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05/04/2023

JUAN PABLO CARDENAS
Chili : Obéir aveuglément au peuple ?

Juan Pablo Cárdenas S., Politika, 4/4/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le presidente del gobierno de España, le social-démocrate Pedro Sánchez, rend visite à la presidente del Consiglio en Italie, la très néofasciste Giorgia Meloni. Le titre du quotidien madrilène El País en dit long : « Le président et Meloni font preuve de “syntonie” et évitent toute distanciation ». Hier, Fausto m'a appelé. J'ai trouvé son commentaire pertinent : « Ils veulent lutter contre le fascisme en adoptant son programme ». Pourquoi Boric devrait-il nous surprendre ? [Luis Casado, Politika]

Santiago , 25 octobre 2019 : « C’est pas pour 30 pesos [l’augmentation du ticket de métro], c’est pour 30 ans [de post-pinochétisme] »

L'histoire semble nous montrer que les gens n'ont pas toujours, ou plutôt rarement, raison. Sinon, les guerres et autres graves aberrations commises contre l'humanité n'auraient pas pu avoir lieu. Au XXe siècle, considéré comme le plus cruel et le plus violent de tous, des millions d'êtres humains ont été condamnés à la mort, à l'esclavage, à la torture et aux camps d'extermination, au gré des dictateurs les plus sombres, souvent au nom de leurs propres sujets ou même sous le prétexte de la volonté de Dieu.

Des pratiques telles que l'Inquisition, la discrimination raciale et tant d'autres aberrations ont été encouragées et acclamées par les peuples. Le nazisme, sans aller plus loin, est connu pour avoir bénéficié d'un soutien massif de l'opinion publique, de même que divers tyrans de notre continent [Abya Yala, alias l’Amérique latine, NdT] se sont levés et ont régné avec l'appui de masses en liesse. Les exemples sont nombreux et il n'est pas utile de les rappeler.

C'est pourquoi il nous semble anormal que les gouvernants et les hommes politiques en général se débarrassent de leurs idéaux politiques pour “obéir à la volonté de leur peuple”. Le pire est que, ce faisant, ils prétendent toujours adopter un comportement démocratique, comme si celui-ci consistait à se dédire et à renier ses promesses devant des majorités de circonstance, comme si les grandes transformations n'avaient pas toujours été le fruit de la vision prophétique et même du volontarisme des leaders politiques et sociaux.

Nos Pères fondateurs sont même morts dans l'incompréhension et la répudiation de leurs nations. Un Martin Luther King a été répudié même par la population noire des USA, tout comme les reconstructeurs de l'Europe d'après-guerre ont dû s'exiler et lutter pendant de nombreuses années pour obtenir le soutien de leurs peuples, saoulés pendant de nombreuses années par les triomphes et les crimes d'Hitler, de Mussolini et Staline.

Dans les différents médias chiliens aujourd'hui, le changement entre le Boric candidat et le Boric président est critiqué autant qu'il est loué. Le fait qu'hier il prônait le contrôle des cochoncetés commises par la police et qu'aujourd'hui il s'assume comme son grand protecteur depuis sa position à la tête de l'État. Le fait qu'il ait réussi à gracier, comme il l'avait promis, certains prisonniers de l’explosion sociale et que son gouvernement convienne maintenant qu'il ne continuera pas à exercer ce privilège présidentiel. Le fait que ses proches collaborateurs aient proclamé leur supériorité morale par rapport aux dirigeants de la Concertación et de la Nueva Mayoría, et que des représentants des gouvernements précédents aient été incorporés aux postes les plus élevés de l'exécutif, remplaçant ceux qui font partie des secteurs de gauche qui ont remporté les dernières élections présidentielles.

C'est peut-être dans la concordance entre ce qui est promis et ce qui est fait par la suite que réside le véritable leadership et l'esprit d'État des gouvernants. Dans la capacité à convaincre leurs nations, à les empêcher de se rendre aux secteurs rétrogrades, à se laisser intimider par leurs campagnes de terreur et leurs projets de coup d'État. De s'imposer face aux mauvaises intentions de la presse accrochée à ceux qui s'opposent sans vergogne à la justice sociale, à la possibilité d'une réforme fiscale efficace, à une redistribution exacte du revenu national, et de mettre en œuvre une économie et des relations internationales qui veillent aux intérêts du pays, sans s'agenouiller devant les puissances hégémoniques et les compagnies transnationales.

En ce sens, notre propre évolution politique et institutionnelle peut éclairer un président comme Gabriel González Videla [1946-1952], qui est arrivé à La Moneda dans les bras du peuple et des partis de gauche pour finir par servir les secteurs les plus riches et les plus réactionnaires, confinant les communistes et d'autres dans des camps de concentration. Ses pairs qui ont promu des réformes telles que l'éducation et le développement d'une entreprise publique aussi importante que la Corporación de Fomento de la Producción [1939] ne sont-ils pas bien plus méritants que lui ?

Il se peut que ce qui est arrivé à Salvador Allende ait inhibé ceux qui ont gouverné après Pinochet, dans la crainte constante que les militaires ne fassent avorter leur administration, en ne respectant pas un grand nombre d'engagements qu'ils avaient pris envers le peuple. Il ne fait aucun doute que l'échec du gouvernement de l'Unidad Popular a semé des idées et des espoirs qui sont encore bien vivants dans la conscience populaire aujourd'hui. Malgré le fait qu'aujourd'hui notre population est en proie à la peur, à la criminalité et à des phénomènes tels que le trafic de drogue, qui ont précisément été initiés par les gouvernements timorés et la décomposition morale de la post-dictature.

Si, après l'administration actuelle, la droite la plus extrême triomphe, ce sera fondamentalement dû à la faiblesse et aux zigzags de ceux qui nous gouvernent. De leur manque de cohérence et de conséquence. La démocratie ne consiste certainement pas à se plier aux humeurs circonstancielles, aux mensonges et à la propagande multimillionnaire de ceux qui sont réfractaires au changement et toujours encouragés de l'extérieur. La chose démocratique à faire est de respecter la volonté électorale, mais ensuite de se conformer à ce qui a été promis.

La défaite vaut mieux que la défec[a]tion.

 NdT

  • Le Sénat chilien vient d’adopter, par 40 voix contre 5, le projet de loi dite Naín-Retamal, du nom de deux carabineros morts dans l’exercice de leur devoir, et populairement appelée « loi gâchette facile » qui instaure un droit de légitime défense aux membres des toutes forces dites de sécurité : carabineros, gendarmes, PJ et tutti quanti. Lire Chili : le projet de loi sur la légitime défense pourrait augmenter les violences policières et l’impunité pour ces crimes, par Amnesty International, 30/3/2023

  • PS : Je dédie cette traduction à la mémoire de l’immortel Marmaduke Grove Vallejo (1978-1954), ministre de la Défense de la plus brève République socialiste de l’histoire mondiale (4-16 juin 1932), plus connu comme l’“homme de l’avion rouge”, à bord duquel il débarqua à Concepción en septembre 1930 pour tenter de prendre le pouvoir avec ses camarades, mais subit une trahison des militaires sur lesquels il comptait. Fondateur du Parti socialiste, qu'il quitta pour sa dérive droitière, fondant l'éphémère Parti Socialiste Authentique en 1943. Parmi ses héritiers politiques tragiques : Salvador Allende et Hugo Chávez. Parmi ses héritiers biologiques tragicomiques : Camila Vallejo Dowling, ministre secrétaire générale du gouvernement Boric, que j’ai appelée ailleurs la Madone des sleepings de gôche. Marmaduke, réveille-toi, ils sont devenus mous du cerveau et durs de la feuille, et envoie-leur quelques escadrilles de drones rouges !