Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
La caméra se déplace lentement d'un joueur à l'autre. Un par un, elle zoome sur la même expression dure et ferme. Pas un muscle ne bouge sur leur visage, leurs lèvres sont pincées. Dix jeunes hommes en rouge et un en bleu pâle se tenaient épaule contre épaule et se soutenaient mutuellement dans leur heure de gloire. Il est difficile de savoir ce qui leur a traversé l'esprit à ce moment-là. Il est encore plus difficile de savoir comment ce geste est né : quand a-t-il été planifié, ont-ils tous été d'accord à l'avance ? Qui a pris l'initiative, qui était au courant, qui a tenté de les dissuader, et y en a-t-il un seul qui ait flanché ?
L'hymne national de la République islamique d'Iran, leur pays, a été joué et leurs lèvres sont restées scellées. Ils se sont tus comme un seul homme et leur silence a résonné jusqu'au bout du monde. Dans le stade de Doha, un moment fondateur est né. Un silence qui a résonné plus fort que tout le bruit dans les stades.
On ne sait
pas ce qu'il adviendra d'eux lorsqu'ils rentreront, s'ils rentrent, dans leur
pays. Il est peu probable qu'ils aient l'occasion de le représenter à nouveau.
Le risque qu'ils ont pris est énorme, tout comme l'admiration mondiale qu'ils
ont gagnée. Ils ont également été admirés en Israël. Les Israéliens savent
apprécier le courage, mais uniquement de ceux qui résistent aux régimes
d'autres États. Ce qui s'est passé à Doha ne se produira jamais dans l'équipe
juive d'Israël, et pas seulement parce qu'Israël n'a aucune chance d'atteindre
la Coupe du monde.
Les joueurs
arabes de l'équipe israélienne ne chantent pas l'hymne, ostensiblement à cause
de quelques mots qui ne leur conviennent pas. Mais la raison est plus profonde.
Eux aussi sont des résistants au régime, un régime de suprématie juive, qui
chante « Aussi longtemps qu'au fond de nos cœurs/
Vibrera l'âme juive » dans un Etat habité par deux nations. Le risque
qu'ils prennent en ne chantant pas l'hymne est limité. Personne ne va les virer
de l'équipe pour l'instant, sans parler de les envoyer en prison. Il n'est pas
non plus nécessaire de s'étendre sur les différences entre le régime iranien et
celui d'Israël. Une dictature totalitaire comme celle de l'Iran n'existe que
dans l'arrière-cour d'Israël. Dans la façade d'Israël, où vivent aussi les
joueurs de l'équipe arabe, il y a un régime libre, sinon égalitaire.
Lorsque Bibras Natcho n'a pas chanté l’Hatikva, aucun de ses coéquipiers juifs n'a pensé à faire preuve de solidarité et à se joindre à son combat. Lorsque Moanes Dabbur a cité le Coran dans le conflit armé baptisé “Gardien des Murs” [mai 2021] et a écrit : « Ne pensez pas qu'Allah ignore ceux qui commettent les iniquités », il a été temporairement suspendu de l'équipe, jusqu'à ce qu'il la quitte pour de bon. Personne n'est venu prendre sa défense. Un joueur juif de l'équipe qui s'identifie à la minorité opprimée n'est pas encore né. Les joueurs juifs de l'équipe, et la plupart de ses fonctionnaires et de ses fans, rivalisent entre eux pour faire preuve du patriotisme le plus véhément et le plus criard contre les résistants à notre régime.