement massif dans le complexe militaro-industriel comme principal garant d’une dissuasion durable et d’une supériorité qualitative ;
  • Une redéfinition des relations avec les USA, passant du patronage au partenariat stratégique face à la connexion militaire et technologique Iran–Chine.

27/11/2025

Que savent les Israéliens sur l’armée, cette vache sacrée ?

Gideon Levy, Haaretz, 26/11/2025

Traduit par Tlaxcala

Que savons-nous de notre armée ? Presque rien du tout. Que savons-nous de la qualité de ses commandants ? Encore moins.


De g. à dr. Katz, Bibi et Zamir. Sur la querelle entre Katz et Zamir, lire ici

Chaque officier supérieur nommé à un poste est immédiatement couronné par le chœur des journalistes militaires comme un « officier respecté » – toujours un officier respecté, mais on ne sait pas qui le respecte ni pourquoi – et puis son mandat s’écoule sans que quiconque, dans la population civile, n’ait la moindre idée de s’il a été un bon commandant. Les généraux et les colonels ne sont pas interviewés, sauf lors d’entretiens mielleux et embarrassants organisés par le porte-parole de Tsahal. Personne ne sait vraiment : sont-ils bons ? Sont-ils mauvais ? L’armée qu’ils commandent vaut-elle quelque chose ? Qui sait ?

Ils quittent ensuite l’armée et deviennent des commentateurs de studio et les toutous des politiciens, et alors leur nudité complète se révèle. Il s’avère que nous avons été dupés, trompés. L’officier respecté est parfois un imbécile ; l’agent secret, un idiot complet. Sans citer de noms, les exemples ne manquent pas.

Nombre d’officiers vénérés de Tsahal, du Mossad ou du Shin Bet perdent leur auréole de gloire lorsqu’ils sortent à la lumière. Ils feraient mieux de rester dans l’ombre, surtout ces deux dernières années, lorsque des colonels à la retraite ont pris d’assaut les studios télévisés. Chaque officier et agent de renseignement pense savoir bavarder sur n’importe quel sujet au monde – et la gêne n’a fait que s’intensifier.

Cette semaine, Israël était en transe à leur sujet. La nomination du général Fantôme comme attaché militaire à Washington aura-t-elle lieu ? Le général Walou restera-t-il à la tête du renseignement militaire ? Nous retenons notre souffle. Personne n’a la moindre idée de qui ils sont ni de ce qu’ils valent, mais tout le monde a une opinion sur qui est digne et qui ne l’est pas. Il en va de même pour la bataille des géants entre le ministre de la Défense et le chef d’état-major : chacun a une opinion sur qui est le gentil et qui est le méchant.

En apparence, le camp démocratique devrait se réjouir qu’il existe un ministre de la Défense civil qui freine l’armée et lui fixe des limites. Le fait que ce soit en réalité le camp de droite qui égorge la plus sacrée de toutes les vaches sacrées, Tsahal, devrait être encourageant, même si cela se fait pour de mauvaises raisons.

Tsahal est devenue un monstre débridé. Seul le chaos total et délirant qui règne en Israël pouvait aboutir à une situation dans laquelle le directeur du service secret, le Shin Bet, devient le gardien de la démocratie, et le chef d’état-major de Tsahal, le héros du camp libéral, victime du méchant, le ministre civil de la Défense. Il est vrai que le ministre de la Défense Israel Katz a tout fait pour mériter un nom qui suscite le ridicule et le dégoût, mais que savons-nous de son adversaire, le ieutenent-général Eyal Zamir ? Est-il un bon chef d’état-major ? Un mauvais ? Qui sait ? Attendez qu’il s’installe dans les studios télévisés en civil, et nous risquons encore une fois de nous retrouver à grimacer de gêne.

Ce qui est connu n’intéresse pas la plupart des Israéliens. Zamir est le commandant de l’armée qui a transformé Gaza en cimetière et en champ de ruines. Il est le commandant de l’armée qui a commis (et commet) des crimes de guerre et un génocide. Il est le commandant de l’armée dont les soldats volent le bétail des Palestiniens sans être traduits en justice. Tout soutien à son égard, même contre Katz le Satan, est un soutien à ses iniquités, qui un jour seront révélées et jugées, espérons-le, au moins par le tribunal de l’Histoire, si ce n’est plus tôt.

Il est difficile de croire que son implication claire dans des violations aussi horribles du droit international n’améliore ni n’altère l’opinion que le public a de lui. Comme si cela n’était qu’une question marginale, un passe-temps obscur. Et il n’est pas seul : tous les commandants et soldats de Tsahal – aucun n’est jugé pour ses iniquités. Tout leur est pardonné, parce qu’ils nous protègent, paraît-il. On leur pardonne même l’échec du 7 octobre. Dans la Sparte de 2025, Tsahal est encore au-dessus de tout soupçon, une sorte de vache sacrée.

Apparemment, le camp démocratique devrait se réjouir qu’il existe un ministre de la Défense civil qui freine l’armée et lui fixe des limites.

26/11/2025

L’impunité israélienne

Luis E. Sabini Fernández, 26/11/2025
Traduit par Tlaxcala

La violence

Dans ma vie personnelle, j’ai toujours été sceptique à l’égard des coups de main guérilleros auxquels j’ai assisté ou dont j’ai eu connaissance dans le Cône Sud (bien que certains aient été très sympathiques et que pratiquement tous aient impliqué un engagement personnel énorme, un « dévouement à la cause »), parce qu’ils me semblaient potentiellement autocratiques, facilitant avec trop de rapidité l’intronisation d’autres dirigeants, toujours au détriment du rôle de « gens comme nous ».

Telles sont mes expériences concernant la guérilla latino-américaine, engagée avec beaucoup de courage et d’abnégation, mais aussi d’aveuglement. C’est ainsi que j’ai souscrit au témoignage d’un ancien agent secret cubain, fils du célèbre guérillero argentin Ricardo Masetti, auquel Guevara avait confié la mission de créer un foyer révolutionnaire dans ses plans « continentaux » pour l’Amérique du Sud — mission qu’il put à peine mettre en œuvre¹.
Le fils, Jorge Masetti, Argentin mais élevé à Cuba, fut éduqué et formé comme agent révolutionnaire. Fidel voulait accomplir avec le fils ce qu’il n’avait pu obtenir du père. Et lorsqu’il fut totalement « au point », il renonça à cette voie en constatant la série d’échecs des guérillas latino-américaines (et la phase quasi inévitable suivante : la délinquance commune). Il commenta alors : « Quelle chance que nous n’ayons pas gagné».

Sous-sols de la Mort 3, acrylique sur toile, 2021

Palestine

Tout ce préambule pour reconnaître que la violence existant en Palestine est différente, radicalement différente. La violence venant d’en bas, celle des Palestiniens, n’est guère plus qu’une réponse à la machine israélienne, écrasante.

L’image de l’enfant ou des enfants lançant des pierres face à un tank est extraordinairement précise pour illustrer le rapport de forces. Une telle autodéfense, contre-attaque civile, désespérée, comme celle de la jeune fille brandissant une paire de ciseaux de couture dans la rue, parce qu’elle n’en pouvait plus, et qui fut abattue sans hésitation (et sans nécessité). Car Israël réprime ainsi : de manière brutale, annihilatrice, hors la loi mais avec un excès de technique².

Nous sommes face à un traitement particulier de l’ennemi. Netanyahou et d’autres dirigeants l’ont dit et répété : ils combattent des animaux, pas des humains — ou plutôt si, des humains, mais des Amalécites. Et leur dieu leur a donné la permission, il y a quelques millénaires, de les tuer (voir l’Exode dans la Bible).

C’est un permis de très longue durée. Et « parfaitement valide » au XXI siècle.

Mais qui a dit à Netanyahou que les Palestiniens étaient des Amalécites ?

                 

 Gaza Relief, acrylique et autres matériaux sur toile, 2015

Le comportement de la population israélienne est frappant. Voyons les colons en Cisjordanie. Jamais autorisés par l’ONU, mais s’installant de facto sur un territoire internationalement reconnu comme palestinien, avec l’assentiment non exprimé du gouvernement israélien. Il y a quelques années, ils étaient des dizaines de milliers et, en petits groupes, protégés par l’armée, ils approchaient les villages palestiniens et les lapidaient, endommageaient oliveraies et citronniers. À coups de haches ou de caillasses. Parfois il y avait des blessés. Aujourd’hui, les colons sont des centaines de milliers, toujours protégés par l’armée, et en bandes armées de dizaines ou de centaines, ils rasent des villages palestiniens, détruisant maisons, installations, cultures, véhicules et parfois les corps des Palestiniens qu’ils trouvent sur leur chemin. Cherchant à instaurer la terreur.

Dernièrement, l’armée a pris l’initiative : sous prétexte de chercher des « terroristes », elle a détruit des quartiers entiers de population palestinienne désarmée : maisons, vêtements, jardins, jouets, livres, ustensiles — tous les éléments matériels de la vie sociale. Les familles se retrouvent sans foyer, sans biens, souvent sans proches, assassinés dans une dose quotidienne d’horreur.

Il s'agit pratiquement de la politique de « terre brûlée » attribuée à certaines invasions telles que celle des Huns, « barbares » des IVe et Ve siècles de l'ère chrétienne.

Les militaires israéliens ont même établi des barèmes : pour éliminer un petit guérillero, ils s’autorisent jusqu’à 15 civils tués ; pour un chef guérillero, jusqu’à 100 victimes collatérales⁴.

Depuis des décennies, nous voyons les effets du plan Yinon, exposé au début des années 1980. Oded Yinon proposait de fragmenter les États voisins en unités politiques plus petites : le Liban en deux ou trois ; l’Égypte en cinq ou six ; l’Irak en trois ; le Soudan en deux… et ainsi de suite.

Israël, ouvertement ou sous couvert de structures comme Daesh, a vu ses objectifs se réaliser progressivement : Libye, Irak, Syrie, Soudan, Liban, Palestine ont été dévastés par sa politique d’usure, toujours soutenue matériellement par les USA, qui ont joué le rôle de remorque et d'approvisionneur de l’imparable machine israélienne.

Ce soutien inconditionnel des USA à la géopolitique israélienne s'explique de plusieurs façons ; il existe un certain parallélisme entre les développements historiques des USA et d'Israël, bien que dans des contextes historiques très différents. Une base religieuse relativement commune, car les protestants sont les chrétiens qui ont réévalué certains aspects de l'Ancien Testament, qui est le noyau idéologique de la religion juive. Et ce sont eux qui ont colonisé l'Amérique du Nord, exterminant la population autochtone. Bible en main.

Mais surtout, parce qu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale, lorsque les USA rompent leurs liens avec la Société des Nations obsolète (disparue en 1946) et fondent « leur » ONU (octobre 1945), l'élite WASP, fondatrice des USA, avait déjà été partiellement remplacée par l'élite juive grâce à une série de stratagèmes : think tanks, l'intelligentsia juive a un poids de plus en plus important ; la Réserve fédérale (le capital financier juif devient majoritaire parmi les dix banques fondatrices, en 1913) ; Hollywood (six des sept grandes entreprises seront dans les années 30 détenues et dirigées par des Juifs, de sorte que de plus en plus les images des USA seront produites avec un regard juif ; et surtout grâce au financement coûteux du personnel politique usaméricain, pour lequel l'AIPAC est fondé en 1951.2 Sans ces subventions, l'insertion sociale de la plupart de ces législateurs serait très difficile.

C'est pourquoi l'une des images les plus simplistes et erronées de certains analystes de politique internationale a été, et est encore souvent, celle du « sous-marin de la flotte usaméricaine » pour parler d'Israël au Proche-Orient. L'image (tail wagging the dog), très connue dans la pensée critique usaméricaine, selon laquelle la queue fait remuer le chien, semble plus appropriée.

Deux événements récents, dans l'orbite de l'ONU, cet ancien instrument que les USA se sont arrogé à la fin de la Seconde Guerre mondiale pour ordonner et/ou administrer le monde, nous montrent à quel point Israël mène la danse, changeant même les modalités de domination.

     

Sans titre, 2020

Jusqu'à récemment, très récemment, le pouvoir avait l'habitude de cacher son visage, ou ses crocs, et de dissimuler ses actions sous le couvert de la « volonté de paix », de la « recherche d'objectifs démocratiques », de la « conciliation » et de l'« aplanissement des difficultés ». Après tout, le résultat de la Seconde Guerre mondiale, en 1945, a été la victoire contre toutes les formes de dictature (il restait là, « derrière le rideau », une dictature prétendument prolétarienne, et donc totalement différente de celles connues jusqu'alors ; il restait également celle de Franco en Espagne, mais cette dernière, comme tant d'autres en « Amérique latine », faisait partie de cette politique pragmatique yankee consistant à prendre soin du fils de pute s'il est « à nous »).

En d'autres termes, la défense de la démocratie avait ses difficultés, mais elle était encore invoquée.

1. La résolution du Conseil de sécurité du 11 novembre 2025

La résolution « sur le conflit à Gaza » exonère totalement Israël. Elle accepte tacitement la version israélienne d’un Israël « victime du terrorisme du Hamas », ignorant totalement les décennies de blocus, d’étouffement et d’abus qui ont façonné l’événement du 7 octobre 2023.

Israël ne subit ainsi aucune égratignure politique (ni économique) avec la résolution.

Ils n'auront même pas à rendre compte des meurtres collectifs et de leurs monstrueuses « équivalences » en vies humaines4, ni à indemniser les dommages brutaux causés à un territoire qui apparaît broyé et écrasé comme rarement auparavant. Ils n'auront pas non plus à faire face aux dépenses que nécessiteront la remise en état des sols, des logements, des réseaux de communication et d'assainissement, ni la reconstruction des hôpitaux, sans parler des milliers d'êtres humains brisés par le simple fait de vivre dans le cercle infernal conçu par Israël.

Le président des USA, qui aspire à maintenir l'hégémonie qui leur a été confiée en 1945, s'attribue désormais une présidence ou un gouvernement virtuel de la bande de Gaza, pour ─proclame-t-il─ sa reconstruction, toujours à la recherche de la prospérité (la seule chose positive dans cette démarche serait d'ôter à Israël son emprise sur ce territoire, mais je le mets au conditionnel, car ce n'est pas exactement Trump qui décide).

Le plan prévoit deux ans pour la reconstruction urbaine et immobilière. Compte tenu des dégâts visibles, de leur étendue et de leur ampleur, ce délai semble insuffisant.

Il comporte toutefois un aspect positif : l'idée de l'exil forcé des Gazaouis, tant promue par le gouvernement israélien, est abandonnée. Au contraire, du moins en paroles, la résolution déclare expressément la volonté de voir les habitants historiques rester dans la bande de Gaza.

Quoi qu'il en soit, le plan ne cache pas ses ambitions de business : attirer des capitaux importants pour créer des zones de confort, non pas pour les Gazaouis précisément, mais pour les milliardaires que Jared Kushner s'efforce tant d'attirer dans le futur complexe touristique de Gaza.

Nous ne pouvons oublier que des prospections ont confirmé la présence au moins de gaz en Méditerranée, à hauteur de la bande de Gaza. Et que la régence transnationale et impériale que Trump et Blair ─rien de moins─ cherchent à incarner a une préférence marquée pour leur propre prospérité.

L'ONU ne demande pas de comptes à Israël. Toujours absous de tout. Par droit de naissance, faut-il supposer. Mais en outre, dans les faits, l'ONU rétablit le colonialisme pur et dur : une puissance impériale, les USA, désigne Trump et Blair « roi et vice-roi » de ces domaines, afin de rétablir le cadre colonial. Seulement, il ne s'agit pas du colonialisme israélien, mais usaméricain.

La tâche que se sont assigné les chefs colonisateurs est ardue : ils se proposent de « changer les mentalités et les récits palestiniens », afin de persuader, semble-t-il, ces sauvages « des avantages que peut apporter la paix » (sic !).

Si ces maîtres pédagogues ─Blair et Trump─ voulaient proclamer les vertus de la paix, ils devraient s'adresser de toute urgence à la formation politique sioniste, qui, depuis cent ans, a toujours suivi la voie de la violence, et non celle de la paix, la voie de la guerre et de la conquête, envahissant des terres occupées depuis des millénaires, sur la base de documents bibliques douteux. Confondant délibérément religion et légende avec l'histoire documentaire.

La résolution du 11 novembre 2025 a été adoptée par le Conseil de sécurité élargi de l'ONU, qui ne comprend plus seulement les cinq membres originaux (USA, Royaume-Uni, France, Russie, Chine), mais aussi les membres actuels : Argentine, Italie, Espagne, Mexique, Colombie, Pakistan, Corée du Sud, Turquie, Indonésie et Allemagne.

Seules deux abstentions (peu fondées) de la Russie et de la Chine. Aucune des 15 représentations nationales n'a demandé pourquoi Israël pouvait se permettre un comportement violent, raciste et génocidaire en toute impunité.

       

          Détenu, 2024

Les personnes lucides et courageuses, désignées ou fonctionnaires de l'ONU elle-même, au fil du temps, comme Francesca Albanese, Susan Akram ou Richard Falk avant elles, et même Folke Bernadotte au tout début de l'ONU, et tant d'autres, ne suffisent pas à contrebalancer le rôle impérial, puis néo-impérial, que l'ONU continue de jouer, malgré les restrictions et les coupes budgétaires.

2. Le vote du 21 novembre 2025 contre la torture

Le 21 novembre 2025, l'Assemblée générale des Nations unies a rendu un avis contre le recours à la torture. La plénière comptait 176 délégations nationales et la résolution a été approuvée à une écrasante majorité (il y a eu 4 abstentions, dont celles du Nicaragua et de la Russie, ce qui soulève de nombreuses questions), mais surtout, elle a suscité la vive opposition de trois représentations nationales : les USA, Israël et l'Argentine. Ces pays ont alors défendu précisément cela : le recours à la torture.

De sombres nuages planent sur notre présent : non seulement la torture est encore utilisée, mais certains la préconisent, à l'instar des dictatures telles que les célèbres dictatures « latino-américaines » de Trujillo ou Pinochet, ou celle du shah d'Iran et, surtout aujourd'hui, celles très perfectionnées d'Israël et de son système de domination très rationnel qui comprend tant de types de torture.

  

Sans date, dessin au fusain et au pastel

Notre trame culturelle est tellement bouleversée qu'une militaire israélienne, Yifat Tomer-Yerushalmi, procureure qui, après avoir ignoré tant d'abus et de tortures antérieurs, a récemment choisi de criminaliser cinq soldats de « l'armée la plus morale du monde » pour avoir introduit des tubes métalliques dans l'anus d'un prisonnier palestinien et (évidemment) lui avoir fait du mal. Les médias du monde entier parlent de l'arrestation de la procureure, mais pas de la santé (ou de la mort) du Palestinien ; la procureure a elle-même été emprisonnée.

Netanyahou a condamné la diffusion de la vidéo faite par Tomer parce que, bien sûr, « cela nuit à l'image ».

Ce qui compte pour Netanyahou, c’est « l’image » et pas la réalité (sérieusement endommagée).

Ce qui est arrivé à Tomer est un exemple clair du comportement adopté et défendu par les gouvernements des USA, d'Israël et d'Argentine.

De la honte, ne serait-ce que comme posture, nous sommes passés au « grand honneur ». Les « légitimes » torturent et non seulement ils ne se déshonorent pas, nous déshonorant tous, mais ils en sont même fiers.

Illustrations : œuvres du peintre palestinien Mohamed Saleh Khalil, Ramallah

Notes

¹ Il a écrit un livre : La fureur et le délire, Tusquets, Barcelone, 1999.

² Israël minimise la responsabilité individuelle en menant ses raids via drones et systèmes automatisés…

³ AIPAC (American Israel Public Affairs Committee – Comité Américain des affaires publiques d’Israël). On estime qu'aujourd'hui, les trois quarts des représentants et sénateurs du pouvoir législatif usaméricain reçoivent de généreux dons d'organisations telles que l'AIPAC. Autrement dit, les votes sont gagnés d'avance.

⁴ Les militaires israéliens ont établi des tableaux d’équivalence : pour localiser et éliminer un guérillero de peu d'importance, ils s'autorisent à tuer jusqu'à quinze civils désarmés, souvent étrangers à l'affaire ; s'il s'agit d'un chef guérillero ─tel qu'ils le définissent─, ils s'autorisent à tuer jusqu'à cent personnes étrangères à l'objectif lui-même.

 

23/11/2025

Armes de volonté : le Hamas et le Jihad islamique face au plan de Trump pour Gaza

Jeremy Scahill & Jawa Ahmad, Drop Site News, 23/11/2025

Traduit par Tlaxcala

ملخص المقال باللغة العربية في نهاية الوثيقة

Resumen del artículo en español al final del documento

L’ONU vient d’apposer un sceau de légitimité sur le plan colonial du président Donald Trump pour Gaza. Dans ce reportage exclusif de Drop Site, des dirigeants de la résistance palestinienne évaluent l’état actuel de la guerre.

Introduction

Israël poursuit le siège de Gaza malgré le « cessez-le-feu » officiellement entré en vigueur le 10 octobre. Jour après jour, les forces israéliennes attaquent les Palestiniens dans l’enclave, tuant plus de 340 personnes depuis que Donald Trump a présenté son plan de « paix » comme un accomplissement monumental ouvrant une nouvelle ère. La majorité des morts sont des femmes et des enfants.

Durant la semaine écoulée, les forces israéliennes — qui occupent toujours plus de 50 % du territoire de Gaza — ont avancé encore davantage au-delà de la « ligne jaune ». Israël menace de reprendre son siège total si le Hamas ne désarme pas et ne se rend pas. L’État israélien refuse par ailleurs d’autoriser l’entrée des quantités de nourriture, de médicaments et de produits essentiels convenues dans l’accord.

Le 17 novembre, dans un geste sans précédent, le Conseil de sécurité des Nations unies a approuvé le plan néocolonial de Trump pour Gaza, incluant le déploiement d’une force internationale qui n’opérerait pas sous commandement onusien, mais sous la direction d’un conseil privé contrôlé par Trump. Selon ce dernier, cette force serait chargée de désarmer la résistance palestinienne et de démilitariser Gaza, afin de priver le peuple palestinien de son droit à l’autodéfense.

Dans le cadre de la série de Drop Site consacrée à la résistance palestinienne depuis le 7 octobre, des responsables de haut rang du Hamas et du Jihad islamique analysent le chemin qui a mené à la situation actuelle. Nous avons mené une série d’entretiens en personne avec ces dirigeants, qui y décrivent les événements ayant précédé l’accord de cessez-le-feu d’octobre, leur position sur le désarmement et sur le plan Trump, ainsi que leur vision de la lutte actuelle pour la libération nationale palestinienne.

Ce rapport de Jeremy Scahill et Jawa Ahmad est long et détaillé, mais nous pensons qu'il vaut vraiment la peine d'être lu.

L’incapacité de la plupart des médias occidentaux à relayer la perspective de la résistance palestinienne constitue une faute professionnelle et nuit profondément à la compréhension du public.


Des membres des Brigades Al-Qassam du Hamas près de la rue Bagdad, dans la ville de Gaza, le 5 novembre 2025. Photo Hamza Z. H. Qraiqea / Anadolu via Getty Images.

 La frappe de Doha

Peu après 15h46, heure de Doha, le 9 septembre, Osama Hamdan — un dirigeant de haut rang du Hamas — reçut l’appel d’un journaliste lui demandant s’il avait entendu parler d’une explosion qui venait de secouer la capitale qatarie. Hamdan se trouvait alors à une réunion, à l’autre bout de la ville, loin des bureaux du mouvement islamique de résistance, situés dans le quartier huppé de Legtaifiya, rue Wadi Rawdan. Il n’avait entendu aucun bruit.

« Il y a eu une explosion à Doha », se souvient-il que le journaliste lui a dit. « Je crois que vos gens ont été ciblés. »
Hamdan commença à appeler d’autres responsables du Hamas. « Personne ne répondait. Tous les téléphones étaient hors service », se remémore-t-il. « Au bout de cinq minutes environ, un des frères est venu me voir et m’a dit : “Il y a eu une frappe aérienne contre le bureau.” »

La tentative d’assassinat à Doha et le récit d’Osama Hamdan

Alors qu’il se rendait sur les lieux, Hamdan apprit par les médias que des responsables israéliens confirmaient une série de frappes visant à assassiner plusieurs dirigeants de haut rang du Hamas.
L’armée israélienne déclara que les membres de la direction visés « dirigeaient depuis des années les activités terroristes », qu’ils avaient « planifié et supervisé le massacre du 7 octobre » et « dirigeaient la guerre contre Israël ».

Selon Israël, la frappe avait pour objectif d’assassiner le chef du Hamas à Gaza, le Dr Khalil Al-Hayya. « Nous attendons de voir les résultats », déclara un responsable israélien.

Au moment des frappes, Benyamin Netanyahou participait à un événement organisé par l’ambassade usaméricaine à Jérusalem.
Il s’en vanta immédiatement : « Au début de la guerre, j’ai promis qu’Israël atteindrait ceux qui ont perpétré cette horreur. Aujourd’hui, c’est fait. »

Ces frappes israéliennes représentaient une escalade spectaculaire, d’autant qu’elles furent menées sur le territoire du Qatar, pays allié des USA, qui abrite le CENTCOM, l’un des principaux centres névralgiques militaires USaméricains au Moyen-Orient.

Les bureaux du Hamas à Doha avaient été établis en 2011 à la demande directe du gouvernement usaméricain, précisément afin de maintenir une voie de communication diplomatique ouverte avec le mouvement. Le Qatar, avec l’Égypte, joue depuis longtemps un rôle crucial de médiateur dans les conflits et négociations régionales.

Pour Hamdan, l’objectif israélien était clair : « C’était un message politique évident : Netanyahou ne voulait ni cessez-le-feu ni solution.
Il voulait éliminer la délégation qui négociait. En frappant au Qatar, il a montré qu’il ne respectait même pas ceux qui cherchent à obtenir un accord. »


Fumée s’élevant après les explosions survenues dans la capitale qatarie Doha, le 9 septembre 2025. Photo Jacqueline Penney / AFPTV / AFP via Getty Images.

Désinformation et bilan humain

Quelques minutes après les frappes, les réseaux sociaux furent inondés de comptes pro-israéliens affirmant que : Khalil Al-Hayya avait été tué, ainsi que Khaled Mechaal et Zaher Jabbarin.

Netanyahou se félicita publiquement de frappes visant « les chefs terroristes du Hamas ».

Mais Hamdan découvrit rapidement qu’aucun dirigeant majeur n’avait été tué. « Ils ont concentré les frappes sur l’endroit où ils pensaient que la réunion se tenait », explique-t-il. « Mais ils ont échoué. »

En réalité, les frappes tuèrent Hammam Al-Hayya, fils du Dr Khalil Al-Hayya, son secrétaire personnel, trois assistants et gardes du corps ainsi qu’un officier de sécurité qatari.

L’armée israélienne tira entre 10 et 12 missiles sur le complexe, détruisant les bureaux administratifs et l’appartement de la famille Al-Hayya. L’épouse du dirigeant, sa belle-fille et ses petits-enfants furent blessés.

Hamdan dut annoncer lui-même la mort de son fils à Al-Hayya. Ce dernier, qui avait déjà perdu un autre fils — Osama — tué dans une frappe israélienne en 2014, a perdu de nombreux membres de sa famille dans le génocide en cours.

Dans une déclaration publique empreinte de dignité, Al-Hayya affirma ensuite : « La douleur de perdre mon fils, mon compagnon, le directeur de mon bureau et les jeunes autour de moi, c’est une douleur immense. Nous ne sommes pas faits de fer ou de pierre. Nous pleurons nos martyrs, nos familles, nos frères. Mais ce que je vois chaque jour — les tueries, la tyrannie, les assassinats, la destruction à Gaza — me fait oublier ma douleur personnelle. Parce que je sens qu’ils sont tous comme mes propres enfants. »

Une frappe motivée par les négociations

Bien qu’Israël justifie publiquement la frappe de Doha au nom du 7 octobre, la réalité était toute autre : Il s’agissait d’éliminer l’équipe de négociation du Hamas au moment exact où elle examinait une nouvelle proposition usaméricaine.

Dans les jours précédant les frappes, l’administration Trump avait transmis au Hamas, via les médiateurs qataris, un texte présenté comme une nouvelle initiative de cessez-le-feu.
Ce document exigeait notamment la remise immédiate de tous les captifs israéliens — vivants et morts — détenus à Gaza.

Du point de vue du Hamas, cette “offre” ressemblait à un piège : elle était vague, elle n’engageait pas clairement Israël à mettre fin au génocide, elle ne garantissait aucune levée du siège ou retrait militaire.

Le Hamas se souvenait aussi qu’en mai, Trump avait renié une promesse similaire faite lors d’un échange visant à libérer le soldat usaméricano-israélien Edan Alexander.

Funérailles à Doha

Les funérailles furent organisées dès le lendemain, dans la capitale qatarie. Elles rassemblèrent une foule nombreuse : diplomates, responsables politiques, membres de la diaspora palestinienne, journalistes, et figures du mouvement national.

Le cercueil du fils de Khalil Al-Hayya — Hammam — fut porté en tête du cortège, suivi de ceux des quatre membres du Hamas tués dans la frappe, ainsi que celui de l’officier de police qatari. Les dirigeants du Hamas, visiblement éprouvés, prononcèrent des discours de deuil et de résilience.
Ils insistèrent sur le fait que l’attaque ne briserait pas la volonté palestinienne de poursuivre les efforts diplomatiques pour mettre fin à la guerre — malgré l’évidence que l’objectif israélien était précisément d’éliminer la délégation chargée de négocier.


Funérailles à Doha du fils de Khalil Al-Hayya, de quatre membres du Hamas et d’un officier qatari tués lors de la frappe israélienne. Photo Diwan de l’Émirat du Qatar / Anadolu via Getty Images

Le Hamas avait accepté un accord avant les frappes israéliennes

Le 18 août — soit trois semaines avant la tentative d’assassinat de Doha — les factions palestiniennes avaient déjà accepté un accord de cessez-le-feu élaboré par les USA et Israël.

Cet accord, appelé “cadre Witkoff”, du nom de l’émissaire spécial usaméricain Steve Witkoff, comportait 13 points. Il incluait :

  • un cessez-le-feu de 60 jours,
  • la reprise de l’aide humanitaire,
  • la libération de la moitié des captifs israéliens, vivants ou morts,
  • la possibilité de prolonger la trêve pendant que les négociations se poursuivaient.

Pour les dirigeants palestiniens, il s’agissait d’un compromis difficile, mais acceptable, afin de stopper l’hécatombe à Gaza. Mohammad Al-Hindi, chef de la délégation du Jihad islamique, raconte : « Trump pensait que le Hamas ne remettrait jamais vingt captifs d’un seul coup. Nous avons consulté toutes les factions et décidé d’accepter l’accord Witkoff. »

Des concessions palestiniennes majeures

Dans l’accord du 18 août, les Palestiniens avaient accepté :

  • la libération immédiate de huit captifs le premier jour,
  • l’absence de calendrier clair pour le retrait israélien du corridor de Philadelphie,
  • une zone tampon israélienne plus profonde que ce qu’ils avaient exigé,
  • la possibilité d’un accord même sans garantie que la guerre cesserait complètement.

Selon un haut responsable qatari, le Hamas avait accepté 98 % de ce que les USA et Israël réclamaient.

Pourtant…

Israël ne répondit jamais. Les USA firent porter la faute au Hamas

Lorsque les Palestiniens annoncèrent qu’ils acceptaient l’accord, Israël ne donna aucune réponse officielle.

Au lieu de cela :

  • les responsables usaméricains déclarèrent que le Hamas bloquait les négociations,
  • l’armée israélienne accéléra les bombardements,
  • Israël annonça une nouvelle offensive terrestre imminente,
  • les médias israéliens affirmèrent que les Palestiniens « refusaient la paix ».

Al-Hindi : « Ils ont donné à Israël une excuse pour intensifier les frappes et prétendre que nous refusions un accord — alors que nous l’avions accepté. »