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19/07/2025

THE NEW YORK TIMES
Les débuts chaotiques du centre de détention “Alligator Alcatraz” en Floride

Plusieurs immigrants détenus ont décrit une tension et une anxiété élevées dans ce centre isolé et construit à la hâte, en raison du manque d’informations, d’activités récréatives et d’accès aux médicaments.

Patricia Mazzei, Ochopee, Floride  et Hamed Aleaziz, Washington, The New York Times, 16/7/2025
Kirsten Noyes a contribué à la recherche.

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala 


Patricia Mazzei est la reportrice principale du Times à Miami, couvrant la Floride et Porto Rico.

Hamed Aleaziz  couvre le département de la Sécurité intérieure et la politique d’immigration pour le Times.


La Floride s’est empressée d’ouvrir le centre de détention des Everglades le 3 juillet, désireuse d’aider le président Trump dans sa lutte contre l’immigration en fournissant davantage de places de détention. Photo Ava Pellor pour le New York Times

Les hommes détenus dans le nouveau centre de détention pour immigrants situé dans les Everglades, en Floride, n’ont ni crayons, ni livres, ni télévision. Les lumières restent allumées toute la nuit. Quand il pleut, c’est-à-dire presque tous les jours en été, les tentes qui abritent les détenus prennent l’eau et les insectes s’y engouffrent.

Lors d’entretiens téléphoniques, plusieurs détenus ont fait état de douches peu fréquentes, de repas qui n’étaient guère plus que des collations, d’autres détenus tombant malades avec des symptômes grippaux et de privation de sommeil. Ils ont décrit des troubles liés au manque d’informations, à l’absence de loisirs et à l’impossibilité d’accéder à des médicaments.

« C’est une poudrière », a déclaré Rick Herrera, l’un des détenus, qui a appelé un journaliste à plusieurs reprises pendant cinq jours, offrant un rare aperçu des premières semaines chaotiques de ce que les experts considèrent comme le seul centre d’accueil géré par l’État pour les détenus immigrés fédéraux.

La Floride, sous la houlette de son procurer général James Uthmeier, a foncé  pour ouvrir le centre — baptisé officiellement « Alligator Alcatraz » en référence à son emplacement isolé et marécageux — le 3 juillet, dans son désir d’aider le président Trump dans sa lutte contre l’immigration en augmentant la capacité d’accueil des centres de détention. Kristi Noem, secrétaire à la Sécurité intérieure, a déclaré dimanche que d’autres États souhaitaient suivre l’exemple de la Floride.

Ron DeSantis, gouverneur républicain de Floride, a positionné son État  comme particulièrement agressif en matière d’application des lois sur l’immigration, déléguant aux autorités locales et étatiques le pouvoir d’ agir comme un « multiplicateur de force »  pour les autorités fédérales.

Mais l’ouverture du centre de détention dans les Everglades était une mesure sans précédent qui reposait sur les pouvoirs d’urgence de l’État. Jusqu’à récemment, le gouvernement fédéral était responsable de l’hébergement des immigrants détenus, et il détenait principalement des personnes entrées illégalement dans le pays récemment, ou qui avaient été condamnées pour des infractions pénales ou faisaient l’objet d’une mesure d’expulsion. Mais sous Trump, l’application des lois sur l’immigration a considérablement changé, touchant désormais des personnes qui n’étaient pas visées auparavant.


Trump et Kristi Noem, secrétaire à la Sécurité intérieure, visitant le centre au début du mois. Photo Doug Mills/The New York Times

Le centre des Everglades s’inscrit dans le cadre du processus de coopération locale et fédérale en matière d’immigration connu sous le nom de 287(g). En vertu de ce système, les autorités locales peuvent arrêter et placer en détention des migrants pour le compte des services de l’immigration et des douanes (ICE). On ignore toutefois si et quand les personnes détenues au centre des Everglades seront transférées à l’ICE avant d’être expulsées.

La plupart des détenus du centre n’ont pas été condamnés pour des infractions pénales, selon un responsable gouvernemental au fait des données qui a souhaité garder l’anonymat car il n’était pas autorisé à s’exprimer à ce sujet. Au moins certains d’entre eux avaient été transférés depuis des prisons locales où ils avaient été placés en détention après avoir été arrêtés pour des infractions au code de la route ; d’autres avaient été transférés depuis des centres de détention de l’ICE.

Un autre responsable gouvernemental qui a souhaité garder l’anonymat pour la même raison a déclaré qu’au total, 60 % des détenus du centre avaient été condamnés pour des infractions pénales ou faisaient l’objet de poursuites pénales.

DeSantis est envisage déjà  d’ouvrir un autre centre de ce type dans le nord de la Floride. Les tribunaux ont toutefois jugé à plusieurs reprises que l’application des lois sur l’immigration relevait de la compétence fédérale. La semaine dernière, la Cour suprême a refusé de réanimer  une loi restrictive sur l’immigration en Floride, bloquée par les tribunaux inférieurs, qui aurait érigé en infraction pénale le fait pour des migrants en situation irrégulière d’entrer dans l’État.

« Les États ne sont pas autorisés à créer leur propre système de détention des immigrants », a déclaré Lucas Guttentag, ancien fonctionnaire du ministère de la Justice sous l’administration Biden. « Tous ceux qui accordent de l’importance à la liberté et à la responsabilité devraient être profondément inquiets. »

Interrogée au sujet du centre des Everglades, Tricia McLaughlin, porte-parole du département de la Sécurité intérieure, a déclaré : « Sous la direction du président Trump, nous travaillons d’arrache-pied pour trouver des moyens rentables et innovants de répondre à la demande du peuple américain en matière d’expulsion massive des étrangers en situation irrégulière ayant commis des infractions pénales. »

Bien que Trump ait fait sensation en visitant le centre de détention des Everglades  il y a deux semaines, le gouvernement fédéral s’est désengagé du projet, affirmant qu’il relevait de la responsabilité de l’État de Floride. Après que des groupes environnementaux ont esté en justice pour faire arrêter la construction  du centre, Thomas P. Giles, haut responsable de l’ICE, a répondu dans un communiqué que le rôle de l’agence « s’est limité à visiter les installations afin de s’assurer qu’elles respectaient les normes de détention de l’ICE, et à rencontrer des représentants de l’État de Floride pour discuter de questions opérationnelles ».

« La décision finale quant à l’identité des personnes à placer en détention », a-t-il écrit, « appartient à la Floride ».


Les responsables de l’État, qui ont déclaré aux députés qu’ils prévoyaient d’augmenter la capacité de l’établissement à 4 000 personnes d’ici le mois prochain, ont rejeté les descriptions des détenus concernant les mauvaises conditions de détention, les qualifiant de « totalement fausses ». Photo Rebecca Blackwell/Associated Press

Les détenus du centre n’apparaissent pas dans la base de données publique de l’ICE, ce qui rend difficile pour leurs proches ou leurs avocats de les retrouver ou de savoir s’ils ont été expulsés. Avec 1 000 lits répartis dans des unités clôturées pouvant accueillir chacune 32 hommes, il comptait environ 900 détenus samedi, selon des membres du Congrès et des députés de l’État. La grande majorité d’entre eux étaient hispaniques.

Les détentions massives ont donné lieu à des plaintes pour surpopulation et conditions insalubres et inhumaines  dans les centres de détention de l’ICE à travers le pays, bien que l’ICE ait nié tout problème. Mais certaines conditions dans le centre de détention des Everglades sont spécifiquement dues à sa construction précipitée et à son emplacement isolé. Il a été construit sur un aérodrome avec si peu d’infrastructures que les ordures et les eaux usées doivent être évacuées par de gros camions.

Les responsables de l’État, qui ont déclaré aux députés qu’ils prévoyaient d’augmenter la capacité de l’établissement à 4 000 personnes d’ici le mois prochain, ont rejeté les descriptions des détenus concernant les mauvaises conditions de détention, les qualifiant de « totalement fausses ».

« L’installation répond à toutes les normes requises et fonctionne correctement », a déclaré Stephanie Hartman, directrice adjointe de la communication de la Division de la gestion des urgences de Floride, dans un communiqué.

Les proches et les avocats des détenus affirment qu’ils n’ont pas été autorisés à leur rendre visite ; mercredi, l’Union américaine pour les libertés civiles (American Civil Liberties Union) a intenté une action en justice pour dénoncer l’impossibilité pour les avocats d’accéder aux détenus. Jusqu’à présent, les détenus ont été autorisés à passer des appels illimités et gratuits, mais ceux-ci peuvent être surveillés ou enregistrés. Certains détenus et leurs proches ont refusé d’être nommés par crainte de représailles.

Des membres du Congrès et des députés de l’État ont visité les installations samedi sur invitation, après que des législateurs démocrates de l’État s’étaient vu refuser l’entrée plus tôt ce mois-ci lorsqu’ils s’étaient présentés à l’improviste. Les démocrates de l’État ont intenté une action en justice, arguant qu’ils ont le droit d’exercer un tel contrôle.

Après la visite, le sénateur républicain Blaise Ingoglia a décrit une couchette dans une cellule vide de l’établissement comme « meilleure que mon lit chez moi ».

Plusieurs députés démocrates ont critiqué cette visite, la qualifiant d’ « aseptisée », et ont déclaré que les conditions à l’intérieur étaient pires que celles des centres de détention de l’ICE. « Tous les Floridiens devraient avoir honte que l’argent des contribuables soit utilisé pour mettre des gens dans ces cages », a déclaré le représentant Maxwell Alejandro Frost, un démocrate d’Orlando.


Manifestants à l’entrée du centre de détention, érigé sur un aérodrome dans les Everglades. Photo Ava Pellor pour le New York Times

La présence des politiciens a attiré une foule modeste près de l’autoroute américaine 41, une route à deux voies qui traverse les Everglades d’est en ouest. Parmi eux se trouvait Benita Mendoza, dont le mari, Jordan Márquez, arrivé aux USA il y a 19 ans en provenance de Cuba, faisait partie des premiers détenus du centre.

« Il me demande sans cesse : “Quelle heure est-il ? Quel jour sommes-nous ?”», a-t-elle déclaré, ajoutant que M. Márquez, âgé de 43 ans, lui avait dit qu’il ne prenait pas régulièrement ses médicaments pour la tension artérielle.

Des manifestants se trouvaient parmi les personnes présentes devant le centre ce jour-là. Un partisan brandissait un drapeau américain à côté d’une pancarte sur laquelle on pouvait lire « ENVOYEZ PLUS DE GATORS !! ». Un autre homme vendait des t-shirts Alligator Alcatraz depuis son SUV au prix de 25 dollars pièce. Quatre jeunes hommes qui roulaient de Naples à Miami dans une Mercedes-Benz décapotable se sont arrêtés et ont filmé la scène.

Les républicains ont affirmé que le centre nécessite moins de sécurité que d’autres en raison de son environnement inhospitalier, peuplé qu’il est par des alligators et des pythons envahissants. Aucun de ces animaux n’a tendance à attaquer les humains, et les Amérindiens, notamment la tribu des Miccosukee, ont depuis longtemps élu domicile dans les Everglades.

« C’est toute la communauté Miccosukee qui est concernée », dit Betty Osceola, une membre de la tribu qui vit à proximité et qui a protesté contre le centre de détention pour des raisons environnementales.

La Floride a estimé que le fonctionnement de ce centre coûtera environ 450 millions de dollars par an, dont une partie sera remboursée par l’Agence fédérale de gestion des urgences. Les détracteurs ont souligné que le coût par détenu est plus élevé que dans les prisons d’État ou les centres de détention de l’ICE. L’État a conclu des contrats sans appel d’offres en urgence ; certains   sont allés à des donateurs politiques républicains.


Betty Osceola, membre de la tribu Miccosukee qui vit à proximité et qui a protesté contre le centre de détention pour des raisons environnementales. Photo Ava Pellor pour le New York Times

Un bus rempli de détenus, dont M. Herrera, est arrivé mercredi dernier, mais ils n’ont pas été immédiatement pris en charge. Ils ont été gardés dans le bus toute la nuit, menottés et enchaînés, sans nourriture ni boisson, ont déclaré M. Herrera et un autre détenu. M. Herrera avait été informé qu’il serait transféré au centre de détention de Krome, géré par l’ICE, plus près de Miami, mais au lieu de ça, il est arrivé au centre des Everglades.

Les hommes ont été placés dans l’une des huit unités clôturées à l’intérieur d’une immense tente ; ceux qui avaient un casier judiciaire chargé ont reçu des bracelets rouges. M. Herrera, 55 ans, a été libéré de prison il y a deux ans après avoir purgé une peine pour vol de voiture. Il vit aux USA depuis l’âge de 3 ans et n’a pas de dossier de citoyenneté en Argentine, d’où est originaire sa famille, ce qui rend son expulsion difficile.

Le centre des Everglades était différent des prisons fédérales et des centres de détention de l’ICE où il avait séjourné, a-t-il déclaré : il n’y avait pas de règlement affiché ni de coordonnées pour contacter un inspecteur général ; pas de bibliothèque juridique ni de matériel religieux, y compris des bibles ; pas de temps de récréation en plein air, du moins pas pour son unité ; pas de cantine ni de distributeurs automatiques. Au cours d’une conversation téléphonique avec M. Herrera, on pouvait entendre en arrière-plan des hommes à l’intérieur de l’unité crier en espagnol : « Libertad ! Libertad ! »

Alexander Boni, un détenu cubain âgé de 32 ans, a déclaré avoir demandé un masque facial après que d’autres détenus sont tombés malades, mais qu’il ne l’avait pas obtenu.

« Nous sommes désespérés ici », a-t-il déclaré.

Pour passer le temps, certains détenus ont fabriqué la semaine dernière des pièces d’échecs et des dominos rudimentaires à partir de bouts de papier, a déclaré M. Herrera. Ils ont utilisé de la graisse de soudure provenant des lits superposés en métal pour marquer les pièces noires.

Mardi, les gardiens ont informé M. Herrera qu’il allait être transféré, sans toutefois lui dire où il allait. D’autres membres de son unité avaient également été emmenés. Mercredi, son avocat a été informé qu’il avait été transporté vers le centre de détention de l’ICE situé à proximité, à Krome, où il aurait dû être envoyé dès le début.

Bonus/Malus
Alligator Alcatraz vu par les dessinateurs

Mahmoud Rifai, Jordanie


-Qui a dit que je n'ai pas d'animaux de compagnies ?
"Cruauté gratuite"
Nick Anderson

This cartoon is set outside near a barbed-wire fence with a sign that reads “Alligator Alcatraz: Migrant Detention Center.” Two alligators look worried as they stare through the fence at the Statue of Liberty. One alligator says to the other, “ICE did warn that there would be big, green dangerous things on the other side of the fence.”

-L'ICE avait prévenu qu'il y aurait des gros trucs verts dangereux de l'autre côté de la clôture
Joe Heller

This editorial cartoon is titled “Alligator Auschwitz”. It depicts the front gates of a detention center in Florida. Alligators are nearby and a sign on the foreboding fence reads, “Dade-Collier Training and Transition Airport operated by ICE.” Above the front gates are the words, “Arbeit Macht Frei.”
Pat Byrnes



Les petits commerçants républicano-trumpistes n'hésitent pas à vendre des stickers débiles dans ce genre ...
...et des T-shirts




13/07/2025

HANIF ABDURRAQIB
Zohran Mamdani et Mahmoud Khalil sont dans le coup
L'islamophobie ? Mieux vaut en rire, ensemble

Hanif Abdurraqib, The New Yorker, 13/7/2025

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala


Hanif Abdurraqib (né en 1983) est un poète, essayiste et critique culturel usaméricain de Columbus, Ohio.


De gauche à droite, Ramy Youssef, Zohran Mamdani et Mahmoud Khalil sur scène au Beacon Theatre, à New York, le 28 juin

Je dis parfois que je me considère comme un musulman d’équipe junior. Que cela soit pris comme une blague ou comme une invitation à me réprimander (verbalement ou non, avec amour ou non) dépend entièrement des autres musulmans présents dans la pièce. Mais bon, je le dis haut et fort : je prends le ramadan très au sérieux, plus sérieusement que tout autre chose. Au fond de moi, je suis resté un enfant soumis à une routine rigoureuse. Je ne bois pas, je ne fume pas et je ne consomme pas de drogues, même si je suppose que cela a moins à voir avec ma relation à l’islam qu’avec mon ancien engagement à être un athlète de haut niveau et, lorsque cela a échoué, avec le plaisir que j’ai pris à flirter avec une fille punk qui ne buvait pas et ne fumait pas. Et puis, lorsque cela a échoué, je me suis retrouvé trop anxieux à l’idée que mes excentricités déjà brillantes pourraient devenir encore plus étranges si je m’abandonnais à l’ivresse, quelle qu’elle soit. En d’autres termes, je n’ai pas confiance en mon propre cerveau, mais j’ai confiance en autre chose. Je me sens le plus musulman lorsque je suis stupéfait par un moment de clarté au sein de mes propres contradictions. Au-delà des déconnexions qui peuvent exister dans ma pratique religieuse, je me sens toujours profondément lié à l’ummah – le corps, la communauté – et aux responsabilités que cette connexion implique. Un hadith que j’aime beaucoup et qui sous-tend bon nombre de mes actions dit que « les croyants, dans leur gentillesse, leur compassion et leur sympathie mutuelles, sont comme un seul corps. Quand l’un des membres souffre, tout le corps réagit par l’éveil et la fièvre ».

Le hadith dit que, grâce à notre foi, le corps est un, et que par conséquent, ta souffrance est inextricablement liée à ma souffrance. Lorsqu’une personne âgée très chère à ma communauté, après des années de maladie, ne reconnaissait plus son propre corps et avait beaucoup de mal à reconnaître son esprit, elle et moi avons prié ensemble, assis sur deux chaises, car elle avait décidé que, si elle était à peine capable de bouger, ses mouvements devaient être dirigés vers Dieu. C’est dans ces moments-là, lorsque je ressens la distance entre la facilité de ma vie et la douleur dans la vie des autres, que je me sens à la fois le plus et le moins musulman. Dans la distance entre le fait de tenir mon téléphone portable dans une pièce sombre et de regarder les images qu’il contient : un bébé affamé à Gaza, un enfant tiré des décombres, les ruines d’un hôpital spécialisé dans le cancer. Dans la distance entre ces ruines et ma maison. Dans la distance entre l’impossibilité de m’endormir et le luxe d’avoir un lit dans lequel je ne parviens pas à trouver le sommeil.

J’ai discuté avec mes amis musulmans de la forme particulière d’islamophobie et de sentiment anti-arabe qui a récemment émergé – ou réémergé, selon le point de vue – aux USA. À New York, Zohran Mamdani, qui vient de remporter une victoire étonnante lors des primaires démocrates pour la course à la mairie, devra très certainement, pendant les mois précédant l’élection générale, répondre à plusieurs reprises aux mêmes questions sur son antisémitisme et sur ses projets pour assurer la sécurité des New-Yorkais juifs (qu’il a détaillés longuement). Mais il n’existe aucun cadre permettant d’engager une discussion parallèle sur les craintes ou la sécurité des New-Yorkais musulmans. Avant les primaires, un comité d’action politique pro-Cuomo a préparé un mailing qui semblait épaissir et allonger la barbe de Mamdani, et pourtant Andrew Cuomo n’a pas été interrogé à plusieurs reprises sur la manière dont il comptait assurer la sécurité des musulmans ou sur le dialogue qu’il entretenait avec les dirigeants musulmans. Je ne dis pas nécessairement qu’il faille faire pression sur les adversaires de Mamdani pour qu’ils répondent à ces questions, mais simplement qu’il n’existe même pas de terrain propice à un tel débat. C’est comme si une partie entière de la population restait invisible jusqu’à ce qu’elle soit crainte.

J’ai tendance à trouver l’islamophobie peu spectaculaire. Cela ne signifie pas pour autant que je ne la trouve pas insidieuse et grave. Je l’imagine simplement, comme d’autres préjugés, comme une sorte de bruit de fond omniprésent dans la psyché usaméricaine, parfois plus faible, puis devenant cacophonique au moindre réglage du volume. Ce bruit de fond est une raison non négligeable pour laquelle je peux, depuis mon téléphone dans ma chambre, voir une école détruite à Gaza et savoir que la plupart des personnes puissantes dans le monde ne seront pas émues. Pourtant, mes amis et moi, en particulier ceux qui étaient adolescents ou plus âgés au moment du 11 septembre, avons été déconcertés par l’islamophobie actuelle, qui semble particulièrement vintage et directe, sans être édulcorée par une rhétorique obscurissante ou visant à servir un objectif plus large. Au moment des primaires démocrates, l’actrice Debra Messing a affirmé sur Instagram que Mamdani « célébrait le 11 septembre ». La théoricienne du complot d’extrême droite Laura Loomer a publié sur X que Mamdani voulait instaurer à la fois la charia et le communisme à New York.

Parfois, cette panique anti-musulmane est drôle, ou plutôt, son absurdité finit par devenir comique, ou alors j’en ris avec des amis qui comprennent bien les dommages matériels causés par cette agitation médiatique. Nous rions parce que, si nous devons vivre cela, nous estimons avoir le droit de rire, unis dans ce rire. Le soir des primaires démocrates, une discussion de groupe entre musulmans s’est rapidement remplie d’exemples de la panique excessive qui régnait sur Internet, et nous avons ri de la rapidité avec laquelle cette panique a été suivie par des musulmans, également en ligne, qui se moquaient de cette panique. (« Préparez-vous à prier 5 fois par jour à New York », a posté un utilisateur de X.) Dans mon rire, je pouvais presque sentir tous les membres du groupe de discussion rire dans différents coins du monde. Si le corps est un dans la souffrance, il doit aussi être un dans le plaisir.

Un samedi soir récent, lors d’un spectacle à guichets fermés au Beacon Theatre, à New York, le comédien Ramy Youssef arpentait la scène tandis que de petits cercles lumineux dansaient sur une vague de rideaux rouges derrière lui. Youssef est en quelque sorte un pont entre plusieurs modes d’identité musulmane. Au cours de ses trois saisons, sa série télévisée, “Ramy, a été saluée pour avoir redéfini la représentation de la vie musulmane, en abordant les thèmes de la foi, de la famille, de la lignée et de l’échec. Cela lui a valu un public musulman enthousiaste, dont beaucoup étaient présents dans la salle du Beacon, comme en témoignait le bruit qui a éclaté, puis s’est prolongé, lorsque l’on a demandé, au début, combien de musulmans se trouvaient dans l’assistance. Mahmoud Khalil, diplômé de Columbia et militant propalestinien récemment libéré de détention par l’ICE, était au premier rang. À sa droite se trouvait sa femme, Noor Abdalla. À sa gauche, Zohran Mamdani.

C’était un vrai plaisir d’apercevoir Khalil en proie à un fou rire. Il riait comme si chaque rire était un récipient physique qui sortait précipitamment de son corps, ou un secret qu’il avait gardé si longtemps qu’il avait fini par s’échapper. Le corps de Khalil se secouait quand il riait : son rire était plus un événement cinétique qu’acoustique. Il se balançait, tremblait légèrement et souriait largement. À côté, Mamdani riait aussi, un peu plus fort ; son rire semblait moins être un secret longtemps gardé qu’une idée qu’il avait hâte de partager. La plupart des spectateurs ne savaient pas que les deux hommes étaient dans la salle et, de ce fait, ils ont manqué le petit miracle de les voir partager leur joie devant la scène qui se déroulait devant eux.

Lorsque Khalil a été arrêté par l’ICE, début mars, il est devenu le premier cas très médiatisé de détention par l’administration Trump d’étudiants titulaires d’un visa ou d’une carte verte ayant participé à des manifestations propalestiniennes. Tout au long de sa détention, qui a duré plus de cent jours, Khalil a rédigé des tribunes libres dans son carnet de prison, puis les a dictées par téléphone. Dans l’un de ces articles, écrit après la naissance de son fils, il décrit le chagrin insondable d’avoir été contraint de manquer la naissance de son premier enfant. Mais il met également en avant ses principes politiques fondamentaux, continuant à placer la Palestine au centre de ses préoccupations. Il ne considère pas sa détention comme une raison de renoncer à ses convictions, mais comme une occasion de les défendre fermement et publiquement.

Si vous ne faites pas attention, et si vous n’êtes pas à l’écoute de votre propre humanité et de celle des autres, vous pouvez être tenté de confondre les personnes avec des symboles. Il est facile d’associer un prisonnier politique à ses opinions politiques ou aux horreurs de sa détention, et de ne rien voir d’autre. Le gouvernement a cherché à faire de Mahmoud Khalil un exemple, afin de montrer aux autres ce qui arrive quand on défend ouvertement les droits du peuple palestinien. À bien des égards, c’est ainsi que l’État déforme la perspective même des personnes les mieux intentionnées : si ce que vous comprenez de Khalil, c’est qu’il a souffert, et que vous croyez que sa souffrance est injuste, et que votre cœur souffre pour lui, cette douleur peut l’emporter sur votre capacité à le comprendre autrement. Une telle myopie n’est pas malveillante, mais elle réduit une vie entière à une fraction de celle-ci. J’aime le hadith sur le corps collectif, car il ne parle pas seulement de la douleur, mais aussi du partage de toute la gamme des sentiments humains. Je ne suis pas poussé à agir uniquement parce que des gens ont souffert ou souffrent encore ; je suis poussé à agir parce que je suis profondément conscient de chaque parcelle d’humanité dont la souffrance prive les gens.

J’ai rencontré Khalil et Mamdani dans les coulisses. Au début, Khalil semblait à la fois ravi et submergé par l’émotion. Mais après la ruée initiale des photographes, le calme s’est installé autour de lui et dans la pièce. Dans cette atmosphère sereine, Khalil semblait observateur, ouvert et bien plus intéressé par les autres qu’ils ne pouvaient l’être par lui. Lorsque nous avons trouvé un coin isolé, Khalil a voulu parler de poésie, des merveilles de la paternité, de ce qui l’attendait dans les mois à venir, outre l’épuisement lié à son procès contre l’administration Trump.

Abdalla m’a dit que son mari apprenait à porter leur bébé, et ce qui m’est immédiatement venu à l’esprit, c’est que Khalil, qui a trente ans, est encore si jeune. Si on le laissait tranquille, il consacrerait tout son temps à découvrir le monde de la paternité et la vie après ses études supérieures. Il n’a pas demandé à devenir un symbole, même s’il a su le devenir avec grâce et attention. C’était merveilleusement surréaliste d’être en coulisses, dans un spectacle d’humour, à boire un café avec lui. J’étais tellement reconnaissant de sa présence que tout ce que j’ai pu dire, pendant ce premier moment de calme, c’était : « Je suis heureux que tu sois là. Je suis heureux qu’ils n’aient pas pu te prendre complètement à nous. »

Khalil et Mamdani ne s’étaient jamais rencontrés auparavant, mais je les ai vus engager une conversation fluide et souvent drôle. C’était fascinant de voir deux figures emblématiques de la victoire musulmane se rencontrer : l’un chargé de réinventer une ville, l’autre de faire de sa liberté quelque chose qui le dépasse. Mamdani était vêtu d’un costume sombre et d’une cravate à motifs, comme il le fait souvent pendant la campagne électorale. Il a évoqué la recrudescence des menaces de mort qu’il avait reçues depuis sa victoire aux primaires et la façon dont il avait dû changer ses habitudes depuis qu’il était désormais sous protection rapprochée. J’ai pensé à la tournée promotionnelle de mon livre qui avait occupé une grande partie de l’année écoulée. À mesure que les foules grossissaient, les menaces contre ma vie se multipliaient, et je devais parfois faire appel à des agents de sécurité pour surveiller la file d’attente lors des séances de dédicaces ou pour m’escorter jusqu’à mon hôtel. J’envoyais des SMS à mon groupe de discussion musulman, disant en substance : « Je me sens plus musulman que jamais quand quelqu’un veut ma mort », et nous riions. Ce n’est peut-être pas drôle si vous n’êtes pas l’un des nôtres.

Khalil a déclaré qu’il avait lui aussi été inondé de menaces, et que celles-ci avaient augmenté de manière exponentielle depuis sa libération. Il a ajouté qu’il essayait surtout d’ignorer les menaces et d’être prudent lorsqu’il sortait. Après cela, un bref silence s’est installé entre nous trois, un moment de reconnaissance partagée des difficultés de rester en vie. Pour certaines personnes, Khalil et Mamdani offrent, de manière différente mais non sans rapport, des récits essentiels de résistance, une série de cordes auxquelles tant de personnes s’accrochent pour survivre à des moments où la survie semble impossible.

Dans le calme, je me suis surpris à réfléchir à nouveau à la distance qui sépare deux hommes musulmans qui vivent deux victoires distinctes, mais qui sont confrontés à des préoccupations similaires. J’ai pensé à la distance entre ceux qui veulent votre mort et ceux qui veulent votre départ, votre disparition par l’expulsion ou une forme plus banale de silence. Il n’y a peut-être pas autant de distance entre ces deux groupes que nous le souhaiterions, surtout si leurs membres sont bruyants, ont du pouvoir et n’ont pas peur de fantasmer publiquement sur la violence physique. La distance entre ces deux populations se réduit encore davantage lorsque quelqu’un semble partir, puis a le culot de revenir – être rejeté comme un perdant, puis remporter une primaire, ou être emprisonné pour avoir tenu des propos propalestiniens et, une fois libéré, prendre la parole en faveur de la Palestine dès que l’occasion se présente.

Une fois ce moment passé, Mamdani sourit, passa son bras autour des épaules de Khalil et dit : « J’aimerais pouvoir t’emmener partout avec moi. » Et nous avons ri tous les trois, même si cette plaisanterie avait un goût amer. Un rire teinté de tristesse reste un rire.

Il y a un autre hadith que j’aime beaucoup. Dans celui-ci, un prophète qui prononce un sermon dit : « Le paradis et l’enfer m’ont été montrés, et je n’ai jamais vu autant de bien et de mal qu’aujourd’hui. Si vous saviez ce que je sais, vous ririez peu et pleureriez souvent. »

Ces jours-ci, je ne parle et ne pense qu’à la dissonance cognitive nécessaire pour évoluer dans le monde. J’ai de plus en plus de mal à démêler mes multiples personnalités pour pouvoir avancer dans mon voyage. Toutes mes personnalités pleurent souvent. J’essaie de faire preuve de grâce. Je dis à mes amis que je ne comprends plus comment on peut passer les jours, les mois, sans reconnaître les horreurs qui nous entourent. J’imagine ce que cela doit être de pouvoir éteindre les parties du monde qui vous perturbent. Cela doit donner l’impression d’exister dans un univers animé qui obéit aux lois de la physique des dessins animés : vous tombez d’une hauteur inconcevable et, en atterrissant, un nuage de poussière s’élève du sol, mais vous vous secouez et continuez à avancer.

Je me convaincs que je ris encore suffisamment. Tous ceux que j’aime aimeraient voir la fin des guerres, aimeraient empêcher que des gens soient enlevés dans la rue et expulsés, mais certains jours, nous ne pouvons pas manifester, car il fait tellement chaud dehors que c’est dangereux. Il fait dangereusement chaud dehors, en partie à cause des conséquences climatiques des guerres ; elles ne s’arrêtent pas et ne se sont pas arrêtées depuis aussi longtemps que nous sommes en vie. La mosquée de mon quartier a reçu des menaces l’année dernière, alors les membres de la communauté ont mis leur argent en commun pour engager des agents de sécurité. L’un des anciens a plaisanté en disant que tant que la mosquée était vide, quelqu’un pouvait se sentir libre de la brûler, cela nous donnerait une bonne excuse pour enfin la rénover. Nous avons ri. Je me sens le plus musulman lorsque les autres pensent que la blague est à la charge de mon peuple, mais mon peuple survit, et donc la blague n’est en fait pas du tout à notre charge.

À la fin du spectacle de Youssef, il arpentait la scène dans le silence quasi total qui avait suivi les applaudissements enthousiastes. Puis il a commencé à parler de deux choses qui lui avaient redonné espoir cette semaine-là. J’ai remarqué un couple devant moi qui murmurait « Zohran ? ». Puis il est apparu sur scène, saluant la foule debout qui l’acclamait. Il a brièvement évoqué sa vision d’un New York différent, où les gens pourraient défendre les droits des Palestiniens sans craindre d’être persécutés. Youssef a ensuite présenté Khalil, qui a reçu une ovation encore plus forte et plus bruyante. Il a souri largement et a levé le poing, un geste que beaucoup dans le public ont imité.

Vers la fin de son bref discours, Khalil a regardé Mamdani comme s’ils étaient seuls dans la pièce et lui a dit : « Je suis enthousiaste à l’idée d’élever mon fils dans une ville dont tu seras le maire. » Ce fut un moment saisissant, l’un de ces moments où, si vous écoutiez attentivement, vous pouviez entendre un souffle collectif avant qu’une nouvelle vague d’applaudissements n’éclate. Les gens se dirigeaient vers les sorties, certains essuyant leurs larmes. J’ai aperçu une amie et nous nous sommes embrassés. Elle m’a dit : « Je ne m’étais pas rendue compte que je pleurais, mais maintenant je ne peux plus m’arrêter. »

Aussi beau que fût ce souvenir, ce qui m’est resté en tête, c’est la dernière blague de la soirée, lorsque Khalil a déclaré qu’il était honoré d’être aux côtés de Mamdani, « un homme si intègre que l’ICE ne l’a pas encore arrêté ». Il a marqué une pause, puis, avec un timing parfait, il a ajouté : « On voit bien qu’ils y pensent ». Mamdani a ri. Youssef a ri. J’ai ri dans mon siège. C’était une blague classique, faite par quelqu’un qui avait été arraché du hall de son immeuble par des agents de l’ICE, une blague affectueusement adressée à un candidat à la mairie qui a été menacé d’expulsion par le président et d’autres dirigeants politiques. La blague était drôle à cause de ce que certains d’entre nous dans la salle savaient et à cause de ce que la personne qui la racontait avait vécu. La blague était drôle parce que, même si certains d’entre nous dans la salle pleuraient souvent, notre rire surpassait ce que nous savons du monde, pendant quelques secondes à la fois.

 

04/07/2025

BRANKO MARCETIC
La honte : Trump menace de dénaturaliser et d’expulser Zohran Mamdani

Branko Marcetic, Jacobin, 2/7/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala


Écouter résumé audio

Branko Marcetic, né en Nouvelle-Zélande de parents croates, est membre de la rédaction du magazine socialiste usaméricain Jacobin et l’auteur de Yesterday’s Man : The Case Against Joe Biden (Verso 2019)


En seulement six mois de présidence, Donald Trump et ses alliés ont transformé la déportation en une menace explicitement politique contre les opposants et les critiques. Le dernier en date, et le plus médiatisé, est Zohran Mamdani*.


Chaque pays procède à des expulsions, point final d’un processus bureaucratique qui détermine l’éligibilité
d’une personne à rester dans un pays. Parfois, par exemple si la personne a commis un crime grave, ce processus se déroule pendant qu’elle est derrière les barreaux. Dans de nombreux autres cas, il s’agit d’une série d’audiences devant des juges de l’immigration, pendant que la personne continue à vivre sa vie.

L’expulsion est le dernier arrêt du train, la fin de la ligne si les arguments d’une personne pour rester dans le pays ne sont pas convaincants, lorsque tous les recours ont été épuisés.

L’expulsion n’est pas censée être une punition ou une menace, et certainement pas une mesure prise à l’encontre de vos opposants politiques. Il serait difficile de trouver des exemples de ce genre de déportation dans le monde occidental et certainement aux USA au cours de leur histoire récente.

Pourtant, en seulement six mois de présidence de Donald Trump, c’est exactement ce que la déportation est soudainement devenue : une menace que les politiciens usaméricains et leurs partisans brandissent désormais avec désinvolture et régulièrement contre leurs opposants politiques, avec seulement le plus mince prétexte qu’ils sont motivés par une quelconque violation réelle de la loi. En fait, la déportation a dépassé le stade de la simple menace et est activement et explicitement utilisée comme une forme de punition à l’encontre de personnes pour leur discours politique.

Le dernier exemple en date, et le plus médiatisé, s’est produit pas plus tard qu’hier, lorsque Donald Trump a menacé indirectement d’expulser le vainqueur de la primaire démocrate de New York pour le poste de maire, Zohran Mamdani. Notant que Mamdani, citoyen usaméricain, s’est engagé à empêcher les services d’immigration et de douane (ICE) d’arrêter des personnes dans la ville, un journaliste a demandé à Trump son “message au communiste Zorhan [sic] Mamdani”.

« Nous allons surveiller ça de très près, et beaucoup de gens disent qu’il est ici illégalement », a répondu Trump. « Nous allons tout examiner ».

Pour être clair, personne n’a dit ça : Mamdani, qui est né en Ouganda avant que sa famille n’immigre légalement aux USA il y a plus de vingt ans, est un citoyen usaméricain depuis qu’il a été naturalisé il y a sept ans. La référence inventée par Trump au fait que Mamdani serait sans papiers n’était pas une simple insulte. Elle faisait suite à ses avertissements selon lesquels, en raison de la position de Mamdani sur les arrestations de l’ICE, « nous devrons l’arrêter » et couper les fonds fédéraux à New York en guise de représailles. Le sous-texte est si clair qu’il est à peine sous-jacent : Mamdani veut me défier, alors nous allons peut-être l’expulser.

Cela faisait suite à une menace encore plus explicite et ouvertement raciste de la part du représentant du Tennessee, Andy Ogles, qui a déclaré deux jours après la victoire de Mamdani :

Zohran “little muhammad” Mamdani est un antisémite, un socialiste, un communiste qui détruira la grande ville de New York. Il doit être DÉPORTÉ. C’est pourquoi je demande qu’il fasse l’objet d’une procédure de dénaturalisation.

Notez qu’Ogles n’a même pas pris la peine d’accuser Mamdani de quoi que ce soit pour justifier cette décision, si ce n’est de la possibilité qu’il devienne maire de New York. Dans sa lettre à la procureure générale Pam Bondi, le mieux qu’il ait pu faire a été de citer un texte de rap vieux de huit ans écrit par Mamdani. Quelques heures plus tard, il a réitéré sa menace – d’une manière qui se voulait amusante, avec une caricature méconnaissable de lui-même générée par l’IA, qui lui a donné la mâchoire carrée et les épaules larges qui lui font défaut dans la vie réelle.


Mais ce n’
est que le dernier incident en date. Quelle a été la première chose que Trump et ses alliés ont faite lorsque le milliardaire Elon Musk, donateur de Trump, s’est brouillé très publiquement avec le président ? Ils ont menacé de l’expulser.

« Elon Musk est illégal et il doit partir. Expulsez-le immédiatement », a déclaré Steve Bannon, allié de Trump, quelques jours après le début de la polémique, avant d’appeler le président à « lancer une enquête officielle sur son statut d’immigrant ». Hier encore, Trump s’est mis de la partie (c’était une journée chargée en menaces d’expulsion pour le président), lorsqu’on lui a demandé s’il expulserait M. Musk. Il a répondu : « Nous devrons jeter un coup d’œil ».

Lorsque l’utilisateur de X/Twitter familièrement connu sous le nom de “the menswear guy” - connu pour critiquer de manière cinglante les choix de mode et l’apparence physique des personnalités de droite, y compris le vice- président J. D. Vance - a révélé le mois dernier qu’il était un immigrant sans papiers depuis qu’il a été amené enfant aux USA, plusieurs utilisateurs l’ont souligné, et l’un d’entre eux a suggéré à Vance de faire expulser l’homme. M. Vance et le Département social du ministère de la sécurité intérieure ont tous deux répondu par des GIF rigolards, suggérant qu’ils examinaient la question.

« Dénaturaliser et déporter Mehdi Hasan », a gazouillé Will Chamberlain, avocat principal du Projet Article III, une sorte de version trumpifiée de la Federalist Society, à propos du célèbre journaliste et critique de Trump. Deux ans plus tôt, le fondateur et président de l’Article III Project avait menacé de la même manière non seulement de dénaturaliser et d’expulser Hasan - encore une fois, entièrement en réponse à ses opinions politiques - mais aussi de l’inculper et de le placer en détention, se vantant d’avoir déjà « choisi sa place dans le goulag de Washington ».

Une menace joyeuse

Ce qui est remarquable ici, ce n’est pas seulement la façon dont la déportation est devenue une menace occasionnelle dans le discours politique de droite ou le fait qu’elle soit lancée entièrement en réponse aux discours et aux activités politiques que la trumposphère n’aime pas. C’est l’allégresse sadique avec laquelle elle est lancée : avec un GIF de Jack Nicholson souriant et hochant la tête d’un air malveillant ou avec la vantardise de « créer un tableau de March Madness [tournoi de basket-ball universitaire, NdT] pour célébrer la déportation imminente de Mehdi ».

C’est un signe de la façon dont la droite ne considère plus l’expulsion comme un simple élément du processus bureaucratique d’immigration, mais comme un outil qu’elle peut utiliser contre ses ennemis politiques et comme outil de répression - un objectif qui est loin de l’intention originale de l’expulsion, que ce soit aux USA ou dans d’autres pays partageant les mêmes idées.

Et ne vous y trompez pas : elle est déjà utilisée comme une arme de répression politique, dans le cadre d’un assaut de l’ensemble du gouvernement contre la liberté d’expression par le mouvement Trump. La plupart des gens connaissent maintenant Mahmoud Khalil, le détenteur d’une carte verte, nouveau père et militant pro-palestinien ciblé par l’expulsion expressément en raison de ses opinions politiques. Plus récemment, Mario Guevara, un journaliste dont la demande de carte verte était en cours et qui a été arrêté pour avoir couvert une manifestation à Atlanta, a lui aussi fait l’objet d’une procédure d’expulsion.

En fait, après avoir menacé pendant des années de « donner un coup de fouet » à une campagne de « dénaturalisation massive », Trump semble aujourd’hui être en train de le faire. Lundi, des rapports ont révélé que son ministère de la Justice donne la priorité au retrait de la citoyenneté aux citoyens naturalisés qui commettent certains crimes graves, y compris le terrorisme, l’un des objectifs de la campagne étant de « mettre fin à l’antisémitisme ». Compte tenu de la définition libérale que Trump et son mouvement ont donnée à ces termes - qu’ils ont utilisés à plusieurs reprises pour désigner des critiques d‘Israël ou des militants et des messages sur les médias sociaux - il est presque certain que ce sera le cas.

Malheureusement, l’utilisation de la législation sur l’immigration à des fins de répression politique n’est pas sans précédent dans l’histoire usaméricaine, puisqu’elle a été utilisée dans le cadre de la première peur rouge”, lors des raids Palmer, pour arrêter des milliers et déporter des centaines d’immigrés de gauche en raison de leurs opinions politiques, ainsi que dans le cadre de la seconde “peur rouge”, de type maccarthyste. Mais ces épisodes sont largement considérés aujourd’hui comme des épisodes profondément honteux, des taches dans l’histoire usaméricaine lorsque le système politique n’a pas été à la hauteur de l’éthique la plus chère au pays.

Une nouvelle déchéance

Ce que fait aujourd’hui l’administration Trump ne risque pas seulement de répéter ces épisodes honteux, mais place les USA au coude à coude avec une liste de gouvernements autoritaires honteux - y compris ceux que Trump lui-même a critiqués pour leur piétinement des libertés fondamentales.

L’année dernière, Freedom House, qui est largement financée par le gouvernement usaméricain, a désigné la “révocation de la citoyenneté” comme l’une des principales tactiques utilisées par les gouvernements autoritaires pour punir les opposants politiques. Parmi ces gouvernements figurent certains des noms les plus dictatoriaux et despotiques qui soient, aussi éloignés que possible de ce que la plupart des USAméricains ordinaires considèrent comme de bons États épris de liberté : Bahreïn, l’Égypte, le Koweït, les Émirats arabes unis et le Myanmar, qui ont tous retiré leur nationalité à des centaines de journalistes, d’activistes et d’autres dissidents au cours des dernières années.

Un nom en particulier ressort : le gouvernement nicaraguayen de Daniel Ortega, dont Trump a sanctionné les responsables lors de son premier mandat, les accusant de “saper la démocratie” et l’État de droit. La déportation et la déchéance de nationalité sont des caractéristiques du règne d’Ortega : il y a tout juste deux ans, il a déporté et révoqué la nationalité de 222 prisonniers politiques, avant de déchoir 94 autres Nicaraguayens, dont des écrivains, des journalistes et des personnalités religieuses, de leur nationalité.

Réfléchissez-y un instant : Trump se comporte, selon ses propres critères, comme un homme fort qui sape la démocratie et l’État de droit.

Il y a peu de raisons de penser que les menaces de Trump resteront limitées aux citoyens naturalisés, qui ne constituent pas une catégorie distincte de citoyens mais ont exactement la même position, les mêmes droits et les mêmes privilèges que les citoyens nés dans le pays : tout argument utilisé pour priver l’un de sa citoyenneté peut être utilisé contre l’autre. N’oublions pas que Trump a déjà pris une mesure cruelle à l’encontre des migrants - en les expulsant sans procédure régulière vers une prison brutale au Salvador - avant d’admettre en privé que son plan était de faire la même chose aux citoyens américains.

Mamdani lui-même a semblé le reconnaître dans sa réponse à la menace de Trump de l’arrêter, qu’il a accusée de « représenter non seulement une attaque contre notre démocratie, mais une tentative d’envoyer un message à tous les New-Yorkais qui refusent de se cacher dans l’ombre : si vous vous exprimez, ils viendront pour vous ». Il a ajouté que les New-Yorkais « n’accepteraient pas cette intimidation », et il pourrait avoir raison - même la gouverneure conservatrice de New York, Kathy Hochul, qui a refusé de soutenir Mamdani jusqu’à présent, a averti : « si vous menacez de vous en prendre illégalement à l’un de nos voisins, vous cherchez la bagarre avec vingt millions de New-Yorkais - à commencer par moi ».

Les menaces de Trump et de ses alliés d’expulser Mamdani et d’autres opposants politiques constituent un nouveau coup bas honteux dans la politique usaméricaine récente. Quoi qu’en dise la trumposphère, les excès qu’il a déjà commis en matière d’immigration et d’expulsion n’ont pas été populaires, une majorité du pays estimant que les actions de l’ICE sont allées trop loin. Il y a fort à parier que ce dernier excès sera à nouveau perçu avec dégoût par un public qui croit encore aux idéaux usaméricains fondamentaux, comme le droit de dire ce que l’on pense et de ne pas être harcelé par un dirigeant tyrannique.

NdT

*Zohran Kwame Mamdani est né en 1991 à Kampala, en Ouganda. Ses parents sont Mahmood Mamdani, un universitaire ougandais d'origine indienne goudjaratie d'obédience chiite duodécimaine, et Mira Nair, une réalisatrice indo-usaméricaine d'ascendance pendjabie hindoue, récipiendaire de la Caméra d'or au Festival de Cannes 1988 pour son film Salaam Bombay! Son deuxième prénom Kwame a été inspiré par l'homme d'État ghanéen Kwame Nkrumah. Ses parents ignoraient que  ce nom signifie en langue akan qu'une personne est née à un samedi (il est né à un vendredi et aurait donc porter le nom Kofi).

Le phénomène Mamdani donne du grain à moudre aux caricaturistes de tous poils, pro et contra, certains épinglant l'hostilité de la vieille garde du parti Démocrate à l'égard du candidat. Ci-dessous, un choix