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30/04/2024

NAOMI KLEIN
Nous avons besoin d’un exode du sionisme
Discours lors du Séder d’urgence dans les rues de New York

Naomi Klein, The Guardian, 24/4/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Ci-dessous la transcription d’un discours prononcé lors du Séder d’urgence dans les rues de New York, organisé par les Voix juives pour la paix le 23 avril 2024, qui a vu l'arrestation de centaines de personnes

En cette Pâque, nous n’avons ni besoin ni envie de la fausse idole qu’est le sionisme. Nous voulons être libérés du projet qui commet un génocide en notre nom

J’ai pensé à Moïse et à sa colère lorsqu’il est descendu de la montagne pour trouver les Israélites en train d’adorer un veau d’or.

L’écoféministe en moi a toujours été mal à l’aise avec cette histoire : quel genre de Dieu est jaloux des animaux ? Quel genre de Dieu veut s’approprier tout le caractère sacré de la Terre ?

Mais il y a une façon moins littérale de comprendre cette histoire. Il s’agit de fausses idoles. De la tendance humaine à adorer ce qui est profane et brillant, à se tourner vers ce qui est petit et matériel plutôt que vers ce qui est grand et transcendant.

Ce que je veux vous dire ce soir, à l’occasion de ce Séder révolutionnaire et historique dans les rues, c’est que trop des nôtres adorent à nouveau une fausse idole. Ils sont enchantés par cette idole. Ils en sont ivres. Profanés par elle.

Cette fausse idole s’appelle le sionisme.

C’est une fausse idole qui prend nos histoires bibliques les plus profondes de justice et d’émancipation de l’esclavage - l’histoire de la Pâque elle-même - et les transforme en armes brutales de vol colonial de terres, en feuilles de route pour le nettoyage ethnique et le génocide.

C’est une fausse idole qui a pris l’idée transcendante de la terre promise - une métaphore de la libération humaine qui a voyagé à travers de multiples croyances jusqu’aux quatre coins du monde - et qui a osé la transformer en un acte de vente pour un ethno-État militariste.

La version sioniste de la libération est elle-même profane. Dès le départ, elle a exigé l’expulsion massive des Palestiniens de leurs maisons et de leurs terres ancestrales lors de la Nakba.

Depuis le début, elle est en guerre contre les rêves de libération. Lors d’un Séder, il est bon de se rappeler que cela inclut les rêves de libération et d’autodétermination du peuple égyptien. Cette fausse idole du sionisme assimile la sécurité israélienne à la dictature égyptienne et à ses États clients.

Dès le départ, le sionisme a engendré une liberté hideuse qui considérait les enfants palestiniens non pas comme des êtres humains, mais comme des menaces démographiques, tout comme le pharaon du livre de l’Exode craignait la population croissante des Israélites et ordonnait donc la mort de leurs fils.

Le sionisme nous a amenés à ce moment de cataclysme et il est temps que nous disions clairement qu’il nous a toujours menés là.

C’est une fausse idole qui a conduit beaucoup trop des nôtres sur une voie profondément immorale qui les amène aujourd’hui à justifier le déchiquetage des commandements fondamentaux : tu ne tueras pas. Tu ne voleras pas. Tu ne dois pas convoiter.

C’est une fausse idole qui assimile la liberté juive aux bombes à fragmentation qui tuent et mutilent les enfants palestiniens.

Le sionisme est une fausse idole qui a trahi toutes les valeurs juives, y compris la valeur que nous accordons au questionnement - une pratique ancrée dans le Séder avec ses quatre questions posées par le plus jeune enfant.

Y compris l’amour que nous avons en tant que peuple pour les textes et pour l’éducation.

Aujourd’hui, cette fausse idole justifie le bombardement de toutes les universités de Gaza, la destruction d’innombrables écoles, d’archives, de presses à imprimer, le meurtre de centaines d’universitaires, de journalistes, de poètes - c’est ce que les Palestiniens appellent le scholasticide*, la destruction meurtrière des moyens d’éducation.

Pendant ce temps, dans cette ville, les universités font appel à la police de New York et se barricadent contre la grave menace que représentent leurs propres étudiants qui osent leur poser des questions fondamentales, telles que : comment pouvez-vous prétendre croire en quoi que ce soit, et surtout pas en nous, alors que vous permettez ce génocide, que vous y investissez et que vous y collaborez ?

La fausse idole qu’est le sionisme a été autorisée à se développer sans contrôle pendant bien trop longtemps.

Alors ce soir, nous disons : ça s’arrête ici.

Notre judaïsme ne peut être contenu par un État ethnique, car notre judaïsme est internationaliste par nature.

Notre judaïsme ne peut être protégé par l’armée déchaînée de cet État, car cette armée ne fait que semer le chagrin et récolter la haine - y compris contre nous en tant que juifs.

Notre judaïsme n’est pas menacé par les personnes qui élèvent leur voix en solidarité avec la Palestine au-delà des frontières raciales, ethniques, physiques, de l’identité de genre et des générations.

Notre judaïsme est l’une de ces voix et sait que c’est dans ce chœur que résident à la fois notre sécurité et notre libération collective.

Notre judaïsme est le judaïsme du Séder de Pessah : le rassemblement en cérémonie pour partager la nourriture et le vin avec des êtres chers et des étrangers, le rituel qui est intrinsèquement portable, suffisamment léger pour être porté sur le dos, qui n’a besoin de rien d’autre que de l’autre : pas de murs, pas de temple, pas de rabbin, un rôle pour chacun, même - et surtout - pour le plus petit des enfants. Le Séder est une technologie de la diaspora s’il en est, faite pour le deuil collectif, la contemplation, le questionnement, le souvenir et la revitalisation de l’esprit révolutionnaire.

Regardez donc autour de vous. Ceci, ici, est notre judaïsme. Alors que les eaux montent, que les forêts brûlent et que rien n’est certain, nous prions à l’autel de la solidarité et de l’entraide, quel qu’en soit le prix.

Nous n’avons pas besoin de la fausse idole qu’est le sionisme et nous n’en voulons pas. Nous voulons être libérés du projet qui commet des génocides en notre nom. Nous voulons être libérés d’une idéologie qui n’a aucun plan de paix, si ce n’est des accords avec les pétro-monarchies théocratiques meurtrières voisins, tout en vendant au monde entier les technologies d’assassinats robotisés.

Nous cherchons à libérer le judaïsme d’un ethno-État qui veut que les juifs aient toujours peur, que nos enfants aient peur, que nous croyions que le monde est contre nous pour que nous courions nous réfugier dans sa forteresse et sous son dôme de fer, ou au moins pour que les armes et les dons continuent d’affluer.

Telle est la fausse idole.

Et ce n’est pas seulement Netanyahou, c’est le monde qu’il a créé et qui l’a créé - c’est le sionisme.

Qu’est-ce que nous sommes ? Nous, dans ces rues depuis des mois et des mois, nous sommes l’exode. L’exode du sionisme.

Et aux Chuck Schumers** de ce monde, nous ne disons pas : « Laisse partir notre peuple ».

Nous disons : « Nous sommes déjà partis. Et vos enfants ? Ils sont avec nous maintenant ».

NdT

*Selon le groupe d'action Scholars against the War in Palestine (SAWP), le terme de scholasticide, conceptualisé par la professeure Karma Nabulsi de l'université d'Oxford, met en lumière la destruction systématique de l'éducation en Palestine par Israël. Initialement utilisé pour décrire les agressions israéliennes sur Gaza en 2009, le scholasticide remonte à la Nakba de 1948 et s'est intensifié après la guerre de 1967 sur la Palestine et l'invasion du Liban en 1982. Ce concept souligne l'importance cruciale de l'éducation dans la tradition et la révolution palestiniennes, face aux politiques coloniales israéliennes visant sa destruction.

** Chef de la majorité démocrate au Sénat usaméricain, principal artisan du vote qui a approuvé cette semaine une aide usaméricaine supplémentaire de 26 milliards de dollars à Israël et partisan de longue date de la politique de cet État à l’égard des Palestiniens. Le séder avait lieu devant sa résidence.