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23/03/2025

LA JORNADA
Bukele, geôlier de Trump

La Jornada, Mexico, 17/3/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala


Le samedi 15 mars, le juge fédéral US James E. Boasberg a interdit au gouvernement de Washington de poursuivre l’expulsion d’étrangers sans papiers, en réponse à une action en justice intentée par l’American Civil Liberties Union (ACLU) et Democracy Forward. La décision de justice a noté qu’un retard dans les renvois ne nuisait pas aux autorités et a ordonné le retour de tout avion transportant des migrants expulsés vers d’autres pays. Cependant, l’administration dirigée par Donald Trump a ignoré la décision et un avion transportant des personnes expulsées est arrivé au Salvador, dont le président, Nayib Bukele, a récemment convenu avec le secrétaire d’État Marco Rubio d’un accord entre les deux gouvernements en vertu duquel le pays d’Amérique centrale détiendra dans ses prisons quelque 300 personnes expulsées des USA en échange d’un paiement annuel de 6 millions de dollars, soit 20 000 dollars par prisonnier.

Le juge James Boasberg du district de Washington
Photo Carolyn Van Houten (Getty Images)

Il est clair que les déportations ordonnées par Trump reposent sur une base juridique extrêmement fragile, c’est le moins que l’on puisse dire : le Alien Enemies Act de 1798 , qui donne au chef de l’exécutif la liberté de prendre des mesures telles que des expulsions massives de personnes du territoire usaméricain en temps de guerre. La vérité est qu’officiellement, les USA n’ont déclaré la guerre à personne, même si le magnat new-yorkais affirme que l’organisation criminelle d’origine vénézuélienne Tren de Aragua est en guerre contre les USA et qualifie la présence de membres de ce gang sur le territoire usaméricain d’invasion, une hyperbole dépourvue de toute raison juridique et, bien sûr, militaire.


Des détenus dans une cellule du Centre de détention pour terrorisme, le complexe pénitentiaire de Tecoluca, au Salvador, devenu un symbole de l’administration du président Nayib Bukele.
Photo Marvin Recinos/Agence France-Presse — Getty

Ces faits confirment le mépris du droit qui caractérise la présidence trumpiste, qui non seulement entreprend des actions sans autre fondement que l’alarmisme métaphorique de son titulaire, mais aussi ignore les décisions judiciaires comme celle évoquée ici et transforme les actions de sa politique xénophobe et raciste en faits accomplis.

L’affaire a une facette tout aussi grave : le fait que Bukele ait assumé, en échange de quelques millions de dollars, le statut de geôlier des Yankees. Il s’agit non seulement d’un traitement humiliant pour le Salvador, mais aussi d’un placement d’individus dont la culpabilité n’a même pas été établie par la justice dans un enfer carcéral construit par le président salvadorien au mépris total des droits humains des détenus.

Il convient de rappeler que sous l’argument de la lutte contre la violence des groupes criminels, Bukele a fait effectuer d’énormes rafles qui ont conduit à l’emprisonnement de quelque 80 000 personnes, dont beaucoup n’avaient commis aucun crime, si ce n’est d’avoir, selon la police, l’apparence physique d’un membre d’un gang. En conséquence, le Salvador est devenu le pays ayant la plus forte population carcérale au monde : 1086 pour 100 000 habitants. En outre, le gouvernement de ce pays d’Amérique centrale a érigé une méga-prison dans laquelle sont entassées quelque 25 000 personnes. Ceux qui ont le malheur d’échouer dans les prisons de Bukele perdent automatiquement tous leurs droits, y compris le droit à un procès pénal, à des visites d’avocats et de membres de la famille, ainsi qu’à un régime alimentaire un tant soit peu digne.

Bukele a même soumis la population carcérale à des mauvais traitements pour exercer une pression explicite sur les gangs afin qu’ils réduisent leurs actes de violence.

Dans ces conditions, le fait que les gouvernements des deux pays aient établi un pacte commercial pour emprisonner des personnes constitue une violation internationale et binationale scandaleuse des droits humains et devrait conduire les Nations unies et les gouvernements démocratiques du monde à dénoncer et à répudier une entreprise aussi dégradante.


LA JORNADA
Bukele, carcelero de Trump

La Jornada, México, 17-3-2025

El pasado sábado 15 de marzo el juez federal James E. Boasberg prohibió al Gobierno de Estados Unidos que siguiera deportando a extranjeros indocumentados, en respuesta a una demanda interpuesta por la Unión Estadunidense por las Libertades Civiles (ACLU, por sus siglas en inglés) y la organización Democracy Forward. La resolución judicial señaló que un retraso en las expulsiones no perjudicaba a las autoridades y ordenó el regreso de cualquier avión que llevara migrantes deportados hacia otros países. Sin embargo, la administración que encabeza Donald Trump ignoró el fallo y una aeronave con expulsados llegó a El Salvador, cuyo presidente, Nayib Bukele, acordó recientemente con el secretario de Estado, Marco Rubio, un negocio entre ambos Gobiernos consistente en que el centroamericano recluirá en sus cárceles a unas 300 personas expulsadas de Estados Unidos a cambio de un pago anual de 6 millones de dólares, 20 mil dólares por prisionero.

El juez federal James Boasberg, del distrito de Washington
Foto Carolyn Van Houten (Getty Images)

Es claro que las deportaciones ordenadas por Trump tienen un fundamente legal sumamente endeble, por decir lo menos: la Ley de Enemigos Extranjeros de 1798, que da al jefe del Ejecutivo libertad para emprender en tiempos de guerra acciones como expulsiones masivas de personas del territorio estadunidense. Lo cierto es que oficialmente Estados Unidos no le ha declarado la guerra a nadie, por más que el magnate neoyorquino afirme que la organización delictiva de origen venezolano Tren de Aragua está en guerra con Estados Unidos y describa como invasión la presencia de integrantes de esa banda en territorio estadunidense, una hipérbole carente de toda razón jurídica y, desde luego, militar.

Bukele

Estos hechos permiten confirmar el desprecio por las leyes que caracteriza a la presidencia trumpista, la cual no sólo emprende acciones sin más base que el tremendismo metafórico de su titular, sino que ignora resoluciones judiciales como la aquí referida y convierte las acciones de su política xenofóbica y racista en hechos consumados.

El asunto tiene una faceta igualmente grave: el que Bukele haya asumido, a cambio de unos millones de dólares, la condición de carcelero de Estados Unidos. El hecho no sólo representa un trato humillante para El Salvador, sino que coloca a individuos cuya culpabilidad ni siquiera ha sido establecida en juicio en el ámbito del infierno penitenciario construido por el presidente salvadoreño con total desprecio por los derechos humanos de los internos.

Cabe recordar que con el argumento de la lucha contra la violencia de los grupos delictivos, Bukele realizó grandes redadas policiales que llevaron a la prisión a unos 80 mil individuos, muchos de ellos sin haber cometido más delito que el de tener, a juicio de la policía, una apariencia física de pandillero. Con ello, El Salvador se convirtió en el país con más población encarcelada en el mundo: mil 86 por cada 100 mil habitantes. Adicionalmente, el gobierno del país centroamericano erigió una megaprisión en la que se hacinan unas 25 mil personas. Quienes tienen la desgracia de caer en los reclusorios de Bukele pierden automáticamente todo derecho, incluido el de un proceso penal, visitas de abogados y familiares y una alimentación mínimamente digna.

Bukele incluso ha sometido a la población carcelaria a malos tratos como forma de presión explícita a las pandillas para que disminuyan sus actos de violencia.

En tales circunstancias, el hecho de que los gobiernos de ambos países hayan establecido un pacto comercial de reclusión de personas constituye una indignante violación internacional y binacional de los derechos humanos y debiera llevar a Naciones Unidas y a gobiernos democráticos del mundo a denunciar y repudiar tan denigrante negocio.

04/03/2025

GIDEON LEVY
Et si Netanyahou avait été sur la sellette de Trump au lieu de Zelensky ?

Gideon Levy , Haaretz, 2/3/2025
 Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Dans mon rêve, ce n’est pas le président ukrainien Volodymyr Zelensky qui était assis dans le bureau ovale l’autre jour, mais bien le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou. Le président usaméricain Donald Trump et le vice-président JD Vance assaillaient le premier ministre devant les caméras du monde entier, lui disant qu’en refusant de mettre fin à la guerre à Gaza, il jouait avec la Troisième Guerre mondiale.

 

Trump et Zelensky dans le bureau ovale vendredi 28 février. Photo Saul Loeb/AFP

 « Vous devez dire plus souvent merci. Vos gens sont en train de mourir. Et vous nous dites : “Je ne veux pas de cessez-le-feu”. Si vous pouviez obtenir un cessez-le-feu maintenant, je vous dirais de l’accepter. Ainsi, les balles cesseront de voler et vos hommes cesseront d’être tués. Mais vous ne voulez pas de cessez-le-feu. Je veux un cessez-le-feu. Vous n’avez pas les cartes en main. Avec nous, vous avez les cartes. Mais sans nous, vous n’avez aucune carte. Ou bien vous faites un deal, ou bien nous, on se casse ».

Dans mon rêve, Trump a dit à Netanyahou exactement ce qu’il a dit à Zelensky. Voilà, mot pour mot, ce qu’il a à lui dire.

Mais un rêve est un rêve et le spectacle d’horreur de vendredi ne s’est pas produit avec Netanyahou. On peut supposer qu’il ne se produira jamais, même s’il le devrait. Imaginez une telle conversation. Netanyahou quitte la Maison Blanche en panique, le visage aussi cendré que celui de Zelensky, et le lendemain, il revient frapper à la porte à plusieurs reprises : Il est prêt à mettre fin à la guerre à Gaza  et à retirer immédiatement toutes les forces israéliennes de la bande de Gaza. Tous les otages sont libérés et un autre génocide est évité.

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En l’absence d’une telle conversation, Israël galope vers la reprise de la guerre. Il est difficile d’imaginer une perspective plus horrible, de penser à une guerre plus inutile, dont le deuxième chapitre sera encore plus terrifiant.

Le bizutage infligé à l’allié impuissant Zelensky, y compris les abus malveillants inhérents aux personnes de l’acabit de Trump et de Vance, n’était certainement pas sans précédent. La nouveauté, c’est qu’il s’est déroulé devant des caméras. Hormis le « Signe, chien ! » de Hosni Moubarak à Yasser Arafat lors de la signature de l’accord Gaza-Jéricho au Caire en 1994, jamais les caméras n’avaient montré un tel étalage humiliant de la puissance des seigneurs du monde, ou de ceux qui croient l’être, envers un protégé.

Il faut remercier Trump d’avoir révélé son monde intérieur, dans lequel il n’y a pas de place pour la justice, les valeurs, le droit international,  l’humanité ou la loyauté.. Seulement le pouvoir et l’argent, l’argent et le pouvoir. Mais même cette perspective est appliquée de manière sélective. La rencontre Trump-Zelensky aurait pu et dû avoir lieu avec Netanyahou également. Chaque mot prononcé par Trump à l’encontre de Zelensky est pertinent pour Netanyahou. Mais personne n’imagine un tel scénario, peut-être parce qu’aucun gisement de minerai n’a été découvert sous la Cisjordanie. Mais qu’en est-il de la Riviera à Gaza ?

Pour Netanyahou et pour Israël - qui ne comprennent que le langage de la force - il pourrait s’agir d’une conversation historique qui changerait la donne. Il est probable qu’elle n’aura pas lieu. Mais tant que nous rêvons, pourquoi ne pas rêver grand ? Énorme ? Imaginez une conversation similaire à la Maison Blanche, avec pour thème la fin de l’occupation israélienne. Dans son sillage, l’occupation prendrait fin plus rapidement que nous ne pouvons l’imaginer. En fait, le seul moyen restant de mettre fin à l’occupation est une telle conversation.


Trump et Netanyahou en conférence de presse à la Maison Blanche à Washington, le mois dernier. Photo Jim Watson/AFP

Israël n’a pas d’autres cartes pour perpétuer l’occupation que le soutien usaméricain. Des personnes sont tuées à cause de l’occupation en permanence. C’est un foyer de tension qui met le monde en danger. Aucun pays ne la soutient et aucun sujet n’unit le monde comme l’opposition à l’occupation, du moins pour la forme.

Il est difficile de comprendre quel intérêt usaméricain est servi par cette occupation, qui fait que les USA sont méprisés au même titre que leur protégé. Même en termes trumpiens, il est difficile de comprendre pourquoi une telle conversation n’a jamais eu lieu.

Dans mon rêve, Netanyahou arrive à la Maison Blanche et Trump, cet homme terrible et dangereux, le menace comme il a menacé Zelensky l’autre jour. Le lendemain matin, le démantèlement des colonies de Kiryat Arba et Kiryat Sefer en Cisjordanie commence. Malheureusement, ça n’est qu’un rêve.

01/03/2025

Le Mexique livre 29 chefs de narco-cartels aux USA

La remise d’un si grand nombre de figures importantes des cartels a constitué l’un des efforts les plus importants déployés par le Mexique dans l’histoire moderne de la guerre contre la drogue pour envoyer les trafiquants répondre de leurs actes devant les tribunaux usaméricains.

Alan Feuer, The New York Times, 27/2/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Alan Feuer couvre l’extrémisme et la violence politique pour le Times, en se concentrant sur les affaires pénales liées à l’attaque du 6 janvier au Capitole et à la première présidence Trump.

Le gouvernement mexicain a envoyé jeudi aux USA 29 hauts responsables de cartels recherchés par les autorités usaméricaines, dont un célèbre baron de la drogue que les autorités usaméricaines cherchaient à traduire en justice depuis 40 ans, selon les déclarations des gouvernements usaméricain et mexicain.


Les 29 narcos extradés

Le transfert a concerné non seulement plusieurs puissants chefs de cartel, mais aussi certains des meurtriers les plus prolifiques dans les annales de la criminalité mexicaine. Le nombre et l’importance des personnes envoyées en même temps aux USA ont fait de cet événement l’un des efforts les plus importants déployés par le Mexique dans l’histoire moderne de la guerre contre la drogue pour envoyer les trafiquants répondre de leurs actes devant les tribunaux fédéraux usaméricains.

Ce développement est intervenu alors que l’administration Trump s’appuyait fortement sur le gouvernement mexicain pour intensifier sa lutte contre les cartels, et la concession des responsables mexicains est apparue comme une première victoire pour le président Trump dans ce qui sera probablement une lutte de plus longue haleine contre les groupes criminels.

Parmi les personnes envoyées par avion aux USA figure Rafael Caro Quintero, membre fondateur du cartel de la drogue de Sinaloa, qui a été condamné au Mexique pour avoir commandité le meurtre, en 1985, d’Enrique Camarena, un agent de la Drug Enforcement Administration, a indiqué la ministre de la justice Pam Bondi dans un communiqué. Mettre la main sur Caro Quintero a été pendant des décennies une véritable obsession pour les fonctionnaires de l’agence antidrogue.

« Comme le président Trump l’a clairement indiqué, les cartels sont des groupes terroristes, et ce ministère de la Justice se consacre à la destruction des cartels et des gangs transnationaux », a déclaré Bondi dans son communiqué. « Nous poursuivrons ces criminels avec toute la rigueur de la loi en l’honneur des courageux agents des forces de l’ordre qui ont consacré leur carrière - et dans certains cas, donné leur vie - pour protéger des innocents du fléau des cartels violents ».

Le transfert des hommes recherchés, qui étaient détenus par le Mexique, intervient alors qu’une délégation mexicaine de haut niveau est arrivée à Washington pour rencontrer de hauts responsables usaméricains afin d’élaborer un accord de sécurité dans un contexte de tension entre les deux pays. Le ministère mexicain des Affaires étrangères a publié une déclaration annonçant la libération des membres du cartel avant que Bondi ne publie sa propre déclaration.

« Cette action fait partie du travail de coordination, de coopération et de réciprocité dans le cadre du respect de la souveraineté des deux nations » indique le communiqué mexicain.

Ces dernières semaines, l’administration Trump s’est engagée dans un un débat houleux pour savoir jusqu’où - et avec quelle force - pousser le gouvernement mexicain à s’attaquer aux cartels qui, depuis des années, sèment la violence sanglante au Mexique et font passer des quantités incalculables de drogues illégales aux USA.

Certains responsables de la Maison-Blanche ont adopté une position agressive, préconisant une action militaire unilatérale contre les barons de la drogue et les infrastructures des cartels au Mexique afin d’empêcher les stupéfiants, tels que le fentanyl, de franchir la frontière. D’autres ont plaidé pour une approche plus pragmatique, affirmant qu’un partenariat renforcé avec le gouvernement mexicain garantirait la poursuite de la coopération sur des questions telles que l’immigration.

Au cours de ces délibérations, Trump et ses alliés ont exercé d’énormes pressions diplomatiques et économiques sur la présidente du Mexique, Claudia Sheinbaum, notamment en menaçant d’imposer des droits de douane élevés à son pays.

Jeudi, lors d’une conférence de presse conjointe avec le premier ministre britannique, Keir Starmer, Trump a maintenu cette pression, affirmant que le flux de drogues mortelles traversant la frontière sud n’avait pas cessé.

« Les drogues continuent de se déverser dans notre pays, tuant des centaines de milliers de personnes », a-t-il déclaré, même si le nombre de décès par overdose a récemment baissé aux USA, selon les responsables de la santé publique. 3Nous perdons bien plus que 100 000 personnes. Je veux dire, des morts ».

Néanmoins, la décision du Mexique d’envoyer les trafiquants emprisonnés aux USA a été saluée dans les milieux usaméricains de l’application de la loi comme une victoire majeure et un signal clair que Sheinbaum avait l’intention de coopérer avec l’administration Trump pour sévir contre les cartels.

« C’est un moment incroyablement important qui marque un véritable tournant », a déclaré Ray Donovan, l’ancien chef des opérations de la D.E.A. « Cela montre la volonté de la présidente Sheinbaum de travailler avec nous pour cibler et démanteler les organisations criminelles qui ont eu un impact sur les USA et le Mexique pendant des générations ».


Le lieu où un hélicoptère de l’armée mexicaine s’est écrasé lors de l’opération de capture de Caro Quintero dans l’État rural de Sinaloa en 2022. Photo Guillermo Juarez/Associated Press

Caro Quintero est un personnage hors norme au Mexique. Il est également honni par les agents fédéraux usaméricains chargés de la lutte contre la drogue pour le rôle qu’il a joué dans la torture et le meurtre de Camarena, connu sous le nom de Kiki, alors qu’il travaillait sous couverture au Mexique. Le meurtre de  Camarena a longtemps été considéré comme une sorte de catalyseur qui a propulsé les forces de l’ordre usaméricaines plus profondément dans la guerre cataclysmique du Mexique contre les cartels.

Après avoir été condamné à 40 ans de prison, Caro Quintero a été libéré de la prison mexicaine en 2013 sur la base d’un vice de forme et est retourné se cacher dans la région rurale de Sinaloa, son État d’origine. Il a finalement été capturé par les autorités mexicaines près de San Simón, une ville de Sinaloa, en 2022.

Quelques heures seulement après son arrestation, un hélicoptère militaire s’est écrasé à l’extérieur de la ville voisine de Los Mochis, tuant les 14 marines mexicains qui se trouvaient à bord. Le président mexicain de l’époque, Andrés Manuel López Obrador, avait alors déclaré que les soldats tués avaient participé à la mission visant à capturer l’ancien seigneur du crime.

Caro Quintero est inculpé de plusieurs chefs d’accusation liés au trafic de stupéfiants devant le tribunal fédéral de Brooklyn depuis 2020. Il pourrait y comparaître devant un juge fédéral dès vendredi, a déclaré l’une des personnes au fait de l’affaire.

Le Mexique a également remis aux USA Miguel Ángel Treviño Morales, un ancien chef du cartel des Zetas dont la brutalité est tristement célèbre et qui a été capturé au Mexique en 2013.

Treviño, mieux connu sous le nom de Z-40, du nom de son indicatif radio au sein des Zetas, est largement considéré comme l’un des membres les plus violents des cartels mexicains, ayant contribué à perfectionner la pratique consistant à utiliser le carnage comme message.

Son organisation a été fondée par des commandos mexicains très bien entraînés et lourdement armés qui avaient initialement pour mission de s’attaquer aux gangs, mais qui ont fini par vendre leurs services à un cartel en particulier, le cartel du Golfe. Après une période de prospérité et d’effusion de sang, les Zetas, avec Treviño dans leurs rangs, ont fait cavalier seul et sont devenus l’une des organisations criminelles les plus puissantes et les plus redoutées du Mexique.

Treviño fait l’objet d’accusations de trafic de drogue qui se recoupent dans les tribunaux fédéraux du Texas, notamment ceux d’Austin et de Laredo.

Sur la liste des personnes envoyées aux USA figuraient d’autres dirigeants - et tueurs - des Zetas. Il y avait également des agents de haut niveau d’autres groupes criminels, dont le cartel Nueva Generación Jalisco et le cartel La Familia Michoacana.

L’une des personnes récupérées par les agents fédéraux usaméricains est José Ángel Canobbio Inzunza, qui serait le bras droit d’Iván Archivaldo Guzmán Salazar, fils du célèbre baron de la drogue Joaquín Guzmán Loera, plus connu sous le nom d’El Chapo. Canobbio Inzunza, qui fait l’objet de poursuites à Chicago, a été arrêté au Mexique la semaine dernière seulement.

NdT

  1. 6 des 29 extradés sont inculpés aux USA pour des crimes pouvant être punis par la peine de mort, mais le traité d’extradition signé par le Mexique et les USA en 1978 exclut l’exécution de condamnés.
  1. Le Département d'État a désigné ces six cartels mexicains comme organisations terroristes étrangères (FTO) : Cártel de Sinaloa, Cártel Jalisco Nueva Generación (CJNG), Cártel del Noreste, Nueva Familia Michoacana, Cártel del Golfo, Cárteles Unidos. S’y ajoutent  le Tren de Aragua [Venezuela] et la Mara Salvatrucha (MS-13) [Salvador/USA]

“Ou vous faites un deal ou nous, on se casse et vous vous démerdez” : extraits de l’échange entre Trump, Vance et Zelensky à la Maison Blanche
“Un grand moment de télé”

The New York Times, 28/2/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Le point de presse [ou plutôt le show] de Trump, Vance et Zelensky vendredi 28 février 2025 dans le bureau ovale s’est transformé en une confrontation houleuse. Ci-dessous des extraits clés de l’échange, qualifié par Trump de « grand moment de télévision »


Thiago Lucas, Brésil 

Trump (répondant à un journaliste) : Je ne suis pas aligné avec Poutine. Je ne suis aligné avec personne. Je suis aligné avec les États-Unis d’Amérique. Et pour le bien du monde. Je suis aligné avec le monde. Et je veux en finir avec cette histoire. Vous voyez la haine qu’il a pour Poutine. C’est très difficile pour moi de faire un marché avec une telle haine. Il a une haine énorme. Et je le comprends. Mais je peux vous dire que l’autre camp n’est pas vraiment amoureux de lui non plus.

Donc ce n’est pas une question d’alignement. Je suis aligné avec le monde. Je veux que les choses s’arrangent. Je suis aligné avec l’Europe. Je veux voir si nous pouvons faire avancer les choses. Vous voulez que je sois dur ? Je peux être plus dur que n’importe quel être humain que vous ayez jamais vu. Je serais très dur. Mais vous n’obtiendrez jamais d’accord de cette façon. C’est comme ça que ça se passe.

Vice-président JD Vance : Je vais répondre à ça. Écoutez, pendant quatre ans, aux États-Unis d’Amérique, nous avons eu un président qui a tenu des conférences de presse et a parlé durement de Vladimir Poutine. Et puis Poutine a envahi l’Ukraine et détruit une partie importante du pays. La voie de la paix et de la prospérité passe peut-être par la diplomatie. Nous avons essayé la voie de Joe Biden, celle de se frapper la poitrine et de prétendre que les paroles du président des États-Unis importaient plus que ses actions.

Ce qui fait de l’Amérique un bon pays, c’est que l’Amérique s’engage dans la diplomatie. C’est ce que fait le président Trump.

Zelensky : Oui. OK. Il l’a occupée, nos régions. De grandes régions d’Ukraine. Une partie de l’est et la Crimée. Il l’a donc occupée en 2014. Donc pendant de nombreuses années, je ne parle pas seulement de Biden. Mais à cette époque, il y avait Obama, puis le président Obama, puis le président Trump, puis le président Biden, maintenant le président Trump. Et que Dieu le bénisse : maintenant, le président Trump va l’arrêter. Mais en 2014, personne ne l’a arrêtée. Il a juste occupé et pris. Il a tué des gens.

Trump : 2015.

Zelensky : 2014.

Vance : 2014 et 2015.

Trump : 2014. Je n’étais pas là.

Zelensky : Mais de 2014 à 2022. (...) Personne ne l’a arrêté. Vous savez que nous avons eu des conversations avec lui, beaucoup de conversations. Ma conversation bilatérale. Et nous avons signé avec lui. Moi, comme un nouveau président. En 2019, j’ai signé avec lui l’accord que j’ai signé avec lui, Macron et Merkel. Nous avons signé le cessez-le-feu, le cessez-le-feu. Tous m’ont dit qu’il ne partirait jamais. Nous l’avons signé. Le contrat gazier. Le contrat gazier. Mais après cela, il a rompu le cessez-le-feu. Il a tué nos gens et il n’a pas échangé de prisonniers. Nous avons signé l’échange de prisonniers, mais il ne l’a pas fait. De quel genre de diplomatie, JD, parlez-vous ? Que voulez-vous dire ?

Vance : Je parle du genre de diplomatie qui mettra fin à la destruction de votre pays.

Vance : Monsieur le Président, Monsieur le Président, avec tout le respect que je vous dois. Je pense que c’est irrespectueux de votre part de venir au bureau ovale et d’essayer de plaider cette affaire devant les médias américains. En ce moment, vous allez de l’avant et vous forcez les conscrits à aller au front parce que vous avez des problèmes de main-d’œuvre. Vous devriez remercier le président d’essayer de mettre fin à ce conflit.

Zelensky : Êtes-vous déjà allé en Ukraine ? Vous dites quels sont nos problèmes.

Vance : Je suis allé en...

Vance : En fait, j’ai regardé et vu les reportages, et je sais que ce qui se passe, c’est que vous amenez des gens, vous les emmenez dans une tournée de propagande, Monsieur le Président. N’êtes-vous pas d’accord pour dire que vous avez eu des problèmes pour faire entrer des gens dans votre armée ?

Zelensky : Nous avons des problèmes. Je vais répondre.

Vance : Et pensez-vous qu’il soit respectueux de venir au bureau ovale des États-Unis d’Amérique et d’attaquer l’administration qui tente d’empêcher la destruction de votre pays ?

Zelensky : Beaucoup de questions. Commençons par le début.

Vance : Bien sûr.

Zelensky : Tout d’abord, pendant la guerre, tout le monde a des problèmes, même vous. Mais vous avez un bel océan [entre les USA et l’Europe, allusion à une phrase de Trump, NdT] et vous ne le ressentez pas maintenant, mais vous le ressentirez à l’avenir.

Trump : Vous n’en savez rien.

Zelensky : Dieu vous bénisse, vous n’aurez pas de guerre.

Trump : Ne nous dites pas ce que nous allons ressentir. Nous essayons de résoudre un problème. Ne nous dites pas ce que nous allons ressentir.

Zelensky : Je ne vous le dis pas.

Trump : Parce que vous n’êtes pas en position de le dicter. Rappelez-vous ceci : vous n’êtes pas en position de dicter ce que nous allons ressentir. Nous allons nous sentir très bien.

Zelensky : Vous ressentirez l’influence. Je vous le dis.

Trump : Nous allons nous sentir très bien et très forts.

Zelensky : Vous ressentirez l’influence.

Trump : Vous n’êtes pas en très bonne position en ce moment.

Trump : Vous vous êtes mis dans une très mauvaise position. Et il a raison à ce sujet. Vous n’êtes pas en bonne position. Vous n’avez pas les cartes en ce moment. Avec nous, vous commencez à avoir des cartes.

Zelensky : Je ne joue pas aux cartes. Je suis très sérieux, Monsieur le Président. Je suis très sérieux. Je suis le président en guerre...

Trump : Vous jouez aux cartes. Vous jouez aux cartes. Vous jouez avec la vie de millions de personnes. Vous jouez avec la Troisième Guerre mondiale. Vous jouez avec la Troisième Guerre mondiale. Et ce que vous faites est très irrespectueux envers le pays, ce pays, qui vous a soutenu bien plus que ce que beaucoup de gens auraient dû faire.

Vance : Avez-vous dit « merci » une seule fois pendant toute cette réunion ? Non. Avez-vous dit « merci » une seule fois pendant toute cette réunion ? Vous êtes allé en Pennsylvanie et vous avez fait campagne pour l’opposition en octobre. Dites quelques mots de reconnaissance pour les États-Unis d’Amérique et le président qui essaie de sauver votre pays.

Zelensky : S’il vous plaît. Vous pensez que si vous parlez très fort de la guerre, vous...

Trump : Il ne parle pas fort. Il ne parle pas fort. Votre pays est en grande difficulté. Attendez une minute.

Zelensky : Puis-je répondre ?

Trump : Non. Non. Vous avez beaucoup parlé. Votre pays est en grande difficulté.

Zelensky : Je sais. Je sais.

Trump : Vous ne gagnez pas. Vous ne gagnez pas cette guerre. Vous avez de très bonnes chances de vous en sortir grâce à nous.

Zelensky : Monsieur le Président, nous restons dans notre pays, nous restons forts, depuis le tout début de la guerre, nous sommes seuls, et nous en sommes reconnaissants. J’ai dit merci dans ce cabinet, et seulement dans ce cabinet.

Trump : Vous n’avez pas été seuls. Nous vous avons donné, par l’intermédiaire de ce stupide président [Biden, NdT], 350 milliards de dollars [un chiffre inventé par Trump : en fait, les USA ont « donné » un max de 114 milliards, NdT]. Nous vous avons donné du matériel militaire. Et vos hommes sont courageux. Mais ils ont dû utiliser nos militaires. Si vous n’aviez pas eu notre matériel militaire...

Zelensky : Vous m’avez invité...

Trump : Si vous n’aviez pas eu notre matériel militaire, cette guerre aurait été terminée en deux semaines.

Zelensky : En trois jours. C’est ce que m’a dit Poutine : en trois jours.

Trump : Peut-être moins.

Zelensky : C’est quelque chose, en deux semaines. Bien sûr. Oui.

Trump : Ce sera très difficile de faire des affaires comme ça. Je vous le dis.

Vance : Dites simplement merci.

Zelensky : J’ai dit merci au peuple américain à plusieurs reprises.

Vance : Acceptez qu’il y ait des désaccords. Et allons plaider ces désaccords plutôt que d’essayer de vous battre dans les médias américains lorsque vous avez tort. Nous savons que vous avez tort.

Trump : Mais vous voyez, je pense que c’est bien pour le peuple américain de voir ce qui se passe. Je pense que c’est très important. C’est pourquoi j’ai fait durer ça si longtemps. Vous devez être reconnaissant.

Zelensky : Je vous en suis reconnaissant.

Trump : Vous n’avez pas les cartes en main. Vous êtes enterrés là-bas, vos hommes meurent. Vous manquez de soldats.

Zelensky : Non, s’il vous plaît, Monsieur le Président.

Donald Trump : Écoutez. Vous manquez de soldats. Ce serait une sacrée bonne chose. Ensuite, vous nous dites : « Je ne veux pas de cessez-le-feu. Je ne veux pas de cessez-le-feu. Je veux partir, et je veux ça. » Écoutez, si vous pouviez obtenir un cessez-le-feu maintenant, je vous le dirais, prenez-le. Pour que les balles cessent de voler et que vos hommes cessent de se faire tuer.

Zelensky : Bien sûr que nous voulons arrêter la guerre.

Trump : Mais vous dites que vous ne voulez pas de cessez-le-feu.

Zelensky : Mais je vous l’ai dit, avec des garanties.

Trump : Je veux un cessez-le-feu, car vous obtiendrez un cessez-le-feu plus rapidement qu’un accord.

Zelensky : Demandez à nos gens ce qu’ils pensent du cessez-le-feu...

Trump : Ce n’était pas avec moi. Ce n’était pas avec moi. C’était avec un type nommé Biden qui n’était pas intelligent. C’était avec Obama.

Zelensky : C’était votre président.

Trump : Excusez-moi. C’était avec Obama, qui vous a donné des draps [sic], et moi je vous ai donné des Javelines [missiles, NdT].

Zelensky : Oui.

Donald Trump : Je vous ai donné des Javelines pour éliminer tous ces chars. Obama vous a donné des draps. En fait, la déclaration est la suivante : Obama a donné des draps et Trump a donné des javelots. Vous devez être plus reconnaissant, car laissez-moi vous dire que vous n’avez pas les cartes en main. Avec nous, vous avez les cartes en main. Mais sans nous, vous n’avez aucune carte.

Ce sera difficile à faire, car les attitudes doivent changer.

Journaliste : Et si la Russie rompt le cessez-le-feu ? Et si la Russie rompt les négociations de paix ? Que faites-vous alors ? Je crois comprendre que la conversation est animée ?

Donald Trump : Que dites-vous ?

Mark Vance : Elle demande : Et si la Russie rompt le cessez-le-feu ?

Donald Trump : Et si quoi que ce soit ? Et si une bombe vous tombait sur la tête maintenant ? OK ? Et s’ils le rompaient ? Je ne sais pas, ils l’ont rompu avec Biden parce que Biden, ils ne l’ont pas respecté. Ils n’ont pas respecté Obama. Ils me respectent. Laissez-moi vous dire que Poutine a traversé un enfer avec moi. Il a traversé une fausse chasse aux sorcières où ils l’ont utilisé et la Russie, la Russie, la Russie, la Russie. Vous avez déjà entendu parler de cette affaire ? C’était bidon. C’était une arnaque bidon de Hunter Biden, Joe Biden. Hillary Clinton, le sournois Adam Schiff. C’était une arnaque démocrate. Et il a dû subir ça. Et il l’a subi. Nous n’avons pas fini dans une guerre. Et il l’a subi. Il a été accusé de toutes ces choses. Il n’avait rien à voir avec ça. Ça venait de la salle de bain de Hunter Biden. Ça venait de la chambre de Hunter Biden. C’était dégoûtant. Et puis ils ont dit : « Oh, l’ordinateur portable de l’enfer a été fabriqué par la Russie. » Les 51 agents. Tout ça n’était qu’une arnaque. Et il a dû supporter ça.

Il a été accusé de toutes ces choses. Tout ce que je peux dire, c’est ceci : il a peut-être rompu des accords avec Obama et Bush, et il les a peut-être rompus avec Biden. C’est vrai. Peut-être. Peut-être que non. Je ne sais pas ce qui s’est passé. Mais il ne les a pas rompus avec moi. Il veut conclure un accord. Je ne sais pas s’il peut conclure un accord.

Le problème, c’est que je vous ai donné le pouvoir d’être un dur à cuire, et je ne pense pas que vous seriez un dur à cuire sans les États-Unis. Et votre peuple est très courageux.

Vladimir Zelensky : Merci.

Donald Trump : Mais soit vous concluez un accord, soit nous partons. Et si nous partons, vous vous démerderez. Je ne pense pas que ce sera joli, mais vous vous démerderez.

Mais vous n’avez pas les cartes en main. Mais une fois que nous aurons signé cet accord, vous serez dans une bien meilleure position. Mais vous n’agissez pas du tout avec gratitude. Et ce n’est pas gentil. Je vais être honnête. Ce n’est pas gentil.

Très bien. Je pense que nous en avons assez vu. Qu’en pensez-vous ? Ça va être un super moment de télévision. Je vous le dis. Très bien. Nous verrons ce que nous pouvons faire pour mettre ça en place. Merci.

28/02/2025

SERGIO RODRÍGUEZ GELFENSTEIN
De Bruxelles à Riyad en passant par Munich : huit jours qui ont ébranlé le monde (II)

 Sergio Rodríguez Gelfenstein, 27-2-2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

La semaine dernière, nous avons fait une observation descriptive des développements internationaux ; l'analyse de ces développements est un peu plus complexe. Il me semble que les difficultés proviennent de l'idée qu'il est possible de comprendre la situation actuelle sur la base d'une vision dichotomique entre unipolarité et bipolarité et que les catégories d'analyse utilisées pendant la guerre froide sont toujours valables. Certains analystes parlent même de l'émergence d'une nouvelle bipolarité Chine-USA.


Il y a quelques jours, un ami toujours bien informé et soucieux de suivre les développements internationaux m'a écrit pour me dire : « Je ne comprends pas ce qui se passe. Je suis perdu. Peut-être que l'empire veut redessiner le monde. Tu avais écrit quelque chose il y a de nombreuses années sur les répartitions... »

Tout cela m'a motivé à écrire cet article qui, en raison de sa longueur, a dû être publié en deux parties, ce qui n'est pas forcément avantageux. En effet, en mars 2014, mon livre a été publié d'abord au Chili puis en Argentine par la maison d'édition Biblos. “La balanza de poder. Las razones del equilibrio del sistema internacional”  [« L'équilibre des pouvoirs. Les raisons de l'équilibre du système international »]. Quelques mois plus tard, l'édition anglaise de L’ordre du monde d’Henry Kissinger est sortie en septembre.

Cherchant à établir ce que serait le système international du futur, j'ai passé en revue dans mon livre les variantes existantes basées sur l'étude des causes des conflits et de la coopération entre les États pour les résoudre. J'ai ensuite expliqué les propositions de bipolarité, de multilatéralisme, de multipolarité et d'apolarité qui étaient sur la table. Personnellement, j'ai osé affirmer que les différentes conditions existantes laissaient présager qu'à moyen terme, un système international d'équilibre des pouvoirs serait mis en place.

La définition la plus claire de l'équilibre est apparue dans les études du politologue usaméricain Morton Kaplan qui, dans un article de 1966 intitulé « Some Obstacles in International Systems Research », a établi que les acteurs de l'équilibre devaient être au moins cinq, avoir un caractère exclusivement national et entrer dans la catégorie des « acteurs nationaux essentiels au fonctionnement du système ».

Il a ensuite établi 6 règles fondamentales qui caractérisent le système d'équilibre des pouvoirs. Il s'agit de négocier avant de combattre, de combattre avant de ne pas augmenter les capacités, de ne pas combattre avant d'éliminer un acteur clé, de s'opposer à toute coalition qui tente de dominer, de limiter les acteurs qui acceptent les principes organisationnels supranationaux et de permettre aux acteurs qui sont vaincus ou limités de réintégrer le système.

Il s'agit là d'un résumé très succinct de la proposition présentée par Kaplan. Dans mon livre, publié il y a seulement 11 ans, j'ai soutenu que, de mon point de vue, pour la Chine, la recherche de l'équilibre fait partie de sa politique permanente, tandis que pour les USA, une bête blessée et jouant des griffes, l'équilibre est un impératif de survie.

Mon point de vue était et reste que le monde évolue vers un équilibre des pouvoirs. La possibilité de détruire la planète pour imposer le capitalisme n'est pas viable. Les capitalistes sont immoraux, pas suicidaires. L'accumulation a une limite - actuellement imposée par les puissances de confrontation - qui indiquent en fait une faiblesse croissante et la perte de l'hégémonie impériale. Une rationalité du capital - si elle existe et est possible - établit comme plus viable un équilibre qui lui permet de préserver une part de pouvoir plutôt que de recourir à une confrontation nucléaire dans laquelle ils peuvent difficilement obtenir des gains.

Comme je l'ai déjà dit, quelques mois après la publication de mon livre, le groupe d'édition Penguin Random House a publié le livre de Kissinger sous le titre suggestif de « World Order: Reflections on the Character of Nations and the Course of History». D'un autre point de vue, même antagoniste au mien, Kissinger affirme que l'équilibre est la seule alternative pour que USA conservent leur puissance.

Peu avant la publication de son livre, à la fin du mois d'août 2014, Kissinger a publié dans The Wall Street Journal un article intitulé « On the Assembly of a New World Order ». Dans ce texte, il donne un aperçu de certains éléments qu'il développe beaucoup plus longuement dans son livre. Il considère comme positif le fait que la démocratie et la gouvernance participative soient passées du statut d'aspiration à celui de “réalité universelle”. Notez la référence de Kissinger à la "gouvernance participative".

Il note que la majeure partie du monde est composée de pays qui forment des États souverains indépendants, mais ajoute que l'Europe n'a pas les attributs pour créer un État, offrant un “vide d'autorité tentant”. Il semble ici vouloir actualiser les caractéristiques des États-nations essentiels mentionnés par Kaplan, qui sont orientés vers la configuration d'un équilibre entre la Chine, la Russie, les USA, l'Inde et un pays européen qui émergera en tant que leader dans le conflit actuel - l'Allemagne ? le Royaume-Uni ? la France ? Peu importe lequel, mais ce sera l'un d'entre eux.

Kissinger était d'avis que l'ordre international était confronté à un paradoxe, en ce sens que - selon lui - la prospérité dépendait du succès de la mondialisation, mais que le processus produisait un contrecoup politique qui visait à remettre en cause ses objectifs. Pour remédier à cette anomalie, il a proposé la création d'un « mécanisme efficace permettant aux grandes puissances de se consulter et éventuellement de coopérer sur les questions les plus importantes ».

Pour ce faire, les USA devraient accepter l'existence de deux niveaux apparemment contradictoires : les principes universels d'une part et les particularités locales et régionales d'autre part. En tout état de cause, Kissinger ne renonce pas à ses fondements idéologiques impérialistes en affirmant que tout doit être envisagé sous l'angle du caractère exceptionnel des USA.

Sur le plan intérieur, cela signifie que les citoyens usaméricains doivent comprendre qu'ils ne sont pas les seuls à vivre sur cette planète, qu'ils doivent renoncer à certains de leurs droits pour faire progresser la mondialisation et que même ces droits doivent continuer à être violés [comme c'est le cas aujourd'hui aux USA] pour faire de la place aux opinions d'autres pays.

Dès le début du livre, Kissinger affirme que les différentes traditions culturelles permettent d'établir le concept d'ordre comme base des relations internationales. Il semble ainsi contredire Huntington, qui pensait que l'avenir serait marqué par des conflits civilisationnels. Il estime au contraire que les conflits actuels trouvent leur origine dans l'identification d'idées concurrentes sur la forme du système international à un moment où l'enjeu est d'organiser l'ordre régional tout en veillant à ce que cet ordre soit compatible avec la paix et la stabilité dans le reste du monde.

Sans que cela semble sortir de sa plume, Kissinger estime qu'il y a un grand risque à ce que l'Occident tente de répandre son modèle de démocratie dans le monde, avertissant notamment que “l'idéalisme américain” sans une stratégie claire pour le mettre en pratique ne conduira pas à une amplification de la présence de la “démocratie libérale” dans le monde.

Les notions d'impérialisme et d'équilibre peuvent sembler antagonistes, mais elles ne le sont pas. Je tiens à le répéter, pour les USA, il s'agit d'une question de survie. Il peut être nécessaire d'étudier le livre de Kissinger pour comprendre la performance internationale de la nouvelle administration usaméricaine. On sait que durant la première administration Trump, bien après l'âge de 90 ans, Kissinger était un visiteur régulier de la Maison Blanche. Décédé en 2023 à l'âge de 100 ans, ses idées et son empreinte constituent la colonne vertébrale de l'action internationale des USA à ce stade.

En décembre 2022, quelques mois après le début de l'opération militaire russe en Ukraine, alors que Joe Biden est au pouvoir à Washington, Kissinger, dans un article intitulé. “Comment éviter une nouvelle guerre mondiale ?” , a estimé que la paix devait être recherchée avec un double objectif : confirmer la liberté de l'Ukraine et définir une nouvelle structure internationale dans laquelle la Russie devrait avoir sa place. L'ancien secrétaire d'État n'était pas non plus d'accord avec l'idée que la Russie était obligée de devenir un pays impuissant après le conflit en Ukraine, car il était impératif de reconnaître que la Russie « avait contribué de manière décisive à la recherche de l'équilibre mondial et de l'équilibre des pouvoirs pendant plus d'un demi-millénaire » et que « son rôle historique ne devait pas être dégradé ».

Les questions qui ont été mises au premier plan de la dynamique internationale actuelle, telles que les immigrés déportés des USA, le canal de Panama et le Groenland, ne sont que des écrans de fumée destinés à “distraire” le monde et à le faire réfléchir et débattre sur des questions qui ne sont pas prioritaires. Selon le sénateur usaméricain Bernie Sanders, le véritable objectif de Trump est de « démanteler illégalement et inconstitutionnellement les agences gouvernementales » afin que les milliardaires et les « classes dirigeantes [qui] ont toujours voulu et cru que [le pouvoir] leur revenait de droit, [obtiennent] plus de pouvoir, plus de contrôle, plus de richesse ». Pour ce faire, ils doivent dynamiter les institutions du pays et restructurer le système international selon les paramètres définis par Trump.

Certes, pour y parvenir, ils ont besoin que la Chine, et non la Russie, soit l'ennemi dans le nouveau système qu'ils entendent construire. Cependant, face à un approfondissement stratégique de la situation critique, la seule solution pour tenter d'éviter la catastrophe et de sauvegarder une certaine part de pouvoir est de se concentrer sur la recherche d'un équilibre, comme l'a souligné Kissinger.

Il y a presque deux ans, en mai 2023, Kathleen Hicks, la vice-secrétaire d'État à la défense des USA  l'a clairement indiqué. Lors d'une conférence à Washington, elle a déclaré que le Pentagone percevait la Chine comme le challenger militaire de son pays et « le seul concurrent stratégique ayant la volonté et, de plus en plus, la capacité de remodeler l'ordre international ». Elle a ajouté que la Chine constituait “un défi générationnel” qui, même s'il évoluera avec le temps, “n'ira nulle part”.

Rappelant l'empreinte de Kissinger au cours du XXe siècle, Hicks a évoqué l'expérience historique de la confrontation avec l'Union soviétique, un concurrent “lent et lourd”, alors qu'aujourd'hui, en matière de défense, les USA doivent “évoluer plus vite que les menaces”.

Hicks a déclaré que dans cette “nouvelle ère de compétition stratégique”, l'objectif des USA 3est de dissuader, car la compétition n'est pas synonyme de conflit"” Selon la sous-secrétaire, le Pentagone a réussi à faire en sorte que « les dirigeants chinois se réveillent chaque jour, considèrent les risques d'agression et concluent" : “Aujourd'hui n'est pas le jour” et qu’ils le pensent aujourd'hui et chaque jour entre aujourd'hui et 2027, aujourd'hui et 2035, aujourd'hui et 2049, et au-delà », soulignant curieusement les années phares pour lesquelles la RPC a entrepris d'atteindre des objectifs stratégiques.

À ce stade, Trump connaît les coûts liés au maintien de 800 bases militaires et de 1,32 million de militaires en dehors de son territoire, sans compter 11 groupes d'attaque de porte-avions dont 7 sont déployés et 4 en réparation, avec un fardeau économique très important conspirant avec l'objectif de faire de « l'Amérique à nouveau grande » une réalité. Pour cette raison, il a anticipé les circonstances et a exprimé le 20 février sa volonté de négocier avec la Russie et la Chine pour réduire le nombre d'ogives nucléaires, soulignant qu'il considère comme inacceptable l'utilisation d'armes atomiques et l'augmentation du nombre de puissances nucléaires. Pour paraphraser l'ancien président Bill Clinton, on pourrait dire “It's the economy, stupid”.

Il faut le dire clairement... et le répéter, le système international de l'après-guerre s'est effondré et est sur le point de céder la place à un nouveau système. Certes, l'OTAN existe encore formellement, mais la réalité est que, comme l'a certifié le président Macron en novembre 2019, elle est en « état de mort cérébrale ». Le Secrétariat général est un poste vide, créé uniquement pour faire croire aux Européens qu'ils peuvent décider de quelque chose. Le véritable pouvoir repose sur les épaules du commandant suprême des forces alliées en Europe, qui est toujours un général usaméricain. Il est déjà question que Trump ordonne le retrait de ses troupes déployées en Europe de l'Est, dans les pays qui faisaient partie de l'Union soviétique ou du Pacte de Varsovie. Cela reviendrait au statu quo de la fin de la guerre froide, lorsque l'Union soviétique a disparu et que l'Occident a pris des engagements envers la Russie qu'il n'a jamais tenus.

Aujourd'hui, alors que des délégations de haut niveau de la Russie et des USA se sont réunies à Riyad, la capitale de l'Arabie saoudite, « les eaux reviennent à la normale ». Marco Rubio sait que Sergueï Lavrov n'est pas le ministre des Affaires étrangères indigne et stupide du Panama et que Poutine n'est pas non plus le José Raúl Mulino qui fait des génuflexions. Il ne s'agit pas d'une question de taille et de puissance d'un pays par rapport à l'autre. Un dirigeant panaméen, le général Omar Torrijos, a forcé les USA à s'asseoir à la table du dialogue, a négocié d'égal à égal avec le seul pouvoir que lui conféraient la dignité et l'histoire du peuple panaméen héroïque, et a gagné : il les a obligés à restituer le canal.

À Riyad, Rubio a dû mesurer ses mots et même ses gestes. Il s'agissait d'un premier pas, qui avait plus à voir avec la politique bilatérale qu'avec une révision de l'agenda international, même si la question de l'Ukraine était sur la table. Mais le fait que les deux plus grandes puissances nucléaires de la planète se soient assises pour discuter et que certains de leurs principaux dirigeants se soient regardés dans les yeux, face à face, et aient éteint l'allumette qui, il y a quelques semaines à peine, menaçait d'allumer le feu de l'hécatombe nucléaire, est un signe de soulagement et une voie positive pour toute l'humanité éprise de paix et de vie.

Aujourd'hui, le doute, la confusion et l'incertitude règnent, et pour les Européens, la perplexité, mais nous devons nous y habituer : c'est la dynamique de Trump et il en sera ainsi pendant au moins les quatre prochaines années. En attendant, tout en reconnaissant et en applaudissant ce qui s'est passé à Riyad et les événements qui ont conduit à la possibilité d'une guerre nucléaire, nous devons toujours nous souvenir du Comandante Ernesto Che Guevara lorsque, le 30 novembre 1964, depuis Santiago de Cuba, il a recommandé que l'on ne fasse pas confiance à l'impérialisme “même un tout petit peu, pas du tout”.