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19/01/2025

GIDEON LEVY
“Il n’y a pas d’innocents à Gaza” : Réflexion sur la première guerre fasciste d’Israël

Gideon Levy, Haaretz  , 19/1/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

La guerre qui est censée se terminer dimanche entrera dans l’histoire comme la première guerre kahaniste*. Elle est fondamentalement différente de toutes les guerres précédentes d’Israël.

Amos Biderman, Haaretz, février 2022

La seule guerre qui lui ressemble est celle de 1948, qui a provoqué la Nakba, mais les motivations de cette guerre étaient différentes. Il s’agissait d’une guerre visant à établir un État juif ; il s’agit ici d’une guerre visant à établir un État fasciste. [cherchez la différence, NdT]

L’État kahaniste s'est érigé en Israël. La mollesse criminelle de Benjamin Netanyahou l’a rendu possible. Ce ne sont pas seulement les partis néo-nazis qui en sont responsables : c’est surtout le Likoud, le parti du Premier ministre, qui a porté le kahanisme au pouvoir.

Le changement profond qui s’est produit en Israël est parfaitement illustré par la guerre de Gaza. Presque tout dans cette guerre visait à apaiser l’extrême droite fasciste, raciste et favorable au transfert de population, et l’esprit du kahanisme a pris le contrôle de ses objectifs et de sa conduite. Ce n’était pas seulement l’ampleur de la cruauté de l’armée, c’était surtout la façon dont la cruauté était transformée en valeur dans la société israélienne dans son ensemble, en une opportunité, un atout, un miracle. La cruauté comme une chose dont on peut être fier, à laquelle on peut aspirer, dont on peut se vanter et dont on peut faire étalage.

Lors de ses précédentes guerres, Israël a également commis des actes odieux. Parfois, il a tenté de les nier, de les dissimuler et de mentir, parfois même il les a admis et en a eu honte. Pas cette fois-ci.

Cette fois-ci, le porte-parole des FDI présente fièrement l’ampleur des destructions et des tueries, les brandissant comme des exploits pour plaire à la droite kahaniste, qui est devenue le courant dominant.

Israël est devenu un État qui aspire à tuer et à détruire des Arabes uniquement pour tuer et détruire des Arabes. Ce n’était pas le cas auparavant, et il n’en était certainement pas fier. Il s’agit d’un changement profond, dont nous aurons du mal à nous défaire. Il laisse présager un avenir des plus sombres.

Lorsque Meir Kahane est apparu, il a amené avec lui un parti néo-nazi créé en Israël qui considérait les Arabes comme des chiens, dans le meilleur des cas. Israël a reculé devant lui. L’éthique du Mapai, qui consiste à « tirer et pleurer », prévalait encore ici, à côté de l’impartialité du Likoud. Menahem Begin, ainsi que le premier gouvernement Netanyahou, l’ont préservée. L’effondrement a commencé avec le deuxième gouvernement Netanyahou et a atteint son apogée dans le gouvernement actuel. De tous ses crimes, celui-ci est le plus grand et le plus impardonnable. Dans un premier temps, le fascisme a été légitimé et blanchi.

Des voix qui n’avaient jamais été considérées comme légitimes ont infiltré la politique et les médias. Bientôt, elles n’étaient plus seulement légitimes, elles étaient la voix des masses israéliennes, mais aussi celle du gouvernement et de l’armée. À la radio et à la télévision, les gens disaient « Il n’y a pas d’innocents à Gaza » et parlaient du droit et du devoir (heureux) de tuer tout le monde, avec la même aisance qu’ils discutaient du temps qu’il fait.

Desjournalistes chevronnés ont révélé les opinions qu’ils avaient cachées lorsqu’ils ont réalisé qu’elles étaient non seulement permises, mais aussi bénéfiques pour eux. D’Amit Segal et Zvi Yehezkeli à Almog Boker, des fascistes sont nés. Un tel discours n’existait tout simplement pas en Israël auparavant et n’a sa place dans aucune démocratie. Pendant ce temps, les voix anti-guerre ont été réduites au silence ; même la compassion et l’humanité ont été interdites. La prise de contrôle de la conversation publique était achevée.

Pendant les longs mois de la guerre, le kahanisme est devenu la voix dominante d’Israël et de son armée. Il n’y a plus de différence entre les commandants issus du sol pourri des colonies et leurs homologues du « bel » Israël : tous faisaient tout dans l’esprit de Kahane, sans exception et sans dissidents. Le but était de plaire à Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir. Il suffit de leur donner la quantité infinie de sang qu’ils réclament.

Un accord sur les otages a été reporté pendant des mois, Gaza a été complètement détruite, des zones entières ont été nettoyées et des dizaines de milliers de personnes ont été tuées, tout cela pour satisfaire l’esprit de Kahane et de ses représentants terrestres au sein du cabinet.

Il est ironique que la première guerre de Kahane se termine maintenant avec le retrait de la coalition gouvernementale d’Otzma Yehudit, dont le chef a déjà promis de revenir lorsque le génocide reprendra. Mais le bouleversement est terminé, il n’y a plus besoin de Ben-Gvir et de ses semblables. Netanyahou et le Likoud sont suffisamment kahanistes pour continuer à poursuivre la vision de Kahane ; il n’y a même plus besoin de gribouiller « Kahane avait raison » sur les murs.

NdT

*Meir Kahane (1932-1990) : rabbin fasciste de Brooklyn, fondateur de la Ligue de défense juive puis du parti Kach, interdit en 1994 en Israël pour « terrorisme et racisme ». Ben-Gvir et Smotrich sont ses disciples.


18/01/2025

GIDEON LEVY
Pour le centre-gauche éclairé d'Israël, le chef de l'armée est le dernier né des nouveaux messies

Gideon Levy, Haaretz  , 16/1/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Il y a une nouvelle victime innocente dans nos vies : Herzl alias Herzi Halevi, le martyr de la colonie de Kfar Oranim* « Le peuple est avec toi », a écrit avec enthousiasme l’éditorialiste Nehemia Shtrasler en début de semaine. « Nous devons à Halevi les réalisations et les succès qui ont suivi le 7 octobre. » Réussites ? Succès ? « Des généraux du monde entier viennent en Israël pour apprendre « comment se rétablir si rapidement », s'étonne Nehemia Shtrasler.


« Les soldats et les commandants sont avec toi, et le peuple est avec toi », a déclaré le principal avocat de l’armée, Navot Tel Aviv-Zur, en prêtant serment d'allégeance sur la plateforme de médias sociaux X. « La grande majorité a une confiance totale en toi et en ton intégrité ». Pas seulement un agneau sacrificiel, mais aussi un héros. Honnêteté, décence, réussite, succès - oui, oui, bien sûr.

La haine pour le Premier ministre Benjamin Netanyahou peut tout accomplir, y compris créer un chaos total. C'est ainsi que les choses se passent lorsque le seul véritable sujet de discorde en Israël est Netanyahou. Selon cette division maladive, quiconque s'oppose à Netanyahou est un ennemi de la droite et un favori de la gauche - peu importe ce qu'il a fait en plus d'être une épine dans le pied de Netanyahou.

L'armée a toujours été une vache sacrée pour la gauche, bien plus que pour la droite. Ses beaux jeunes hommes venaient de la gauche, et la gauche les récompensait par son admiration. Cette vache a été abattue en octobre 1973, au début de la guerre du Kippour. Elle est redevenue sacrée depuis, mais à un degré moindre.

Les généraux ne sont plus des rock stars, comme après 1967, mais on les retrouve toujours dans les rôles de prochains messies, principalement de la gauche et du centre. En soi, ça jette une lourde ombre sur la gauche dans un pays dont l'armée est essentiellement une force d'occupation brutale.

Le 7 octobre a exposé l'armée israélienne dans toute sa nudité, un château de cartes qui s'est effondré - mais dès le lendemain, le centre-gauche s'est remis à se souvenir de ses premiers jours de gloire. Aujourd'hui, l'inversion insensée des rôles est achevée : La droite bibiste est contre le chef d'état-major et ses militaires, tandis que le centre-gauche les soutient.

Les responsables non seulement du plus grand fiasco de l'histoire du pays, mais aussi de ses crimes de guerre les plus graves, sont les chouchous de la gauche. Et comment ! Halevi est un héros pour lequel nous devons nous battre afin qu'il reste à son poste, de peur que nous perdions le défenseur du pays, celui qui préserve son image.
L'armée continue d'être le héros des manifestations de la rue Kaplan à Tel Aviv. Il n'y a jamais eu de manifestation de masse en Israël qui s'oppose à l'armée, quelle que soit la gravité de ses crimes. Des Frères et Sœurs d'armes aux bons vieux boys, la moitié du mouvement de protestation est composée de militaires.

Mais la critique de l'armée dans ce bloc ne vise que les officiers qui ne sont pas « des nôtres ». À Gaza, des commandants de tous les blocs tuent des gens, et les responsables de cette horrible destruction sont avant tout nos « bons gars » : le chef d'état-major, suivi du chef de l'armée de l'air.

Pour la droite, les militaires sont les principaux responsables du fiasco du 7 octobre - et depuis, ils ne tuent pas assez, ne détruisent pas assez et ne maltraitent pas assez pour satisfaire la soif de sang de cette droite, qui ne sera jamais étanchée. Pour cette droite, le chef d'état-major est trop faible. Ses accusations ont défini Halevi comme le héros de l'autre bloc. La bande de Gaza est devenue un enfer, et la gauche israélienne salue la cause de cet enfer.

L'armée maltraite des milliers d'otages palestiniens dans les centres de torture qu'elle a construits, et Halevi est un homme « honnête », « décent ». Comment est-ce possible ? Comment est-il possible d'être impressionné par quelqu'un qui dirige l'organisation qui commet toutes ces horreurs ? Seulement parce que son supérieur est encore pire ? Même le propagandiste de l'armée, Daniel Hagari, qui est responsable du paquet de mensonges et de tromperies que l'armée diffuse pour blanchir ses péchés, est un héros de ce bloc. Après tout, Netanyahou est contre lui.

Halevi a toujours l'air affligé. Son visage suscite l'empathie. Il est possible qu'il soit un homme honnête, modeste et décent dans sa vie privée. Il a assumé la responsabilité de l'échec du 7 octobre, a poursuivi son travail sans sourciller et s'est lancé dans la pire campagne de nettoyage ethnique et de tuerie de l'histoire du pays, le tout en tant que héros du bloc éclairé. Ne le laissons pas démissionner sur notre dos. Dieu nous en préserve.

NdT
*Herzl Halevi, né en décembre 1967, a été ainsi prénommé en hommage à son oncle, tué dans la bataille de Jérusalem durant la Guerre des Six jours. Son père était militant du Likoud et son grand-père membre de l’Irgoun et du Bataillon des défenseurs de la langue (hébreue) dans les années 1920, qui attaquait les Juifs parlant le yiddish ou le russe dans la rue. Il vit dans la colonie juive de Kfar Oranim, en Cisjordanie occupée. Bref, le nec plus ultra du sionihilisme.

13/01/2025

ZACHARY FOSTER
Comment les sionistes ont empêché les réfugiés juifs de quitter la Palestine pour rentrer chez eux après la Seconde Guerre mondiale

Les sionistes de Palestine puis d’Israël et ont empêché les réfugiés juifs de rentrer chez eux après l’Holocauste.
Zachary Foster, Palestine Nexus , 10/1/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala


Zachary J. Foster est un historien usaméricain dont les recherches portent sur l’idée de Palestine ainsi que sur les origines de l’identité palestinienne au XIXe siècle. Zach est Maître de conférences en droit au Rutgers Center for Security, Race and Rights. Il est titulaire d’une maîtrise en études arabes de l’université de Georgetown et d’un doctorat en études du Proche-Orient de l’université de Princeton. Il est le fondateur des archives numériques Palestine Nexus et rédige une lettre d’information intitulée Palestine, in Your Inbox. Zach contribue fréquemment à des médias internationaux, dont le journal israélien Haaretz et TRT, le radiodiffuseur public national de Turquie.

Moshe Shertok, devenu Moshe Sharett, chef du département politique de l’Agence juive, et plus tard Premier ministre, a persuadé le gouvernement grec de refuser les documents de rapatriement aux Grecs juifs de Palestine

Plusieurs dizaines de milliers d’Européens juifs ayant trouvé refuge en Palestine avant ou pendant la Seconde Guerre mondiale ont cherché à rentrer chez eux après la guerre. Les dirigeants sionistes de Palestine, puis de l’État d’Israël, n’étaient pas seulement hostiles à cette idée, mais travaillaient avec les services consulaires étrangers pour empêcher leur retour. Voici l’histoire de la manière dont les sionistes d’Israël et de Palestine ont empêché les réfugiés juifs de rentrer chez eux après l’Holocauste.
 
En décembre 1944, plus de 35 000 Juifs de Palestine avaient demandé à être rapatriés dans leur pays d’origine - Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Grèce, Tchécoslovaquie, Autriche, Allemagne et Pologne. Josef Liebman, par exemple, un homme de 80 ans qui avait émigré en Palestine depuis l’Allemagne en 1939, souhaitait retrouver sa femme chrétienne après que leur séparation forcée lui eut causé d’énormes difficultés. Johanna Wasser, une Autrichienne de 57 ans qui a rejoint la Palestine depuis la Yougoslavie en 1944, a cherché à retrouver sa fille à Milan après avoir appris que celle-ci avait survécu à Auschwitz.

Pour les sionistes de Palestine, les personnes comme Joseph et Johanna étaient considérées comme opportunistes et égoïstes, souvent déshumanisées et même comparées à des animaux. Un écrivain sioniste a accusé les rapatriés de « s’échapper comme des rats » de la Terre d’Israël et de « porter le dangereux virus de la haine de soi juive ». Le journal ha-Mashḳif, organe du mouvement révisionniste de droite, a déclaré que ces Juifs avaient des « âmes sales », tandis que le journal Yedioth Ahronoth a décrit le comportement des rapatriés juifs en Pologne en 1947 comme étant « celui de porcs ». Les Juifs étaient nécessaires en Palestine pour mener la guerre démographique et cinétique qui les attendait, et les survivants de l’Holocauste qui voulaient rentrer chez eux étaient souvent considérés comme des traîtres.

Grâce à l’historien Ori Yehudai, nous connaissons aujourd’hui l’ampleur de la stratégie sioniste visant à empêcher le retour des Juifs en Europe. Dans son ouvrage paru en 2020, Leaving Zion : Jewish Emigration from Palestine and Israel after World War II, Yehudai a exploité les dossiers consulaires étrangers et les archives de l’Administration des Nations unies pour le secours et la reconstruction afin de raconter l’histoire des efforts déployés par les dirigeants sionistes pour faire des réfugiés juifs des otages démographiques.

Au-delà de la rhétorique, l’hostilité s’est transformée en politique sioniste dans les années 1940. David Ben-Gourion, président de l’Agence juive, et Moshe Shertok, chef de son département politique, ont persuadé le gouvernement grec de refuser les documents de rapatriement des Grecs juifs de Palestine. Ils menacent également les représentants tchécoslovaques et yougoslaves en Palestine de « représailles si le flux de personnes rapatriées n’est pas stoppé ».

Les Autrichiens juifs qui souhaitaient rentrer chez eux ont été confrontés à la plus grande hostilité. Certains avaient abandonné leur emploi et leur logement en Palestine dans l’espoir d’être rapatriés, et lorsqu’ils révélèrent leur intention de partir à la Histadrout, la Fédération juive du travail, ils furent inscrits sur une liste noire. Nombre d’entre eux ont alors été empêchés de partir et sont restés bloqués, privés d’opportunités d’emploi, de logement et de cartes de rationnement. Certains ont subi des violences physiques et ont dû se déplacer en groupe pour éviter le harcèlement, voire pire. Dans certains cas, ils ont même été accueillis par un salut nazi levé, « Heil Renner, rentre chez toi, l’Autrichien », alors que c’étaient les nazis qui avaient ruiné leur vie et exterminé leurs familles et communautés entières. Les membres de l’Irgoun ont également menacé les Juifs qui aidaient les réfugiés juifs à rentrer chez eux de violences physiques s’ils ne cessaient pas leurs activités.
 
Pendant la guerre de 1948, la communauté sioniste de Palestine a rendu le départ encore plus difficile, en délivrant « très rarement » des permis de sortie aux Juifs.

Les ressortissants israéliens (pas seulement les fonctionnaires en mission) ont besoin d'une autorisation de sortie pour quitter le territoire

 Après la guerre, l’État a commencé à autoriser les Juifs à partir, mais a continué à restreindre l’ émigration. Entre septembre 1948 et juin 1951, Israël a rejeté environ la moitié des 120 000 demandes de permis de sortie temporaire. Ce chiffre n’inclut pas les milliers de demandes déposées avant 1948 qui n’avaient pas encore été traitées et dont aucune n’a été prise en compte après la guerre.
 


L’Allemagne, en particulier, était considérée comme une zone interdite. En décembre 1949, le gouvernement israélien a apposé sur tous les documents de voyage israéliens la mention « valable pour tous les pays à l’exception de l’Allemagne », tandis que les Israéliens demandant des permis de sortie pour se rendre en Allemagne allaient être bannis du pays à tout jamais.


De nombreux sionistes qualifient la création d’Israël en 1948 de « libération » des Juifs, alors qu’il serait plus juste de parler de « confinement » des Juifs.


Samuel Cohen, un Français juif qui s’était rendu en Israël pour combattre dans l’armée sioniste en juillet 1948, a voulu rentrer en France après la guerre. Israël a refusé de le laisser partir et l’a pris en otage pour en faire une arme démographique. « J’ai servi dans les Forces de défense israéliennes (FDI), j’ai été blessé et libéré de l’armée pour cause de maladie », écrit-il. « Aujourd’hui, je souhaite rentrer en France [...]. Nous retenir ici contre notre volonté est une trahison de la confiance. On m’avait promis que je pourrais retourner en France....C’est une honte pour l’État d’Israël de retenir contre leur gré des gens qui se sont battus au nom de la liberté ».


L’objectif du sionisme n’était pas d’assurer le bien-être des Juifs, de favoriser la réunification des familles juives ou d’aider les réfugiés juifs, dont de nombreux survivants de l’Holocauste. L’objectif du sionisme était d’établir un État juif en Palestine, quel qu’en fût le prix. Et lorsque les intérêts des Juifs se sont opposés aux intérêts supposés de l’État juif, les dirigeants politiques ont sacrifié les premiers pour garantir les seconds.

05/01/2025

GIDEON LEVY
“Sale nazi” : attaqué pour avoir dénoncé les crimes de guerre commis par Israël à Gaza

Gideon Levy, Haaretz  , 5/1/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala


Etzel Haturki (Chez le Turc) est un restaurant de chawarma bien connu dans la ville d’Or Yehuda, au centre d’Israël, et il n’y a rien de turc là-dedans : il a l’air simple, bien qu'il ne soit pas si bon marché, avec un hôte à l’entrée et de longues files de clients venus de près ou de loin pour se régaler. Le service militaire de mon fils l’a amené au restaurant à l’époque, et depuis, il adore y manger.


Vendredi après-midi, nous y sommes retournés, mais une agitation s’est rapidement déclenchée. Cela a commencé par des jurons bruyants et s’est terminé par l’encerclement de notre table par un groupe effrayant. « Si seulement tu pouvais t’étouffer avec la nourriture et mourir », ont-ils commencé, « pourquoi vous lui donnez à manger ici ?”, ont-ils poursuivi, et “s’il n’y avait pas de caméras ici, on te casserait la gueule”, pour finir.

« Regardez qui mange ici », lance l’homme aux passants, qui se tiennent en cercle, regardant le diable qui est venu en ville. L’homme s’est approché de la table, sa fureur augmentant, et la violence a été très près d’exploser. Nous sommes partis au son des malédictions qui nous ont accompagnés jusqu’à la voiture, « niquez la mère de tous ceux qui mangent avec le nazi », ont-ils crié à mon fils.

Ce n’est pas la première fois, ni la dernière, ce n’est pas nouveau. Mais une phrase a été lancée, plus d’une fois, que je n’avais jamais entendue auparavant : « Tu es un nazi parce que tu te soucies des enfants de Gaza ».

À Or Yehuda, le nazisme a reçu une nouvelle définition : un nazi est quelqu’un qui se soucie des enfants de Gaza. Alors que la famine, le siège, les pénuries, la destruction, le nettoyage ethnique et le génocide dans la bande de Gaza sont définis dans le monde entier comme ayant des caractéristiques nazies, les choses à Or Yehuda sont exactement le contraire.

Un nazi est quelqu’un qui se préoccupe de la victime. Quiconque se soucie des enfants de Gaza ne mangera pas à Or Yehuda et n’osera pas s’approcher d’Or Yehuda - une ville dont une rue porte le nom de Yoni Netanyahu*, dont un restaurant s’appelle Mifgash Entebbe et dont une rue portait autrefois le nom de l’amante du maire.

Tout au long de cette guerre, j’ai été moins confronté à la violence et aux menaces qu’à l’accoutumée. L’arène s’est déplacée vers « Netanyahou, oui ou non » et la bataille pour la libération des otages. La télévision, même dans les émissions soi-disant les plus éclairées, n’apporte jamais d’opinion alternative ou de voix qui s’opposent aux crimes de guerre, et ce faisant, elle facilite la tâche de ceux qui sont choqués par les actions d’Israël - une poignée d’opposants qui, cette fois, sont plus à l’abri de la fureur des masses, parce que leur voix est réduite au silence et exclue du débat. Mais ce silence est dangereux.

Il n’y a jamais eu ici de guerre sans opposition, au moins dans ses phases les plus avancées et les plus criminelles. Ces guerres ont toujours commencé avec un soutien sans faille, et même avec enthousiasme au sein de la communauté juive, jusqu’à ce que les fissures s’ouvrent et que les questions surgissent.

La première guerre du Liban en est le meilleur exemple, mais les opérations Plomb durci et Bordure protectrice à Gaza (en 2008 et 2014) ont également suscité une opposition à un moment ou à un autre, et leurs voix ont été entendues.

Mais pas cette fois-ci. Cette guerre, la plus longue que l’État d’Israël ait jamais connue, est aussi celle qui a fait l’objet du plus grand consensus - du moins dans le débat public qui l’entoure.

Les manifestants veulent un accord sur les otages, les opposants veulent un cessez-le-feu, voire la fin de la guerre, mais seulement pour le bien des otages et des soldats tués.

Les victimes de Gaza ne sont pas du tout évoquées, et quiconque tente de les mentionner est un nazi, du moins à Or Yehuda.

Le lavage de cerveau et l’aveuglement ont atteint des niveaux records que nous n’avions jamais connus auparavant. Le « dessoûlement » de nos nombreux et meilleurs - qui sont en réalité si peu nombreux, si tant est qu’il y en ait un qui ait dessoûlé - a créé une illusion selon laquelle le conflit est profond et la société est plus divisée que jamais.

Mais elle n’est pas du tout divisée, Israël est uni dans son soutien absolu à Tsahal, même si les crimes de guerre s’accumulent, et au droit illimité d’Israël, après le 7 octobre, de faire ce qu’il veut à Gaza.

En pratique, Israël n’a jamais été aussi uni qu’au début de l’année 2025, malgré tous les bruits de fond et les fausses lamentations sur la « polarisation du peuple ». Nous ne devons jamais, au grand jamais, perturber ce nouvel ordre merveilleux. Quiconque tente de le faire est un nazi.

Lorsque nous sommes finalement arrivés à la voiture, mon fils et moi, un jeune homme sympathique s’est approché de moi et m’a demandé une bénédiction. Il m’a dit que quelqu’un qui ne répond pas aux insultes et aux menaces est considéré comme quelqu’un d’exceptionnel. Il m’a demandé de lui donner une bénédiction pour qu’il trouve bientôt une bonne épouse, ce que j’ai fait. J’étais heureux de l’aider.

NdT

* Yonatan Netanyahou, frère aîné de Bibi, commandant des forces spéciales, tué à Entebbe en Ouganda lors d’un affrontement avec des combattants palestiniens et allemands ayant détourné un avion. Héros national sioniste.


22/12/2024

DAHLIA SCHEINDLIN
Israël est-il vraiment en train de construire un empire au Moyen-Orient ?

Dahlia Scheindlin, Haaretz, 19/12/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Alors que l’armée israélienne s’apprête à passer un temps indéterminé sur les hauteurs du Golan syrien et que les colons font la queue pour pénétrer à Gaza et au Liban, il est de plus en plus difficile de s’opposer à l’idée qu’Israël est en train de construire un empire.

Netanyahou en visite sur le plateau du Golan syrien occupé mardi. Photo Maayan Toaf/Bureau de presse du gouvernement israélien

Dans les premiers mois de l’année 2024, un collègue arabe d’un pays du Moyen-Orient a demandé ce qu’Israël essayait de faire. Israël semblait se comporter comme l’empire musulman en expansion du début du Moyen-Âge, disait le collègue avec anxiété, prêt à conquérir tout le Moyen-Orient.
Cela ressemblait à une vision paranoïaque, ou du moins très exagérée, d’Israël en tant qu’agresseur expansionniste maléfique perpétuel. Il est vrai que la guerre d’Israël à Gaza était déjà plus que brutale au début de l’année 2024, et j’espérais déjà ardemment un cessez-le-feu bien avant cela. Et dès la fin du mois de janvier, il était clair que des éléments radicaux de la coalition au pouvoir avaient des idées folles sur l’occupation de Gaza.
Néanmoins, Israël n’avait pas vraiment de plan de conquête territoriale dans d’autres pays. D’une part, les Palestiniens ont la malchance d’être nés sur une terre que les juifs considèrent comme un héritage biblique. Par consensus et par la Realpolitik du 20e siècle, les sionistes de tous bords ont limité leur revendication, même maximaliste, au mandat britannique historique de la CisJordanie. (Le rêve des « deux rives » du Jourdain du Likoud a perduré, mais s’est évanoui au siècle dernier). À partir des années 1990, les sionistes de gauche se sont contentés d’un Israël moderne situé à l’intérieur de la Ligne verte.
En outre, c’est la décision idiote [sic] du Hezbollah de participer à la guerre, en inspirant les Houthis du Yémen, qui a internationalisé le tout. La décision du Premier ministre Ehud Barak de quitter unilatéralement le Liban en 2000 était très populaire dans les sondages de l’époque, selon les enquêtes sur la sécurité nationale et l’indice de paix disponible sur Data Israel - et les Israéliens étaient euphoriques lorsque cela s’est produit. Malgré des années de révisionnisme en Israël affirmant que c’était une mauvaise idée, personne n’a appelé à réoccuper l’endroit.
Mais franchement, il est de plus en plus difficile de s’opposer à l’affirmation qu’un « empire » est en cours de construction. Après des mois d’escalades limitées, quoique meurtrières, avec le Hezbollah, Israël est passé à la guerre totale en septembre ; les explosions de bipeurs et l’assassinat de Hassan Nasrallah étaient le prélude à une invasion aérienne et terrestre de grande envergure, destinée à éliminer à jamais la menace militaire que représente le Hezbollah. Mais quelle était la valeur ajoutée, en termes de sécurité, du fait de qualifier le Liban de « partie de la terre promise », comme l’a fait en juin un nouveau groupe ésotérique appelé « Wake up the North » (Réveille-toi, le Nord) ? C’est à ce moment-là qu’ Anshel Pfeffer a mis en garde, dans Haaretz, contre le fait de rejeter de telles déclarations lors de la conférence en ligne du nouveau groupe, simplement parce que la colonisation du Liban semblait farfelue.
En novembre, Ze’ev Erlich, connu par sa communauté comme un chercheur de la « Terre d’Israël » de la colonie d’Ofra en Cisjordanie, a été tué au Liban. Il s’était apparemment engagé dans l’armée et effectuait des recherches sur une ancienne forteresse. Les forces de défense israéliennes enquêtent sur les raisons pour lesquelles il se trouvait là en tant que civil, et non pour des besoins opérationnels, apparemment avec l’aide de certains membres d’une unité de l’armée. Il est difficile d’imaginer ce que cet homme de 71 ans aurait pu apporter sur le plan opérationnel. On a plutôt l’impression qu’il était là pour réhistoriciser le territoire libanais dans le cadre de ses recherches sur la « Terre d’Israël ».
Cette semaine, les FDI ont également admis que des membres de Wake up the North étaient entrés au Liban et y avaient monté des tentes. Le groupe a réagi à ce rapport en affirmant haut et fort son intention de s’installer dans le sud du Liban : « Bientôt, ce ne sera plus de l’autre côté de la frontière », a écrit le groupe dans un message sur WhatsApp.
Entre-temps, le misérable dictateur syrien Bachar El Assad est tombé et s’est enfui, vaincu par les rebelles. En réponse, Israël a immédiatement pénétré dans la zone démilitarisée du plateau du Golan, à l’intérieur de la Syrie, pour la première fois depuis les termes de l’armistice de 1974. Les dirigeants israéliens font savoir qu’il ne s’agit pas d’une brève incursion : Benjamin Netanyahou a annulé sa comparution devant le tribunal mardi pour se rendre sur le versant syrien du mont Hermon [Jebel
ech-Cheikh]. Il a déclaré qu’Israël resterait en territoire syrien - qu’il a qualifié de « lieu très important » - pour le moment. Cette déclaration est déjà plus ouverte que celle du ministre de la défense, Israël Katz, qui a déclaré vendredi dernier que les forces de défense israéliennes devaient se préparer à rester sur place pendant l’hiver.

Le ministre de la Défense Israël Katz en visite sur le versant syrien du Mont Hermon [Jebel ech-Cheikh]  mardi. Photo porte-parole du ministère de la Défense israélien

Il semble encore choquant qu’Israël conquière ou occupe de nouveaux territoires souverains d’autres pays pour la première fois depuis l’invasion du Liban il y a 42 ans. Mais il n’y a pas de meilleure façon de rendre moins choquants les desseins d’Israël sur Gaza : l’expulsion massive et la destruction quasi-totale du nord, les colons qui campent le long des frontières dans l’attente du butin sont désormais des nouvelles d’hier. Qui se souvient encore de l’annexion régulière de la Cisjordanie ? Bezalel Smotrich a récemment déclaré que près de 23 000 dunams [2 300 hectares] de terres de Cisjordanie étaient des « terres d’État », une manière bureaucratique sophistiquée de permettre la poursuite de l’expansion des colonies.
Pourtant, un autre drame est en cours dans les étages souterrains du tribunal de district de Tel Aviv. À propos du témoignage de Netanyahou, un collègue d’un autre pays voisin s’est étonné : « Vous voulez dire qu’il s’est présenté lui-même ? Vous n’avez aucune idée de ce que cela signifie ». Comment le même pays qui réprime et détruit les Palestiniens, et qui envahit impunément des territoires étrangers, peut-il en même temps juger un dirigeant en exercice - ce qui semble être le summum de la responsabilité démocratique ?
Il est facile d’être cynique, comme si tout cela n’était qu’un spectacle. Mais en regardant Netanyahou au tribunal, il est clair que, même s’il est malheureux, il s’est soumis à l’autorité de la seule institution israélienne capable de le restreindre : le pouvoir judiciaire, encore indépendant.

Netanyahou comparaissant devant le tribunal de district de Tel Aviv la semaine dernière. Photo Miriam Elster/Flash90

La réponse la plus juste est qu’il ne s’agit pas d’une bataille à armes égales entre les forces de l’impérialisme et de la démocratie, luttant pour l’âme d’Israël. Si la démocratie gagne la bataille, elle ne peut pas continuer à être un occupant conquérant et gagner la guerre. Mais il s’agit d’un conflit asymétrique ; si Israël ne change pas rapidement de cap, la partie la plus faible perdra.

19/12/2024

GIDEON LEVY
Sur fond de deuil et de désastre, Israël est devenu aveugle

Gideon Levy, Haaretz,  19/12/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Des Palestiniens marchent sur une route de terre bordée de décombres de bâtiments détruits dans la ville de Gaza, le 7 octobre 2024. Photo Omar Al-Qattaa/AFP

Un professeur israélien qui vit aux USA depuis des décennies était en Israël cette semaine lors de l’une de ses fréquentes visites. Il enseigne dans une université prestigieuse, est né dans un kibboutz, est le descendant d’une famille de combattants de la guerre de 1948 et d’aristocrates intellectuels, si tant est que cela existe en Israël. Il est toujours profondément enraciné ici, malgré la distance des années, et pas seulement parce qu’une partie de sa famille est ici. Depuis son lieu de résidence USA, il veille à regarder les nouvelles sur l’une des chaînes de télévision israéliennes tous les soirs. Certains de ses amis sont ici, et il fait des recherches et écrit sur Israël, entre autres choses.
Nous sommes tous deux de la même génération et de la même ville, mais jusqu’à il y a quelques jours, nous ne nous étions jamais rencontrés. 

Il y a quelques jours, il est venu chez moi. C’était son dernier jour en Israël, il est parti hier. Avant de nous séparer, il m’a dit que cette fois-ci, il se sentait étouffé. Il voulait vraiment partir. Il ne comprenait pas comment il était encore possible de vivre ici. Dans les contacts qu’il a eus au cours de l’année écoulée avec des directeurs d’université en Israël, il a senti un changement radical en direction d’une corruption morale. La femme de son ami d’enfance, un ancien juge de la Cour suprême, lui a dit cette semaine qu’elle avait du mal à accepter ses opinions. Elle ne lui avait jamais dit cela auparavant. Son mari était l’un des piliers libéraux de la Cour suprême.

Il est convaincu qu’Israël commet un génocide à Gaza - il connaît bien le sujet en raison de sa profession - et il explique pourquoi : Il n’existe pas de définition du nettoyage ethnique dans le droit international, mais il s’agit d’une étape sur la voie du génocide. Lorsqu’une population est expulsée par la force, non pas vers un lieu sûr, mais vers un endroit où l’on continue à la tuer, il s’agit d’un génocide. Il ne fait plus aucun doute qu’Israël procède à un nettoyage ethnique dans le nord de la bande de Gaza. Israël le déclare, et ses actes en sont la preuve évidente. De plus, la destruction systématique par Tsahal de tout le nord de la bande, ne laissant que des ruines sur son passage, témoigne de l’intention de ne pas permettre un retour.

Le visiteur est convaincu que lorsque la Cour internationale de justice devra décider si Israël a commis un génocide, elle se concentrera sur le nord de la bande de Gaza, comme elle l’a fait à l’époque pour Srebrenica. Là, « seulement » quelque 8 000 Bosniaques ont été massacrés, pour la plupart des hommes, alors que la ville avait été déclarée « zone de sécurité ». La Haye et le monde entier ont établi à jamais qu’il s’agissait d’un génocide, et les coupables ont été jugés et condamnés.

Lorsque vous bombardez sans pitié une population déplacée sur son nouveau lieu de résidence, comme le font les Forces de défense israéliennes, il s’agit d’un génocide. Si cela ressemble à un génocide et opère comme un génocide, c’est un génocide. En Israël, il est impossible de dire ça, même aux libéraux. Dans les universités prestigieuses des USA, dont les donateurs sont juifs, il est également difficile de le dire. Les oreilles israéliennes et juives ne sont pas prêtes à l’entendre, et peu importe ce que la réalité démontre.

Mon visiteur a découvert que même ses meilleurs amis, les libéraux israéliens, les intellectuels et les gens de paix et de conscience, ne sont pas prêts à l’accepter. Les divergences d’opinion se sont transformées en hostilité. Cela ne s’était jamais produit auparavant. Il y a toujours eu un camp de soutien ici, même pour les opinions radicales. Il y a eu des manifestations de haine, parfois même de violence, mais de l’autre côté, il y avait un camp plus petit mais tout aussi déterminé. C’est fini.

Le visiteur occasionnel l’a bien senti. Il est peut-être encore possible de trouver quelques radicaux en marge, mais pas de camp radical - dans la situation la plus radicale de l’histoire du pays.

Israël s’est embourbé dans son deuil et son désastre et est devenu totalement aveugle. Personne ne prête attention au désastre bien plus horrible de Gaza. Beaucoup de choses ont déjà été écrites ici sur le rôle méprisable des médias dans la création de cette situation, mais la responsabilité de ce « dégrisement » total repose sur la conscience de chaque Israélien qui aura retrouvé ses esprits. Cela pourrait bien le hanter un jour ou l’autre.

L’invité est parti. Il reviendra sûrement, mais il ne lui reste ici que quelques rares interlocuteurs, qu’in peut compter sur les doigts d’une seule main.


Anne Derenne


07/12/2024

“La destruction de Gaza définira désormais nos vies et celles de nos enfants” : le témoignage d’un soldat israélien


L'important est de refléter ce qui se passe pour le public israélien. Faire remonter les choses à la surface. Ainsi, les gens ne diront pas après coup qu'ils ne savaient pas.

Le nord de la bande de Gaza, ce mois-ci. Comment une personne trouve-t-elle la force de se lever face à l'horreur ? Photo : Omar Al-Qattaa / AFP

Anonyme, Haaretz , 28/11/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

L'auteur est un soldat de réserve israélien qui a participé aux opérations terrestres au Liban et dans la bande de Gaza au cours de l'année écoulée.

Ce qui est vraiment surprenant, c'est la rapidité avec laquelle tout en vient à sembler normal et raisonnable. Au bout de quelques heures, on s'efforce d'être impressionné par l'ampleur des destructions, on se dit des phrases comme « C'est de la folie », mais en réalité, on s'y habitue assez vite.
Ça devient banal, kitsch. Un autre tas de pierres. Ici, il s'agissait probablement d'un bâtiment d'une institution officielle, là, de maisons et ici, d'un quartier. Dans toutes les directions, on voit des tas de barres d'armature, de sable, de béton et de parpaings. Des bouteilles d'eau en plastique vides et de la poussière. Jusqu'à l'horizon. Jusqu'à la mer. Le regard se porte sur un bâtiment encore debout. « Pourquoi n'ont-ils pas démoli ce bâtiment ? », demande ma sœur sur WhatsApp après que je lui ai envoyé une photo. « Et aussi, ajoute-t-elle, pourquoi diable es-tu allé là-bas ? »
La raison de ma présence ici est moins intéressante. Je ne suis pas le sujet de l'histoire. Et il ne s'agit pas non plus d'un réquisitoire contre les forces de défense israéliennes. Ça a sa place ailleurs, dans les éditoriaux, à la Cour pénale internationale de La Haye, dans les universités des USA, au Conseil de sécurité des Nations unies.
L'important est de refléter ce qui se passe pour le public israélien. De faire remonter les choses à la surface. Ainsi, les gens ne diront pas après coup qu'ils ne savaient pas. Je voulais savoir ce qui se passait ici. C'est ce que j'ai dit à tous mes amis, trop nombreux pour être comptés, qui m'ont demandé : « Pourquoi es-tu allé à Gaza ? »
Il n'y a pas grand-chose à dire sur les destructions. Elles sont partout. Elles sautent aux yeux lorsqu'on s'approche de ce qui était un quartier résidentiel depuis le point d'observation d'un drone : un jardin cultivé entouré d'un mur brisé et d'une maison pulvérisée. Une cabane improvisée avec un toit en tôle au fond d'une allée. Des taches sombres dans le sable, les unes à côté des autres : apparemment, il y avait là une sorte de bosquet. Peut-être une oliveraie. C'est la saison de la récolte des olives. Et il y a du mouvement - une personne grimpant sur un tas de décombres, ramassant du bois sur un trottoir, écrasant quelque chose avec une pierre. Le tout vu depuis la trajectoire de vol d'un drone.
Plus on se rapproche des routes logistiques - Netzarim, Kissufim, Philadelphi - moins il y a de structures encore debout. La destruction est énorme, et elle est là pour durer. Et c'est ce que les gens doivent savoir : tout cela ne sera pas effacé dans les 100 prochaines années. Quels que soient les efforts déployés par Israël pour la faire disparaître, pour l'estomper, la destruction de Gaza définira désormais nos vies et celles de nos. C'est le témoignage d'un déchaînement effréné. Un ami a écrit sur le mur de la salle des opérations : « Au silence répondra le silence, à Nova répondra la Nakba ». Les commandants de l'armée ont repris ce graffiti.
Pour un militaire, la destruction est inévitable. Combattre un ennemi bien équipé dans une zone urbaine densément peuplée signifie une destruction massive des bâtiments - ou une mort certaine pour les soldats. Si un commandant de brigade devait choisir entre la vie des soldats sous son commandement et la destruction du territoire, un F-15 chargé de bombes se dirigerait déjà vers la piste de la base aérienne de Nevatim et une batterie d'artillerie serait en train d'aligner son tir. Personne ne prendra de risques. C'est la guerre.
Israël peut se battre ainsi grâce au flux d'armes qu'il reçoit des USA, et la nécessité de contrôler le territoire avec un minimum d'effectifs est poussée à son paroxysme. Il en va de même pour Gaza et le Liban. La principale différence entre le Liban et l'enfer jaune qui nous entoure réside dans les civils. Contrairement aux villages du sud du Liban, à Gaza les civils sont toujours là. Ils se traînent d'un nœud de combat à l'autre, traînant des sacs à dos surchargés, des jerricanes. Des mères avec leurs enfants marchent péniblement le long de la route. Si nous avons de l'eau, nous la leur donnons. Les capacités technologiques de l'armée israélienne se sont développées de manière impressionnante au cours de cette guerre. La puissance de feu, la précision, la collecte de renseignements par des drones : elles font contrepoids aux mondes souterrains que le Hamas et le Hezbollah ont construits pendant de nombreuses années.
Vous vous retrouvez à regarder de loin, pendant des heures, un civil qui traîne une valise sur quelques kilomètres sur la route de Salah al-Din. Le soleil brûlant tape sur lui. Et vous essayez de comprendre : est-ce un engin explosif ? S'agit-il de ce qui reste de sa vie ? Vous observez les gens qui s'affairent près de l'enceinte de tentes au milieu du camp, vous cherchez des engins explosifs et vous regardez les dessins sur le mur dans des tons gris de charbon de bois. Ici, par exemple, c'est l'image d'un papillon.
Cette semaine, j'ai surveillé un camp de réfugiés à l'aide d'un drone. J'ai vu deux femmes marcher main dans la main. Un jeune homme est entré dans une maison à moitié détruite et a disparu. Peut-être s'agit-il d'un agent du Hamas venu délivrer un message par une entrée cachée dans un tunnel où des otages sont détenus ? D'une hauteur de 250 mètres, j'ai suivi une personne à vélo le long de ce qui avait été une route à la limite du quartier - une sortie d'après-midi au milieu d'une catastrophe. À l'une des intersections, le cycliste s'est arrêté près d'une maison d'où sortaient quelques enfants, puis il a continué dans les profondeurs du camp de réfugiés lui-même.
Tous les toits sont troués par les bombardements. Sur chacun d'entre eux se trouvent des tonneaux bleus destinés à recueillir l'eau de pluie. Si vous voyez un baril sur la route, vous devez en informer le centre de contrôle et le marquer comme un possible engin explosif. Ici, un homme fait cuire des pitas. À côté de lui, un homme dort sur un matelas. Par quelle force d'inertie la vie continue-t-elle ? Comment une personne peut-elle se réveiller au milieu d'une telle horreur et trouver la force de se lever, de trouver de la nourriture, d'essayer de survivre ? Quel avenir le monde lui offre-t-il ? Chaleur, mouches, puanteur, eau sale. Un jour de plus s'écoule.
J'attends l'écrivain qui viendra écrire sur ce sujet, le photographe qui le documentera, mais il n'y a que moi. Les autres combattants, s'ils ont des pensées hérétiques, les gardent pour eux. Nous ne parlons pas des politiciens parce qu'ils l'ont demandé, mais la vérité est que cela n'intéresse tout simplement pas ceux qui ont fait 200 jours de service de réserve cette année. Les réserves s'effondrent. Ceux qui se présentent sont déjà indifférents, préoccupés par leurs problèmes personnels ou par d'autres questions. Enfants, licenciements, études, conjoints. Ils ont renvoyé le ministre de la défense. Einav Zangauker, dont le fils Matan est retenu en otage quelque part ici. Les sandwichs à la schnitzel sont arrivés.
Les seuls qui s'excitent pour quelque chose, ce sont les animaux. Les chiens, les chiens. Ils remuent la queue, courent en masse, jouent les uns avec les autres. Ils chassent les restes de nourriture que l'armée a laissés derrière elle. Ici et là, ils osent s'approcher des véhicules dans l'obscurité, tentent d'emporter une boîte contenant des saucisses kabanos [version israélienne de saucisses de port d’origine polonaise, cachérisée avec de la viande de poulet ou de dinde, NdT]et sont chassés par une cacophonie de cris. Il y a aussi beaucoup de chiots.
Au cours des deux dernières semaines, la gauche israélienne s'est inquiétée de voir l'armée creuser les routes est-ouest de la bande de Gaza. La route de Netzarim, par exemple. Qu'est-ce qui n'a pas été dit à ce sujet ? Qu'elle est en train d'être goudronnée, qu'il y a des bases cinq étoiles dessus. Que les FDI sont là pour rester, que sur la base de cette infrastructure, le projet de colonisation dans la bande de Gaza va reprendre.
Je ne rejette pas ces préoccupations. Il y a suffisamment de fous qui n'attendent que l'occasion. Mais les routes de Netzarim et de Kissufim sont des zones de combat, des zones entre d'énormes concentrations de Palestiniens. Une masse critique de désespoir, de faim et de détresse. Ce n'est pas la Cisjordanie. Le retranchement le long de la route est tactique. Plus que d'assurer une emprise civile sur le territoire, il s'agit d'assurer la sécurité de soldats usés. Les bases et les avant-postes sont des structures portables qui peuvent être démontées et enlevées par un convoi de camions en quelques jours. Bien sûr, ça pourrait changer.
Pour nous tous, de la salle de contrôle aux derniers combattants, il est clair que le gouvernement ne sait absolument pas comment procéder à partir d'ici. Il n'y a pas d'objectifs à atteindre, pas de capacité politique à reculer. À l'exception de Jabalya, il n'y a pratiquement pas de combats. Il n'y a que des combats à la périphérie des camps. Et encore, ces combats sont partiels, par crainte de la présence d'otages. Le problème est diplomatique, non militaire et non tactique. Il est donc clair pour tout le monde que nous serons appelés une nouvelle fois, pour les mêmes missions. Les réservistes viendront encore, mais moins nombreux.
Où se situe la limite entre la compréhension de la « complexité » et l'obéissance aveugle ? Quand avez-vous gagné le droit de refuser de participer à un crime de guerre ? C'est moins intéressant. Ce qui est plus intéressant, c'est de savoir quand le grand public israélien se réveillera, quand un leader se présentera pour expliquer aux citoyens dans quel terrible pétrin nous nous trouvons, et qui sera le premier porteur de kippa à me traiter de traître. Car avant La Haye, avant les universités usaméricaines, avant la condamnation au Conseil de sécurité, c'est d'abord et avant tout une affaire interne pour nous. Et pour 2 millions de Palestiniens.


06/12/2024

Susan Abulhawa : « Vous devrez soit partir soit apprendre enfin à vivre avec les autres sur un pied d’égalité »
Discours au débat de l’Oxford Union

L’Oxford Union Society, communément appelée Oxford Union, est une société de débat dans la ville d’Oxford, en Angleterre, dont les membres proviennent principalement de l’université d’Oxford. Fondée en 1823, c’est l’une des plus anciennes associations étudiantes britanniques et l’une des plus prestigieuses au monde. Elle vient d’organiser un débat sur la motion « Cette chambre croit qu’Israël est un État d’apartheid responsable de génocide ». La motion a été adoptée par 278 voix contre 59 par la « chambre », une copie conforme du parlement britannique.
 

Les orateurs intervenant en faveur de la motion étaient l’écrivaine usaméricaine d’origine palestinienne Susan Abulhawa, le poète palestinien Mohammed el Kurd et l’écrivain israélien antisioniste Miko Peled et Ebrahim Osman-Mowafy, président de l’Union.

Les orateurs de l’opposition étaient Jonathan Sacerdoti, journaliste britannique sioniste, Natasha Hausdorff, directrice juridique de UK Lawyers for Israel, Yoseph Haddad, militant sioniste israélo-arabe, et Mosab Hassan Yousef, fils d’un fondateur du Hamas, qui a été un informateur du Shin Bet d’Israël pendant dix ans avant de s’enfuir aux USA.

L’événement, auquel assistaient de nombreux étudiants d’Oxford, s’est déroulé dans une atmosphère tendue, avec de fréquentes interruptions et des échanges animés, les orateurs ayant été interpellés à plusieurs reprises par des membres de l’auditoire.
« Nous l’avons fait »

L’orateur de l’opposition Mosab Hassan Yousef a suscité la controverse en demandant si le public aurait condamné l’attaque menée par le Hamas le 7 octobre 2023 s’il en avait eu connaissance à l’avance.
La réponse a été mitigée, seuls quelques députés ayant levé la main.
Yousef a accusé la majorité du public d’être des « terroristes », provoquant l’indignation, et a en outre déclaré que les Palestiniens n’existent pas, affirmant que l’Oxford Union avait été « détournée par les musulmans ».
Le débat a atteint son point d’ébullition lorsque l’orateur de l’opposition, Yoseph Haddad, ardent défenseur d’Israël, a été prié de quitter l’hémicycle.
Haddad, connu pour son approche provocatrice, a utilisé de nombreux accessoires et affiches pendant son discours et a porté un tee-shirt avec une image du chef du Hezbollah assassiné, Hassan Nasrallah, accompagnée de la légende suivante : « Votre héros terroriste est mort ! « Votre héros terroriste est mort ! C’est nous qui l’avons fait ».
Pendant le discours de Haddad, un étudiant palestinien de Gaza s’est levé, s’est dit personnellement offensé et a demandé au président du syndicat d’expulser Haddad. L’échange s’est intensifié lorsque Haddad a répliqué, ce qui a incité le président à lui donner un avertissement.
L’étudiant, qui étudie les mathématiques et la physique, a ensuite prononcé un discours impromptu pendant l’entracte, ajoutant une perspective profondément personnelle au débat.

 
Attaque du 7 octobre : « Héroïque »
Les partisans de la motion ont concentré leurs arguments sur les violations des droits de l’homme et le bilan civil dévastateur à Gaza.
Le poète et activiste palestinien Mohammed El-Kurd, après avoir prononcé un discours enflammé, a quitté l’hémicycle, qualifiant par la suite l’opposition de « négationnistes du génocide ».
Le président de l’Oxford Union, Ebrahim Osman-Mowafy, qui soutient la motion, a raconté l’histoire poignante de Shaban al-Daloum, 19 ans, brûlée vive en octobre lors d’une frappe aérienne israélienne sur l’hôpital Al-Aqsa, dans le nord de la bande de Gaza.
Osman-Mowafy a décrit la mort de Shaban comme faisant partie de « l’holocauste » qu’Israël continue de perpétrer contre Gaza.
Le débat a été marqué par des moments peu conventionnels. La sortie immédiate de Mohammed El-Kurd après son discours a laissé une tension palpable, tandis que l’activiste et auteur israélo-usaméricain Miko Peled, un autre partisan de la motion, a qualifié l’attaque du 7 octobre d’« héroïque », ce qui a provoqué un tollé de la part des orateurs de l’opposition et d’une partie de l’auditoire.
Fondée il y a 201 ans, l’Oxford Union a une longue tradition de débats sur des sujets controversés, qui attirent souvent l’attention du monde entier.
Bien que l’issue du débat n’ait pas d’implications politiques directes, elle met en lumière la dynamique changeante de l’opinion publique sur les atrocités commises par Israël à Gaza, en particulier au sein des espaces universitaires.

Ci-dessous notre traduction de l’intervention de Susan Abulhawa


Je ne répondrai pas aux questions tant que je n’aurai pas fini de parler ; je vous prie donc de ne pas m’interrompre.
Répondant à la question de savoir ce qu’il fallait faire des habitants indigènes du pays, Chaim Weizman, un juif russe, a déclaré au Congrès sioniste mondial en 1921 que les Palestiniens étaient comparables aux « rochers de Judée, des obstacles qu’il fallait franchir sur un chemin difficile ».
David Grün, un juif polonais, qui a changé son nom en David Ben Gurion pour paraître pertinent dans la région, a déclaré : « Nous devons expulser les Arabes et prendre leur place »
Il existe des milliers de conversations de ce type parmi les premiers sionistes qui ont comploté et mis en œuvre la colonisation violente de la Palestine et l’anéantissement de son peuple autochtone.
Mais ils n’ont que partiellement réussi, assassinant ou nettoyant ethniquement 80 % des Palestiniens, ce qui signifie que 20 % d’entre nous sont restés, un obstacle durable à leurs fantasmes coloniaux, qui est devenu l’objet de leurs obsessions dans les décennies qui ont suivi, en particulier après la conquête de ce qui restait de la Palestine en 1967.
Les sionistes ont déploré notre présence et ont débattu publiquement dans tous les cercles - politiques, universitaires, sociaux, culturels - de ce qu’ils allaient faire de nous ; de ce qu’ils allaient faire de la natalité palestinienne, de nos bébés, qu’ils considéraient comme une menace démographique.
Benny Morris, qui devait être ici à l’origine, a un jour regretté que Ben Gourion « n’ait pas fini le travail » en se débarrassant de nous tous, ce qui aurait évité ce qu’ils appellent le « problème arabe ».
Benjamin Netanyahou, un juif polonais dont le vrai nom est Benjamin Mileikowsky, a un jour déploré l’occasion manquée, lors du soulèvement de la place Tiananmen en 1989, d’expulser de larges pans de la population palestinienne « alors que l’attention du monde était concentrée sur la Chine ».
Parmi les solutions qu’ils ont formulées pour remédier à la nuisance de notre existence figure la politique consistant à « leur briser les os » dans les années 80 et 90, ordonnée par Yitzhak Rubitzov, juif ukrainien qui a changé de nom pour devenir Yitzhak Rabin (pour les mêmes raisons).
Cette politique horrible, qui a paralysé des générations de Palestiniens, n’a pas réussi à nous faire partir. Et frustré par la résilience palestinienne, un nouveau discours a vu le jour, surtout après la découverte d’un énorme gisement de gaz naturel au large de la côte du nord de Gaza, d’une valeur de plusieurs milliards de dollars.
Ce nouveau discours trouve un écho dans les propos du colonel Efraim Eitan, qui a déclaré en 2004 : « nous devons tous les tuer ».
Aaron Sofer, un soi-disant intellectuel et conseiller politique israélien, a insisté en 2018 sur le fait que « nous devons tuer, tuer et tuer. Toute la journée, tous les jours. »
Lorsque j’étais à Gaza [lire ici et ici], j’ai vu un petit garçon qui n’avait pas plus de 9 ans et dont les mains et une partie du visage avaient été arrachées par une boîte de nourriture piégée que des soldats avaient laissée derrière eux pour les enfants affamés de Gaza. J’ai appris par la suite qu’ils avaient également laissé de la nourriture empoisonnée pour les habitants de Shujaiyya et que, dans les années 1980 et 1990, les soldats israéliens avaient laissé des jouets piégés dans le sud du Liban, qui explosaient lorsque des enfants excités les ramassaient.
Le mal qu’ils font est diabolique, et pourtant, ils s’attendent à ce que vous croyiez qu’ils sont les victimes. Invoquant l’holocauste européen et criant à l’antisémitisme, ils attendent de vous que vous suspendiez la raison humaine fondamentale pour croire que les tirs quotidiens sur des enfants, appelés « coups de feu mortels », et les bombardements de quartiers entiers qui enterrent des familles vivantes et anéantissent des lignées entières relèvent de l’autodéfense.
Ils veulent vous faire croire qu’un homme qui n’avait rien mangé depuis plus de 72 heures, qui a continué à se battre alors qu’il n’avait qu’un bras en état de marche, que cet homme était motivé par une sauvagerie innée et une haine ou une jalousie irrationnelle des Juifs, plutôt que par le désir indomptable de voir son peuple libre dans sa propre patrie.
Il est clair pour moi que nous ne sommes pas ici pour débattre de la question de savoir si Israël est un État d’apartheid ou un État génocidaire. Ce débat porte en fin de compte sur la valeur des vies palestiniennes, sur la valeur de nos écoles, de nos centres de recherche, de nos livres, de notre art et de nos rêves, sur la valeur des maisons que nous avons travaillé toute notre vie à construire et qui contiennent les souvenirs de générations entières, sur la valeur de notre humanité et de notre action, sur la valeur de nos corps et de nos ambitions.
Car si les rôles étaient inversés - si les Palestiniens avaient passé les huit dernières décennies à voler les maisons des Juifs, à les expulser, à les opprimer, à les emprisonner, à les empoisonner, à les torturer, à les violer et à les tuer ; si les Palestiniens avaient tué environ 300 000 Juifs en un an, pris pour cible leurs journalistes, leurs penseurs, leurs travailleurs de la santé, leurs athlètes, leurs artistes, bombardé tous les hôpitaux, universités, bibliothèques, musées, centres culturels et synagogues d’Israël, tout en installant une plate-forme d’observation où les gens venaient assister à leur massacre comme s’il s’agissait d’une attraction touristique ;
si les Palestiniens les avaient rassemblés par centaines de milliers dans des tentes fragiles, les avaient bombardés dans des zones dites sûres, les avaient brûlés vifs, leur avaient coupé la nourriture, l’eau et les médicaments ;
si les Palestiniens avaient obligé les enfants juifs à marcher pieds nus avec des casseroles vides, à rassembler la chair de leurs parents dans des sacs en plastique, à enterrer leurs frères et sœurs, leurs cousins et leurs amis, à sortir de leurs tentes au milieu de la nuit pour dormir sur les tombes de leurs parents, à prier pour mourir afin de rejoindre leur famille et de ne plus être seuls dans ce monde terrible, et s’ils les avaient terrorisés au point que leurs enfants perdent leurs cheveux, leur mémoire et leur esprit, et que ceux qui n’ont que 4 ou 5 ans meurent d’une crise cardiaque ;
si nous forcions impitoyablement leurs bébés de l’unité de soins intensifs néonatals à mourir, seuls dans des lits d’hôpitaux, en pleurant jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus pleurer, en mourant et en se décomposant au même endroit ;
si les Palestiniens utilisaient des camions d’aide à la farine de blé pour attirer les Juifs affamés, puis ouvraient le feu sur eux lorsqu’ils se rassemblaient pour collecter le pain d’une journée ; si les Palestiniens autorisaient finalement une livraison de nourriture dans un abri où se trouvaient des Juifs affamés, puis mettaient le feu à l’ensemble de l’abri et au camion d’aide avant que quiconque ne puisse goûter à la nourriture ;
si un tireur d’élite palestinien se vantait d’avoir brisé 42 rotules juives en une journée, comme l’a fait un soldat israélien en 2019 ; si un Palestinien admettait sur CNN qu’il avait écrasé des centaines de Juifs avec son char d’assaut, leur chair écrasée restant dans la bande de roulement du char ;
si les Palestiniens violaient systématiquement les médecins, patients et autres captifs juifs avec des tiges métalliques brûlantes, des bâtons dentelés et électrifiés, et des extincteurs, violant parfois jusqu’à la mort, comme cela s’est produit avec le Dr Adnan Al Bursh et d’autres ;
si les femmes juives étaient forcées d’accoucher dans la saleté, de subir des césariennes ou des amputations de jambe sans anesthésie ; si nous détruisions leurs enfants puis décorions nos chars avec leurs jouets ; si nous tuions ou déplacions leurs femmes puis posions avec leur lingerie...
si le monde assistait en temps réel à l’anéantissement systématique des Juifs, il n’y aurait pas de débat sur la question de savoir s’il s’agit d’un acte terroriste ou d’un génocide.
Et pourtant, deux Palestiniens - moi-même et Mohammad el-Kurd - sont venus ici pour faire exactement cela, endurant l’indignité de débattre avec ceux qui pensent que nos seuls choix de vie devraient être de quitter notre patrie, de nous soumettre à leur suprématie ou de mourir poliment et tranquillement.
Mais vous auriez tort de penser que je suis venue pour vous convaincre de quoi que ce soit. La résolution de la chambre, bien que bien intentionnée et appréciée, n’a que peu d’importance au milieu de l’holocauste de notre époque.
Je suis venue dans l’esprit de Malcolm X et de Jimmy Baldwin, qui se sont tous deux tenus ici et à Cambridge avant ma naissance, face à des monstres bien habillés et s’exprimant bien, qui nourrissaient les mêmes idéologies suprémacistes que le sionisme - ces notions de droit et de privilège, d’être favorisé, béni ou choisi par la divinité.
Je suis ici pour le bien de l’histoire. Pour parler aux générations qui ne sont pas encore nées et pour les chroniques de cette époque extraordinaire où le bombardement en tapis de sociétés indigènes sans défense est légitimé.
Je suis ici pour mes grands-mères, qui sont toutes deux mortes en tant que réfugiées sans le sou alors que des Juifs étrangers vivaient dans leurs maisons volées.
Je suis également venue pour m’adresser directement aux sionistes d’ici et d’ailleurs.
Nous vous avons accueillis dans nos maisons lorsque vos propres pays ont tenté de vous assassiner et que tous les autres vous ont repoussés.  Nous vous avons nourris et habillés, nous vous avons donné un abri et nous avons partagé avec vous les richesses de notre terre, et lorsque le moment est venu, vous nous avez chassés de nos propres maisons et de notre patrie, puis vous avez tué, volé, brûlé et pillé nos vies.
Vous avez creusé nos cœurs parce qu’il est clair que vous ne savez pas comment vivre dans le monde sans dominer les autres.
Vous avez franchi toutes les limites et nourri les pulsions humaines les plus viles, mais le monde entrevoit enfin la terreur que nous avons endurée entre vos mains pendant si longtemps, et il voit la réalité de ce que vous êtes, de ce que vous avez toujours été. Ils observent avec stupéfaction le sadisme, l’allégresse, la joie et le plaisir avec lesquels vous dirigez, observez et encouragez les détails quotidiens de la destruction de nos corps, de nos esprits, de notre avenir et de notre passé.
Mais quoi qu’il arrive à partir d’ici, quels que soient les contes de fées que vous vous racontez et que vous racontez au monde, vous n’appartiendrez jamais vraiment à cette terre. Vous ne comprendrez jamais le caractère sacré des oliviers, que vous coupez et brûlez depuis des décennies, juste pour nous contrarier et nous briser le cœur un peu plus. Aucun natif de cette terre n’oserait faire une telle chose aux oliviers. Aucun habitant de cette région ne bombarderait ou ne détruirait un patrimoine aussi ancien que Baalbek ou Battir, ou ne détruirait des cimetières anciens comme vous détruisez les nôtres, comme le cimetière anglican de Jérusalem ou le lieu de repos des anciens savants et guerriers musulmans à Mamilla. Ceux qui sont originaires de cette terre ne profanent pas les morts ; c’est pourquoi ma famille s’est occupée pendant des siècles du cimetière juif du Mont des oliviers, en tant que travail de foi et de soin pour ce que nous savons être une partie de nos ancêtres et de notre histoire.
Vos ancêtres seront toujours enterrés dans vos pays d’origine, en Pologne, en Ukraine et ailleurs dans le monde, d’où vous êtes venus. Le mythe et le folklore du pays vous seront toujours étrangers.
Vous ne maîtriserez jamais le langage vestimentaire des thobes que nous portons, qui ont jailli de la terre par l’intermédiaire de nos aïeules au fil des siècles - chaque motif, dessin et modèle évoquant les secrets de la tradition locale, de la flore, des oiseaux, des rivières et de la faune.
Ce que vos agents immobiliers appellent dans leurs annonces à prix élevé « maison arabe ancienne » conservera toujours dans ses pierres les histoires et les souvenirs de nos ancêtres qui les ont construites. Les photos et les peintures anciennes de la terre ne vous contiendront jamais.
Vous ne saurez jamais ce que l’on ressent lorsqu’on est aimé et soutenu par ceux qui n’ont rien à gagner de vous et, en fait, tout à perdre.  Vous ne connaîtrez jamais le sentiment des masses du monde entier qui se déversent dans les rues et les stades pour chanter votre liberté ; et ce n’est pas parce que vous êtes juifs, comme vous essayez de le faire croire au monde, mais parce que vous êtes des colonisateurs violents et dépravés qui pensent que votre judaïté vous donne droit à la maison que mon grand-père et ses frères ont construite de leurs propres mains sur des terres qui appartenaient à notre famille depuis des siècles. C’est parce que le sionisme est un fléau pour le judaïsme et, en fait, pour l’humanité.
Vous pouvez changer vos noms pour qu’ils soient plus adaptés à la région et vous pouvez prétendre que le falafel, le houmous et le zaatar sont vos anciennes cuisines, mais dans les recoins de votre être, vous sentirez toujours la piqûre de cette falsification et de ces vols épiques, c’est pourquoi même les dessins de nos enfants accrochés aux murs à l’ONU ou dans un service hospitalier provoquent une crise d’hystérie chez vos dirigeants et vos juristes.
Vous ne nous effacerez pas, quel que soit le nombre d’entre nous que vous tuerez, jour après jour. Nous ne sommes pas les rochers que Chaim Weizmann pensait pouvoir éliminer de la terre. Nous sommes son sol même. Nous sommes ses rivières, ses arbres et ses histoires, parce que tout cela a été nourri par nos corps et nos vies pendant des millénaires d’occupation continue et ininterrompue de cette parcelle de terre entre le Jourdain et la Méditerranée, depuis nos ancêtres cananéens, hébreux, philistins et phéniciens, jusqu’à tous les conquérants et pèlerins qui sont allés et venus, qui se sont mariés ou ont violé, aimé, réduit en esclavage, converti d’une religion à l’autre, se sont installés ou ont prié sur notre terre, laissant des morceaux d’eux-mêmes dans nos corps et dans notre héritage. Les histoires légendaires et tumultueuses de cette terre sont littéralement inscrites dans notre ADN. Vous ne pouvez pas tuer ou propager cela, quelle que soit la technologie de la mort que vous utilisez ou les arsenaux médiatiques d’Hollywood et des grandes entreprises que vous déployez.
Un jour, votre impunité et votre arrogance prendront fin. La Palestine sera libre ; elle retrouvera sa gloire pluraliste multireligieuse et multiethnique ; nous rétablirons et développerons les trains qui vont du Caire à Gaza, à Jérusalem, Haïfa, Tripoli, Beyrouth, Damas, Amman, Koweït, Sanaa, et ainsi de suite ; nous mettrons fin à la machine de guerre usaméricano-sioniste de domination, d’expansion, d’extraction, de pollution et de pillage
... et vous devrez soit partir soit apprendre enfin à vivre avec les autres sur un pied d’égalité.