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27/09/2025

OFER ADERET
L’historien israélien Avi Shlaim a tourné le dos au sionisme il y a longtemps. Aujourd’hui, il soutient le Hamas

Depuis l’université d’Oxford, Shlaim affirme que le Hamas incarne la résistance palestinienne, s’éloignant ainsi même de ses collègues les plus radicaux.

Ofer Aderet, Haaretz, 25/9/2025
Traduit par Tlaxcala


Avi Shlaim : « Les jeunes Arabes et musulmans me remercient de parler en leur nom. » Photo Charlie Bibby/The Financial Times Ltd

Résumé : L’historien Avi Shlaim, universitaire juif israélien à l’université d’Oxford, est devenu une figure controversée [en Israël, NdT] en raison de ses critiques acerbes à l’égard d’Israël et de sa vision du Hamas comme un mouvement de résistance légitime, en particulier depuis les événements du 7 octobre. Dans une interview, Shlaim revient sur son parcours, qui l’a mené du patriotisme sioniste à la critique virulente, en s’appuyant sur son histoire personnelle en tant que Juif irakien et sur des décennies de recherches dans les archives. À l’approche de son 80e anniversaire, il appelle à une réévaluation fondamentale du discours israélien sur le conflit.

Six mois après l’attaque du 7 octobre, une vidéo a été mise en ligne, provoquant la colère de nombreux internautes. L’homme qui y apparaît est le professeur Avi Shlaim, historien juif israélien de l’université d’Oxford. À première vue, il ressemble à un gentil grand-père britannique, avec sa chevelure blanche et son élocution lente et douce. Mais ses propos sont loin d’être agréables à entendre pour les Israéliens.

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« Le Hamas est le seul groupe palestinien qui incarne la résistance à l’occupation israélienne », déclarait-il dans la vidéo. « En lançant l’attaque contre Israël le 7 octobre, le Hamas a envoyé un message fort : les Palestiniens ne seront pas mis à l’écart, la résistance palestinienne n’est pas morte. Même si l’Autorité palestinienne collabore avec Israël en Cisjordanie, le Hamas continuera à mener la lutte pour la liberté et l’indépendance des Palestiniens. »

En octobre, Shlaim fêtera son 80e  anniversaire chez lui, à Oxford. « Depuis le début de la guerre, je suis devenu une sorte de célébrité. Les gens me reconnaissent dans la rue et me serrent la main. C’est une nouvelle expérience pour moi », déclare-t-il dans une interview accordée au magazine Haaretz Weekend.

« Les jeunes Arabes et musulmans me remercient de parler en leur nom, de leur donner une voix et de l’espoir pour l’avenir, et de leur redonner confiance dans les Juifs. »

Et qu’en est-il de l’autre côté ?

« Je reçois également des courriels hostiles et des menaces de mort, mais pour chacun d’entre eux, il y en a dix positifs. Je reçois de plus en plus de soutien et de moins en moins de critiques. Dans le passé, chaque fois que je m’exprimais devant un public, il y avait toujours un étudiant juif qui me contestait et défendait Israël. Depuis le début de la guerre à Gaza, cela ne s’est pas produit une seule fois. Israël a aliéné même ses propres partisans. Il est responsable de l’effondrement spectaculaire de sa réputation.

Les médias occidentaux continuent de pencher en faveur d’Israël et ne relaient pas le discours du Hamas, mais les jeunes n’écoutent plus la BBC et ne lisent plus les journaux : ils s’informent via les réseaux sociaux. C’est ainsi que j’explique le soutien croissant dont je bénéficie. »

Quel est le « discours » du Hamas dans ce cas ?

« J’ai étudié le récit du Hamas concernant l’attaque du 7 octobre et la guerre. Expliquer le comportement du Hamas n’est pas la même chose que le justifier. Tuer des civils est mal, point final. Mais comme toujours, le contexte est crucial. Les Palestiniens vivent sous occupation. Ils ont le droit de résister, y compris par la résistance armée. Les combattants du Hamas ont reçu des instructions explicites pour l’attaque, et il y avait des cibles militaires spécifiques. Le Hamas a d’abord frappé des bases militaires et tué des soldats, des policiers et des membres des  forces de sécurité. Ce n’est pas un crime de guerre. Les choses ont ensuite dégénéré. »

Ce n’est pas vrai. Les militants du Hamas ont envahi les kibboutzim équipés de cartes, avec l’intention de tuer des civils.

« Je dénonce l’attaque du Hamas contre Israël parce qu’il s’agissait d’une attaque terroriste, dans le sens où elle a fait des victimes parmi les civils. Mais elle ne s’est pas produite dans le vide. Elle est le résultat de décennies d’occupation militaire, la plus longue et la plus brutale de l’histoire moderne. La réponse d’Israël a été complètement folle et irrationnelle. Même si Israël a le droit de se défendre – pour utiliser ce terme familier –, sa réponse doit rester dans les limites du droit international. Je condamne la réponse d’Israël à l’attaque. »



Le kibboutz Be’eri après le massacre du 7 octobre. Shlaim fait la distinction entre expliquer le comportement du Hamas et le justifier. Photo Olivier Fitoussi

C’est difficile à croire, mais dans son enfance en Israël, Shlaim admirait l’État même qu’il condamne aujourd’hui.

« À l’école, j’ai appris la version sioniste du conflit et je l’ai acceptée sans poser de questions. J’étais un Israélien patriote ; j’avais confiance en la justesse de notre cause. Nous considérions Israël comme un petit pays épris de paix, entouré d’Arabes hostiles qui voulaient nous jeter à la mer. Je croyais que nous n’avions pas d’autre choix que de nous battre », dit-il.

À la veille de la guerre des Six Jours, alors qu’il était déjà étudiant à l’université de Cambridge, il a même frappé à la porte de l’ambassade d’Israël à Londres et demandé à s’enrôler.

« Je me sentais partie prenante du projet sioniste. Je voulais rentrer et servir dans la guerre que nous savions tous inévitable. Ils ont pris mes coordonnées, mais je n’ai plus jamais eu de nouvelles », dit-il, résumant ainsi le chapitre pro-israélien de sa vie.

L’école a peut-être essayé de rapprocher Shlaim du sionisme, mais il a grandi dans une famille non sioniste qui se considérait comme faisant partie du monde arabe. Il est né à Bagdad en 1945 dans une famille juive riche et bien enracinée.

« Nous étions privilégiés. Nous vivions dans une maison qui ressemblait presque à un palais et avions des domestiques », se souvient-il. Son père, importateur de matériaux de construction, avait des liens avec de nombreux ministres irakiens.

« C’était un système corrompu. Il fournissait gratuitement des matériaux de construction aux ministres qui construisaient des maisons, et ceux-ci le « rémunéraient » en échange. »

Étiez-vous des Juifs irakiens ou des Irakiens juifs ?

« Irakiens d’abord, puis Juifs. À la maison, nous ne parlions qu’arabe. Notre alimentation et nos coutumes sociales étaient arabes. Nous avions des racines profondes dans le pays. Le judaïsme n’était pas une religion pour nous, mais une identité culturelle. La communauté juive était très intégrée dans la société locale. Ma famille avait de nombreux amis chrétiens et musulmans. Ma mère aimait parler de nos merveilleux amis musulmans. Quand je lui ai demandé si nous avions des amis sionistes, elle m’a répondu que non, car ça ne faisait pas partie de notre monde.

« Nous vivions en coexistence avec les Arabes. Ce n’était pas un rêve lointain comme aujourd’hui, mais une réalité quotidienne qui existait avant la montée du sionisme et la création de l’État d’Israël. »

Dans un article publié plus tôt cette année, vous avez écrit à propos de votre enfance : « Nous avions l’impression d’avoir été enrôlés de force dans le projet sioniste. » Étiez-vous antisioniste ?

« Ma famille n’a jamais été sioniste. Le sionisme était un mouvement des Juifs européens et s’adressait à ceux-ci. Les dirigeants sionistes ne se sont jamais intéressés aux Juifs du monde arabe. Ils considéraient le monde arabe comme primitif et culturellement inférieur. Ce n’est qu’après l’Holocauste que le mouvement sioniste a commencé à rechercher des Juifs partout, y compris dans le monde arabe. Ma famille ne s’intéressait pas à Israël et ne voulait pas y aller. »

Vous êtes né quatre ans après le Farhud, le pogrom contre les Juifs de Bagdad perpétré par des émeutiers arabes pendant la fête de Shavuot en 1941. Cet événement a marqué l’histoire des Juifs irakiens. Dans votre article, vous dites que « le Farhud était une exception plutôt que la norme ». N’êtes-vous pas trop indulgent envers les Arabes ?

« Le sionisme affirme que l’antisémitisme était une pandémie qui s’est propagée aux mondes arabe et musulman, et que c’est la raison pour laquelle les Juifs ont émigré en Israël après sa création. Mais le Farhud était un phénomène plus complexe qu’une simple explosion de haine et de violence envers les Juifs. Il s’inscrivait dans le cadre d’un soulèvement national contre les Britanniques, au cours duquel l’ordre public s’est effondré. L’antisémitisme était certes un élément majeur, mais le colonialisme et l’impérialisme britanniques l’étaient tout autant. »

Malgré tout, en 1950, Shlaim a immigré en Israël avec sa famille. Leur déménagement a fait suite à une aggravation de leur situation après la guerre d’indépendance de 1948 et à la décision du gouvernement irakien d’autoriser les Juifs à quitter le pays.

Avi Shlaim avec ses parents et sa sœur en Irak, en 1947. Irakiens d’abord, puis Juifs.

« Les Juifs ont été renvoyés de la fonction publique, leurs activités bancaires et commerciales ont été restreintes et ils ont été persécutés par le gouvernement. Mais mon père ne voulait pas partir », explique Shlaim.

Alors pourquoi êtes-vous parti ? Et pourquoi en Israël ?

« Le véritable tournant dans l’histoire des Juifs irakiens n’a pas eu lieu en 1941, mais en 1948, avec la création de l’État d’Israël et la défaite humiliante des Arabes dans la guerre pour la Palestine. En mars 1950, le gouvernement irakien a adopté une loi autorisant les Juifs, pour une période limitée à un an, à quitter légalement le pays avec un visa d’aller simple, sans autre passeport. Le seul pays où ils pouvaient se rendre était Israël, avec une valise et 50 dinars. Les organisations sionistes ont organisé leur transport aérien.

« Oui, le principal motif de leur départ était l’hostilité généralisée de la population et la persécution officielle. Néanmoins, seuls quelques milliers de Juifs ont choisi de renoncer à leur citoyenneté irakienne après la loi de 1950. »

Interrogé sur ce qui a réellement déclenché l’exode massif, Shlaim pointe du doigt une série d’attentats à la bombe visant des sites juifs à Bagdad entre 1950 et 1951. Même des décennies plus tard, certains soutiennent que les auteurs de ces attentats étaient en réalité des Juifs envoyés par le Mossad pour semer la peur et encourager l’immigration vers le nouvel État d’Israël.

« Israël a fermement démenti ces rumeurs, et deux commissions d’enquête ont innocenté le pays de toute implication », dit-il. Cependant, il ajoute : « Au cours de mes recherches, j’ai trouvé des preuves qui indiquaient clairement l’implication d’Israël dans ces attentats. »

Les « preuves » auxquelles Shlaim fait référence ne sont pas concluantes. Il affirme, entre autres, qu’elles lui ont été communiquées par un ami de sa mère qui était actif dans la résistance sioniste à Bagdad et qui lui a montré un rapport de police bagdadien sur l’affaire.

[NdT : Apparemment, les deux interlocuteurs ignorent le témoignage de Naeim Giladi (1929-2010), qui a raconté son recrutement par le Mossad pour l’opération visant à provoquer l’exode des Juifs d’Irak]

Pour Shlaim, cette information suffit à étayer une affirmation douloureuse, liée au sort de Shlomo Mantzur, également né en Irak, qui a été enlevé au kibboutz Kissufim et assassiné par le Hamas le 7 octobre.

« Alors que la version sioniste des événements prétend que Mantzur a été deux fois victime d’un antisémitisme arabe vicieux, en réalité, le mouvement sioniste lui-même a joué un rôle dans ses malheurs », écrit-il, « d’abord en le plaçant dans la ligne de mire en Irak en 1951, puis en ne le protégeant pas chez lui, au kibboutz Kissufim, au crépuscule de sa vie ».

Il poursuit : « Le mouvement sioniste, dans son besoin désespéré d’Aliyah après le silence des armes en 1949, a mis en danger des Juifs comme Shlomo Mantzur et ma famille dans notre patrie arabe. Le gouvernement israélien d’extrême droite dirigé par le Premier ministre Benjamin Netanyahou a trahi Mantzur une seconde fois vers la fin de sa vie en l’abandonnant à la merci des militants du Hamas le 7 octobre. »

Dans votre autobiographie, « Three Worlds: Memoirs of an Arab-Jew » (2023), vous décrivez l’immigration comme traumatisante.

« Nous avons quitté l’Irak en tant que Juifs et sommes arrivés en Israël en tant qu’Irakiens. Il existait des communautés juives florissantes dans tout le monde arabe, mais la communauté juive d’Irak était la plus ancienne, la plus prospère et la plus intégrée dans la société locale. »

Dans son article publié dans Haaretz, Shlaim écrit : « Nous avons perdu notre richesse considérable, notre statut social élevé et notre fierté identitaire en tant que Juifs irakiens. Pour nous, l’aliyah en Israël n’a pas été une ascension, mais une « yerida », une descente abrupte vers les marges de la société israélienne. Une fois en Israël, nous avons été soumis à un processus systématique de désarabisation […] et catapultés dans un pays étranger, dominé par les Ashkénazes. »

Au début, Shlaim est arrivé avec sa mère, sa grand-mère et ses deux sœurs ; son père les a rejoints plus tard.

« Il ne trouvait pas sa place en Israël. Il ne parlait pas bien l’hébreu et était au chômage. Il était trop vieux, ne s’intégrait pas et était brisé. J’ai été témoin de sa souffrance quand j’étais enfant. Mais il ne s’exprimait pas et ne se plaignait pas », se souvient Shlaim, se rappelant son père dans son costume irakien, luttant pour s’intégrer dans la société israélienne. Sa mère, qui n’avait jamais travaillé de sa vie, est devenue standardiste. « Elle était jeune et s’est adaptée », dit-il.

Dans son autobiographie, il écrit : « Si je devais identifier un facteur clé qui a façonné ma relation initiale avec la société israélienne, ce serait un complexe d’infériorité [...] J’acceptais sans broncher la hiérarchie sociale qui plaçait les Juifs européens au sommet de la pyramide et les Juifs des pays arabes et africains tout en bas. »

Il raconte des incidents de discrimination, comme lorsqu’un enseignant lui a dit qu’il avait réussi un examen important « uniquement parce qu’ils abaissaient le niveau d’exigence pour les Mizrahim (Juifs d’origine moyen-orientale) ».

« J’étais un élève épouvantable. Rêveur, désengagé, mauvaises notes », se souvient-il.

Avant le lycée, sa mère l’a envoyé vivre chez des proches en Angleterre, où il a fréquenté une école juive dans les années 1960. À son retour en Israël, il a servi deux ans dans l’armée israélienne en tant qu’instructeur en communications.

Dans son livre, il décrit la cérémonie de prestation de serment de l’armée israélienne après sa formation de base : les drapeaux israéliens flottaient au vent et une fanfare militaire jouait l’hymne national, Hatikvah, qui signifie « espoir ». Nous avons prêté serment d’allégeance à la mère patrie et avons crié à l’unisson « La Judée est tombée dans le sang et le feu ; par le sang et le feu, la Judée renaîtra ». Cette déclaration a été suivie par des coups de feu qui ont illuminé le ciel. Pour un garçon de 18 ans, c’était grisant. [...] Je ressentais le nationalisme dans mes tripes. »

Dans le même temps, il décrit un sentiment de mission nationale qui l’a aidé à supporter les épreuves.

« La discipline était stricte et la nourriture à peine mangeable, mais il y avait un esprit de corps, un sens du devoir et une croyance universelle en la justice de notre cause. Nous nous considérions comme un petit pays démocratique entouré de millions d’Arabes fanatiques déterminés à nous détruire, et nous croyions sincèrement que nous n’avions d’autre choix que de nous battre », écrit-il.

« […] À cela s’ajoutait l’idée que toutes les guerres d’Israël étaient des guerres défensives, des guerres non choisies plutôt que des guerres par choix. Nous avions également le sentiment de servir dans une armée fondamentalement honnête, éthique et égalitaire, bref, une armée populaire [...] J’étais assez naïf à l’époque pour croire à l’idée reçue selon laquelle la force était le seul langage que les Arabes comprenaient. »

Après son service militaire, il est retourné en Angleterre où il vit depuis 1966. Il est marié à Gwyn Daniel, psychothérapeute, et ils ont une fille. Sa femme est l’arrière-petite-fille de David Lloyd George, Premier ministre britannique pendant la Première Guerre mondiale et l’un des premiers partisans du sionisme. C’est pendant son mandat que la déclaration Balfour a été publiée.

Il y a une certaine ironie dans tout ça.

« Ma femme est une fervente défenseuse des droits des Palestiniens. Son opinion sur l’héritage de son arrière-grand-père est complexe. Elle estime qu’en matière de politique étrangère, en particulier en tant que dirigeant en temps de guerre, il a agi de plus en plus comme un impérialiste britannique à l’ancienne. Elle s’oppose fermement au rôle qu’il a joué dans la promotion de la déclaration Balfour.

Gwyn et moi sommes tous deux d’accord pour dire que la déclaration Balfour était un document colonial classique : elle ignorait les droits et les aspirations de 90 % de la population, qui était palestinienne. Même du point de vue des intérêts nationaux de la Grande-Bretagne, c’était une erreur stratégique colossale. Lloyd George a aligné la politique étrangère britannique sur celle d’un petit groupe de sionistes entourant Haïm Weizmann [un leader sioniste qui a été le premier président d’Israël], contre la volonté de la communauté juive majoritaire en Grande-Bretagne – et de nombreux Juifs natifs de Palestine à l’époque. »

Shlaim décrit sa « désillusion » vis-à-vis du rêve sioniste comme « un processus long, progressif et lent, et non un événement isolé ». Elle a commencé après la guerre des Six Jours.

« J’avais l’habitude de justifier mon changement d’opinion en disant que ce n’était pas moi qui avais changé, mais mon pays », dit-il. « Après la guerre, j’ai soutenu qu’Israël était devenu une puissance coloniale, opprimant les Palestiniens dans les territoires occupés. J’aimais ajouter qu’à mon époque, l’armée israélienne était fidèle à son nom – c’était une force de défense pour Israël – alors qu’après la guerre, elle était devenue la police brutale d’une puissance coloniale brutale.

Mais la vérité toute simple est qu’Israël a vu le jour sous la forme d’un mouvement colonialiste. 1948 et 1967 n’ont été que des étapes importantes dans la conquête systématique et continue de toute la Palestine. Les colonies juives établies sur les terres palestiniennes après 1967 étaient le prolongement du projet colonial sioniste au-delà de la Ligne verte. La création de l’État d’Israël a entraîné une injustice massive envers les Palestiniens.

« Pendant la guerre de 1948, Israël a procédé à un nettoyage ethnique en Palestine. En juin 1967, Israël a achevé par la force militaire la conquête de toute la Palestine historique. Cette occupation a finalement transformé Israël en un État d’apartheid. Les Palestiniens ont été les victimes du projet sioniste. »

Selon lui, le moment qui a le plus transformé sa pensée a été la recherche dans les archives.

« ça a été le facteur central qui a changé mes opinions et ma perspective », explique-t-il.

Shlaim a étudié l’histoire à Cambridge, enseigné à Reading et est devenu professeur à Oxford. Il n’était pas étranger au travail d’archivage. Mais il ne s’attendait pas à ce que ce qu’il a trouvé dans les archives nationales israéliennes à Jérusalem en 1982 le bouleverse et bouleverse sa vision du monde.

Il s’était rendu en Israël pour faire des recherches sur l’influence de l’armée israélienne sur la politique étrangère israélienne.

« Pendant toute une année, j’ai lu des documents là-bas, du matin jusqu’à la fermeture. C’est là que je me suis radicalisé. De sioniste patriote, je suis devenu de plus en plus critique à l’égard d’Israël et de l’occupation, jusqu’à ne plus pouvoir m’identifier à eux. »

Qu’avez-vous trouvé dans les archives qui vous a tant surpris ?

« Ce que j’ai lu là-bas ne correspondait pas à ce qu’on m’avait enseigné à l’école : que les Juifs avaient toujours été des victimes, qu’Israël avait toujours été victime, que 1948 avait été un génocide visant à jeter les Juifs à la mer, que nous étions peu nombreux face à une multitude, que le monde arabe était uni contre nous et que les dirigeants israéliens avaient tenté de faire la paix, mais n’avaient trouvé aucun partenaire du côté arabe. Je croyais tout ça, mais dans les archives, j’ai trouvé une vérité différente. L’image qui en ressortait était en totale contradiction avec l’histoire officielle. Les documents que j’ai découverts étaient choquants, surprenants et stimulants. »

Comme quoi ?

« À l’école, j’ai appris que tous les Arabes rejetaient le projet sioniste et que sept armées arabes avaient envahi la Palestine en 1948 pour détruire l’État juif dès sa naissance. Mais j’ai trouvé des documents sur des réunions secrètes entre le roi Abdallah et l’Agence juive – dès 1921 – et des preuves d’un dialogue et d’une coopération de longue date.

Abdallah n’a cessé de dialoguer avec les Juifs jusqu’à son assassinat en 1951. Mais ce n’est pas tout : le dirigeant syrien Husni al-Za’im voulait rencontrer David Ben Gourion en personne, échanger des ambassadeurs et normaliser les relations. Il avait certes des exigences, mais Ben Gourion a refusé de le rencontrer. J’ai réfuté les affirmations selon lesquelles Israël voulait la paix mais n’avait pas de partenaire du côté arabe. C’est l’écart entre la mythologie sioniste et la réalité historique qui a fait de moi un « nouvel historien ». »



Le roi Abdallah Ier , juin 1948. « À l’école, j’ai appris que tous les Arabes rejetaient le projet sioniste, mais Abdallah n’a cessé de dialoguer avec les Juifs jusqu’à son assassinat en 1951. » Photo Paul Popper / Popperfoto

Le terme « nouveaux historiens », inventé par Benny Morris, désigne un groupe de jeunes universitaires israéliens qui, dans les années 1980, après l’ouverture des archives israéliennes, ont proposé des réinterprétations critiques du sionisme, du conflit israélo-arabe et de la fondation de l’État.

Ils recherchaient une histoire moins idéologique et plus objective que celle de la génération précédente, largement attachée à l’idéologie sioniste.

Le groupe comprenait Morris (qui a écrit sur les expulsions des Palestiniens et les crimes de guerre en 1948), Shlaim (sur les relations entre le Yishuv/Israël et le roi Abdallah), Ilan Pappé (sur les relations entre la Grande-Bretagne, Israël et les pays arabes), Tom Segev (sur la discrimination de l’État à l’égard des immigrants mizrahim et sa préférence pour les olim polonais) et Uri Milstein (sur le début de la guerre d’indépendance).

Les « nouveaux historiens », de g. à dr. Ilan Pappé, Uri Milstein, Benny Morris et Tom Segev , ont proposé une histoire détachée de l’idéologie et de la mythologie. Photos Olivier Fitoussi, Yanai Yechiel, Meged Guzani, L.Willm

À la fin des années 1980 et au début des années 1990, ces historiens sont devenus la cible des critiques dans les milieux universitaires et dans la presse ; leurs détracteurs les ont qualifiés de « post-sionistes » et d’« anti-israéliens ». L’un de leurs détracteurs les plus virulents était le chroniqueur du Haaretz Shabtai Teveth, qui a accusé Shlaim en 1989 de « malhonnêteté intellectuelle ».

« Il est sensible à la souffrance des Arabes, mais complètement sourd à celle des Juifs », écrivait Teveth. « Cette « nouvelle histoire » est une série d’erreurs qui, cumulées, donnent une image déformée. »

Cette année-là, une conférence de l’université de Tel Aviv intitulée « Comment la guerre d’indépendance s’est-elle terminée ? » invita Shlaim, alors âgé de 44 ans, en tant qu’invité d’honneur, mais il fut confronté à des critiques acerbes, parfois inciviles.

« Les 60 minutes consacrées aux questions du public après sa conférence n’ont pas été parmi les moments les plus agréables de la dernière visite du professeur Shlaim en Israël », a rapporté le journaliste Aryeh Dayan dans Kol Ha’Ir.

Après que l’ancien directeur général du cabinet du Premier ministre, Mordechai Gazit, eut tendu le micro au premier intervenant, « il avait en fait donné le signal du début d’une attaque contre Shlaim ».

Bien que Shlaim ait donné sa conférence en hébreu, il a été traité comme un étranger : « Il ne se sentait pas à l’aise, et la plupart des participants ne le considéraient pas comme « l’un des nôtres » ». Il y a eu des interruptions inhabituellement vives, certaines frôlant les huées, « principalement de la part de chercheurs et d’historiens vétérans du Palmach, de l’armée israélienne et du Mapai de l’ère Ben Gourion, ainsi que de quelques personnes dont l’expérience dans le domaine de la sécurité et du renseignement était évidente ».

« Ils ont clairement fait comprendre à Shlaim qu’il n’était pas chez lui », indique l’article. Shlaim a plaisanté en disant qu’à un moment donné, il avait eu l’impression que la conférence était un complot contre lui, mais il semblait imperturbable – peut-être même qu’il appréciait cette confrontation. Lorsqu’il s’est levé pour répondre, il s’est efforcé de donner des réponses substantielles à certaines questions, traitant tout le monde avec une politesse froide et un léger air de hauteur – comme s’il discutait avec des historiens officiels de la cour.

Depuis lors, Shlaim a publié plusieurs ouvrages sur l’histoire du Moyen-Orient et le conflit israélo-arabe. Deux d’entre eux ont été traduits en hébreu.

Le premier, « Le mur de fer : Israël et le monde arabe » (angl. 2005, fr. Buchet-Chastel 2008)), tire son titre de l’essai fondateur de Ze’ev Jabotinsky, qui soutient que les Juifs doivent d’abord construire un « mur de fer » – une force militaire – contre les Arabes jusqu’à ce qu’ils acceptent l’existence d’Israël, après quoi un accord pourrait être négocié.

Shlaim soutient que Ben Gourion a été le principal artisan de cette doctrine, donnant la priorité au militarisme juif. Il affirme que, dans le cadre de cette stratégie, Ben Gourion a expulsé quelque 700 000 Palestiniens en 1948 et a recherché des solutions militaires pour l’expansion territoriale après avoir rejeté le plan de partition [de l’ONU, NdT].


Ben Gourion à Bab al-Wad, 1949. Shlaim soutient que l’objectif principal de Ben Gourion était de développer le militarisme juif. Photo Eldan David / GPO

Selon Shlaim, la plupart des gouvernements israéliens – de gauche comme de droite – ont adopté la même doctrine et n’ont pas fait de la paix un objectif central. Les exceptions, dit-il, étaient Menahem Begin et Yitzhak Rabin.

« Israël n’a jamais vraiment voulu appartenir au Moyen-Orient. Il se considère comme un pays d’Europe occidentale », explique Shlaim.

« Les Juifs mizrahim auraient pu servir de pont entre Israël et le monde arabe, mais les dirigeants sionistes n’ont jamais voulu de ce pont. Herzl imaginait l’État juif comme un contraste avec la barbarie orientale. Jabotinsky considérait l’État comme faisant partie de l’impérialisme au Moyen-Orient. Il en va de même pour Ben Gourion et Netanyahou, qui incarnent l’aliénation et le refus de faire partie de la région, ainsi qu’un manque d’intérêt pour la coexistence. »

Son deuxième livre traduit en hébreu, « Lion of Jordan: The Political Biography of King Hussein » (Le lion de Jordanie : la biographie politique du roi Hussein, Vintage Books, 2009), décrit ce que Shlaim considère comme des occasions manquées pour la paix dans la région.

[Shlaim est aussi l’auteur de Collusion Across the Jordan, King Abdullah, the Zionist Movement and the Partition of Palestine, Columbia University Press, 1988, non traduit en français, NdT]

La thèse de Shlaim a suscité de vives critiques de la part de ses collègues historiens. Dans Haaretz, Yosef Heller et Yehoshua Porath ont écrit :

« Les écrits de Shlaim découlent d’un agenda politique hostile à Israël [...] plutôt que d’un examen objectif du récit israélien. Malheureusement, Avi Shlaim induit ses lecteurs en erreur en affirmant qu’Israël a manqué l’occasion de faire la paix, tandis que les Arabes sont des amoureux de la paix invétérés. Lorsqu’il cite des exemples spécifiques, Shlaim ignore totalement le fait fondamental du conflit israélo-arabe : l’exigence intransigeante du « droit au retour », qui exprime un rejet idéologique et pratique de l’existence même de l’État d’Israël, sans parler des innombrables discours et articles appelant à l’extermination d’Israël. Tous les contacts diplomatiques qu’il mentionne deviennent sans valeur à la lumière des intentions d’extermination à notre encontre, et Shlaim ne peut les rejeter comme de simples discours rhétoriques. »

Benny Morris a changé d’avis après la deuxième Intifada. Vous, en revanche, êtes passé du statut d’historien critique à celui de personne exprimant sa compréhension envers le Hamas.

« Dans le passé, Benny était le plus sioniste, Ilan (Pappé) le plus radical – il affirmait qu’Israël n’avait aucune légitimité – et j’étais entre les deux. Ma femme résumait ma position ainsi : « Avant 1967, c’était bien, après 1967, c’était mal. » Je pensais qu’Israël était légitime à l’intérieur de ses frontières, mais ces dernières années, je me suis rapproché de la position d’Ilan. Je pense désormais qu’il n’y a plus de distinction significative entre Israël proprement dit et Israël en Cisjordanie. C’est un seul et même régime, du fleuve à la mer. C’est de l’apartheid et de la suprématie juive. Je suis passé d’une position modérée à une position radicale. Les nouveaux historiens avaient beaucoup en commun au départ, mais ils ont fini par adopter des positions extrêmes très différentes. »


Prisonniers de guerre à Rafah, 1967. « Je pensais autrefois qu’Israël était légitime à l’intérieur de ses frontières. Je suis passé d’une position modérée à une position radicale. » Photo David Rubinger

Shlaim ne s’arrête pas à la critique académique. En avril, environ 18 mois après le 7 octobre, des avocats agissant au nom du Hamas ont soumis une demande au ministère britannique de l’Intérieur afin que le Hamas soit retiré de la liste britannique des organisations terroristes internationales interdites. La pétition était accompagnée d’avis d’experts rédigés par Shlaim.

La branche militaire du Hamas figure sur la liste britannique des organisations terroristes depuis 2001, et en 2021, la branche politique y a également été ajoutée, au motif que la séparation des deux était « artificielle » et que le Hamas dans son ensemble était une organisation terroriste.

Dans la pétition, menée par Mousa Abu Marzouk, haut responsable du Hamas, il était avancé que le Hamas n’était pas un groupe terroriste, mais plutôt « un mouvement palestinien islamique de libération et de résistance dont l’objectif est de libérer la Palestine et de s’opposer au projet sioniste ».

Leurs avocats ont également fait valoir que l’interdiction du Hamas violait la liberté d’expression et que « les Britanniques devaient être libres de s’exprimer sur le Hamas et sa lutte pour rétablir le droit du peuple palestinien à l’autodétermination ».

Ils ont décrit le Hamas comme « la seule force militaire efficace » résistant à l’occupation et aux crimes contre l’humanité commis par Israël.

Shlaim a été inclus en tant qu’expert externe et a soumis un avis en faveur de la requête. Il a notamment écrit : « Le Hamas exerce son droit, en vertu du droit international, de résister à l’occupation israélienne ».

Dans le même temps, il a reconnu que les attentats-suicides perpétrés par le Hamas dans les années 1990 répondaient à « la définition même du terrorisme » et a ajouté : « Ces attaques délibérées contre des civils étaient ignobles et déplorables ».

Il a toutefois également noté que « [...] le terme « attentat suicide » en est venu à être considéré par l’opinion publique comme une forme particulièrement horrible de guerre. Les attentats suicides sont en fin de compte un moyen de livrer des bombes à leur cible. Si l’on se base uniquement sur leur résultat meurtrier, ils ne sont pas plus horribles qu’une bombe d’une tonne larguée par un avion de combat F-16 israélien sur un immeuble résidentiel à Gaza ».

Il a également écrit qu’en 2004, « les dirigeants politiques du Hamas ont pris la décision stratégique de mettre fin aux attentats-suicides ».

L’avis d’expert de Shlaim a également abordé la question du « droit d’exister » d’Israël.

« Aucune nation n’a le « droit d’exister » en vertu du droit international, et Israël ne fait pas exception. Le « droit d’exister » d’Israël n’est pas un droit légal, mais un slogan idéologique et émotionnellement chargé », écrit-il. Depuis 1967, ajoute-t-il, « Israël a politisé et instrumentalisé cette expression pour faire obstruction aux pourparlers de paix et diffamer ceux qui refusent de reconnaître ce « droit » comme antisémites ».

En fin de compte, écrit-il, « ce qui importe, ce n’est pas la question éthique sur laquelle les points de vue divergent, mais le fait qu’Israël existe indubitablement.

Il a également fait valoir que la partie qui nie véritablement le droit d’exister de l’autre est Israël lui-même, en refusant de reconnaître le droit des Palestiniens à un État et à l’indépendance.

Pourquoi soutenez-vous le retrait du Hamas de la liste ?

« Je ne soutiens pas le Hamas et je ne prends aucun plaisir à condamner Israël. Je suis historien et j’ai étudié l’histoire du Hamas. Mon soutien à son retrait de la liste des organisations terroristes repose sur cette étude. »

Shlaim a ensuite retracé l’évolution politique du Hamas depuis 2006, année où il a remporté la majorité parlementaire, formé un gouvernement dirigé par Ismail Haniyeh, puis pris le contrôle de Gaza.

« Les élections de 2006 ont été libres et démocratiques. Ce fut une réussite remarquable pour les Palestiniens : instaurer la démocratie sous l’occupation israélienne », dit-il.

« Le Hamas a formé un gouvernement, mais Israël l’a rejeté et a refusé de le reconnaître. L’UE et les USA, à leur grande honte, se sont joints à Israël pour refuser de reconnaître un gouvernement démocratiquement élu. L’Occident prétend soutenir la démocratie et le progrès, mais ces personnes ont voté pour le « mauvais parti » – l’Occident a donc rejeté le processus démocratique. C’était la seule véritable démocratie dans le monde arabe. Pas Israël. Israël a fait tout ce qu’il pouvait pour la saboter. »

« La coalition anti-Hamas comprenait le Fatah, Israël, les services de renseignement égyptiens et les USA », ajoute-t-il. « Ils n’ont pas laissé le Hamas gouverner. Depuis 2010, chaque cessez-le-feu a été rompu par Israël. »

Le Hamas est une organisation terroriste.

« Israël prétend que le Hamas n’est qu’une organisation terroriste, mais c’est plus compliqué que cela. Le Hamas fait partie intégrante de la société arabe. Il n’existe aucune solution envisageable au conflit israélo-palestinien qui exclue le Hamas. De plus, Israël prétend que l’objectif du Hamas est de détruire l’État d’Israël. Il est vrai que la charte originale du Hamas était antisémite, mais les mouvements révolutionnaires évoluent. Tout comme le sionisme comptait des éléments terroristes – Shamir et Begin sont devenus premiers ministres – et comme cela s’est produit en Irlande et en Afrique du Sud, il en va de même pour le Hamas. Oui, il dispose d’une branche militaire qui mène des attaques terroristes, mais il dispose également d’une direction politique qui a modéré son programme.

« Aujourd’hui, le Hamas affirme que son problème n’est pas avec les Juifs, mais avec Israël et le sionisme. Le Hamas s’est déjà modéré et accepterait un État palestinien en Cisjordanie et à Gaza, avec Jérusalem-Est comme capitale. C’est le gouvernement de Netanyahou qui détruit la direction politique du Hamas et renforce sa branche militaire. Je ne défends pas le Hamas, mais, comme le dit le proverbe anglais, « rendons à César ce qui appartient à César ». En tant qu’historien, je m’efforce de donner une image équilibrée du conflit. »

Le 7 octobre et la guerre qui a suivi ont choqué les Israéliens et les Juifs du monde entier. Comment cela vous a-t-il affecté ?

« La situation m’a obligé à revoir ma position sur Israël. Je savais déjà que c’était un État colonialiste pratiquant l’apartheid. Je savais déjà qu’il avait le gouvernement le plus raciste et le plus à droite de l’histoire d’Israël. Je savais que son programme prévoyait le nettoyage ethnique de Gaza et de la Cisjordanie et leur annexion officielle. Mais ce qui m’a stupéfié, c’est que ce gouvernement est en train de commettre un génocide. C’est quelque chose de nouveau. »


Vous avez même publié cette année un recueil intitulé « Génocide à Gaza » [Genocide in Gaza: Israel’s Long War on Palestine, Irish Pages 2024]

 « Au début, j’ai hésité à utiliser le mot « génocide ». C’est un mot lourd de sens. Mais ensuite, Israël a refusé d’autoriser l’aide humanitaire aux civils et a utilisé la famine comme arme de guerre. Si ce n’est pas un génocide, je ne sais pas ce que c’est. Je n’hésite plus à utiliser ce mot pour décrire ce qu’Israël fait à Gaza – de manière systématique. Ce n’est pas une question de chiffres, mais d’intention. En Israël, le génocide est uniquement associé à l’Holocauste. Mais l’Holocauste était une forme de génocide, pas la seule.

« Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Juifs étaient les victimes sans défense de l’Allemagne nazie. Aujourd’hui, ce sont les Palestiniens qui sont les victimes sans défense. »

Condamnez-vous le gouvernement israélien ou également la société israélienne ?

« Benjamin Netanyahou n’est pas un dictateur. Il a été élu Premier ministre. Par conséquent, c’est la société israélienne dans son ensemble qui porte la responsabilité de ces crimes de guerre. Elle n’y participe pas personnellement, mais elle est responsable de ce que fait l’armée à Gaza et en Cisjordanie. Ce gouvernement a été élu démocratiquement, mais c’est un gouvernement fasciste. Le parti nazi en Allemagne a également été élu démocratiquement.


Des Palestiniens déplacés se dirigent vers le sud de Gaza, la semaine dernière. « Israël a refusé d’autoriser l’aide humanitaire aux civils et a utilisé la famine comme arme de guerre. Si ce n’est pas un génocide, je ne sais pas ce que c’est. » Photo Mahmoud Issa/Reuters

« Aujourd’hui, Israël s’appuie exclusivement sur la force militaire et prétend que quiconque le critique est antisémite. Le gouvernement est le reflet de la société, et c’est donc la société qui porte la responsabilité. La société israélienne d’aujourd’hui n’a aucune inhibition à exprimer son racisme. Ce qui était autrefois caché est désormais fièrement exprimé, par les dirigeants comme par le peuple. »

Alors pourquoi conservez-vous la nationalité israélienne ?

« J’ai envisagé d’y renoncer il y a de nombreuses années et j’en ai parlé à quelqu’un au consulat israélien à Londres. Elle m’a dit que c’était possible et qu’elle connaissait mes opinions, mais m’a conseillé de ne pas le faire en raison des conséquences. Si je me souviens bien, elle m’a dit que si je renonçais à ma citoyenneté, je ne serais plus autorisé à entrer en Israël. J’ai suivi son conseil. J’ai toujours un passeport israélien valide et je l’utilise chaque fois que je me rends en Israël. La dernière fois, c’était il y a quatre ans, pour les funérailles de ma mère à Ramat Gan.

« J’ai deux nationalités et je me sens doublement coupable envers les Palestiniens. En tant que citoyen britannique, je me sens coupable d’avoir laissé le mouvement sioniste s’emparer de la Palestine, à commencer par la déclaration Balfour. Les Britanniques sont responsables du conflit israélo-palestinien : ils ont jeté les bases de la Nakba et ont trahi les Palestiniens. En tant qu’Israélien, je me sens coupable de l’occupation de la Palestine depuis 1967 et du déni des droits humains des Palestiniens. Je voyage en Israël avec mon passeport israélien, et dans le reste du monde avec mon passeport britannique. »

L’interview a été réalisée en plusieurs étapes sur plusieurs mois. Alors que la guerre s’éternisait et que ses objectifs s’éloignaient, les enchevêtrements militaires et diplomatiques d’Israël se sont aggravés. Les dirigeants et les citoyens du monde entier, y compris beaucoup de ceux qui avaient soutenu sans équivoque Israël après le 7 octobre, ont commencé à se rallier aux positions radicales que Shlaim exprime aujourd’hui.

Que pensez-vous de l’attaque israélienne contre l’Iran en juin dernier ?

« La guerre de propagande menée par Benjamin Netanyahou contre la République islamique d’Iran néglige plusieurs faits fondamentaux. Premièrement, l’Iran n’a jamais attaqué aucun de ses voisins, tandis qu’Israël n’a cessé d’attaquer ses voisins dans toutes les directions. Deuxièmement, l’Iran a signé le Traité de non-prolifération nucléaire, contrairement à Israël. Troisièmement, l’Iran a soumis ses installations à l’inspection de l’Agence internationale de l’énergie atomique ; Israël ne l’a pas fait. Quatrièmement, l’Iran ne possède pas d’armes nucléaires et a nié à plusieurs reprises son intention d’en produire, tandis qu’Israël possède des armes nucléaires.

« Il s’ensuit que l’Iran ne représente pas une menace existentielle pour Israël, comme Netanyahou continue de l’affirmer ; c’est Israël, en vertu de son monopole nucléaire, qui représente une menace existentielle pour l’Iran.

Netanyahou a toutefois persisté dans ses efforts pour entraîner les USA dans une guerre contre l’Iran. Netanyahou savait depuis le début qu’Israël n’était pas capable à lui seul de détruire le programme nucléaire iranien et que le soutien usaméricain était nécessaire. Aucun président usaméricain au cours des 30 dernières années n’a été assez stupide pour adhérer à ce projet fou. Mais une fois de plus, Netanyahou a réussi à persuader Trump de donner suite à la guerre illégale d’Israël contre l’Iran par une frappe militaire usaméricaine illégale.

La suite grotesque de cette triste saga a été la réunion à la Maison Blanche au cours de laquelle Netanyahou a remis à Trump une copie de la lettre le proposant pour le prix Nobel de la paix. Voici un criminel de guerre recommandant un criminel condamné pour le prix international de la paix le plus prestigieux. Ça ne s’invente pas. »

Trois mois après l’attaque en Iran, Israël a bombardé Doha, la capitale du Qatar, dans le but d’assassiner des hauts responsables du Hamas.

« Cette tentative ratée a donné une très mauvaise image d’Israël, le présentant comme un État gangster qui méprise le droit international et les conventions internationales. Depuis l’époque grecque et romaine, il est de coutume de ne pas nuire aux émissaires de l’autre partie qui négocient un cessez-le-feu ou une trêve. On laisse les diplomates faire leur travail. C’est ainsi que les guerres prennent fin. Israël est le seul pays que je connaisse qui tente d’assassiner les personnes avec lesquelles il est censé négocier. Israël a déjà assassiné des négociateurs du Hamas, comme Ismail Haniyeh. Mais la dernière attaque était doublement scandaleuse, car elle a eu lieu à Doha, la capitale des médiateurs. Il s’agissait d’une violation flagrante de la souveraineté du Qatar et d’une gifle aux responsables qataris qui avaient tant fait pour tenter de négocier une trêve entre Israël et le Hamas. »

Que nous réserve l’avenir ?

« Israël finira par regretter la guerre contre le Hamas, car les successeurs du Hamas seront encore plus radicaux. Israël en sera responsable, car il a assassiné les dirigeants politiques du Hamas. Israël n’aime pas les Palestiniens modérés, qu’il considère comme une menace. Il les affaiblit et ouvre la voie à des personnalités plus extrêmes. C’est pourquoi le leadership est passé de l’aile politique du Hamas à son aile militaire.

» La création de l’État d’Israël s’est accompagnée d’une grande injustice envers les Palestiniens. Les responsables britanniques en étaient amers. Le 2 juin 1948, un haut fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères a écrit au ministre Ernest Bevin que les USAméricains étaient responsables de la création d’un « État gangster dirigé par un groupe de dirigeants sans scrupules ». J’ai d’abord pensé que ces mots étaient trop durs. Mais apparemment, ce qui est tordu au départ reste tordu ».

 

 

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