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19/03/2023

Je suis la femme juive agressée sexuellement par un Arabe : ne vous servez pas de moi pour alimenter votre racisme

Anonyme, Haaretz, 19/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 Le nom de l'auteure est connu de Haaretz.

Il y a quelques semaines, les médias ont rapporté qu'une jeune femme juive avait été agressée sexuellement par un Arabe dans des toilettes publiques à Jérusalem. Plus tard, l'acte d'accusation contre lui a été publié et, mercredi 8 mars, la chaîne de télévision Channel 13 a diffusé un reportage sur le sujet dans son principal journal télévisé.

Je suis la Juive qui a été agressée. J'ai porté plainte auprès de la police non pas parce que je crois à la guerre ou à la vengeance, mais parce que je ne connaissais pas cet homme et que je n'avais donc aucun autre moyen de m'assurer qu'il ne ferait pas de mal à d'autres femmes, et que je n'avais pas non plus accès à d'autres solutions telles que la justice réparatrice.

Je ne sais pas pourquoi il était pertinent de noter qu'il était arabe, comme si son nom ne l'indiquait pas assez clairement. Les réactions en ligne étaient, comme on pouvait s'y attendre, pleines de violence, de haine et d'appels au meurtre d'Arabes.

L'agression s'est produite il y a plusieurs semaines, mais à la lumière du récent pogrom dans la ville palestinienne de Huwara et de la violence qui touche les deux camps, elle est particulièrement choquante. Parlons donc un peu de la “femme juive pure” et de “l'attaque terroriste”.

La première fois que j'ai été agressée sexuellement, j'avais 15 ans. L'agresseur était un “pur juif” issu d'un foyer si juif que sa mère lui interdisait, pour des raisons religieuses, de toucher le sexe opposé. Ayant observé les relations entre les membres de sa famille, je ne doute pas qu'elles aient influencé sa tendance à l'agression.

07/02/2023

YAEL DAREL
“Ils veulent ramener les femmes 500 ans en arrière” : les tribunaux rabbiniques israéliens s’apprêtent à jouir d’un pouvoir “horrifiant”

Yael Darel, Haaretz, 6/2/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

L’accord de coalition que le Premier ministre Netanyahou a signé avec le parti ultra-orthodoxe Shas promet d’élargir le champ d’action des tribunaux rabbiniques d’Israël bien au-delà du droit de la famille - et de leur accorder un statut égal à celui des tribunaux civils.

 

Photo : Ohad Zwigenberg. Photoshop : Shani Daniel

 En 2008, le mari d’une femme qui a accepté d’être identifiée par l’initiale G. a été reconnu coupable de l’avoir violemment agressée et condamné à deux ans de prison. Mais pendant des années, ni cette agression, que G. a décrite comme une tentative de meurtre, ni les innombrables menaces et tentatives d’agression - dont certaines l’ont conduite dans un foyer pour femmes - n’ont convaincu les juges d’un tribunal rabbinique de lui permettre de recevoir un get, un certificat juif de divorce.

 

« Mon ex-mari a réussi à convaincre quelques rabbins qu’il changeait, alors ils n’ont cessé de me demander de lui donner une autre chance, de suivre une thérapie de couple avec lui », raconte-t-elle. « À un moment donné, j’ai compris que l’establishment rabbinique était déterminé à ne pas me laisser divorcer. J’étais une jeune mère. J’avais peur que les enfants me soient enlevés, et je n’ai pas pu résister à la pression. Mais même lorsque j’acceptais de suivre une thérapie de couple, une minute avant que nous entrions dans la clinique, il me disait à voix basse : “Fais attention à dire la vérité” ».

 

De nombreux juristes ont mis en garde contre les conséquences dévastatrices qui se feront sentir dans tous les domaines de la vie si ces changements sont mis en œuvre.

 

L’histoire des tentatives de divorce s’est poursuivie pendant plus de dix ans. Seule l’intervention d’une organisation de défense des femmes privées de get a permis à G. d’obtenir un acte de divorce religieux et de mettre fin à son mariage violent et abusif. « Nous aidons beaucoup de cas de ce genre, car en Israël, chaque couple qui veut divorcer doit passer par les tribunaux rabbiniques. Il s’agit d’un système totalement masculin, dans lequel seuls les hommes peuvent travailler ou témoigner, alors que les femmes ne le peuvent pas. C’est là que le problème commence », explique Orit Lahav, directrice exécutive de l’ONG Mavoi Satum [Impasse].

 

Le Premier ministre Benjamin Netanyahou, cette semaine. Photo : Olivier Fitoussi

« Les juges sont des hommes haredi [ultra-orthodoxes], dont la plupart n’ont pas d’interaction quotidienne avec les femmes, à l’exception peut-être des membres de leur propre famille, et le système juridique qu’ils administrent fonctionne selon des lois religieuses qui cherchent à faire reculer le statut des femmes de 500 ans », explique Lahav.

 

« S’il est vrai que l’on peut trouver ici et là des juges équitables qui font preuve de sensibilité, il s’agit en général d’un système qui discrimine automatiquement les femmes, qui les maltraite et qui les broie. Les tribunaux rabbiniques sont actuellement dans une collision frontale quotidienne avec le monde moderne, et il est clair que s’ils reçoivent de l’autorité dans des domaines supplémentaires, cette collision s’intensifiera et ce sont les femmes qui en souffriront ».

 

La collision frontale massive que Lahav anticipe n’est pas seulement théorique. La protestation publique actuelle contre le nouveau gouvernement se concentre sur les mesures proposées par le ministre de la Justice Yariv Levin [Likoud] pour affaiblir le système judiciaire, notamment les modifications apportées au comité de nomination des juges, la limitation des pouvoirs de la Cour suprême et le changement de statut des conseillers juridiques des ministères.

 


Orit Lahav. Photo : Mavoi Satum

 

Mais un projet visant à accorder aux tribunaux rabbiniques un statut égal à celui des tribunaux civils et à créer un système juridique distinct et parallèle fonctionnant selon les lois religieuses juives passe inaperçu. Ce projet concentrerait également un pouvoir important et sans précédent entre les mains des tribunaux rabbiniques dans toutes les affaires civiles qui ne sont actuellement traitées que par le système judiciaire civil.

 

Les accords de coalition que le parti Likoud du Premier ministre Benjamin Netanyahuo a signés avec le parti ultra-orthodoxe Shas stipulent ces changements. De nombreux juristes ont mis en garde contre les conséquences dévastatrices qui se feront sentir dans tous les domaines de la vie si ces changements sont mis en œuvre.

 

Un système masculin

 

« Ce n’est pas la première fois que les ultra-orthodoxes tentent d’étendre les pouvoirs des tribunaux rabbiniques », dit l’avocate Batya Kahana-Dror, spécialisée dans le droit de la famille et les tribunaux rabbiniques et qui siège au comité du droit de la famille du barreau de Jérusalem. « De telles tentatives ont été faites depuis 2006 à travers une longue liste de projets de loi qui ont été torpillés. Je crains que cette fois-ci, elle ne réussisse, car elle a été intégrée aux accords de coalition.

Un panneau dans le tribunal rabbinique de Jérusalem. Photo : Ohad Zwigenberg

 

« Si cela se produit, cela signifie que les gens pourront se poursuivre les uns les autres dans les tribunaux rabbiniques comme s’il s’agissait de tribunaux à tous égards, y compris sur des questions telles que les délits, le droit du travail, les contrats et l’immobilier, et ils pourront donc appliquer la loi religieuse à chaque partie de la vie en Israël », dit Kahana-Dror. « Il y aura ici un État dans l’État ».

 

Les tribunaux rabbiniques (dont les jugements, comme on l’a noté, sont fondés sur la loi religieuse) font déjà partie du système juridique israélien et détiennent l’autorité exclusive sur le mariage et le divorce entre Juifs. Structurellement, le système comporte deux niveaux - les tribunaux rabbiniques de district et la Haute Cour rabbinique, une cour d’appel dirigée par l’un des grands rabbins.

 

28/07/2022

FINTAN O'TOOLE
La leçon irlandaise sur l'interdiction de l'avortement

Fintan O’Toole, The New York Review of Books, 18/8/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Fintan O'Toole (1958) est chroniqueur au quotidien Irish Times et titulaire de la chaire Leonard L. Milberg de lettres irlandaises à Princeton. Son livre le plus récent, We Don't Know Ourselves : A Personal History of Modern Ireland, a été publié aux USA en mars 2022. @fotoole

 

Si l'objectif des interdictions de l'avortement est de réduire le taux d'interruptions de grossesse, l'expérience irlandaise montre à quel point elles sont inefficaces.

Une foule célébrant l'abrogation du huitième amendement de la Constitution irlandaise, qui interdisait l'avortement, Château de Dublin, mai 2018. Niall Carson/PA Images/Getty Images

En 1973, peu après que la Cour suprême des USA eut établi un droit à l'avortement dans l'affaire Roe contre Wade, Charles E. Rice concluait que « le remède essentiel au problème de l'avortement est un amendement constitutionnel ». Rice est une figure importante de l'histoire intellectuelle du mouvement anti-avortement qui connaît aujourd'hui, avec la récente annulation de Roe, son moment de triomphe. Il a cofondé le Parti conservateur de l'État de New York, formé par ceux qui considéraient le Parti républicain comme trop libéral ; l'un de ses écrits académiques est une attaque contre la loi sur le droit de vote de 1965. En tant que professeur de droit constitutionnel, il a fait de l'université Notre Dame, dans l'Indiana, un bastion de la pensée juridique catholique conservatrice, dont l'influence s'est pleinement épanouie lorsque Donald Trump a nommé Amy Coney Barrett, collègue et associée de Rice, à la Cour suprême.

Mais en 1973, Rice désespérait de la possibilité que la Cour suprême, même dominée par les républicains, annule Roe. Il espérait plutôt un amendement constitutionnel qui serait "sans équivoque" en interdisant à la fois l'avortement et toutes les formes de contraception qui pourraient être considérées comme "abortives" : « Afin d'empêcher l'octroi de licences et la distribution légale d'abortifs, l'amendement constitutionnel sur l'avortement doit interdire l'avortement à chaque étape, en commençant par le moment de la conception ».

Aux USA, c'était un pur fantasme. Les conditions sociales et politiques nécessaires à l'adoption d'un tel amendement constitutionnel n'existaient pas. À l'époque, même les chrétiens évangéliques étaient réticents à s'engager sur la question de l'avortement, qu'ils avaient tendance à considérer comme une obsession catholique particulière (et suspecte). Mais il y avait un endroit où l'idée de Rice pouvait être expérimentée : l'Irlande. En 1981 et 1982, lorsque des militants catholiques irlandais de droite ont élaboré le libellé d'une proposition d'amendement anti-avortement à la constitution du pays, Rice était l'homme dont ils suivaient le plus fidèlement les conseils et les orientations. Ces militants ont demandé et obtenu l'approbation de Rice pour le texte qui est devenu, en 1983, le huitième amendement. Pour les conservateurs catholiques qui semblaient alors être du mauvais côté de l'histoire des USA, la victoire en Irlande était le signe avant-coureur d'un avenir usaméricain possible. Maintenant qu'ils sont, apparemment, du bon côté de l'histoire usaméricaine, ils feraient bien de se rappeler que leur victoire irlandaise s'est avérée être une victoire à la Pyrrhus.

Ces conservateurs usaméricains s'intéressaient à l'Irlande en partie parce que nombre d'entre eux (dont Rice) étaient des Irlando-Américains et en partie parce que le vieux pays offrait la perspective d'une victoire facile. Pour illustrer le fait de prêcher à des convaincus, il serait difficile de faire mieux que d'envoyer des missionnaires catholiques conservateurs des USA en Irlande. Le divorce était interdit, non seulement par la loi mais aussi dans le texte de la constitution irlandaise. L'importation et la vente de contraceptifs étaient interdites. Les lois contre la « grossière indécence » en vertu desquelles Oscar Wilde avait été persécuté en Angleterre en 1895 étaient toujours en vigueur en Irlande. Le fait d'avorter ou de pratiquer un avortement était passible de la prison à vie.

L'Irlande était un endroit où ce qu’ils voyaient comme la pourriture de la permissivité ne s’était pas encore installée. Il existait encore, dans le monde anglophone, une île de sainteté, un endroit où l'Église et l'État étaient encore si étroitement liés que l'on pouvait compter sur le gouvernement pour appliquer les dogmes religieux en tant que droit civil et pénal. Si l'Irlande pouvait continuer à garder la tête au-dessus des eaux montantes de la dépravation et de la décadence, la marée de la réforme sexuelle et reproductive qui balayait alors le monde occidental pourrait être retenue - et finalement inversée. Comme l'avait dit Rice en 1973, citant un ancien idéologue anti-avortement, « Il est d'une importance transcendante qu'il y ait dans ce monde chaotique un point d'appui, aussi petit soit-il, qui s'oppose au déluge d'immoralité qui nous submerge ».

27/06/2022

STEPHANIA TALADRID
Les dernières heures de l’arrêt Roe c. Wade dans l’une des plus grandes cliniques d’avortement des USA

Stephania Taladrid, photos de Meridith Kohut, The New Yorker, 25/6/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

À Houston, une journée de consternation, de confusion et d'effroi après que la Cour suprême a mis mis fin au droit constitutionnel à l'avortement.

Quelques instants après avoir appris que la Cour suprême avait annulé le l’arrêt Roe c. Wade, Ivy, la superviseure de la Clinique pour femmes de Houston (HWC), qui y travaille depuis près de vingt ans, s'est rendue dans une pièce voisine et a pressé ses doigts sur ses yeux, luttant contre ses larmes.

Vendredi matin, à sept heures, Ivy a allumé les lumières de la HWC, le plus grand pourvoyeur d'avortements de l'État, où elle travaille en tant que superviseure depuis près de deux décennies. Depuis le mois de mai, lorsque le projet de décision de la Cour suprême a fuité, révélant l'intention de la majorité conservatrice de renverser Roe c. Wade, Ivy, qui a cinquante-six ans et a demandé à n'être identifiée que par un pseudo, est allée travailler chaque jour en sachant que cela pourrait être son dernier. Mais ni la fin probable du droit des femmes à l'avortement, ni la réglementation lourde du Texas en la matière, n'ont modifié ses habitudes matinales. Formant ses cheveux grisonnants et longs jusqu’aux hanches en chignon et les couvrant d'un bonnet chirurgical noir, elle stérilise toutes les seringues, compte les curettes une par une et attend que ses collègues arrivent. Seul le message d'Ivy à ses patients a changé. Maintenant, chaque salutation doit être accompagnée d'un avertissement.

Un jugement sur l'arrêt Roe c. Wade est imminent et la procédure peut être interdite à tout moment, prévient Ivy les femmes enceintes qui s'approchent de la réception, après les salutations d’usage. Le vendredi, les patientes commencent à arriver à huit heures, après avoir négocié avec les piqueteurs (anti-avortement) qui squattent le parking. « Montre-moi ta carte d'identité, mija », dit Ivy à la première femme qui arrive dans le hall lumineux, où un grand aquarium murmure. La femme, vêtue d'un pantalon noir et d'un sweat à capuche gris, s'est vu attribuer un numéro de patiente pour protéger sa vie privée. Après seulement quatre semaines de grossesse, elle venait, comme la grande majorité des patientes de la matinée, pour sa deuxième visite sur deux. Selon la loi du Texas, les femmes doivent attendre au moins vingt-quatre heures après avoir reçu les documents et l'échographie qui confirment leur grossesse. Elle revient maintenant dans l'espoir de passer une seconde échographie et de subir un avortement. À droite du bureau où Ivy l'a enregistrée se trouve une proclamation encadrée, signée par le maire de Houston, honorant le quarante-quatrième anniversaire de l’arrête Roe contre Wade.

Ce jour-là, malgré les avertissements d'Ivy, seules quelques femmes à l'accueil semblent avoir compris que leur accès à l'avortement était menacé. La préoccupation dominante était de savoir si l'échographie déterminerait qu'elles étaient enceintes de plus de six semaines ou qu'elles présentaient une activité électrique dans les cellules fœtales - des éventualités qui, suite à l'adoption d'une loi d'État en septembre dernier, signifieraient qu'elles ne pourraient pas se faire avorter au Texas et devraient se faire traiter dans un autre État.

Une à une, les femmes sont appelées au fond de la clinique pour recevoir leurs échographies et leurs séances de conseil, ou pour attendre le médecin, qui n'est pas encore apparu. Une rangée de chaises en bois raides où elles attendent leur heure fait face à une photo encadrée de la baie céruléenne de Portofino. Tandis que les femmes fixent le village italien ou leur téléphone, une douzaine de membres du personnel inquiets se serrent les coudes à la réception. L'une des assistantes médicales a posé son téléphone contre une pile de dossiers de patientes afin que ses collègues puissent voir le programme de la Cour suprême pour la journée. Une infirmière a commencé à tresser les cheveux de la réceptionniste, teints en couleurs vives.

La patronne d'Ivy, Sheila, qui dirige la clinique, avait pris contact avec des avocats de l'A.C.L.U. [Union américaine pour les libertés civiles] « Ça peut arriver d'une minute à l'autre », a-t-elle dit à ses collègues en annonçant la décision, ajoutant avec un sourire nerveux : « Ma sœur essaie de me distraire. Elle vient de m'envoyer un article : "Comment arrêter de sortir avec des gens qui ne sont pas faits pour vous"»,  Quelqu'un a crié depuis une autre pièce : « Envoye-le-moi ! »

Malgré la tension, pendant l'heure qui suit, les employés essaient de se concentrer sur leurs responsabilités particulières, notamment répondre au téléphone, qui sonne constamment. Plus elles travaillaient vite, plus elles pouvaient préparer de patientes à voir le médecin, qui donnerait aux femmes admissibles des pilules pour entamer un avortement médicamenteux ou procéderait à un avortement chirurgical. Mais à 9 h 11, avant que le médecin ait franchi la porte et que les avortements aient commencé, un avocat de l'A.C.L.U. a appelé Sheila. « Roe, annulé », a-t-elle dit platement. Ivy, sortant du laboratoire, n'avait pas saisi les mots exacts de Sheila, mais elle les a compris en voyant ses mains trembler.

Priscilla et Nina, de l’équipe de la Houston Women's Clinic, le plus grand pourvoyeur d'avortement de l'État, ont réagi immédiatement après avoir appris la décision de la Cour suprême de revenir sur le droit constitutionnel des femmes aux USA à l'avortement.

Bernard Rosenfeld, le médecin de la clinique, a serré dans ses bras les membres de l’équipe Ivy et Nina le jour de la décision de la Cour.

06/05/2022

JOANNA STRAUGH
USA : c’est la Cour suprême qu’il faut abolir, pas l’arrêt Roe contre Wade !

Joanna Straugh,workers.org, 3/5/2022

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La Cour suprême des USA dispose des voix nécessaires pour annuler Roe v. Wade, l’arrêt historique de 1973 légalisant l'avortement aux USA. C'est ce qu'a révélé un projet d'avis du juge Samuel Alito qui a fuité dans la presse sans l'autorisation de la Cour. Cette fuite, sans précédent dans l'histoire, visait à alerter le public de l'attaque prévue par la Cour Suprême.

L'une des milliers de manifestant·es lors d'une manifestation d'urgence à Foley Square, New York City, le 3 mai. (WW Photo : Toni Arenstein)

 Selon le projet d’avis, l'annulation de Roe v. Wade est justifiée et mettrait fin aux protections fédérales du droit à l'avortement, permettant aux États de dicter les lois sur l'avortement. Alors que l'opinion majoritaire fait référence aux lois des États comme reflétant « la volonté du peuple », un sondage Gallup de mai 2021 montre que le public usaméricain soutient le droit à l'avortement dans tous les cas ou dans la plupart des cas à 80%.

Pourtant, au moins 23 États interdiraient l'avortement immédiatement si la Cour suprême annulait le jugement Roe v. Wade. D'autres restreindraient davantage l'avortement. De plus, des États comme le Texas et l'Oklahoma ont adopté des lois qui récompensent la population contre les demandeuses d'avortement et les cliniciens qui en pratiquent en offrant des primes de 10 000 $ à toute personne qui identifie et dénonce quelqu'un qui, selon elle, aide une personne à obtenir un avortement. Treize États ont des « lois gâchette » qui appliquent automatiquement une interdiction de l'avortement. 

Quelques États ont promis d'être un « refuge » pour les personnes ayant besoin d'un avortement, mais leurs efforts risquent d'être rendus vains puisque d'autres États annoncent des lois interdisant de franchir les frontières de l'État pour obtenir un avortement. Une restriction qui à la fois oblige et interdit de franchir les frontières de l'État pour se faire avorter intensifie les barrières et toutes les répressions associées à la criminalisation. 

Nombreux sont ceux qui craignent qu'un précédent de ce type puisse renverser d'autres décisions progressistes de la Cour suprême, sans que l'on puisse voir la fin de l'abrogation des droits et de la criminalisation de la population.

L'intensité de l'indignation à la perspective de perdre le dernier lambeau de protection des droits reproductifs a enflammé un mouvement de protestation qui s'étend. Des rassemblements ont spontanément éclaté dans les villes des USA le 3 mai, à l'initiative de nombreux groupes. Des majorités de plus en plus larges de jeunes, dont la vie est la plus profondément affectée par ces lois, considèrent cet assaut comme un nouveau point de rupture dans toute une série : démantèlement des syndicats, mise en cage des migrants, attaques contre les jeunes transgenres, brutalités policières racistes, etc.

La perspective de l'annulation de l'arrêt Roe v. Wade conduit à des appels à en finir avec la Cour suprême elle-même, un organe non élu, nommé à vie, créé pour servir les intérêts de la classe dominante.


Il faut abolir la Cour suprême, pas les droits reproductifs !

19/12/2021

STEPHANIA TALADRID
Le désert de l'avortement de la Rio Grande Valley, au fin fond du Texas

Stephania Taladrid (bio), The New Yorker, 18/12/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

 NdT : Rio Grande est le nom donné par les USAméricains au fleuve frontalier entre USA et Mexique, que les Mexicains appellent Rio Bravo (del Norte)

La nouvelle loi du Texas est l'aboutissement de décennies de restrictions légales et de coupes budgétaires qui ont laissé aux femmes de l'une des régions les plus pauvres du pays un accès limité à l'avortement.

Le projet de loi 8 du Sénat texan (S.B. 8) interdit l'avortement après environ six semaines de grossesse et permet aux particuliers d'engager des poursuites civiles contre toute personne aidant une femme à obtenir cette procédure. Photo : Jennifer Whitney / NYT / Redux

La seule clinique d'avortement qui subsiste le long de la frontière entre le Texas et le Mexique est un bâtiment terne d'un étage situé au cœur de McAllen. Son ancienne réceptionniste, Andrea Ferrigno, une femme dynamique d'une quarantaine d'années, se souvient très bien de l'époque où ses activités se déroulaient tranquillement, dans les années 90. Son oncle, le Dr Pedro Kowalyszyn, l'un des gynécologues les plus respectés de la ville, en était le propriétaire et l'exploitant. « Tout le monde savait que l'on pouvait se faire avorter à la clinique du centre-ville », raconte Mme Ferrigno. Pendant ses études, elle a vécu chez son oncle et a travaillé à la clinique à temps partiel. « J'ai été initiée à l'avortement en tant que procédure médicale », dit Mme Ferrigno, ajoutant que les avortements faisaient partie des nombreux services gynécologiques fournis par son oncle. « Il a accouché un grand nombre de personnes auxquelles il offrait ensuite des soins d'avortement ».

 

La loi de l'État exige une échographie avant un avortement. Cela signifie qu'il faut se rendre deux fois dans une clinique, ce qui constitue une épreuve pour de nombreuses patientes, dont la majorité sont déjà parentes. Photo : Jennifer Whitney / NYT / Redux

Au début des années 2000, Kowalyszyn a vendu la clinique à Amy Hagstrom Miller, qui l'a renommée en tant que site du sud du Texas pour sa nouvelle organisation, Whole Woman's Health. Comme d'autres villes de la vallée du Rio Grande, McAllen avait l'un des taux les plus élevés du pays de personnes pauvres et sans couverture médicale. En gardant la clinique ouverte, Mme Hagstrom Miller voulait offrir aux habitantes de la région un endroit où elles pourraient accéder à la procédure en toute sécurité. « Petit à petit, nous avons commencé à changer la pratique », se souvient Mme Ferrigno. « Avant, c'était du genre 'Voici le formulaire de consentement. Comprenez-vous les risques de la procédure ? Les complications ? Est- ce que quelqu'un vous force ? ' » La nouvelle propriétaire de la clinique voulait à la fois responsabiliser les femmes et favoriser une approche plus holistique. Les patientes se voyaient proposer des séances de conseil pendant leur visite ; les murs de la clinique étaient peints en mauve et remplis de citations de Frida Kahlo et d'autres célébrités ; une musique apaisante était diffusée en fond sonore, et chaque pièce dégageait une légère odeur de lavande. Hagstrom Miller pensait que personne ne tombait enceinte dans le but de se faire avorter, et qu'il fallait donc un lieu où les femmes pouvaient s'ouvrir librement à leurs décisions et à leurs émotions.

« Nous n'avions pas à rougir de ce que nous faisions », se souvient Ferrigno. Le droit à l'avortement étant devenu une bataille politique acharnée au niveau national, l'environnement à l'intérieur et à l'extérieur de la clinique de McAllen a changé. Alors qu'il n'y avait auparavant que des piquets [anti-avortement] de deux ou trois personnes qui se rassemblaient chaque semaine devant le cabinet du docteur Kowalyszyn, la clinique est rapidement devenue un lieu de rassemblement pour les manifestants. Un groupe local connu sous le nom de Los Caballeros de San Miguel se rassemblait en cercle, chantant des prières devant un berceau rempli de figurines de bébés. Au fil du temps, d'autres personnes ont tenté d'intimider le personnel en crevant les pneus de leur voiture, en les menaçant avec une hachette et en criant les noms de leurs enfants. « Vous pouvez les entendre de l'intérieur », dit Ferrigno, à propos des piqueteurs. « Ils ont des mégaphones ». La clinique a reçu de nombreuses alertes à la bombe ; il y a quelques années, quelqu'un a tenté d’y mettre le feu en pleine nuit. Néanmoins, le personnel a essayé de préserver un environnement accueillant. Une peinture murale sur la façade nord du bâtiment montre un groupe de femmes de couleur, les mains liées, dans une vallée luxuriante. Les mots "DIGNITY EMPOWERMENT COMPASSION JUSTICE" sont inscrits en haut de la fresque.

En septembre, le S.B. 8 [Senate Bill 8], une loi texane qui interdit les avortements après environ six semaines de grossesse et permet aux citoyens d'engager des poursuites civiles contre toute personne qui aide une femme à obtenir cette procédure, est entrée en vigueur. Personne, pas même une victime de viol ou d'inceste, n'est exemptée par cette loi. Mme Ferrigno, qui est maintenant vice -présidente de Whole Woman's Health, a estimé que la clinique recevait environ un quart des patientes qu'elle traitait avant la S.B. 8. Chaque jour, les nouvelles restrictions obligeaient le personnel de la clinique à refuser des dizaines de patientes, y compris des adolescentes. « C'est épuisant de dire non », dit-elle. « On s'épuise ». La clinique a récemment dû refuser une jeune migrante guatémaltèque de quatorze ans qui avait traversé la frontière sud par ses propres moyens et se trouvait maintenant sous la garde du gouvernement. La jeune fille avait été violée pendant son voyage vers le nord - elle était dans sa septième semaine de grossesse, une semaine après la nouvelle limite fixée par l'État. « Il y a quelques mois, nous aurions pu l'aider », dit Verónica Hernández, qui a récemment pris la direction de la clinique, où elle travaille depuis douze ans. « Mais nous ne pouvons plus l'aider. Il n'y a rien que nous puissions faire pour ces patientes ».

05/09/2021

WORKERS WORLD
Nous condamnons la loi anti-avortement du Texas
Éditorial

Workers World, 4/9/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Workers World (journal du Workers World Party) condamne dans les termes les plus forts la décision par 5 contre 4 de la Cour suprême des USA, le 2 septembre, qui a refusé de restreindre une loi du Texas interdisant les IVG à partir de six semaines de grossesse.

La loi texane codifie également le droit pour quiconque, y compris un parfait inconnu, de poursuivre une personne cherchant à se faire avorter ou une personne qui l'assiste, pour une récompense de 10 000 dollars. Cela rappelle les primes encaissées par les patrouilles de chasseurs d'esclaves pour ramener des Noirs esclavagisés en fuite à la plantation.

C'est ce même Texas qui a le taux le plus élevé de personnes sans assurance maladie dans le pays. Le Texas a refusé l'extension de la Loi sur les soins abordables, qui aurait augmenté les fonds fédéraux destinés aux programmes Medicaid pour les personnes à faible revenu, y compris celles qui vivent avec un handicap, ainsi que les mères célibataires et les enfants. Un nombre disproportionné de personnes touchées sont des personnes de couleur, dont des immigrés. La plupart des travailleurs pauvres n'ont même pas droit à Medicaid.

C'est ce même Texas qui a exécuté bien plus de personnes incarcérées que tout autre État depuis le rétablissement de la peine de mort en 1976. Et le Texas a été le dernier État à accorder la liberté à des personnes autrefois esclaves, en 1865, deux ans après l'adoption de la proclamation d'émancipation en 1863.

Il n'est donc pas surprenant qu'à l'heure actuelle, le Texas ait pris l'initiative d'instituer la loi anti-avortement la plus draconienne à ce jour, tandis que le Mississippi, l'État usaméricain le plus pauvre, menace d'adopter une loi similaire plus tard cet automne.

Nancy Northup, présidente et directrice générale du Center for Reproductive Rights (Centre pour les droits reproductifs), l'un des groupes qui poursuivent le Texas, a déclaré : « Nous sommes dévastés par le fait que la Cour suprême a refusé de bloquer une loi qui viole de manière flagrante l’arrêt dans l’affaire Roe contre Wade. À l'heure actuelle, les personnes qui cherchent à se faire avorter au Texas paniquent. Elles n'ont aucune idée de l'endroit ou du moment où elles pourront obtenir un avortement, si jamais elles le peuvent. Les politiciens texans ont réussi pour l'instant à bafouer l'État de droit ». (Washington Post, 2 septembre)