Interrogé vendredi après-midi dans le Bureau ovale, Donald Trump a nié avoir connaissance des faits relatés ci-dessous : «Je ne sais rien à ce sujet. C’est la première fois que j’en entends parler». No comment [NdT]
L’opération de 2019, approuvée par le président Trump, visait à obtenir un avantage stratégique. Elle a provoqué la mort de civils nord-coréens désarmés.
Dave
Philipps et Matthew Cole, The New York Times,
5/9/2025
Julian E. Barnes, Adam Entous et Eric Schmitt ont contribué au reportage.
Traduit par Tlaxcala
Dave Philipps est correspondant national pour The New York Times, spécialisé sur la guerre, l’armée et les anciens combattants, couvrant le Pentagone.Matthew Cole est un journaliste indépendant, auteur de Code Over Country: The Tragedy and Corruption of SEAL Team 6. Il a travaillé pour The Intercept et a été producteur d’enquêtes pour NBC News et ABC News.
Un groupe de Navy SEAL émergea de
l’océan noir d’encre par une nuit d’hiver début 2019 et se faufila jusqu’à une
côte rocheuse de Corée du Nord. Ils étaient en mission top secrète, si complexe
et cruciale que tout devait se dérouler parfaitement.
L’objectif était de poser un
dispositif électronique qui permettrait aux USA d’intercepter les
communications du dirigeant nord-coréen reclus, Kim Jong-un, en plein cœur de
pourparlers nucléaires de haut niveau avec le président Trump.
La mission avait le potentiel
d’offrir aux USA un flux de renseignements précieux. Mais elle impliquait de
placer des commandos usaméricains sur le sol nord-coréen — une manœuvre qui, si
elle était découverte, pouvait non seulement faire échouer les négociations,
mais aussi provoquer une prise d’otages ou une escalade du conflit avec un
ennemi doté de l’arme nucléaire.
Le risque était tel qu’il
exigeait l’approbation directe du président.
Pour cette opération, l’armée
choisit l’escadron rouge de la SEAL Team Six — la même
unité qui avait tué Oussama ben Laden. Les SEAL s’entraînèrent pendant des
mois, conscients que chaque geste devait être parfait. Mais lorsqu’ils
atteignirent, vêtus de combinaisons noires et de lunettes de vision nocturne,
ce qu’ils pensaient être une côte déserte, la mission capota rapidement.
Un bateau nord-coréen surgit de
l’obscurité. Des faisceaux lumineux balayèrent la surface de l’eau. Craignant
d’avoir été repérés, les SEAL ouvrirent le feu. En quelques secondes, tous les
occupants du bateau nord-coréen étaient morts.
Les SEAL se replièrent en mer
sans avoir posé le dispositif d’écoute.
L’opération de 2019 jamais
reconnue
L’opération de 2019 n’a jamais
été publiquement reconnue, ni même évoquée, ni par les USA ni par la Corée du
Nord. Les détails restent classifiés et sont ici rapportés pour la première
fois. L’administration Trump n’a pas informé les principaux membres du Congrès
chargés de superviser les opérations de renseignement, ni avant ni après la mission.
Ce défaut d’information pourrait avoir constitué une violation de la loi.
La Maison-Blanche a refusé tout
commentaire.
Ce récit s’appuie sur des
entretiens avec deux douzaines de personnes, dont des responsables civils du
gouvernement, des membres de la première administration Trump, ainsi que des
militaires en activité ou anciens ayant connaissance de la mission. Tous se
sont exprimés sous condition d’anonymat en raison du caractère classifié de
l’opération.
Plusieurs d’entre eux ont dit
vouloir discuter des détails de la mission parce qu’ils s’inquiétaient du fait
que les échecs des opérations spéciales soient souvent dissimulés par le secret
gouvernemental. Si le public et les décideurs ne prennent conscience que des
succès médiatisés, comme le raid qui a tué Ben Laden au Pakistan, ils risquent
de sous-estimer les risques extrêmes que prennent les forces usaméricaines.
L’opération militaire sur le sol
nord-coréen, à proximité de bases usaméricaines en Corée du Sud et dans le
Pacifique, risquait également de déclencher un conflit plus large avec un
adversaire hostile, doté de l’arme nucléaire et fortement militarisé.
Le New York Times procède
avec prudence lorsqu’il rend compte d’opérations militaires classifiées. Le
journal a occulté certaines informations sensibles concernant la mission en
Corée du Nord qui pourraient compromettre de futures opérations spéciales et
missions de renseignement.
On ignore dans quelle mesure la
Corée du Nord a pu découvrir des éléments sur la mission. Mais cette opération
des SEAL constitue un épisode d’un effort de plusieurs décennies des
administrations usaméricaines pour engager la Corée du Nord et limiter son
programme nucléaire. Presque rien de ce qu’ont tenté les USA — ni les promesses
de rapprochement, ni la pression des sanctions — n’a fonctionné.
En 2019, Trump entreprenait une
démarche personnelle envers Kim, à la recherche d’une avancée que ses
prédécesseurs n’avaient pas réussi. Mais ces pourparlers s’effondrèrent, et le
programme nucléaire nord-coréen accéléra. Le gouvernement usaméricain estime
désormais que la Corée du Nord possède environ 50 armes nucléaires et des
missiles capables d’atteindre la côte ouest des USA. Kim a promis de continuer
à développer son programme nucléaire de manière « exponentielle » afin de
dissuader ce qu’il appelle les provocations usaméricaines.
Points aveugles
La mission des SEAL visait à corriger
un angle mort stratégique. Depuis des années, les agences de renseignement usaméricaines
avaient trouvé presque impossible de recruter des sources humaines ou
d’intercepter des communications dans l’État autoritaire et refermé de la Corée
du Nord.
Comprendre la pensée de Kim
devint une priorité majeure dès l’arrivée de Trump à la Maison-Blanche. Le
dirigeant nord-coréen paraissait de plus en plus imprévisible et dangereux, et
sa relation avec Trump oscillait de façon erratique entre lettres d’amitié et
menaces publiques de guerre nucléaire.
En 2018, les relations semblaient
s’orienter vers la paix. La Corée du Nord suspendit ses essais nucléaires et
balistiques, et les deux pays entamèrent des négociations. Mais les USA
n’avaient toujours que très peu d’informations sur les intentions de Kim.
Au milieu de cette incertitude,
les agences de renseignement usaméricaines révélèrent à la Maison-Blanche
qu’elles disposaient d’une solution au problème : un dispositif électronique
nouvellement développé, capable d’intercepter les communications de Kim.
Le hic, c’est que quelqu’un
devait s’infiltrer pour l’installer.
La mission fut confiée à la SEAL
Team 6 en 2018, selon des responsables militaires.
Même pour la Team 6, la mission allait
être extraordinairement difficile. Habitués à des raids rapides en Afghanistan
ou en Irak, les SEAL allaient devoir survivre pendant des heures dans une mer
glaciale, échapper aux forces de sécurité sur terre, installer un dispositif
technique avec précision, puis s’exfiltrer sans être détectés.
L’exfiltration était vitale. Au
cours du premier mandat de Trump, les plus hauts responsables du Pentagone
pensaient que même une petite action militaire contre la Corée du Nord pouvait
provoquer des représailles catastrophiques de la part d’un adversaire disposant
d’environ 8 000 pièces d’artillerie et de lance-roquettes pointés sur les
quelque 28 000 soldats usaméricains stationnés en Corée du Sud, sans compter
des missiles à capacité nucléaire pouvant atteindre les USA.
Mais les SEAL croyaient pouvoir
réussir, car ils avaient déjà mené une opération similaire.
En 2005, des SEAL avaient utilisé
un mini-sous-marin pour débarquer en Corée du Nord et repartir sans être
repérés, selon des personnes informées de cette mission. L’opération de 2005,
menée sous la présidence de George W. Bush, n’avait encore jamais été rendue
publique.
Les SEAL proposaient de réitérer
l’exploit. À l’automne 2018, alors que des négociations de haut niveau avec la
Corée du Nord étaient en cours, le Commandement des opérations spéciales
conjointes, qui supervise la Team 6, reçut l’autorisation de Trump de commencer
les préparatifs, selon des responsables militaires. On ignore si l’intention de
Trump était d’obtenir un avantage immédiat dans les négociations ou si
l’objectif était plus large.
Le Commandement des opérations
spéciales conjointes a refusé de commenter.
Le plan prévoyait que la marine
infiltre un sous-marin nucléaire, long comme près de deux terrains de football
(200 m.), dans les eaux proches de la Corée du Nord, puis déploie une petite
équipe de SEAL dans deux mini-sous-marins, chacun de la taille approximative d’un
orque, qui rejoindraient silencieusement le rivage.
Ces mini-sous-marins étaient des
« sous-marins humides », ce qui signifiait que les SEAL y circulaient immergés
dans une eau à 4 °C pendant environ deux heures, utilisant du matériel de
plongée et des combinaisons chauffantes pour survivre.
Près de la plage, les
mini-sous-marins devaient libérer un groupe d’environ huit SEAL qui nageraient
jusqu’à la cible, installeraient le dispositif, puis replongeraient
discrètement dans la mer.
Mais l’équipe faisait face à une
limitation majeure : elle s’engageait presque à l’aveugle.
Normalement, les forces
d’opérations spéciales disposent de drones au-dessus de la zone de mission,
transmettant une vidéo haute définition en direct, que les SEAL au sol et les
responsables dans des centres de commandement éloignés utilisent pour diriger
l’action en temps réel. Ils peuvent souvent écouter les communications
ennemies.
En Corée du Nord, tout drone
serait immédiatement repéré. La mission devait donc se reposer uniquement sur
des satellites en orbite et des avions espions à haute altitude opérant dans
l’espace aérien international, qui ne pouvaient fournir que des images fixes de
faible résolution, selon des responsables.
Ces images arrivaient avec
plusieurs minutes de retard, dans le meilleur des cas. Et elles ne pouvaient
pas être transmises aux mini-sous-marins, car une seule communication cryptée
risquait de révéler l’opération. Tout devait donc se dérouler presque sous un
blackout total des communications.
Si quelque chose attendait les SEAL
sur la côte, ils ne le sauraient que trop tard.
L’opération capote
La SEAL Team 6 s’entraîna pendant
des mois dans les eaux usaméricaines et poursuivit ses préparatifs jusqu’aux
premières semaines de 2019. En février, Trump annonça qu’il rencontrerait Kim
pour un sommet nucléaire au Vietnam à la fin du mois.
Pour cette mission, la SEAL Team
6 s’associa avec l’équipe sous-marine d’élite de la Navy, le SEAL Delivery
Vehicle Team 1, spécialisée depuis des années dans les opérations d’espionnage
avec mini-sous-marins. Les SEAL embarquèrent sur le sous-marin nucléaire et
mirent le cap vers la Corée du Nord. Quand le submersible atteignit l’océan
ouvert et s’apprêta à entrer en blackout de communications, Trump donna son feu
vert final.
On ignore quels facteurs Trump
prit en compte en approuvant la mission des SEAL. Deux de ses plus hauts
responsables de la sécurité nationale de l’époque — son conseiller à la
sécurité nationale, John Bolton, et le secrétaire à la défense par intérim,
Patrick M. Shanahan — ont refusé de commenter cet article.
Le sous-marin approcha de la côte
nord-coréenne et lança deux mini-sous-marins, qui rejoignirent un point à une
centaine de mètres du rivage, dans des eaux claires et peu profondes.
Les planificateurs de la mission
avaient tenté de compenser l’absence de vidéo en direct en passant des mois à
observer les allées et venues dans la zone. Ils étudièrent les habitudes de
pêche et choisirent un moment où le trafic maritime serait réduit. Le
renseignement suggérait que si les SEAL arrivaient silencieusement au bon
endroit, au cœur de la nuit en hiver, ils ne devraient rencontrer personne.
La nuit était calme, la mer
tranquille. Alors que les mini-sous-marins glissaient vers la cible, leurs
capteurs confirmaient les informations de renseignement : la côte semblait
déserte.
Les mini-sous-marins atteignirent
le point où ils devaient se poser sur le fond marin. C’est là que l’équipe
commit peut-être la première de trois petites erreurs, qui paraissaient
anodines sur le moment mais qui pouvaient avoir condamné la mission.
Dans l’obscurité, le premier
mini-sous-marin se posa au fond comme prévu, mais le second dépassa la zone et
dut faire demi-tour, selon des responsables.
Le plan exigeait que les
mini-sous-marins soient orientés dans la même direction. Mais après le
demi-tour, ils pointaient en sens opposés. Le temps pressait, l’équipe décida
donc de libérer le groupe de nageurs et de corriger ce problème plus tard.
Les trappes s’ouvrirent, et les SEAL
— tous équipés d’armes intraçables, chargées de munitions tout aussi
intraçables — nagèrent silencieusement jusqu’au rivage avec le dispositif
d’écoute.
Tous les quelques mètres, les SEAL
sortaient légèrement la tête de l’eau noire pour scruter les environs. Tout
paraissait calme.
Ce fut peut-être une deuxième
erreur. Flottant dans l’obscurité se trouvait un petit bateau. À bord, un
équipage de Nord-Coréens, difficiles à détecter parce que les capteurs des
lunettes de vision nocturne des SEAL repéraient surtout la chaleur, et que les
combinaisons de plongée portées par les Nord-Coréens avaient été refroidies par
l’eau glaciale.
Les SEAL atteignirent la côte,
persuadés d’être seuls, et commencèrent à retirer leur équipement de plongée.
La cible n’était qu’à quelques centaines de mètres.
De retour aux mini-sous-marins,
les pilotes réorientèrent celui qui faisait face au mauvais côté. Avec les
trappes de cockpit ouvertes pour la visibilité et la communication, un pilote
lança le moteur électrique et fit pivoter l’engin.
C’était probablement une
troisième erreur. Certains SEAL ont plus tard supposé que le sillage du moteur
avait pu attirer l’attention du bateau nord-coréen. Et si l’équipage entendit
un bruit d’eau, il put apercevoir la lumière provenant des cockpits ouverts des
mini-sous-marins dans l’obscurité.
Le bateau commença à se diriger
vers les mini-sous-marins. Les Nord-Coréens balayaient l’eau avec leurs lampes
torches et parlaient comme s’ils avaient remarqué quelque chose.
Certains pilotes de
mini-sous-marins expliquèrent plus tard lors de débriefings qu’à leurs yeux,
observant depuis l’eau claire, le bateau paraissait encore à distance sûre, et
ils doutaient qu’ils aient été repérés. Mais pour les SEAL sur la côte, dans la
mer sombre et uniforme, le bateau semblait quasiment sur eux.
Un
mini-sous-marin de la Navy, appelé SEAL Delivery Vehicle, lors d’un exercice en
2007. Des engins similaires furent utilisés lors de la mission de 2019.
Photo US Navy / Département de la Défense
Avec les communications coupées,
impossible pour l’équipe à terre de consulter les pilotes sous-marins. Les
faisceaux du bateau balayaient l’eau. Les SEAL ignoraient s’il s’agissait d’une
patrouille de sécurité les traquant ou de simples pêcheurs, inconscients de la
mission à haut risque en cours.
Un homme du bateau nord-coréen
plongea dans la mer.
Si l’équipe côtière rencontrait
des problèmes, le sous-marin nucléaire disposait d’un groupe de renforts SEAL avec
des embarcations gonflables rapides. Plus au large, des aéronefs furtifs
étaient positionnés sur des navires usaméricains, avec encore davantage de
troupes des opérations spéciales prêtes à intervenir.
Les SEAL faisaient face à une
décision critique, mais sans aucun moyen de discuter de la marche à suivre. Le
commandant de mission se trouvait à des kilomètres, à bord du grand sous-marin.
Sans drones ni communications, nombre des avantages technologiques sur lesquels
comptent normalement les SEAL avaient disparu, laissant quelques hommes en
néoprène, incertains de ce qu’il fallait faire.
Alors que l’équipe côtière
observait le Nord-Coréen dans l’eau, le sous-officier le plus expérimenté sur
place choisit une ligne de conduite. Sans un mot, il épaula son fusil et tira.
Les autres SEAL firent instinctivement de même.
Compromission et fuite
Si les SEAL doutaient encore que
leur mission ait été compromise avant d’ouvrir le feu, ils n’avaient plus
aucune incertitude après. Le plan prévoyait que les SEAL abandonnent
immédiatement s’ils rencontraient qui que ce soit. Les forces de sécurité
nord-coréennes pouvaient déjà être en route. Il n’y avait plus de temps pour
poser le dispositif.
L’équipe à terre nagea jusqu’au
bateau pour s’assurer que tous les Nord-Coréens étaient morts. Ils ne
trouvèrent ni armes ni uniformes. Tout indiquait que l’équipage — composé,
selon les personnes informées, de deux ou trois personnes — était constitué de
civils pratiquant la pêche sous-marine. Tous étaient morts, y compris l’homme
tombé à l’eau.
Des responsables familiers de la
mission affirmèrent que les SEAL tirèrent les corps dans l’eau afin de les
dissimuler aux autorités nord-coréennes. L’un ajouta que les commandos
percèrent les poumons des victimes avec des couteaux pour s’assurer que leurs
corps couleraient.
Les SEAL regagnèrent les
mini-sous-marins et envoyèrent un signal de détresse. Craignant que les
commandos ne soient sur le point d’être capturés, le grand sous-marin nucléaire
manœuvra en eaux peu profondes, tout près de la côte — une prise de risque
majeure — pour les récupérer. Il prit ensuite la fuite vers le large.
Tout le personnel militaire usaméricain
s’en sortit indemne.
Immédiatement après, des
satellites espions usaméricains détectèrent une forte activité militaire
nord-coréenne dans la zone, selon des responsables usaméricains. La Corée du
Nord ne fit aucune déclaration publique sur ces morts, et les responsables usaméricains
affirmèrent qu’il n’était pas clair si les Nord-Coréens avaient jamais compris
ce qui s’était passé et qui en était responsable.
Le sommet nucléaire au Vietnam
eut lieu comme prévu à la fin février 2019, mais les pourparlers s’achevèrent
rapidement sans accord.
En mai, la Corée du Nord avait
repris ses essais de missiles.
Trump et Kim se rencontrèrent une
dernière fois en juin dans la zone démilitarisée entre les deux Corées. Ce fut
un moment de télévision spectaculaire, avec Trump franchissant même brièvement
la frontière vers le Nord. Mais la rencontre ne produisit guère plus qu’une
poignée de main.
Dans les mois qui suivirent, la
Corée du Nord tira plus de missiles qu’au cours de toute autre année
précédente, y compris certains capables d’atteindre les USA. Depuis, selon les
estimations usaméricaines, la Corée du Nord a accumulé 50 ogives nucléaires et
de la matière pour en produire environ 40 de plus.
Un bilan inégal
La mission avortée des SEAL entraîna
une série de révisions militaires durant le premier mandat de Trump. Elles
conclurent que le meurtre de civils avait été justifié selon les règles
d’engagement, et que l’échec de la mission résultait d’un enchaînement
malheureux de circonstances imprévisibles et inévitables. Les conclusions
restèrent classifiées.
L’administration Trump ne révéla
jamais l’opération ni ses conclusions aux dirigeants des commissions clés du
Congrès chargées de superviser les activités militaires et de renseignement,
selon des responsables gouvernementaux. Ce faisant, l’administration aurait pu
violer la loi fédérale, a affirmé Matthew Waxman, professeur de droit à
l’Université Columbia et ancien responsable de la sécurité nationale sous le
président George W. Bush.
Waxman a expliqué que la loi
contient des zones grises qui laissent aux présidents une certaine marge de
manœuvre quant aux informations transmises au Congrès. Mais pour les missions
les plus conséquentes, l’obligation d’informer tend à être plus forte.
« Le but est de s’assurer que le
Congrès n’est pas tenu dans l’ignorance quand des choses majeures se déroulent
», dit Waxman. « C’est exactement le type d’opérations qui devrait normalement
être signalé aux commissions, et sur lesquelles ces commissions s’attendent à être informées.
»
Beaucoup des personnes impliquées
dans la mission ont ensuite été promues.
Mais l’épisode inquiéta certains
responsables militaires expérimentés, au courant de l’opération, car les SEAL ont
un bilan inégal qui, depuis des décennies, est largement occulté par le secret.
Les unités d’opérations spéciales
d’élite se voient régulièrement confier les tâches les plus difficiles et
dangereuses. Au fil des années, les SEAL ont enregistré de grands succès,
notamment l’élimination de chefs terroristes, des sauvetages spectaculaires
d’otages et l’opération contre Ben Laden, qui ont forgé une image quasi
surhumaine auprès du public.
Mais pour certains militaires
ayant travaillé avec eux, les SEAL ont la réputation de concevoir des missions
excessivement audacieuses et complexes qui tournent mal. La première mission de
la Team 6, lors de l’invasion de la Grenade en 1983, en est un exemple parlant.
Le plan consistait à sauter en
parachute dans la mer, foncer vers la côte en bateaux rapides et placer des
balises pour guider les forces d’assaut vers l’aéroport de l’île. Mais l’avion
des SEAL décolla en retard ; ils sautèrent de nuit dans des conditions
orageuses, chargés d’équipements lourds. Quatre SEAL se noyèrent, et les
embarcations des autres chavirèrent.
L’aéroport fut ensuite pris par
des Rangers de l’armée usaméricaine, parachutés directement sur la piste.
Depuis, les SEAL ont monté
d’autres missions complexes et audacieuses qui se sont effondrées, au Panama,
en Afghanistan, au Yémen et en Somalie. Lors d’une mission de sauvetage en
Afghanistan en 2010, des SEAL de la Team 6 tuèrent accidentellement, à la
grenade, l’otage qu’ils tentaient de libérer, puis induisirent leurs supérieurs
en erreur sur les circonstances de sa mort.
En partie à cause de ce bilan, le
président Barack Obama limita les missions d’opérations spéciales à la fin de
son second mandat et renforça la supervision, réservant les raids complexes de
commandos à des situations extraordinaires, comme les sauvetages d’otages.
La première administration Trump
annula bon nombre de ces restrictions et réduisit le niveau de délibération
nécessaire pour les missions sensibles. Quelques jours après son entrée en
fonction en 2017, Trump court-circuita en grande partie le processus
décisionnel établi pour approuver un raid de la Team 6 contre un village au
Yémen. Cette mission laissa 30 villageois et un SEAL morts, et détruisit un
avion de 75 millions de dollars.
Lorsque le président Joseph R.
Biden Jr. succéda à Trump, la gravité de la mission en Corée du Nord attira un
regain d’attention. Son secrétaire à la Défense, Lloyd J. Austin III, ordonna
une enquête indépendante, confiée au lieutenant-général à la tête du bureau de
l’inspecteur général de l’armée.
En 2021, l’administration Biden
informa les principaux membres du Congrès des conclusions, selon un ancien
responsable gouvernemental.
Ces conclusions restent
classifiées.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire