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31/10/2023

REINALDO SPITALETTA
Les sanglots d’un Palestinien
Impressions berlinoises

Reinaldo Spitaletta, Sombrero de mago, El Espectador, 30/10/2023
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Après avoir été émus par le Mémorial de l’Holocauste, qui laisse sans voix et avec beaucoup de questions et d’angoisse, nous y avons déposé une rose rouge, puis nous avons marché jusqu’au Mémorial des Rroms et Sintis d’Europe, situé au sud du bâtiment du Reichstag à Berlin. Ces deux mémoriaux commémorent le génocide nazi. Au bord du bassin du mémorial, où nous avons rencontré deux dames iraniennes, les eaux nous ont parlé avec des mots exacts et très douloureux. Un poème du Rrom italien Santino Spinelli, intitulé Auschwitz : « Visage affaissé / yeux éteints / lèvres froides / silence / cœur brisé / sans souffle / sans mots / pas de larmes ».

 

« Aucun pays ne pratique le nettoyage ethnique en toute impunité aussi bruyamment qu’Israël et aucun pays fait un silence aussi bruyant que l’Allemagne ».


Près du bâtiment du parlement allemand, en cours de rénovation, un homme en noir, portant un drapeau palestinien, tenait une harangue sur les difficultés de son peuple, la souffrance des enfants et des personnes âgées, les humiliations d’Israël contre une nation sans territoire, toujours accablée et prête à haïr l’ennemi. Il portait un keffieh blanc avec des arabesques noires et transmettait son désarroi en anglais à quelques spectateurs.

Ma compagne s’est approchée, a crié “Vive la Palestine !” et l’a serré dans ses bras. Ils se sont pris dans les bras. L’homme pleurait. Elle aussi. J’ai été la seule autre personne à me joindre à l’étreinte et j’ai crié “Vive la résistance palestinienne”. Les manifestations pro-palestiniennes avaient été interdites en Allemagne au début du mois d’octobre, au moment des attaques du Hamas contre Israël et de la réponse d’Israël. J’ai donc appris plus tard qu’à plusieurs endroits stratégiques de Berlin, il n’y avait qu’un seul Palestinien qui, comme l’homme dans l’étreinte, parlait de ses douleurs et de ses malheurs à ceux qui s’arrêtaient pour l’écouter.

Le poème tzigane et les larmes du Palestinien m’ont suivi pendant un bon moment. Je pensais à la façon dont la haine est alimentée dans le monde, à la tragédie des gens et à l’intervention silencieuse des politiciens. Je pensais aussi aux guerres et à leurs victimes, principalement des civils. Ma compagne a continué à pleurer et m’a parlé du regard du Palestinien, qui était très triste, et de la façon dont il a pleuré sur ses épaules, comme dans une sorte d’orphelinat infini.

L’écrivain israélien David Grossman a déclaré que les Palestiniens et les Israéliens sont les enfants du conflit « qui nous a légué tous les handicaps de la haine et de la violence ». Dans son livre La mort comme mode de vie, une sélection d’articles sur le conflit israélo-palestinien, dans lequel il tente de trouver une sorte d’équilibre instable entre les deux peuples, il constate que les Palestiniens ont été les laissés-pour-compte de l’histoire. « Ils ont vécu déchirés entre des souvenirs légendaires démesurés et l’aspiration à un avenir héroïque ». Et que Palestiniens et Israéliens ont tenté de s’éliminer les uns les autres.

Un autre écrivain, José Saramago, a déclaré en 2002 que la Palestine était comme Auschwitz, soulevant une tempête inhabituelle en Israël (où ses livres sont très lus), et a ajouté qu’il ne s’agissait pas d’un conflit entre les deux entités. « Nous pourrions parler de conflit s’il s’agissait de deux pays, avec une frontière et deux États dotés chacun d’une armée ». Et dans la même interview à la BBC à Londres, il a averti qu’“un sentiment d’impunité caractérise désormais le peuple israélien et son armée. Ils sont devenus des rentiers de l’holocauste. Avec tout le respect dû aux personnes tuées, torturées et gazées”.

Que n’avait-il pas dit !

« Auschwitz est pour les Juifs une blessure qui ne guérira probablement jamais. Mais c’est aussi une blessure qu’ils ne veulent pas voir guérie, qu’ils grattent constamment pour qu’elle continue à saigner, comme s’ils voulaient nous en rendre responsables », a-t-il noté dans une interview parue dans le livre Palestina Existe. Furieux, les Israéliens ont boycotté l’écrivain, qui avait complété son propos par ces mots : « Au lieu d’apprendre des victimes, ils se sont inscrits à l’école des bourreaux. Hier, ils faisaient l’objet de ségrégation ? Aujourd’hui, ils font de la ségrégation. Ils ont été torturés ? Aujourd’hui, ils torturent ».

Contre les Palestiniens, de la part d’Israël, il n’y a pas seulement du mépris, mais de la haine. Et les deux peuples s’excluent l’un l’autre, ils font partie des réseaux du pouvoir mondial qui, surtout, font d’Israël le porte-drapeau des politiques impérialistes au Moyen-Orient. À ce stade, il convient de rappeler un passage du poème de Mahmoud Darwich intitulé Sur cette terre :

Sur cette terre, il y a ce qui mérite vie :
sur cette terre, se tient la maîtresse de la terre, mère des préludes et des épilogues.
On l’appelait Palestine.
On l’appelle désormais Palestine.
Ma Dame, je mérite la vie, car tu es ma Dame.
(1986, trad. Elias Sanbar)

Nous avons continué à marcher dans Berlin et nous avons tous les deux ressenti une sorte de vide, une sorte de nausée, une sorte de douleur contenue, ce qu’on nomme impuissance individuelle. Je n’arrêtais pas d’entendre la voix de l’homme en noir, ainsi que celle des femmes iraniennes qui nous ont dit qu’elles étaient des exilées. Les images monumentales de l’holocauste et les eaux du bassin des tziganes m’ont à nouveau secoué : il y avait un cœur brisé, sans mots, mais, dans ce cas, il y avait des larmes.