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18/08/2023

Mohammad Mossadegh, Premier ministre de l’Iran, 1951-1953 : une biographie

The Mossadegh Project, 3/10/2013

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

“Je mets ma confiance dans le soutien du peuple iranien. C’est tout.”
Mossadegh

 

 

Mohammad Mossadegh est né le 16 juin 1882 à Téhéran. Son père, Mirza Hedayat Ashtiani, était ministre des Finances de l’Iran et sa mère, Najm al-Saltaneh, était étroitement liée à la dynastie régnante Kadjar (1789-1925). Quand il avait 10 ans, son père est décédé, le laissant avec sa seule sœur, plus jeune, à la charge de sa mère.

En reconnaissance des services rendus par son défunt père à la couronne, le monarque Nasir al-Din Shah lui a donné le titre de “Mossadegh al-Saltaneh”. Des années plus tard, lorsqu’un système de carte d’identité nationale a été introduit en Iran, il a choisi le nom de famille de Mossadegh, qui signifie “vrai et authentique”.

 

La carrière de Mossadegh commence à l’âge exceptionnellement jeune de 15 ans, lorsqu’il est nommé, toujours en l’honneur de son père, Mostofi (chef des finances) de la province du Khorasan. Tout en s’intéressant à la science moderne, il pratique divers sports et apprend à jouer du Tar, un instrument à cordes traditionnel persan.

 

À 19 ans, il épouse Zia al-Saltaneh, une princesse kadjar, qu’il considère comme “la personne que je chéris le plus après ma mère”. Le couple aura trois filles - Zia Ashraf, Mansoureh et Khadijeh - et deux fils, Ahmad et Gholam-Hossein.

 

Mossadegh n’avait que 21 ans lorsque les habitants d’Ispahan l’ont élu au Majlis (Parlement iranien) pour les représenter. Cependant, comme il n’avait pas l’âge légal requis, il a retiré son nom de la liste des candidats. Au cours du mouvement constitutionnaliste de 1905-1911, Mossadegh a participé activement aux événements qui ont conduit à l’établissement d’une monarchie constitutionnelle en lieu et place du régime monarchique arbitraire.

 

Mossadegh a étudié les sciences politiques à Téhéran et, en 1909, il a poursuivi ses études à Paris. Pendant son séjour à Paris, il a commencé à ressentir une faiblesse et une fatigue extrêmes et a été contraint d’abandonner ses études et de rentrer en Iran. Tout au long de sa vie, il a été accablé par ce problème persistant, mieux connu aujourd’hui sous le nom de “syndrome de fatigue chronique”. Plus tard, il retourne en Europe et étudie le droit à l’université de Neuchâtel, en Suisse. En juin 1913, il devient le premier Iranien à obtenir un doctorat en droit et rentre en Iran un jour seulement avant le début de la Première Guerre mondiale.


En 1912

 

Peu après son retour en Iran, Mossadegh fait l’objet d’une accusation malveillante de la part d’un rival politique. Cette accusation infondée l’a tellement bouleversé qu’il est tombé malade et a eu de la fièvre. Sa mère, connue pour avoir fondé l’hôpital de bienfaisance Najmieh à Téhéran, a remarqué qu’il était malheureux et lui a dit qu’elle aurait préféré qu’il étudie la médecine plutôt que le droit. Quiconque étudie le droit et se lance dans la politique doit être prêt à subir toutes sortes de calomnies et d’insultes, lui dit-elle, mais “la valeur d’une personne dans la société dépend de ce qu’elle endure pour le bien du peuple”. Dans ses mémoires, Mossadegh a écrit que ces paroles de sagesse l’avaient préparé à la vie qu’il avait choisie et qu’à partir de ce moment-là, plus il était confronté à des épreuves et à des insultes, plus il était prêt à servir le pays.

 

Mossadegh accepte un poste au sein du gouvernement en tant que secrétaire adjoint du ministère des Finances, où il tente de lutter contre la corruption et fait condamner plusieurs personnes. En 1919, il choisit de s’exiler en Suisse pour protester contre un accord entre le gouvernement et la Grande-Bretagne qu’il jugeait très inquiétant. La principale disposition de cet accord consistait à confier à des conseillers britanniques la supervision de l’armée et des systèmes financiers iraniens. Craignant le pire pour l’Iran, il a mené une campagne fébrile contre cet accord en Europe et a écrit à la Société des Nations pour demander de l’aide dans cette affaire. Mossadegh est rentré en Iran après le rejet de l’accord par le Majlis.

 

La réputation de Mossadegh en tant qu’homme politique honnête, juste et concerné l’avait précédé lors de son retour en Iran. Lors de ses déplacements dans la province du Fars, il est accueilli chaleureusement par les habitants et se voit proposer de devenir leur gouverneur, ce qu’il accepte. Après quelques mois, il démissionne de ce poste pour protester contre le coup d’État de 1920 à Téhéran, inspiré par les Britanniques, qui aboutira à l’établissement de la dynastie Pahlavi en 1925. Il occupe cependant le poste de ministre de la Justice dans le gouvernement du Premier ministre Ghavam, puis devient ministre des Affaires étrangères. En 1923, Mossadegh a été élu au 5e  Majlis et a commencé son opposition historique à l’établissement de la dynastie Pahlavi par Reza Khan, soutenu par les Britanniques et alors Premier ministre de l’Iran. Il prévoyait le retour de la dictature en Iran, “lorsqu’un seul homme sera à la fois roi, Premier ministre et magistrat !”

 

Comme Mossadegh l’avait prédit, la vie sous le règne tyrannique de Reza Shah était dure et oppressive ; en fait, le climat politique était devenu si insupportable qu’il avait de bonnes raisons de craindre pour sa vie. En 1928, il se retire volontairement de l’activisme social et politique et se retire dans son village d’Ahmad-Abad, situé à une centaine de kilomètres de Téhéran. Pendant cette période, qui a duré plus d’une décennie, il a passé son temps à lire et à cultiver la terre, menant des expériences pour améliorer la production agricole et partageant les connaissances acquises avec les autres agriculteurs du village.

 

Le 26 juillet 1940, la police de Reza Shah débarque à l’improviste au domicile de Mossadegh, fouillant et saccageant sa maison. Bien qu’aucune preuve incriminante n’ait été trouvée contre lui, il est emmené à la prison centrale de Téhéran. Mossadegh est interrogé et, sans être informé des charges qui pèsent sur lui, transféré dans la forteresse de Birjand (ville du nord-est de l’Iran). Conscient du sort réservé à de nombreux autres qui ont osé s’opposer à l’arbitraire de Reza Shah, il s’attend à être tué.

 

Le coup le plus dur porté à Mossadegh par son emprisonnement a été l’effet qu’il a eu sur sa fille de 13 ans, Khadijeh, qui avait été témoin de l’arrestation brutale de son père et de son transfert forcé à la prison de Birjand. La très sensible Khadijeh a été profondément traumatisée et a passé le reste de sa vie dans des hôpitaux psychiatriques. Mossadegh a déclaré plus tard que cette tragédie était la punition la plus cruelle qui pouvait lui être infligée.

 

Reza Shah libère Mossadegh de la prison de Birjand en novembre 1940 et le transfère à Ahmad-Abad, “pour y vivre jusqu’à sa mort”. Un an plus tard, son assignation à résidence prend fin lorsque les Britanniques forcent l’abdication de Reza Shah et que son fils de 22 ans, Mohammad Reza, monte sur le trône.

 

Ayant repris ses activités politiques, Mossadegh est élu avec un soutien écrasant pour représenter Téhéran au 14e  Majlis en 1944. Pendant son mandat au Majlis, Mossadegh s’est battu avec passion pour l’indépendance politique et économique de l’Iran vis-à-vis des étrangers, notamment en s’attaquant à l’accord pétrolier très injuste conclu avec l’Anglo-Iranian Oil Company, un objectif pour lequel il a reçu un soutien populaire écrasant.

 

L’histoire contemporaine de l’Iran est liée au pétrole, une source d’énergie très recherchée par l’Occident, depuis 1901, date à laquelle des droits exclusifs de 60 ans ont été accordés à William Knox D’Arcy, un sujet britannique, pour la prospection et l’exploitation du pétrole dans les provinces méridionales de l’Iran. En 1908, le pétrole a été découvert et l’Anglo-Persian Oil Company a été créée. Juste avant le début de la Première Guerre mondiale en 1914, le gouvernement britannique a acheté 51 % des actions de la compagnie. Les Britanniques ont ainsi créé une tête de pont et pratiquement colonisé le sud-ouest de l’Iran, s’immisçant directement et indirectement dans les affaires politiques du pays tout entier. L’APOC a triché sur les maigres 16 % versés à l’Iran et a traité les travailleurs pétroliers iraniens avec mépris et racisme dans leur propre pays. La situation a atteint son paroxysme en juillet 1946, lorsque quelque 6 000 travailleurs pétroliers iraniens se sont mis en grève à Agajari. Leur affrontement avec les troupes gouvernementales a fait plus de 200 morts et blessés.

 

Mossadegh envisageait un Iran indépendant, libre et démocratique. Il pensait qu’aucun pays ne pouvait être politiquement indépendant et libre s’il ne parvenait pas d’abord à l’indépendance économique. Selon lui, “l’aspect moral de la nationalisation du pétrole est plus important que son aspect économique”. Il a cherché à renégocier et à parvenir à une restitution équitable et juste des droits de l’Iran, mais s’est heurté à l’intransigeance de la compagnie. Pour mettre fin à 150 ans d’ingérence politique britannique, d’exploitation économique et de pillage des ressources nationales de l’Iran, Mossadegh a organisé la nationalisation de l’industrie pétrolière.

 

Mossadegh a présenté pour la première fois l’idée de la nationalisation à la Commission du pétrole mandatée par le Majlis le 8 mars 1951. Le lendemain, le Front national, une coalition de plusieurs partis, a organisé un grand rassemblement sur la place Baharestan devant le Majlis pour soutenir la nationalisation du pétrole. À la veille du Nouvel An iranien, le 20 mars 1951 [29 Esfand 1329], le projet de loi du Front national pour la nationalisation du pétrole reçoit l’approbation finale du Sénat, quelques jours seulement après avoir été approuvé à l’unanimité par les députés du Majlis. Un mois plus tard, le Dr Mohammad Mossadegh a été nommé au poste de Premier ministre, qu’il a remporté avec les voix de près de 90 % des représentants présents.


Mossadegh porté en triomphe par la foule après la nationalisation de l'Anglo-Iranian


Le différend entre l’Iran et l’Anglo-Iranian Oil Company (AIOC), qui a été démantelée, se poursuit sans qu’aucune solution ne se profile à l’horizon, ce qui accroît les tensions entre l’Iran et la Grande-Bretagne. Le gouvernement britannique impose des sanctions économiques à l’Iran et le menace d’une attaque militaire. En juin 1951, le gouvernement iranien découvre un réseau d’espionnage britannique qui révèle les activités subversives d’un grand nombre de politiciens et de journalistes iraniens, y compris des communistes qui reçoivent des pots-de-vin du gouvernement britannique et de l’AIOC.

 

Le gouvernement iranien réagit en fermant le consulat britannique. Le gouvernement britannique réagit en rappelant son ambassadeur, Francis Shepherd, à Londres. En octobre 1951, le Premier ministre Mohammad Mossadegh se rend à New York pour défendre personnellement le droit de l’Iran à nationaliser son industrie pétrolière devant le Conseil de sécurité des Nations unies. Le gouvernement britannique, en quête de soutien, avait porté sa cause devant les Nations unies pour qu’elle soit entendue. Mossadegh a fait une présentation spectaculaire et réussie, démontrant que les bénéfices pétroliers de la Grande-Bretagne pour la seule année 1950 étaient supérieurs à ce qu’elle avait versé à l’Iran au cours du demi-siècle précédent.

 

Mossadegh s’est ensuite rendu à Washington, où il a rencontré le président Harry S. Truman. Sa visite a été largement couverte par les journaux, les magazines, la télévision et les films d’actualités. À son retour en Iran, en novembre 1951, il s’est arrêté à l’aéroport Farouk du Caire, en Égypte, où il a été accueilli par des milliers d’admirateurs qui ont scandé “VIVE MOSSADEGH” et “VIVE L’IRAN”. Au cours de sa visite de quatre jours, le roi d’Égypte, le premier ministre, le cabinet et d’autres dignitaires ont honoré Mossadegh personnellement, et un dîner de gala a été organisé en son honneur par la municipalité du Caire. En janvier 1952, Mossadegh est nommé homme de l’année par le magazine Time, sa deuxième couverture par Time en l’espace de 7 mois.

 

L’HOMME DE L’ANNÉE
"Il a huilé les rouages du chaos" [sic]
TIME Magazine, 7 janvier 1952

 

En juin 1952, Mossadegh se rend à La Haye, aux Pays-Bas, et présente près de 200 documents à la Cour internationale concernant la nature hautement exploiteuse de l’AIOC et l’étendue de son intervention politique dans le système politique iranien. « Il n’y a pas de critère politique ou moral à l’aune duquel la Cour puisse mesurer son jugement dans le cas de la nationalisation de l’industrie pétrolière en Iran », a-t-il affirmé, et « nous n’accepterons en aucun cas la juridiction de la Cour sur ce sujet. Nous ne pouvons pas nous placer dans la situation dangereuse qui pourrait résulter de la décision de la Cour ». Le verdict sera annoncé plus tard et Mossadegh retournera à Téhéran après avoir gagné le respect des juges.

 

De retour en Iran, les conditions économiques et de sécurité se détériorent rapidement, aggravées par les activités de plus en plus subversives des puissances étrangères et de leurs agents. Lors d’une réunion en juillet 1952 avec le jeune monarque Mohammad Reza Shah, qui dirigeait l’armée, Mossadegh a demandé le contrôle des forces armées, ce qui lui a été refusé. En réponse, Mossadegh a immédiatement présenté sa démission en tant que Premier ministre.

 

Le lendemain, le Shah, à la demande des gouvernements britannique et usaméricain, nomme Ghavam Saltaneh au poste de Premier ministre. Ghavam Saltaneh adopte une ligne dure, ce qui ne fait qu’attiser la colère de la population qui était descendue dans la rue pour soutenir Mossadegh. Lors de la plus grande manifestation de rue, le 20 juillet 1952 (30 Tir 1331), les forces de sécurité affrontent violemment les manifestants, faisant des centaines de victimes. Le Shah, constatant l’ampleur du soutien de la population à Mossadegh, s’est alarmé et a changé de cap. Il nomme Mossadegh à la double fonction de Premier ministre et de ministre de la Défense, comme le permet la Constitution. Le même jour, la Cour internationale de La Haye se prononce en faveur de l’Iran, estimant qu’elle n’est pas compétente dans l’affaire du différend pétrolier. Le Conseil de sécurité des Nations unies rejette ensuite la plainte britannique contre l’Iran. Mossadegh est alors au sommet de son pouvoir et de sa popularité, salué comme un héros non seulement en Iran, mais aussi dans l’ensemble du Moyen-Orient.

 

En tant que dirigeant de l’Iran, Mossadegh a parrainé des lois pour un “gouvernement propre” et des systèmes judiciaires indépendants, a défendu la liberté de religion et d’affiliation politique, et a promu des élections libres. Il a mis en œuvre de nombreuses réformes sociales et s’est battu pour les droits des femmes, des travailleurs et des paysans. Un fonds a été créé pour financer des projets de développement rural et aider les agriculteurs. Conformément à sa politique d’“équilibre négatif”, une idée qui a contribué à la formation du mouvement des non-alignés, Mossadegh a également refusé d’accorder une concession pétrolière à l’Union soviétique. Plus important encore, Mossadegh a contribué à favoriser une autosuffisance nationale qui n’a jamais été égalée en Iran depuis son mandat : il a équilibré le budget, augmenté les productions non pétrolières et créé une balance commerciale. Sa politique s’est souvent heurtée à l’opposition du Shah, des généraux de l’armée, des principaux religieux, des propriétaires terriens, du parti Toudeh (communiste) et des gouvernements britannique et usaméricain. Néanmoins, Mossadegh a toujours pu compter sur le soutien du peuple.

 

Entretemps, les Britanniques ont continué à saper l’autorité de Mossadegh en incitant à la division dans le pays, en renforçant l’embargo mondial sur l’achat de pétrole iranien, en gelant les avoirs iraniens et en menaçant l’Iran d’une invasion par la constitution d’une force navale dans le golfe Persique. Toutes ces tentatives ayant échoué, la Grande-Bretagne a conclu que “Mossadegh doit partir” par tous les moyens nécessaires. En collaboration avec la CIA, ils ont fomenté un coup d’État pour renverser le gouvernement démocratiquement élu.

 

Le 15 août 1953, avec la participation du Shah et de ses collaborateurs iraniens, un plan élaboré par la CIA sous le nom de code “Opération Ajax”, dirigé par Kermit Roosevelt, a été mis en œuvre, mais il n’a pas réussi à déloger Mossadegh du pouvoir. Lors de la deuxième tentative, le 19 août 1953, [28 Mordad 1332] le gouvernement a été violemment renversé. Mossadegh échappe à la capture, mais sa maison est envahie, pillée et incendiée. Le lendemain, Mossadegh se rend aux autorités et est emprisonné. Au cours de cet épisode sanglant, plusieurs centaines de personnes ont été tuées ou blessées. Les partisans de Mossadegh ont été arrêtés, emprisonnés, torturés ou même assassinés. Le ministre des Affaires étrangères de Mossadegh, le Dr Hossein Fatemi, est entré dans la clandestinité mais a été capturé quelques mois plus tard. Il a été battu, poignardé 5 fois par Shaban Jafari, un ancien catcheur surnommé “Sans cervelle” et, après un simulacre de procès, exécuté par un peloton d’exécution. Le règne de la terreur avait commencé.



Jugé comme traître par un tribunal militaire, le 19 décembre 1953, Mossadegh déclare :

« Oui, mon péché - mon grand péché... et même mon plus grand péché - est d’avoir nationalisé l’industrie pétrolière iranienne et d’avoir mis fin au système d’exploitation politique et économique du plus grand empire du monde. ...Au prix de ma vie et de celle de ma famille, au risque de perdre ma vie, mon honneur et mes biens. ...Avec la bénédiction de Dieu et la volonté du peuple, j’ai combattu ce système sauvage et épouvantable d’espionnage international et de colonialisme.

 

« […] Je suis bien conscient que mon destin doit servir d’exemple à l’avenir dans tout le Moyen-Orient pour briser les chaînes de l’esclavage et de la servitude aux intérêts coloniaux ».

Mossadegh est déclaré coupable de trahison. Il est placé à l’isolement pendant trois ans, puis assigné à résidence jusqu’à la fin de sa vie dans son village ancestral d’Ahmad-Abad. Le 5 mars 1967, Mohammad Mossadegh meurt à l’âge de 85 ans, un an et dix mois après le décès de celle qui fut son épouse bien-aimée pendant 64 ans.

 


 

 

28/09/2022

JOHN PILGER
En Ukraine, les USA sont en train de nous entraîner dans une guerre contre la Russie
Un article de 2014 plus actuel que jamais

John Pilger, The Guardian, 13/5/2014

Pourquoi tolérons-nous la menace d’une nouvelle guerre mondiale qui se mènerait en notre nom ? Pourquoi tolérons-nous les mensonges qui justifient ce risque ? L’ampleur de notre endoctrinement, comme l’a écrit Harold Pinter, est « un tour d’hypnose brillant, spirituel même et couronné de succès », comme si la vérité « ne s’était jamais produite, alors même qu’elle se produisait ».


Un militant pro-russe avec une douille d'obus et un paquet-repas de fabrication usaméricaine tombés d'un véhicule blindé de l'armée ukrainienne lors de l'attaque d'un barrage routier le 3 mai 2014 à Andreïevka, dans l'oblast de Zaporijjia, en Ukraine. Photo : Scott Olson/Getty

Chaque année l’historien usaméricain William Blum publie son “résumé actualisé du bilan de la politique étrangère US” qui montre que, depuis 1945, les USA ont tenté de renversé plus de 50 gouvernements, la plupart démocratiquement élus , ont pratiqué une ingérence grossière dans les élections de 30 pays, bombardé la population civile de 30 pays, utilisé des armes chimiques et biologiques  et tenté d’assassiner des dirigeants étrangers.

Dans bien des cas la Grande-Bretagne joué le rôle de collabo. Le degré de souffrance humaine, pour ne pas parler de la criminalité, n’est jamais reconnu en Occident, malgré la soi-disant présence des technologies de communication les plus avancées, et des journalistes les plus libres du monde. Que les victimes les plus nombreuses du terrorisme – de “notre” terrorisme, soient des musulmans, ça, on ne peut pas le dire. Que le djihadisme extrémiste, à l’origine du 11 septembre, fut créé comme arme de la politique étrangère britannique (Opération Cyclone en Afghanistan) est occulté. En avril le département d’État usaméricain a noté que, à la suite de la campagne de l’OTAN de 2011, « la Libye est devenue un sanctuaire pour les terroristes ».

Le nom de “notre” ennemi a évolué au fil des années, du communisme à l’islamisme, mais il s’agit en général de n’importe quelle société indépendante du pouvoir de l’Occident et occupant des territoires stratégiques ou riches en ressources. Les leaders de ces pays gênanes sont généralement violemment mis à l’écart, comme les démocrates Muhammad Mossadegh en Iran et Salvador Allende au Chili, ou bien ils sont assassinés comme Patrice Lumumba au Congo. Ils font tous l’objet d’une campagne médiatique de caricature et de diabolisation – pensez à Fidel Castro, Hugo Chavez, et maintenant Vladimir Poutine.

Le rôle de Washington en Ukraine n’est différent que par ce qu’il implique pour nous tous. Pour la première fois depuis l’ère Reagan, les USA menacent d’entraîner le monde dans une guerre. Avec l’Europe de l’est et les Balkans devenus des bases militaires de l’OTAN, le dernier « état-tampon » frontalier de la Russie, est dévasté. Nous, les Occidentaux, soutenons des néo-nazis dans un pays ou les nazis ukrainiens nazis avaient soutenu Hitler. Après avoir orchestré le coup d’État de février contre le gouvernement démocratiquement élu à Kiev, Washington a échoué dans sa tentative de récupérer la base navale libre de glace, historiquement et légitimement russe de Crimée. Les Russes se sont défendus, comme ils l’ont toujours fait contre chaque invasion occidentale depuis presque un siècle.

Mais l’encerclement militaire par l’OTAN s’est accéléré, en même temps que des attaques orchestrées par les USA contre les Russes ethniques d’Ukraine. Si Poutine peut être poussé à aller les aider, son rôle prédéfini de “paria” justifiera une guerre de guérilla sous la houlette de l’OTAN susceptible de se propager à l’intérieur de la Russie elle-même.

Au lieu de cela, Poutine a a déconcerté le parti de la guerre en cherchant un terrain d’entente avec Washington et l’UE, en retirant ses troupes de la frontière ukrainienne et en incitant les Russes ethniques d’Ukraine orientale à abandonner le référendum provocateur du week-end. Ces russophones bilingues – un tiers de la population de l’Ukraine – ont longtemps souhaité l’avènement d’une fédération qui reflète la diversité ethnique du pays et qui soit à la fois autonome et indépendante vis-à-vis de Moscou. La plupart ne sont ni des « séparatistes » ni « des rebelles » mais simplement des citoyens souhaitant vivre en sécurité dans leur pays.

Comme les ruines de l’Irak et de l’Afghanistan, l’Ukraine a été transformée en un parc d’attractions de la CIA – dirigé par le directeur de la CIA John Brennan à Kiev, avec des “unités spéciales” de la CIA et du FBI qui mettent en place une “structure de sécurité” afin de superviser les attaques sauvages contre ceux qui se sont opposés au coup d’État de février. Regardez les vidéos, lisez les témoignages oculaires du massacre d’Odessa. Des voyous fascistes amenés en bus ont brulé le siège central des syndicats, tuant 41 personnes bloquées à l’intérieur. Regardez les policiers présents les laissant agir. Un médecin a décrit sa tentative d’aller aider les gens, « mais j’ai étais stoppé par des nazis pro-ukrainiens. L’un deux m’a violemment poussé, en me promettant que bientôt ce serait mon tour à moi et aux autres Juifs d’Odessa… Je me demande pourquoi le monde entier reste silencieux. »

Les Ukrainiens russophones se battent pour leur survie. Quand Poutine a annoncé le retrait des troupes russes de la frontière, le secrétaire à la défense de la junte, à Kiev – un des membres fondateurs du parti fasciste « Svoboda », a déclaré que les attaques contre « les insurgés » allaient continuer. Dans un style orwellien, la propagande occidentale a rejeté la faute sur Moscou « qui orchestre le conflit et la provocation », selon William Hague, le secrétaire britannique aux Affaires étrangères. Son cynisme n’a d’égales que les grotesques félicitations d’Obama à la junte pour sa « retenue remarquable » à la suite du massacre d’Odessa. Illégale et fasciste, la junte est décrite par Obama comme « légalement élue ». Ce qui compte ce n’est pas la vérité, a dit un jour Henry Kissinger, mais “ce qui est perçu comme vrai”.

Dans les médias usaméricains les atrocités d’Odessa ont été minimisées : une affaire « louche » et une « tragédie » dans laquelle des « nationalistes » (néo-nazis) ont attaqué des « séparatistes » (des personnes en train de collecter des signatures pour un référendum sur une Ukraine fédérale). Le Wall Street Journal de Rupert Murdoch a blâmé les victimes – « Un incendie meurtrier en Ukraine probablement allumé par les rebelles, selon le gouvernement ». La propagande en Allemagne est digne de la guerre froide, avec la Frankfurter Allgemeine Zeitung mettant en garde ses lecteurs contre la Russie et sa “guerre non déclarée”. Pour les Allemands, le fait que Poutine soit le seul dirigeant à condamner la montée du fascisme au 21ème siècle relève d’ une ironie sournoise.

Un poncif populaire veut que “le monde ait changé” à la suite du 11 septembre. Mais qu’est ce qui a changé ? Selon le fameux lanceur d’alerte Daniel Ellsberg, un coup d’État silencieux a eu lieu à Washington et un militarisme rampant est maintenant aux commandes. Le Pentagone dirige en ce moment des « opérations spéciales » – des guerres secrètes – dans 124 pays. Aux USA, une montée de la pauvreté et une hémorragie de la liberté sont les corollaires historiques d’un état de guerre perpétuel. Ajoutez à cela le risque de guerre nucléaire, et une question s’impose : pourquoi est-ce qu’on tolère ça ?