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01/11/2024

GIDEON LEVY
Les Israéliens ne devraient pas pleurer la mort d’un salaud

Gideon Levy, Haaretz, 31/10/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Quand Bezalel Smotrich pleure, on ne peut que répondre par un rire amer. Quand Uriah Ben-Natan pleure sur la tombe de son frère Shuvael et fait son éloge funèbre, nous devons appeler la police pour qu’elle l’arrête. Lorsqu’une guerre brutale se poursuit sans fin à cause de Smotrich, Ben-Natan et de leurs semblables, nous n’avons pas à partager leur peine.


Le ministre des Finances Bezalel Smotrich à la Knesset portant deux pin’s : un gravé avec la carte d’Israël, Cisjordanie comprise, et un pin’s jaune pour les “otages”, le 9 septembre. Photo Oren Ben Hakoon


Lorsque le deuil se transforme en une incitation répugnante à commettre de nouveaux crimes de guerre, on ne peut l’ignorer, même lorsque la source est un homme qui vient de perdre son frère. Le politiquement correct doit cesser ici, ainsi que le précepte selon lequel « une personne ne peut être tenue responsable de ce qu’elle dit lorsqu’elle est en détresse ». Leur douleur n’est pas la mienne : leur douleur n’est pas celle de tous les Israéliens.
Le ministre des finances, Bezalel Smotrich, a fondu en larmes cette semaine lors d’une réunion de son parti, Sionisme religieux, à la Knesset, en évoquant les « sages, les érudits de la Torah, qui sont tombés pour défendre l’État ». Celui qui a poussé à la poursuite de la guerre et même à son escalade, et qui a empêché sa fin en exerçant le pouvoir d’extorsion de sa coalition, ne mérite pas de partager le chagrin d’autrui.
Plus que tout, Smotrich déplore le prix que la communauté sioniste religieuse a payé en sang dans la guerre, « un prix disproportionné par rapport à sa part de la population ». Cependant, il ne faut pas ignorer le rôle de ce groupe dans les horreurs de la guerre et dans sa poursuite criminelle.


Soldats israéliens en opération à Gaza, octobre 2024. Photo Tsahal

C’est une guerre de l’électorat de Smotrich. C’est la première guerre de l’extrême droite. Jamais Israël n’a mené une guerre dans laquelle la droite kahaniste a eu une influence aussi profonde.
Une forte majorité d’Israéliens la soutient. Les combats ne sont pas dirigés par les jeunes des collines, les jeunes colons juifs radicalisés de Cisjordanie. La plupart des crimes de guerre qui ont été perpétrés l’ont été par des officiers, des pilotes et des soldats de la gauche sioniste et du centre politique. En outre, il est également vrai que le Premier ministre Benjamin Netanyahou porte la plus grande part de responsabilité et de blâme pour la guerre.
Mais Israël n’a jamais mené une guerre dans laquelle les colons et leurs partisans ont eu une influence aussi décisive sur son déroulement. Par conséquent, lorsque l’un de leurs dirigeants pleure, il ne peut susciter aucune sympathie ou compassion de la part des opposants à la guerre. À cause de Smotrich et de ses semblables, il y a maintenant des millions de personnes qui pleurent sans cesse, de Beyrouth à Rafah, y compris en Israël. À cause d’eux, Israël est devenu un État paria dans lequel toute compassion et toute humanité envers l’autre est non seulement étrangère, mais considérée comme une trahison.


Un soldat de l’armée israélienne se tient debout tandis que des colons israéliens marchent pendant une visite guidée du vieux marché dans la partie palestinienne de la vieille ville d’Hébron/Al Khalil en Cisjordanie, le 22 octobre 2024, pendant la fête juive de Souccot. Photo Hazem Bader/AFP

Smotrich a pleuré les morts de sa base électorale (tout en mentionnant les autres). C’est grâce à son patronage, à son soutien, à ses encouragements et à son financement que les Shuvael ont prospéré. Le soldat Shuvael Ben-Natan a été tué la semaine dernière au Liban. Il vivait dans la colonie de Rehelim, en Cisjordanie. Ses funérailles au Mont Herzl, auxquelles des milliers de personnes ont assisté, se sont transformées en une démonstration d’incitation à la haine et d’appels au meurtre comme on n’en avait jamais vu en Israël. Sous le couvert du deuil, les masques sont tombés. Au Mont Herzl, le chat est sorti du sac, et il est violent, criminel, raciste, pogromiste, néo-nazi. Les Smotrich l’encouragent.

Il était connu sous le nom de « Shuvi le Madlik » [madlik, dérivant du radical d/l/k - delek= essence, hadlaka= éclairage, l’hadlik=allumer -signifie en hébreu à la fois « celui qui  allume les cierges de shabbat » et, par extension « incendiaire » et, en langage familier, « grand, cool, super ». On peut supposer un troisième sens : une grande partie des colons étant d’origine US, madlik en anglo-hébreu pourrait se référer à l’anglais mad (fou, comme Mad Max) augmenté d’une désinence hébraïsante, lik, NdT], pour son habitude d’incendier des maisons palestiniennes « pour s’amuser ». Lors de ses funérailles, ses amis ont parlé de lui avec tendresse et admiration. Il y a un an, il avait été arrêté, soupçonné d’avoir tué un paysan palestinien qui récoltait innocemment ses propres olives. Ben-Natan a été rapidement relâché, là aussi dans l’esprit de l’ère Smotrich.


Bilal Saleh, assassiné par Shuvi le Madlik près de Naplouse l’année dernière.

Voici comment son frère Uriah a fait son éloge funèbre : « Tu es allé à Gaza pour te venger, autant que possible - les femmes, les enfants, tous ceux que tu voyais, autant que possible, c’est ce que tu voulais... Nous pensions que nous allions massacrer l’ennemi, les massacrer tous, les chasser du pays ici... Tout le peuple d’Israël devrait pouvoir te venger. Une vengeance sanglante : non pas la vengeance des maisons brûlées, ni la vengeance des arbres brûlés, ni la vengeance des véhicules brûlés, mais la vengeance du sang versé de vos serviteurs ».

 Pendant un moment fort, la vraie nature des colons violents d’Israël a été pleinement révélée. Sous le couvert de la guerre, ils se déchaînent non seulement à Gaza, mais aussi en Cisjordanie, à une échelle sans précédent qu’ils n’avaient jamais atteinte auparavant, avec l’aimable autorisation de Smotrich.

Il est inutile d’imaginer ce qui se serait passé si un Palestinien endeuillé avait utilisé des mots similaires sur la tombe de son propre frère. Inutile parce que le corps d’un terroriste palestinien, contrairement à celui d’un terroriste juif, ne serait pas rendu à sa famille.




22/09/2024

GIDEON LEVY
La “grande chance” d’Israël: une autre guerre
La course à l'abîme des sionihilistes

Gideon Levy, Haaretz, 22/9/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Après avoir épuisé la grande occasion de Gaza, Israël se tourne vers l’épuisement de la prochaine grande occasion, une guerre au Liban. En matière de guerre, Israël est le pays des opportunités illimitées. Chaque guerre est une opportunité et chaque opportunité amène une guerre.

Y a-t-il un problème à Gaza ? La guerre. Y en a-t-il un à la frontière nord ? Une autre guerre. De nombreux Israéliens sont enthousiastes. Après tout, ils attendent une telle occasion depuis des années. D’autres la soutiennent en silence, sous un nuage oppressant, et presque tous sont convaincus qu’il n’y a pas d’autre option.

 C’est une chose de considérer la guerre comme une horrible nécessité, mais c’en est une autre lorsqu’elle est perçue comme une opportunité : une opportunité de façonner un nouveau monde, une nouvelle réalité, une meilleure réalité. Le Hamas sera éradiqué, les otages libérés et le Hezbollah ridiculisé. Les habitants évacués du nord retourneront chez eux, la Galilée prospérera et ses fleurs s’épanouiront. Il en ira de même pour les communautés situées le long de la frontière de Gaza. Quelle merveilleuse opportunité que la guerre.

Le fait que, tout au long de son histoire, Israël n’ait pas encore entrepris une seule guerre qui ait amélioré sa situation ou résolu ses problèmes, certaines d’entre elles, comme la guerre de 1967, ayant même, sans le reconnaître, aggravé sa situation, n’a convaincu personne. Il suffit d’attendre la prochaine guerre. Elle résoudra tous nos problèmes une fois pour toutes.

« Une fois pour toutes », c’est la “victoire totale” d’antan. Après avoir soi-disant vaincu le Hamas - une fois pour toutes - Israël vaincra également le Hezbollah, une fois pour toutes. Le problème, c’est que ça se termine toujours par quelques années de calme suivies d’une guerre pire que les précédentes. Les partisans d’une grande guerre au Liban expliquent aujourd’hui leur soif de revoir les FDI aux abords de Beyrouth en disant qu’il s’agit d’une grande opportunité.

Au cours du week-end, ils ont exhorté les décideurs à agir. Après tout, ont-ils fait valoir, les 500 personnes devenues aveugles au Liban à la suite de l’explosion de bipeurs constituent une occasion en or qui ne se représentera pas de sitôt. Alors, qu’attendez-vous pour déclencher la guerre ?

Le concept même de la guerre en tant qu’opportunité révèle un état d’esprit malsain. Considérer la guerre comme le seul et principal moyen de résoudre les problèmes suggère une distorsion mentale. Mais dans un pays où Karni Eldad, chroniqueuse au quotidien Israel Hayom, qualifie les dizaines de morts, les milliers de blessés et les centaines de personnes rendues aveugles par l’explosion de bipeurs au Liban « d’immense cadeau à notre nation, qui le mérite grandement à l’approche de la nouvelle année », on ne s’étonne de rien.

Une vraie tueuse sionihiliste : Karni Eldad, une ancienne de Haaretz passée avec armes et bagages au quotidien gratuit Israel Hayom, mégaphone likoudien propriété du milliardaire Sheldon Adelson

« Les coups incroyables portés à l’ennemi au nord étaient exactement ce dont notre nation avait besoin : l’élégance, la précision, l’humiliation, le fait de penser un million de fois à l’avance », a-t-elle déclaré avec lyrisme. Un million de pas en avant. Cependant, pour les personnes saines d’esprit, la guerre n’est qu’une occasion d’effusion de sang, de destruction et de perte.

L’école qui a adopté le concept « une fois pour toutes » semble particulièrement stupide après la guerre à Gaza. Après tout, cette guerre était censée résoudre nos problèmes une fois pour toutes. Aucun d’entre eux n’a été résolu après une année de combats acharnés, avec des dizaines de milliers de morts et une destruction totale. Israël sortira de la guerre de Gaza dans une situation bien pire que celle dans laquelle il est entré.

Comment peut-on même penser qu’une guerre contre un ennemi beaucoup plus puissant, sur un terrain beaucoup plus difficile, avec une armée épuisée, confrontée à la réprobation mondiale, aboutira à un meilleur résultat que le fiasco de Gaza ? Cela ne peut que signifier que la plupart des Israéliens n’ont pas encore pris conscience de l’ampleur de l’échec à Gaza. Ils ne sont pas encore parvenus à la conclusion évidente qu’il aurait mieux valu qu’Israël ne se lance pas dans une guerre à Gaza, pour ensuite se précipiter vers Sidon. Tout comme dans le cas de Rafah, il n’y a rien. Il y a des protestations, mais pas contre une guerre.

Il est difficile d’imaginer une telle conjonction de développements inconcevables : alors que les soldats continuent de tuer, d’être tués et de semer la ruine à Gaza, inutilement et sans but, d’autres forces se dirigent vers le nord pour une guerre encore plus maudite, elle aussi destinée à résoudre les problèmes une fois pour toutes. Et tout le monde voit les voix et achète les mensonges. Après le Liban, nous nous attaquerons à l’Iran. Là aussi, nous aurons une opportunité, là aussi nous résoudrons nos problèmes une fois pour toutes.

Prévenons un autre Holocauste : bombardons lIran
Carlos Latuff, 2010

 

14/08/2024

Shawishim, le néologisme génocidaire pour désigner les chaouchs, les Palestiniens utilisés à la place de chiens pour détecter les tunnels à Gaza

Chaque jour qui passe apporte son lot d’horreur. L’armée la plus morale du monde se surpasse dans l’ingéniosité. Quelques trop rares Israéliens ont le courage de dénoncer le crime contre l’humanité commis par les sionihilistes.Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

À Gaza, la déshumanisation des Palestiniens par Israël atteint un nouveau sommet

Gideon Levy, Haaretz, 14/8/2024

Les Forces de défense israéliennes ont décidé de réduire les effectifs de l’unité Oketz, l’unité 7142, avant sa dissolution. L’unité canine et ses dresseurs a souffert d’une pénurie ces derniers temps. Un grand nombre de chiens ont été tués dans la bande de Gaza, et il a donc été décidé d’utiliser des moyens moins coûteux et plus efficaces. Il s’avère que la nouvelle unité, à laquelle l’ordinateur de l’IDF n’a pas encore donné de nom, donne les mêmes résultats opérationnels. Il n’est pas nécessaire de dresser les chiens pendant des mois, ni d’utiliser les muselières en fer qui ferment leurs mâchoires effrayantes, et leur nourriture sera également moins chère : au lieu de la coûteuse nourriture pour chiens Bonzo, les restes des rations de combat.

 

Les frais d’inhumation et de commémoration seront également annulés : les chiens Oketz étaient généralement enterrés dans le cadre de cérémonies militaires, avec des soldats en pleurs et des articles à faire pleurer en première page du bulletin d’information des FDI, Yedioth Ahronoth. Les chiens de remplacement n’ont pas besoin d’être enterrés, leurs corps peuvent simplement être jetés. Les cérémonies commémoratives annuelles du 30 août pour les chiens peuvent également être supprimées. Les nouveaux chiens n’auront pas de monument. Les âmes sensibles des soldats qui les manipulent ne seront plus endommagées lorsqu’ils mourront.

Le projet pilote est en cours et il y a déjà eu un mort dans la nouvelle unité. Bientôt, l’armée israélienne exportera les connaissances qu’elle a acquises à d’autres armées dans le monde. En Ukraine, au Soudan, au Yémen et peut-être même au Niger, elles seront heureuses de s’en servir.

Selon la page Wikipédia consacrée à l’Oketz : « L’unité active un matériel de guerre unique, le chien, qui offre des avantages opérationnels uniques qui n’ont pas de substitut humain ou technologique ». Oups, une erreur. Il n’y a peut-être pas de substitut technologique, mais un substitut humain a été trouvé. Le terme « humain » est bien sûr exagéré, mais l’armée israélienne dispose d’un nouveau type de chien, bon marché, obéissant et bien mieux entraîné, dont les vies valent moins.

Les nouveaux chiens de Tsahal sont les habitants de la bande de Gaza. Pas tous bien sûr, seulement ceux que l’éclaireur de l’armée choisit avec soin, parmi 2 millions de candidats ; les auditions ont lieu dans les camps de déplacés. Il n’y a pas de restriction d’âge.

Les chasseurs de têtes de l’armée ont déjà trouvé des enfants et des personnes âgées, et il n’y a aucune restriction à l’activation de la nouvelle main-d’œuvre. Ils les utilisent et les jettent ensuite. Entre-temps, ils n’ont pas été formés aux missions d’attaque et à l’identification olfactive des explosifs, mais l’armée y travaille. Au moins, ils ne mordront pas les enfants palestiniens dans leur sommeil comme les anciens chiens de Baskerville.

Mardi, Haaretz a publié en première page la photo d’un des nouveaux chiens : un jeune habitant de Gaza menotté, vêtu de haillons qui étaient autrefois des uniformes, les yeux couverts d’un chiffon, le regard baissé, des soldats armés à ses côtés. Yaniv Kubovich, le correspondant militaire le plus courageux d’Israël, et Michael Hauser Tov ont révélé que Tsahal utilise des civils palestiniens pour vérifier les tunnels à Gaza. « Nos vies sont plus importantes que les leurs », ont dit les commandants aux soldats, répétant ce qui est une évidence.

Ces nouveaux « chiens » sont envoyés menottés dans les tunnels. Des caméras sont fixées sur leur corps, et l’on peut y entendre le bruit de leur respiration effrayée.

Ils « nettoient » les puits, sont détenus dans des conditions pires que les chiens Oketz et leur activité s’est généralisée, systématisée. Al-Jazeera, boycottée en Israël pour « atteinte à la sécurité », a révélé le phénomène. L’armée l’a nié, comme d’habitude, avec ses mensonges. Deux reporters de Haaretz ont rapporté l’histoire complète mardi, et elle est terrifiante.

Certains soldats ont protesté à la vue des nouveaux « chiens », plusieurs courageux ont même témoigné auprès de Breaking the Silence. Mais la procédure, qui avait été expressément interdite par la Haute Cour de justice, a été adoptée à grande échelle dans l’armée. La prochaine fois que le public protestera contre le fait que Benjamin Netanyahou ignore les décisions de la Haute Cour, nous devrions nous rappeler que l’armée ignore aussi effrontément les décisions de celle-ci.

Le processus de déshumanisation des Palestiniens a atteint un nouveau sommet. Haaretz a rapporté que le haut commandement de l’IDF était au courant de l’existence de la nouvelle unité. Pour l’armée, la vie d’un chien vaut plus que celle d’un Palestinien. Nous disposons à présent de la version officielle.

Enquête du Haaretz sur les “chaouchs” : l’armée israélienne utilise des civils palestiniens pour inspecter des tunnels potentiellement piégés à Gaza

“Nos vies sont plus importantes que les leurs” : des Gazaouis non soupçonnés de terrorisme sont détenus et envoyés comme boucliers humains pour fouiller les tunnels et les maisons avant que les soldats de Tsahal n’y pénètrent, au vu et au su d’officiers supérieurs israéliens, affirment plusieurs sources ; Tsahal prétend que cette pratique est interdite.

Yaniv Kubovich & Michael Hauser Tov, Haaretz ,  13/8/2024

 

Un Gazaoui vêtu d’un uniforme des FDI à côté de soldats israéliens dans une maison à Rafah le mois dernier. La photo a été floutée afin de supprimer les éléments d’identification. Photo David Bachar

Au début, il est difficile de les reconnaître. Ils portent généralement des uniformes de l’armée israélienne, beaucoup d’entre eux ont une vingtaine d’années et ils sont toujours en compagnie de soldats israéliens de différents grades.

Mais en y regardant de plus près, on s’aperçoit que la plupart d’entre eux portent des baskets, et non des bottes de l’armée. Leurs mains sont menottées dans le dos et leurs visages sont empreints de peur. Les soldats les appellent tous « shawish », un mot arabe obscur [sic] d’origine turque [çavuş] qui signifie « sergent » [= chaouch en arabe maghrébin et en français, NdT], et par extension, gardien, surveillant, concierge, homme à tout faire.

Des Palestiniens pris au hasard ont été utilisés par les unités de l’armée israélienne dans la bande de Gaza dans un seul but : servir de boucliers humains aux soldats pendant les opérations.

« Nos vies sont plus importantes que les leurs », a-t-on dit aux soldats. L’idée est qu’il vaut mieux que les soldats israéliens restent en vie et que les shawishim soient victimes d’un engin explosif.

Cette description est l’une des nombreuses obtenues par Haaretz, certaines provenant de soldats de combat, d’autres de commandants. L’image qui en ressort : ces derniers mois, les soldats israéliens ont utilisé des boucliers humains de cette manière dans toute la bande de Gaza ; même le bureau du chef d’état-major est au courant.

31/07/2024

ALLISON KAPLAN SOMMER
Pour être une nation civilisée, Israël doit reconnaître sa propre barbarie

Allison Kaplan Sommer, Haaretz, 30/7/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

 

La semaine dernière, Benjamin Netanyahou s’est présenté avec assurance devant une session conjointe du Congrès usaméricain et a déclaré que la guerre d’Israël contre le Hamas à Gaza, et d’autres mandataires iraniens sur d’autres fronts, « n’est pas un choc des civilisations. C’est un choc entre la barbarie et la civilisation ».



« Pour que les forces de la civilisation triomphent », a déclaré le Premier ministre avec insistance, «l’USAmérique et Israël doivent être solidaires », ce qui a provoqué l’extase de son auditoire.


Mais quiconque a observé les actions de la populace israélienne qui a violemment envahi la base militaire de Beit Lid et le centre de détention de Sde Teiman lundi a vu un comportement bien plus proche de la barbarie que de la civilisation.


Le groupe d’infiltrés en colère qui a poussé les portes de ce qui est censé être des installations militaires sécurisées comprenait non seulement des députés mais aussi des ministres du gouvernement. Ils exigeaient la libération de neuf réservistes qui avaient été interpellés - et non arrêtés - dans le cadre d’une enquête sur les mauvais traitements présumés infligés à un prisonnier palestinien.


« Les combattants héroïques ne doivent pas être touchés », ont-ils crié. Les réservistes servant à Sde Teiman avaient été détenus pour interrogatoire par la police militaire sur ordre de la plus haute autorité juridique de l’armée, le général de division Yifat Tomer-Yerushalmi.


Les soldats sont soupçonnés de violences aggravées et de sodomie forcée à l’encontre du détenu, après qu’il eut été hospitalisé avec des blessures apparemment graves sur une partie intime du corps, ce qui indique une violation horrible. Le comportement abusif présumé des soldats que les manifestants demandaient avec tant de colère de “ne pas toucher” était, en fait, barbare. Il est également conforme aux allégations d’abus à Sde Teiman qui ont été rapportées par des médias tels que Haaretz depuis des mois.

 
Les traitements horribles infligés à l’ennemi en temps de guerre, y compris les abus sexuels extrêmes, ne sont pas rares, même aux USA, le pays que  Netanyahou a qualifié de « grande citadelle de la démocratie ». Ceux qui ont vécu le scandale d’Abou Ghraib en 2004, lorsque des photos ont été diffusées dans les médias montrant les terribles sévices infligés à des prisonniers irakiens, n’oublieront jamais les images de violence physique et d’humiliation (pour lesquelles 12 soldats ont finalement été condamnés).


04/07/2024

GIDEON LEVY
La réaction à la libération du médecin de Gaza Mohammed Abu Salmiya révèle l’état effroyable de la société israélienne

Gideon Levy, Haaretz, 3/7/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Quiconque veut savoir ce qui est arrivé aux Israéliens depuis le 7 octobre est invité à regarder comment s’est passée la libération de prison du directeur de l’hôpital Al-Shifa. Le Dr Mohammed Abu Salmiya est resté en prison pendant sept mois, sans contrôle judiciaire, sans inculpation, sans culpabilité.


Le docteur Mohammed Abu Salmiya, directeur de l’hôpital Al-Shifa dans la ville de Gaza, en novembre 2023. Photo AFP

 

Mohammed Abu Salmiya après sa libération, à l’hôpital Nasser de Khan Younès, lundi. Photo Mohammed Salem/ REUTERS

Il a été enlevé par Israël de la même manière que le Hamas avait enlevé les otages israéliens et a été jeté en prison. Comme pour les otages israéliens, sa famille ne savait rien de son sort, et ni les représentants de la Croix-Rouge ni son avocat n’ont été autorisés à lui rendre visite.

Le Dr Issam Abu Ajwa, chirurgien, a été libéré avec lui lundi et a raconté les horribles sévices qu’il a subis. Sa photo avant et après ne laisse aucun doute sur la véracité de ses dires.

Les 50 autres Palestiniens libérés n’ont pas été montrés dans les médias israéliens, bien sûr, mais les spectateurs étrangers ont vu des adultes qui sont devenus des coquilles brisées : décharnés, timides, au corps osseux et aux jambes grêles, blessés, meurtris et pleins de blessures.

Abu Salmiya, heureusement pour lui, n’a pas été jeté dans le goulag de Sde Teiman, et n’a donc pas été torturé à mort comme ses deux collègues, le Dr Adnan Al-Bursh, chirurgien gazaoui de renom, et le Dr Iyad Rantisi, qui dirigeait un hôpital pour femmes, faisant partie de l’hôpital Kamal Adwan de Beit Lahiya.

Pour les Israéliens qui s’émeuvent de sa libération, Israël a eu tort de ne pas le tuer lui aussi, par les coups, la famine, la maladie ou d’autres formes de torture. Israël veut voir les médecins, comme tout le monde à Gaza, mourir d’une mort atroce.

12/06/2024

ALLISON KAPLAN SOMMER
Ces Israéliens qui se mettent le doigt dans l’œil en se réjouissant de la montée de l’extrême droite “pro-israélienne” en Europe

Allison Kaplan Sommer, Haaretz, 10/6/2024
Traduit par Layân Benhamed, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala

Les Israéliens feraient bien d’d’écouter des personnalités comme le chef de la Conférence des rabbins européens, le rabbin Pinchas Goldschmidt, qui a écrit à la veille des élections européennes qu’il n’y avait « pas de bons choix » pour les Juifs européens.


Israel Katz, janvier 2023. Photo Olivier Fitoussi

Dans des circonstances normales, les dirigeants et experts israéliens montreraient au moins une certaine détresse en apprenant que les partis d’extrême droite liés au passé nazi et fasciste et aux scandales d’antisémitisme actuels ont dominé les élections au Parlement européen.

Mais, comme pour bien d’autres choses, la guerre contre le Hamas à Gaza et la condamnation mondiale d’Israël ont modifié ce calcul. Après les récentes annonces de l’Espagne, de l’Irlande, de la Norvège et de la Slovénie selon lesquelles elles reconnaîtraient officiellement un État palestinien, la victoire de la droite en Europe a plutôt suscité l’optimisme quant au ralentissement, voire à l’arrêt de la tendance.

Le chef du bureau européen de la chaîne de télévision la mieux notée d’Israël, Elad Simchayoff, a célébré sur X la démission du Premier ministre belge Alexander De Croo , qui avait sévèrement critiqué Israël au cours de la guerre. Les responsables du ministère israélien des Affaires étrangères avaient craint que De Croo ne soit sur le point d’amener la Belgique à suivre les traces des autres pays et à reconnaître un État palestinien.

 Simchayoff a tweeté une vidéo de l’annonce en larmes de De Croo, commentant joyeusement : « Au revoir et prenez soin de vous. Nous nous souviendrons toujours de votre manque de clarté morale et de tact, en voyageant jusqu’en Égypte pour prononcer un discours au passage de Rafah quelques instants avant le passage du premier groupe defemmes et d’ enfants otages de retour en Israël. »

En effet, le 24 novembre, De Croo se trouvait à Rafah avant qu’un accord n’aboutisse à la libération de 13 otages du Hamas. Alors que le Premier ministre belge a salué cette libération et appelé à la libération de davantage d’otages, il a réservé des propos durs à l’égard d’Israël , dénonçant la « violence des colons », la violation du droit humanitaire international, le « meurtre de personnes innocentes » et appelant à un « cessez-le-feu permanent ».

Le ministre de la Diaspora, Amichai Chikli, s’est lui aussi moqué des larmes de De Croo, affirmant :« soutenir le terrorisme ne trouve pas un écho auprès du peuple belge ».


Le Premier ministre belge @alexanderdecroo a pleuré hier lorsque son parti a été vaincu. Apparemment, soutenir le terrorisme ne trouve pas un écho auprès du peuple belge.

Le ministre israélien des Affaires étrangères, Israel Katz, censé être le plus haut diplomate du pays, a publié un tweet extrêmement peu diplomatique en anglais et en espagnol, qui présentait un mème des principaux dirigeants espagnols avec des œufs crus et dégoulinants écrasés sur la tête, célébrant le fait que la reconnaissance de l’État palestinien ait été « punies» par les électeurs.

« Le peuple espagnol a puni la coalition @sanchezcastejon et @Yolanda_Diaz_ par une défaite retentissante aux élections. Il s’avère que soutenir les meurtriers et les violeurs du Hamas n’est pas payant », a écrit Katz.

Un satiriste israélien, Matan Blumenblat, a souligné dans un article sur X l’ironie du fait que la position d’Israël et de l’Europe est si lamentable que des Israéliens sont maintenant reconnaissants que « les nazis soient de retour au pouvoir ».

 Il y a des raisons pratiques à l’oscillation du pendule. Comme l’a noté le correspondant diplomatique de Haaretz, Amir Tibon, les responsables israéliens croisent les doigts pour que les résultats des élections améliorent les chances de voir les propositions anti-israéliennes rejetées par l’UE et créent plus d’obstacles aux mesures propalestiniennes que les partis de gauche ont cherché à promouvoir après le déclenchement de la guerre.

Même si cela est compréhensible, il est inconvenant pour un État juif de se réjouir de la montée de personnalités d’extrême droite et xénophobes comme la française Marine Le Pen, le néerlandais Geert Wilders et les représentants d’Alternative pour l’Allemagne, le parti d’extrême droite avec un passé néo-nazi qui a obtenu 16 pour cent des voix aux élections européennes en Allemagne, ce qui en fait le deuxième parti allemand au parlement.

Parmi les autres vainqueurs d’extrême droite : le politicien Grzegorz Braun, le député polonais qui avait utilisé en décembre dernier un extincteur pour éteindre une bougie sur une menorah allumée pour Hanoukka dans l'enceinte du Parlement polonais, expliquant que  son geste visait à « restaurer la normalité et l’harmonie en mettant fin à l’acte de victoire de Satan, du Talmud et du sectarisme » . [voir vidéo]

Les Européens juifs sont beaucoup plus circonspects quant aux résultats, comme ils l’ont été lors des élections. Les Israéliens feraient bien d’écouter des personnalités comme le rabbin Pinchas Goldschmidt, chef de la Conférence des rabbins européens, qui a écrit à la veille des élections qu’il n’il n’y avait « pas de bons choix » pour les Juifs européens.

« Nous craignons pour l’avenir de l’Europe et pour la place que nous y occupons en tant que minorité, quelle que soit la manière dont nous votons et quel que soit le vainqueur », a-t-il écrit.

Une fois les résultats connus, les dirigeants israéliens devraient envisager de faire de même.

 

03/11/2023

GIDEON LEVY
Voici les enfants extraits des décombres après le bombardement du camp de réfugiés de Jabaliya à Gaza

Gideon Levy, Haaretz, 2/11/2023
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Un terroriste du Hamas a été sorti des décombres, porté dans les bras de son père. Son visage est couvert de poussière, son corps est agité de soubresauts, son regard est vide. On ne sait pas s’il est vivant ou mort. C’est un enfant de trois ou quatre ans, et son père, désespéré, l’a emmené d’urgence à l’hôpital indonésien de la bande de Gaza, qui débordait déjà de blessés et de morts.

Des Palestiniens cherchent des survivants sous les décombres de bâtiments détruits à la suite de frappes aériennes israéliennes dans le camp de réfugiés de Jabaliya, dans le nord de la bande de Gaza, mercredi. Photo : Abed Khaled /AP : Abed Khaled /AP

Une autre terroriste a été extraite de l’épave. Cette fois, elle est bien vivante, ses cheveux clairs et bouclés sont blancs de poussière ; elle a cinq ou six ans et est portée par son père. Elle regarde à droite et à gauche, comme pour demander d’où viendra l’aide.

Un homme vêtu d’un gilet en lambeaux griffonne ici et là, un drap blanc plié comme un linceul dans les mains, recouvrant le corps d’un nourrisson, qu’il agite en signe de désespoir. C’est le corps de son fils, un nouveau-né. Ce nourrisson n’avait pas encore eu la chance de rejoindre le quartier général militaire du Hamas dans le camp de réfugiés de Jabaliya. Il n’a vécu que quelques jours - l’éternité d’un papillon - et a été tué.

Des dizaines de jeunes ont continué à creuser dans les décombres à mains nues dans un effort désespéré pour extraire des personnes encore vivantes ou les corps de voisins, soulevant des morceaux de murs détruits pour dégager un enfant dont la main dépassant des ruines. Cet enfant était peut-être un terroriste de la force Nukhba du Hamas.

Tout autour se tiennent des centaines d’hommes, vêtus de haillons, qui se serrent désespérément les mains. Certains d’entre eux fondent en larmes. Un chauffe-eau solaire israélien portant un autocollant en hébreu gît dans les décombres, rappelant les jours passés. « Nous n’avons plus le temps de ressentir quoi que ce soit » déclare Mansour Shimal, un habitant du camp, à Al Jazeera.

Mardi après-midi, des avions de l’armée de l’air israélienne ont bombardé le bloc 6 du camp de réfugiés de Jabaliya. En Israël, on en a à peine parlé. Al Jazeera a rapporté que six bombes avaient été larguées sur le bloc 6, laissant un énorme cratère dans lequel une rangée d’immeubles d’habitation gris est tombée comme un château de cartes. Les pilotes ont dû annoncer qu’ils avaient atteint leur objectif. Les images étaient horribles.

Lorsque je me suis rendu dans le quartier Daraj de Gaza en juillet 2002, au lendemain de l’assassinat de Salah Shehadeh, j’ai vu une scène très dure. Mais elle était pastorale, comparée à ce que l’on a vu à Jabalya mardi. À Daraj, 14 civils avaient été tués, dont 11 enfants, soit environ un dixième du nombre de personnes tuées dans le bombardement de mardi à Jabaliya, selon les rapports palestiniens.

En Israël, les scènes de Jabaliya n’ont pas été montrées. Et pourtant, difficile à croire, elles ont bien eu lieu. Quelques chaînes étrangères les ont diffusées en boucle. En Israël, on a annoncé que le commandant du bataillon central du Hamas à Jabaliya, Ibrahim Biari, avait été tué lors d’une frappe de l’armée de l’air dans le camp de réfugiés le plus peuplé de Gaza et que des dizaines de terroristes avaient été tués. L’assassinat de Shehadeh avait été suivi d’un débat public incisif en Israël. Ce qui s’est passé mardi à Jabaliya a été à peine évoqué ici. Il s’est produit avant que les mauvaises nouvelles concernant les soldats israéliens tués ne soient annoncées, alors que le feu de camp de la guerre crépitait encore.

Selon les rapports, une centaine de personnes ont été tuées dans l’attentat de Jabaliya et quelque 400 ont été blessées. Les images de l’hôpital indonésien étaient tout aussi horribles. Des enfants brûlés jetés les uns à côté des autres, trois et quatre sur un lit sale ; la plupart d’entre eux ont été soignés à même le sol, faute de lits suffisants. Le mot “traitement” n’est pas le bon. En raison du manque de médicaments, des opérations chirurgicales vitales ont été effectuées non seulement à même le sol, mais aussi sans anesthésie. L’hôpital indonésien de Beit Lahia est devenu un véritable enfer.

Israël est en guerre, après que le Hamas a assassiné et kidnappé avec une barbarie et une brutalité qui ne peuvent être pardonnées. Mais les enfants qui ont été extraits des débris du bloc 6 et certains de leurs parents n’ont rien à voir avec les attaques contre Be’eri et Sderot.

Pendant que les terroristes sévissaient en Israël, les habitants de Jabaliya étaient blottis dans leurs baraques dans le camp le plus peuplé de Gaza, réfléchissant à la manière de passer une journée de plus dans ces conditions, qui ont été aggravées par le siège des 16 dernières années. Ils vont maintenant enterrer leurs enfants dans des fosses communes parce qu’à Jabaliya, il n’y a plus de place pour les enterrer individuellement.