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15/04/2025

MEIRAV MORAN
Comment les « tracts » du Shabbat sont devenus une machine médiatique pour les sionistes religieux israéliens

Avec des articles rédigés par des auteurs populaires couvrant des dizaines de pages et des dizaines de milliers d'exemplaires atteignant environ un demi-million de lecteurs, les «  tracts » distribués gratuitement chaque semaine dans les synagogues du pays sont devenus des influenceurs majeurs de l'opinion publique sioniste religieuse.
Meirav Moran, Haaretz, 12/4/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala



« La notion de Temple est surréaliste ? Le fait que nous soyons revenus ici après 2 000 ans d’exil est bien plus surréaliste. En comparaison, la construction d’un temple est une question technique sans importance. Nous déciderons que nous sommes prêts - et cela se produira », a déclaré l’artiste Elisha Katz, habitant de la ville religieuse d’Elad en Cisjordanie, au journaliste Elazar Levy.
Katz est connu pour ses peintures du Troisième Temple sur fond de vues de Jérusalem contemporaine. Dans ses tableaux apparemment populaires – l’un d’eux a récemment été exposé à l’ambassade d’Israël à Washington, D.C. – le dôme argenté de la mosquée al-Aqsa et d’autres monuments sont clairement visibles à côté de l’édifice juif qui n’est pas encore construit. « Nous sommes en conflit avec les Palestiniens, qui sont de la lignée des Amalécites, mais ceux qui suivent la religion de l’Islam prient le même dieu que nous. Et la mosquée est de toute façon située sur le site de la Stoa royale, la structure construite à l’origine par le roi Hérode pour les gentils, plutôt que sur le mont sacré lui-même », ajoutait Katz.
L’entretien avec Katz, qui discutait avec son interlocuteur de manière neutre d’un projet de rénovation urbaine dans la région la plus instable du Moyen-Orient, a été publié le mois dernier dans Olam Katan, l’une des publications communément appelées alonei Shabbat, littéralement « tracts du Shabbat ». Mais le terme « tracts » est trompeur. Il minimise ce qui est devenu un phénomène médiatique répandu et en pleine expansion. Il s’agit en fait de véritables journaux, imprimés chacun à environ 30 à 60 000 exemplaires et distribués juste avant le début du Shabbat à quelque 4 à 5 000 synagogues sionistes religieuses de Kiryat Shmona à Eilat, ainsi que dans les colonies de Cisjordanie. En règle générale, le nombre d’exemplaires des hebdomadaires, distribués gratuitement et dont les revenus, comme ceux de la presse régulière, proviennent principalement de la vente d’espaces publicitaires, est déterminé par l’évaluation de la demande dans une communauté donnée par les éditeurs. Le format varie : certains sont des journaux de 30 à 40 pages imprimés sur du papier journal ordinaire ; d’autres ressemblent à des magazines sur papier glacé avec leur papier chromé coloré et comptent jusqu’à 80 pages.
Ce qui distingue ces hebdomadaires synagogaux des journaux du week-end classiques, entre autres choses, c’est le fait que le nom de la portion de la Torah de la semaine occupe une place de choix à côté de la date hébraïque sur leurs premières pages, et apparaît aussi souvent sur toutes les autres pages. Parfois, la date grégorienne n’apparaît pas du tout.
Les premières pages reflètent également généralement l’actualité : par exemple, les principaux titres récents - et les accroches, faisant référence aux éditoriaux souvent cinglants à l’intérieur - ont relaté la reprise des combats à Gaza, le limogeage du chef du service de sécurité du Shin Bet, la bataille pour le poste de procureur général et les relations avec le Qatar. En outre, vous pouvez trouver en première page une image vantant une « interview révélatrice » avec un chanteur populaire, ou un article satirique ou une rubrique sur les voyages ou la gastronomie avec des recommandations de restaurants gastronomiques (casher). Parmi les contributeurs réguliers figurent des personnalités connues des médias grand public, dont Akiva Novick, Shahar Glick, Sivan Rahav-Meir, Yishai Friedman, Zvi Yehezkeli et d’autres. Et, oui, il se peut même qu’il y ait une chronique de la femme du ministre de la Sécurité nationale, Ayala Ben-Gvir.
Des exemplaires gratuits sont distribués dans les synagogues, souvent pendant les offices de la veille du Shabbat. Le samedi, ils sont généralement transmis de maison en maison dans les quartiers, voire dans des communautés entières, touchant ainsi pas moins d’un demi-million de lecteurs israéliens chaque semaine.
Il s’agit d’un public captif. Du début à la fin du shabbat, les religieux éteignent leur téléphone portable, ne regardent pas la télévision et n’écoutent pas la radio. Certaines familles religieuses lisent peut-être des journaux ordinaires pendant la semaine, mais refusent de lire les suppléments du week-end publiés par la presse grand public le jour du sabbat. Après tout, quelle que soit leur orientation politique, ces suppléments contiennent généralement des images impudiques.
Les hebdomadaires, que certains s’obstinent encore à appeler des tracts, sont à la communauté sioniste religieuse ce que les journaux du week-end à grand tirage - Maariv, Yedioth Ahronoth, Haaretz et d’autres, à l’époque - sont aux Israéliens laïques, du moins avant qu’ils ne préfèrent consommer du contenu et obtenir des mises à jour par le biais de notifications 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 sur leur téléphone, ou via les médias sociaux et les groupes WhatsApp. Pour de nombreux juifs pratiquants, les gratuits sont une source principale d’information et de divertissement le jour du repos.
Les hommes politiques ont rapidement compris l’importance d’une mention dans les publications du Shabbat, dont certaines existent depuis des décennies. À l’approche des élections de 2022, par exemple, les hebdomadaires ont donné un élan, sous la forme de nombreuses interviews, à la perspective d’une alliance entre Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir. Il y a quelques semaines, l’hebdomadaire Shvi’i a publié une longue interview de Yoaz Hendel, ancien homme politique laïc de droite, sous le titre : « Quel type de judaïsme nous guide : celui qui a fondé ce pays ou celui qui s’y oppose ? ».
De plus, l’importance des hebdomadaires n’a pas échappé aux partis plus centristes, notamment Yesh Atid et l’Union nationale, bien qu’ils cherchent principalement à être couverts dans les mois précédant une élection.
Quoi qu’il en soit, et surtout ces dernières années, avec des cycles électoraux fréquents, les rédacteurs en chef de ces publications ont pris clairement position. Lorsque des rumeurs ont circulé début 2021 selon lesquelles Benjamin Netanyahou envisageait une « coopération parlementaire » avec le parti islamiste Ra’am, Shvi’i a, pour sa part, couvert sa première page des couleurs du drapeau palestinien – noir, rouge et vert – ainsi que d’une photo du Premier ministre et du titre provocateur « Où allez-vous ? ». Il présentait ce que les rédacteurs pensaient être des rencontres du député arabe Mansour Abbas avec des terroristes et posait de sérieuses questions sur les futures politiques du Premier ministre ; en réponse, Netanyahou a accepté d’être interviewé par Shvi’i et d’autres hebdomadaires religieux.
« Tout politicien qui se respecte et qui se considère comme représentant le public national-religieux, et ils sont nombreux, lit attentivement ce qui a été écrit à leur sujet et à celui de leurs rivaux dans Shabaton », explique Motti Zaft, rédacteur en chef de l’hebdomadaire du même nom, qui a été lancé en 2000. « Les hommes politiques considèrent le fait de ne pas être mentionnés dans l’une de ces publications comme un signe de faiblesse ou de préférence politique [de la part des rédacteurs en chef], et ils s’efforcent donc d’y maintenir une présence régulière et de bonnes relations avec les rédacteurs en chef. »
« Pour moi, ces publications sont comme SIGINT », déclare Uri Erlich, porte-parole de l’organisation de gauche Emek Shaveh, en référence aux renseignements d’origine électromagnétique. Il dit qu’il compte sur les hebdomadaires pour obtenir des informations qui l’aideront à orienter les activités de l’ONG, qui cherche à lutter contre la politisation des sites culturels et historiques.


Un numéro de mars de Shvi’i. Le titre principal dit « La dernière guerre ? » Qualifier les hebdomadaires de synagogue de « tracts » est réducteur pour ce qui est devenu un phénomène médiatique répandu et en expansion. Photo David Bachar

Erlich : « Les fonctionnaires, les élus des ministères et leurs électeurs font souvent attention à ce qu’ils disent. Ils n’utiliseront pas le mot « judaïser » de manière déclarative ou en public, même si c’est exactement ce qu’ils veulent dire. En comparaison, les journaux du Shabbat laissent libre cours à des expressions ouvertes et sans complexe des diverses pratiques et processus nécessaires à une prise de contrôle [totale] par Israël des territoires occupés, et en général. »
Plus précisément, le vétéran militant pour la paix Erlich et ses collègues se sont battus, parfois même physiquement, contre l’exploitation de sites archéologiques et autres à des fins politiques par des groupes d’extrême droite et des organisations de colons, ce qui le met en porte-à-faux avec de nombreux lecteurs des hebdomadaires.
« Je recueille des informations à partir de ces « tracts » qui n’ont très probablement pas paru dans d’autres médias, parfois même pas dans les médias des colons », explique-t-il. « Le porte-parole du ministre des Affaires de Jérusalem et du Patrimoine, Amichai Eliyahu, du parti Otzma Yehudit [Force juive, kahaniste, NdT], a publiquement et fièrement fait des déclarations sur les projets de développement du mont Ebal [dans le nord de la Cisjordanie] en tant que site du patrimoine juif. Eliyahu a tout intérêt à promouvoir cette idée ; cela lui donne des points supplémentaires auprès de sa base. Les journaux du Shabbat mettront ces informations en évidence, car il s’agit d’une nouvelle intéressante et positive pour leurs lecteurs.
« Je pense qu’Eliyahu aurait également pu tirer profit d’un tel reportage dans les médias grand public, même d’un article négatif à ce sujet dans Haaretz, sauf que les rédacteurs en chef de Haaretz, et en fait les rédacteurs en chef de probablement tous les grands journaux, auraient jeté le communiqué de presse du porte-parole du ministre du Patrimoine à la corbeille. L’appropriation culturelle ou la judaïsation des sites archéologiques n’intéresse pas une grande partie du public : quelle personne laïque se soucie de ces sites ou de ce que les colons en ont fait ? La plupart de ces lecteurs ne savent même pas aujourd’hui où se trouve le mont Ébal, sans parler de sa désignation comme faisant partie de la zone B, ce qui signifie qu’en vertu du droit international, Israël n’a pas le droit d’y effectuer des fouilles archéologiques ou de s’impliquer de quelque manière que ce soit dans le type de fouilles dont Eliyahu a parlé ».
En général, la couverture des hebdomadaires religieux aide Erlich et son équipe à évaluer l’humeur des électeurs de droite et de leurs dirigeants et à identifier les projets avant qu’ils ne se concrétisent, afin de pouvoir tenter de les bloquer.
Il cite l’exemple suivant : « Peu après l’entrée des forces israéliennes dans la partie syrienne du mont Hermon [en décembre], l’un de ces journaux a publié un grand article sur l’archéologie en Syrie. Il contenait un reportage semi-historique sur une étude menée là-bas par des archéologues israéliens, sous la protection du gouvernement militaire, en 1973, après la guerre du Kippour. J’ai vu l’article et j’ai immédiatement compris où diriger mon radar. En effet, peu de temps après, le chef de l’Autorité des antiquités d’Israël a publié des images récentes de soldats sur des sites archéologiques dans le Golan et la région de Bashan [dans le sud-ouest de la Syrie], et a évoqué l’importance de leur lien avec le judaïsme, également amplifié par les colons dans divers médias. Ce fut également le cas lorsque les hebdomadaires publièrent des articles exprimant la crainte et l’inquiétude quant à l’avenir de certains sites patrimoniaux situés dans la zone B. Cela a également déclenché un signal d’alarme dans ma tête. Naturellement, peu après, le ministre Eliyahu a fait des déclarations sur la question, puis - dans un développement bien trop familier - des résolutions du cabinet ont été prises concernant une application plus stricte de la construction palestinienne dans la zone B.
Tsuriel Rashi, maître de conférences en éthique juive à l’école de communication de l’université d’Ariel, a étudié, avec le regretté professeur Max McCombs, spécialiste de la communication politique, comment les différents médias influencent l’opinion publique, en dictant d’abord ce que leurs consommateurs pensent, puis en leur dictant aussi ce qu’ils doivent penser. On peut observer ce phénomène dans les hebdomadaires du Shabbat.
Juif pratiquant lui-même, qui assiste aux offices dans les synagogues et a été témoin des effets de ces publications, Rashi décrit comment leur influence s’est accrue : « Tout a commencé dans les années 1980. Le mouvement Chabad a été le premier à en réaliser le potentiel et à publier Sichat Hashavua [« La Conversation hebdomadaire »], qui paraît régulièrement à ce jour. Depuis, des dizaines d’autres « tracts » ont vu le jour, et le phénomène ne se limite pas à Israël : il se produit également dans d’autres centres juifs du monde entier, avec des publications en anglais, en français et en espagnol.
« Le modèle est clair et simple », poursuit Rashi. « Il y a un public qui se rend régulièrement à un endroit précis chaque semaine : la synagogue. Il s’agit d’un point de distribution pratique et efficace. Comme ce public peut être caractérisé en fonction de ses affiliations religieuses, ethniques, sociologiques et démographiques, les publications sont souvent adaptées aux aspirations politiques, sociales ou commerciales de leurs éditeurs et des entrepreneurs. La question est seulement la taille de la « feuille de vigne ». C’est-à-dire : quel est le rapport entre les textes liés à la Torah et les autres contenus qui remplissent le dépliant.
« La prière est une routine qui peut être assez pénible lorsqu’elle est répétée trois fois par jour et tous les samedis », déclare Menahem Blondheim, doyen de l’école de communication du College of Management, qui a étudié le phénomène des hebdomadaires du Shabbat. « Lorsque les prières vous ennuient à mourir, vous vous évadez et lisez quelque chose d’intéressant, voire divertissant, quelque chose qui est considéré comme un matériel de lecture légitime à la synagogue. »


Un article dans un numéro de Shvi’i, sur les jeunes (colons) des collines (du sud de Hébron) et le Shin Bet. Photo David Bachar

Le professeur Blondheim voit un lien entre ce phénomène récent et la tradition des sermons juifs, qui remonte à l’époque tannaïque (deuxième et troisième siècles de notre ère). Autrefois, les sermons se concentraient généralement sur des commentaires de la Torah. Mais aujourd’hui, après que les coutumes liées au culte ont subi de nombreux changements, dit-il, un sermon dans une synagogue sioniste religieuse est susceptible de s’adresser à un public plus hétérogène : adultes et enfants, femmes et hommes, riches et pauvres, instruits et non instruits, professionnels et non professionnels. « Qu’est-ce qui intéresse tous ces gens ? Les affaires courantes qui ont commencé à être associées à la portion hebdomadaire de la Torah », dit-il - qui sont couvertes dans les hebdomadaires.
En revanche, dans le monde ultra-orthodoxe, les sermons ont généralement conservé leur rôle traditionnel et important jusqu’à ce jour, bien que les orateurs intègrent parfois des éléments de sagesse juive, d’humour et même d’actualité. Ces congrégations, d’ailleurs, ne reçoivent généralement pas les hebdomadaires, car le contenu des journaux, qui peut inclure des images de femmes, est souvent jugé offensant.
Quoi qu’il en soit, poursuit Blondheim, les synagogues séfarades orthodoxes continuent également de mettre l’accent sur l’importance des sermons aujourd’hui. Il se souvient d’être allé dans une synagogue ashkénaze lorsqu’il était enfant, mais de s’être faufilé dans la synagogue séfarade adjacente pour y entendre un prédicateur talentueux qui « faisait des merveilles » avec la portion hebdomadaire de la Torah, excitant et même amusant les fidèles. C’était Ovadia Yosef, qui devint plus tard le grand rabbin séfarade d’Israël.
« Cependant, contrairement aux juifs ultra-orthodoxes et séfarades », explique-t-il, « parmi le public sioniste religieux d’aujourd’hui, le sermon a perdu beaucoup de son charme et s’est transformé en une sorte de conférence sérieuse pleine de messages abstraits et idéologiques sur Dieu et sa Torah, le nationalisme juif et la Terre d’Israël, au lieu de s’appuyer sur des sujets d’actualité, accessibles à tous. Dans certains cas, il n’y avait pas de sermon, si la congrégation n’avait pas de rabbin. C’est dans cette faille, pour combler le vide et répondre à une demande, que les journaux du Shabbat sont apparus. Aujourd’hui, ces publications offrent aux fidèles un contenu léger et intéressant : des rubriques de conseils personnels avec une touche halakhique, des potins sur la communauté et des mises à jour sur divers développements intéressants. Ils servent en quelque sorte de « prédicateurs de papier » qui s’expriment dans un langage moderne et dispensent en fait les fidèles de la prière. »
Alors que le contenu des premiers hebdomadaires synagogaux, il y a une trentaine d’années, se concentrait sur des commentaires liés à la portion hebdomadaire de la Torah, ainsi que sur quelques éléments du folklore hassidique, ils sont aujourd’hui très différents : s’ils ne traitent pas des faits divers, par exemple, ils n’hésitent pas à aborder des sujets d’actualité nationale, comme, ces jours-ci, la guerre à Gaza ou les otages. Le meurtre et la prostitution, non, mais la législation concernant la conscription des ultra-orthodoxes, bien sûr.
De plus, tout ce qui est jugé trop extrême peut être coupé, parfois tardivement, face à une menace quelconque. Par exemple, l’illustrateur Or Reichert a dessiné une caricature pour Shvi’i représentant l’ancienne présidente de la Cour suprême Esther Hayut marchant sur le dos d’un soldat israélien apparemment mort, brandissant un drapeau aux écailles de la justice de couleur verte, semblable au drapeau du Hamas. Il a posté le dessin à l’avance sur les réseaux sociaux, comme un teaser avant la publication de l’hebdomadaire le vendredi. L’image est devenue virale et l’administration des tribunaux a publié une déclaration la dénonçant comme une incitation. Le centre de distribution des journaux, propriété du quotidien Israel Hayom, qui est chargé de livrer le journal gratuit aux synagogues, a exigé que la caricature soit retirée, le PDG de Shvi’i a arrêté le tirage - et finalement le journal a été publié sans l’image offensante.
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« Voyager entre les colonies de peuplement de la région orientale de Binyamin [en Cisjordanie] – certaines dans des endroits où, il y a quelques années à peine, on ne voyait que des avant-postes arabes illégaux – donne un sentiment de rédemption, mais ce n’est qu’une des nombreuses étendues juives qui doivent être établies »
– Chronique « Sommet des collines », dans l’hebdomadaire Olam Katan
Olam Katan (« Petit monde ») est apparemment l’un des hebdomadaires les plus populaires et les plus recherchés distribués dans les synagogues ; les exemplaires sont rapidement arrachés. Yossef Russo, rédacteur en chef jusqu’à il y a un an et actuellement membre du conseil d’administration et copropriétaire de la publication, vit à Tefahot, un moshav religieux en Galilée. Il explique que le journal gratuit est né il y a une vingtaine d’années du besoin de fournir quelque chose qui, selon lui et ses partenaires, manquait : une perspective politique basée sur la foi qui ne s’exprime pas dans les médias généraux. « Il y a des voix importantes qui souhaitent participer à l’élaboration du discours en Israël, mais qui ne sont tout simplement pas entendues », dit-il.
Outre cette voix inaudible, ajoute Yossef Russo, il y avait un sentiment de déconnexion. Le désengagement de la bande de Gaza il y a 20 ans, explique-t-il, a été un moment décisif pour les membres de sa communauté : « Nous avons senti qu’il y avait un énorme vide entre le groupe qui contrôlait le domaine public et ceux qui étaient incapables d’exercer la moindre influence, quels que soient leurs efforts. Il s’agissait d’un choc entre une vision du monde et une réalité médiatique qui ne laissait aucune place à d’autres positions. »


Yossef Russo. Photo Olivier Fitoussi

Olam Katan ne se fonde pas seulement sur une certaine vision politique du monde, mais aussi sur une philosophie d’entreprise. Il ne s’agit pas d’une initiative philanthropique soutenue par des parties intéressées, et elle s’efforce de présenter ses opinions sans se soucier de savoir si elles attireront des lecteurs ou des annonceurs. « C’est une entreprise privée », souligne Yossef Russo, 49 ans, « ce qui signifie que nous ne dépendons de personne ». Quelque 60 000 exemplaires sont imprimés chaque semaine ; son personnel basé à Jérusalem – rédacteurs, auteurs et correcteurs – est rémunéré.
En ce qui concerne le contenu, Russo est fier de la diversité et de l’ouverture d’Olam Katan. Il affirme que le journal n’a pas peur de publier des interviews de personnes ayant des opinions différentes, y compris les chefs de parti Yair Lapid et Yair Golan – « des gens qui ne sont pas tout à fait d’accord avec nous », dit-il en riant. Mais comme c’est souvent le cas en matière de liberté d’expression, il existe ici aussi des lignes rouges. « Nous n’inclurons pas de messages qui ne sont pas conformes au respect de la Torah et de ses commandements », déclare-t-il, en citant l’interdiction des contenus liés aux questions LGBTQ.
« Nous n’avons aucune objection à ce que des individus soient confrontés aux défis posés par une orientation homosexuelle », explique-t-il. « Mais nous nous opposons à ce que de telles histoires soient présentées comme un modèle pour la promotion d’une culture anti-juive dans son ensemble. »
D’autres questions qui remettent en question la halakha (loi religieuse) parce qu’elles entrent en conflit avec la réalité séculière sont généralement présentées sous un angle conservateur. Par exemple, les propos de quelqu’un qui affirme qu’il n’y a aucun problème à conduire une voiture le jour du shabbat et que c’est une ordonnance anachronique ne seront pas publiés. En revanche, un débat qui reconnaît l’interdiction de conduire mais fait allusion au sentiment de coercition religieuse qu’elle pourrait susciter peut être couvert. Olam Katan parvient ainsi habilement à être une plateforme de débat interne au sein du camp religieux-sioniste, tout en empêchant toute discussion qui nie l’importance de la halakha.
Interrogé sur ses propres opinions politiques, Russo n’hésite pas à déclarer : « En fin de compte, la question est de savoir si Israël est un État juif ou un État pour les Juifs. Quiconque croit que nous sommes ici parce que nous n’avons pas d’autre choix se trompe. Nous sommes ici parce que nous avons une vocation morale nationale vis-à-vis des autres nations du monde qui a commencé avec le patriarche Abraham, et l’existence de la Terre d’Israël est une condition inaliénable pour l’accomplissement de cette vocation nationale. Il y a un vide entre la vision nationale, fondée sur la foi, et la vision qui considère cette terre, Dieu nous en préserve, comme un simple refuge politique. »
Qu’en est-il de la représentation des femmes dans la presse écrite ? Par le passé, les rédacteurs en chef exigeaient que les annonceurs s’abstiennent de montrer des images de femmes, non pas parce qu’elles n’ont pas le droit d’être vues, mais parce que « précisément parce qu’une femme est si belle et si importante, il est inconvenant que sa silhouette soit exposée pendant le culte dans une synagogue », explique Russo. Cependant, dans les éditions plus récentes d’Olam Katan, des images de femmes apparaissent à la fois dans les publicités et dans les articles, note-t-il, à condition qu’elles soient pertinentes par rapport au sujet traité.

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« On entend souvent : « Il est religieux, il veut se marier ? Vas-y, dis oui ! » Non ! Le mariage n’est pas comme acheter du chewing-gum au supermarché. Le désir de trouver un partenaire adéquat et de ne pas faire de compromis n’est pas une question de sélectivité, c’est une preuve de responsabilité »
- Chronique « Le journal d’une célibataire », dans l’hebdomadaire Shabaton
« Quand nous avons commencé, il y a environ un quart de siècle, il n’y avait que deux dépliants dans les synagogues, avec seulement des rabbins écrivant uniquement sur la portion hebdomadaire de la Torah et les textes liés à la Torah », se souvient Zaft, 68 ans, rédacteur en chef de Shabaton, qui s’adresse à un public aisé et a été le premier hebdomadaire de synagogue imprimé en couleur. « Alors je me suis dit : pourquoi seuls les rabbins devraient-ils écrire ? Il pourrait s’agir d’une agente immobilière, d’un médecin ou d’une professeure d’université, et ils/elles aussi peuvent avoir quelque chose d’intéressant à dire sur la portion de la Torah. Le public religieux national, contrairement aux ultra-orthodoxes, est impliqué dans la vie quotidienne du pays. Lorsque Hatzofeh [le quotidien du Parti national religieux, disparu depuis longtemps] a fermé, c’était la fin d’un moyen d’expression clair, et aucun quotidien n’a été créé pour le remplacer. Pendant des années, Maariv et Yedioth étaient monnaie courante dans les foyers religieux sionistes, mais avec le temps, ils sont également devenus inconfortables à apporter à la maison en raison de leur contenu devenu très à gauche, ainsi qu’en raison des publicités. Vous ne voulez pas qu’une photo d’une fille en bikini vendant une voiture traîne chez vous le jour du Shabbat. Ce n’est pas convenable. »
Zaft se souvient : « J’ai fait appel aux meilleurs chroniqueurs et écrivains », di-il, énumérant diverses personnalités professionnelles et rabbiniques, dont Shai Piron, le professeur Aviad Cohen, le rabbin Yuval Cherlow et l’avocat Avi Weinroth. « Lorsque nous avons constaté, dans les dépliants qui ont suivi, qu’il y avait moins de textes liés à la Torah et plus de documents relatifs à la vie quotidienne, nous avons mené des sondages et appris que le public voulait les deux, et nous avons également commencé à combiner les deux. Aujourd’hui, Shabaton a le plus de pages, et nous nous efforçons toujours d’avoir au moins 50 % de textes liés à la Torah et pas plus de 50 % de publicités en général. »
Pour sa part, Shabaton, dont les 60 000 exemplaires hebdomadaires sont distribués dans les synagogues et sont également envoyés par courriel à des milliers d’autres personnes le jeudi, a été le premier à soulever ouvertement des questions controversées touchant la communauté religieuse, explique Zaft. Il s’agissait notamment de critiquer les rabbins incriminés dans des affaires d’agression sexuelle, et de raconter des histoires de personnes qui ont quitté la vie religieuse et de célibataires d’âge moyen. « C’était notre quête », ajoute-t-il. « Fournir aux parents religieux les outils nécessaires pour gérer certains problèmes, tant en termes de halakha que sur le plan psychologique, afin de garder leurs enfants près d’eux plutôt que de les repousser. Nous n’avons pas peur d’aborder n’importe quel sujet, même le plus explosif. Dans ma chronique régulière, j’ai récemment écrit : Pourquoi ne sommes-nous pas présents, nous, les sionistes religieux, sur la Place des Otages [à Tel-Aviv] ? »
L’essentiel, dit-il, est que les lecteurs rapportent les hebdomadaires chez eux après les offices pour en discuter avec les membres de leur famille autour de la table du shabbat, « c’est pourquoi j’ai refusé d’autoriser les publicités pour les cigarettes ou les publicités appelant à désobéir aux ordres militaires ».
Shabaton est distribué dans les communautés sionistes religieuses de Rehovot, Nes Tziona, Jérusalem, Petah Tikva, Givat Shmuel, Haïfa, Netanya, Hadera et ailleurs. Il atteint également des lecteurs de l’autre côté de la Ligne verte. « À Elkana, les lecteurs sont moins à droite, donc il y a plus de demande », explique Zaft, « mais plus on va vers l’est, plus les publications plus idéologiques sont populaires ».
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« Voici Tal et Yonatan Shoham, des jeunes mariés vivant dans une caravane délabrée à Peduel, en Samarie, qui partagent leurs réflexions sur le mariage et les relations de couple avec le peuple d’Israël sur TikTok. Si vous souhaitez en savoir plus sur les relations de couple, ne les suivez pas ! Si vous voulez rire et vous reconnaître dans chaque vidéo, vous êtes au bon endroit. »
– Chronique « Mashpi’im Letova » sur les réseaux sociaux, dans l’hebdomadaire Hador
Récemment, trois nouveaux acteurs ont rejoint la scène des « tracts » religieux établis, qui compte une dizaine de publications particulièrement populaires : l’un d’eux est le magazine Ofek (« Horizon »), un mensuel publié par le parti sioniste religieux. Il y a quelques mois, un hebdomadaire innovant appelé Hador (« La Génération ») a fait ses débuts. Il s’agit d’une initiative sociale et commerciale née de la reconnaissance d’un potentiel commercial croissant - une plateforme qui s’adresse aux jeunes pratiquants qui sont de grands consommateurs de médias sociaux en semaine, mais ne se laissent pas aller à cette habitude le jour du Shabbat, et qui sont également devenus désabusés par les hebdomadaires de synagogue plus anciens.

Le rabbin Avraham Stav. Photo Gil Eliyahu

Hador est édité dans le style des journaux qui ciblent les jeunes lecteurs : des articles ne dépassant pas deux petites pages, des colonnes courtes, des images graphiques relativement grandes (également de femmes, mais aucune ne porte de vêtements impudiques), beaucoup d’infographies et, en général, beaucoup de place pour l’expression et les réactions des lecteurs qui cherchent à partager leurs sentiments personnels.
Le rabbin Avraham Stav, membre de l’organisation rabbinique Tzohar, est l’âme de cette initiative. Il affirme qu’il considère le dépliant comme un projet éducatif et idéologique. Le titre « La génération » a été choisi en référence à la génération dite de la victoire qui a combattu dans la guerre de Gaza et qui grandit dans une réalité post-7 octobre. « Cette génération a actuellement besoin d’une voix sioniste religieuse modérée, une voix qui s’est quelque peu affaiblie ces dernières années en politique et dans les médias », explique-t-il.
Le but de Hador, avec son format et son contenu élégants, semble être d’éloigner les jeunes de la communauté des extrêmes militants, messianiques et hardalistes, pour les ramener au centre de la carte religieuse et politique.
Dans un article publié dans le cinquième numéro de Hador, la journaliste Reut Gizbar a fait part de ses sentiments négatifs en tant que femme se tenant derrière la mehitza (cloison entre les sexes) dans la synagogue. Ses propos ont suscité des réactions vives des deux côtés : d’une part, des voix qui ont soutenu son droit d’expression et ont également appelé à revoir la question de l’égalité des sexes dans la sphère religieuse ; d’autre part, des réactions qui lui ont rappelé qu’« une synagogue est un lieu sacré, pas un laboratoire social ».
Dans l’esprit du temps et pour intéresser son public cible, Hador accorde une place importante à la technologie, à la musique et à l’art contemporains. Si elle ne publiera pas d’article sur les troupes de danse mixtes, elle rendra compte d’une danseuse religieuse qui se produit uniquement devant un public féminin.
« Nous maintenons un équilibre entre l’ouverture idéologique et le respect des valeurs halakhiques », explique Stav. « L’objectif est de soulever des questions considérées comme taboues, mais de le faire avec prudence et respect. Lorsque nous avons discuté de la recolonisation [juive] de Gaza, nous avons présenté un éventail d’opinions, pour et contre. Nous avons soulevé la question de savoir s’il est approprié d’exempter les femmes religieuses de la conscription et s’il devrait y avoir un service actif plus court pour les hommes des yeshivas hesder [écoles religieuses militarisées, NdT]. Sur ces deux questions, nous avons présenté une variété d’opinions et avons essuyé de nombreuses critiques - et présenté les critiques dans notre numéro suivant. »
Avant même les nouveaux venus mentionnés ci-dessus, Darchei Noam s’est joint à la mêlée - un hebdomadaire lancé par Yair (alias Yaya) Fink, un juif pratiquant et l’un des leaders des récentes manifestations antigouvernementales. Qu’est-ce qui l’a poussé à rejoindre la scène ?
Fink : « Après la fin du shabbat, la deuxième semaine de septembre de l’année dernière, j’ai allumé mon téléphone portable et j’ai été submergé par un tsunami de messages à propos de trois femmes d’Herzliya qui avaient fait quelque chose d’horrible : elles étaient entrées dans une synagogue fréquentée par le député Yuli Edelstein alors qu’il n’y avait personne, et avaient déposé sur les sièges des brochures appelant à la libération des otages. Lorsque les trois femmes ont été arrêtées par la suite, la mini-crise qui en a résulté a été l’occasion de publier un journal libéral, démocratique et modéré pour le shabbat. Je vais à la synagogue depuis que je suis né et je connais ces journaux. Ils ne font que donner la parole au type de sionisme religieux qui préfère le caractère sacré de la terre à la sainteté de la vie, comme s’il n’y avait qu’un seul type de sionisme religieux. J’ai donc lancé une campagne de financement participatif et j’ai réussi à convaincre suffisamment de personnes de soutenir Darchei Noam par des versements mensuels. »
Fink ne cache pas son intention d’utiliser la publication pour défier le sionisme religieux dominant, de droite. Le langage est religieux et orienté vers la Torah, avec de fréquentes références à la décision du Rambam [Maïmonide] selon laquelle libérer des captifs est la plus grande de toutes les mitzvahs, et que sauver une seule âme d’Israël équivaut à sauver le monde entier. Une rubrique régulière est consacrée aux otages, aux soldats et aux civils tombés au combat, et il y a une discussion permanente sur la poursuite de la guerre et les intérêts politiques qu’elle sert. Dans un numéro, Yair Golan, chef du parti Les Démocrates, a écrit une chronique sur le leadership dans l’esprit du prophète Jérémie. Lorsque la destitution du chef du Shin Bet a commencé à figurer en tête de l’ordre du jour, la couverture a montré une image de Ronen Bar portant une kippa noire.
Fink dit que dans les hebdomadaires de synagogues rivales, il a vu des contenus apparemment destinés aux hommes et aux femmes homosexuels, suggérant un traitement de conversion. « J’ai été choqué », dit-il. « J’ai des amis religieux gays, hommes et femmes. Pourquoi devraient-ils voir un tel contenu à la synagogue ? Ils ont déjà assez de difficultés comme ça. Cela ne fait qu’alimenter la dépression et les pensées suicidaires. J’ai décidé de réagir. Peu après, dans Darchei Noam, il y avait une publicité avec une kippa aux couleurs de la gay pride, avec les coordonnées des organisations Bat Kol et Havruta [qui s’adressent à la communauté LGBTQ religieuse]. En ce qui me concerne, il ne s’agissait pas seulement de publicités, mais d’une véritable réponse juive à une réalité dans laquelle les membres de la communauté sont contraints de lire à la synagogue que leur orientation sexuelle est une maladie. Parce que c’est mon judaïsme - un judaïsme selon lequel “une personne est aimable parce qu’elle est faite à l’image de Dieu” ».
Cette attitude provocatrice a suscité quelques remous : certains responsables de synagogues ont refusé d’autoriser la distribution de l’article de Fink. Les rédacteurs en chef ont décidé d’être plus circonspects. « Nous n’abandonnons pas », insiste Fink. « Nous essayons d’être idéologiques et incisifs, mais sans faire de vagues, afin qu’ils n’interdisent pas notre publication dans leurs synagogues. L’objectif est d’atteindre les personnes religieuses qui se sentent en marge, de leur faire sentir qu’il y a quelque chose qui parle aussi en leur nom ».
Fink a récemment créé le forum des administrateurs de Darchei Noam, un groupe de messagers-adorateurs chargés de veiller à ce que tous les fidèles de la synagogue voient le journal, qu’il soit accessible à tous.
Fink : « Quand des gens m’appellent de lieux tels que les colonies de Talmon et d’Efrat et me disent : “Je veux être responsable de Darchei Noam pour m’assurer qu’il est affiché, comme il se doit, dans la synagogue”, je me rends compte que nous sommes sur la bonne voie. Mon rêve est que les partis politiques, tant de la droite traditionnelle que de la gauche sioniste, commencent à réaliser qu’ils ont des électeurs potentiels dans les synagogues. Trente pour cent des personnes religieuses en Israël se disent libérales, et elles ont besoin d’entendre des voix juives exprimer leur vision du monde.
« Lorsque je me suis rendu récemment à Jérusalem pour protester contre le licenciement du chef du Shin Bet, se souvient Fink, un religieux portant une pancarte contre Bibi s’est joint à nous. Il s’est approché de moi et s’est présenté comme un habitant de la colonie de Revava en Samarie. Il tenait à me dire à quel point il était heureux de pouvoir lire Darchei Noam dans sa synagogue. « Pour la première fois, une voix exprime ce que je pense », m’a-t-il dit. Et puis, Revava est une colonie très à droite. Ce type, Zvika, a ajouté qu’il n’était pas le seul à attendre notre publication là-bas, et a souligné qu’elle suscitait des débats et des discussions. Cela m’a rendu si heureux. En fin de compte, c’est exactement ce que je voulais accomplir. »

16/02/2025

GIDEON LEVY
Si quelqu’un ne doit “ni oublier ni pardonner”, ce sont les Palestiniens

Gideon Levy, Haaretz, 16/2/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Une image vaut mille mots : des centaines de détenus et de prisonniers palestiniens qui ont été libérés samedi sont vus à genoux, en prison, portant des sweatshirts blancs avec une étoile de David bleue et les mots « nous n’oublierons pas et nous ne pardonnerons pas ». Israël les a ainsi contraints à devenir des bannières ambulantes du sionisme sous sa forme la plus méprisable. La semaine dernière, il s’agissait de bracelets portant un message similaire : « Le “peuple éternel” n’oublie jamais, je poursuivrai et trouverai mes ennemis ».


Des prisonniers palestiniens avec des sweatshirts portant le logo de l’administration pénitentiaire israélienne et la phrase « Nous ne pardonnerons ni n’oublierons », photo publiée samedi par l’administration pénitentiaire israélienne

Le chef de l’administration pénitentiaire israélienne, Kobi Yaakobi, s’est révélé être un rédacteur publicitaire douteux. Il n’y a rien de tel que ces images ridicules pour montrer à quel point la propagande d’un État moderne peut tomber bas. L’administration pénitentiaire voulait être Hamas, mais le Hamas réussit mieux que le service, du moins dans cette bataille pour gagner les esprits. On peut également dire qu’il est plus humain. Les captifs israéliens qui sont revenus samedi avaient meilleure mine que certains des prisonniers en sweatshirts bleus et blancs.

Aussi ridicules que soient ces images, on ne peut ignorer le message qu’Israël a choisi d’attacher aux corps des prisonniers libérés : Nous n’oublierons pas. Nous ne pardonnerons pas. Nous vous poursuivrons. Le message du Hamas était le suivant : le temps presse. Même s’il s’agit d’une propagande de bas étage, on ne peut pas ignorer le message. Il est immoral d’utiliser des prisonniers comme bannière de propagande ? Alors cela s’applique aussi à nous. Leur propagande parle de fin de guerre, la nôtre parle de poursuite et de guerre sans fin, menée par le “peuple éternel” qui n’oublie pas et ne pardonne pas.

Le monde, Israël compris, a oublié l’Allemagne nazie, le Vietnam a oublié les USA, les Algériens ont oublié la France et les Indiens ont fait de même avec la Grande-Bretagne - seul le “peuple éternel” n’oubliera jamais. C’est ridicule. Si quelqu’un ne doit un jour « ni oublier ni pardonner », ce sont les Palestiniens, après 100 ans de tourments, y compris les prisonniers qui ont été libérés samedi. Ils n’oublieront pas les conditions dans lesquelles ils ont été détenus, et certains ne pardonneront pas leur détention injustifiée, sans qu’aucun procès ait jamais eu lieu dans leur cas.

Samedi, l’émotion était à nouveau à son comble, et à juste titre. Trois nouvelles vies ont été arrachées à l’enfer. L’analyste militaire Canal 12, Nir Dvori, a expliqué aux Israéliens que la libération des otages était la preuve « de la résilience de la nation israélienne », sans préciser ce qu’il entendait par là. Pour les téléspectateurs qui ont subi un lavage de cerveau et qui sont fatigués, il n’était pas nécessaire de le faire. Il a suffi au philosophe Dvori de dire à quel point nous sommes beaux. Mais tandis que tous les yeux humides étaient tournés vers la base militaire de Re’im, premier point d’arrivée des otages, puis vers le centre médical de Sheba et l’hôpital d’Ichilov, où ils ont été emmenés, 369 autres détenus et prisonniers palestiniens ont été libérés, tous des êtres humains, exactement comme nos Sagui, Iair et Sasha.

Les caméras des médias étrangers se sont moins concentrées sur les Palestiniens, tandis que les caméras israéliennes les ont presque totalement ignorés. Après tout, ce sont tous des “meurtriers”. Aucun hélicoptère ne les a attendus pour les conduire à l’hôpital, et certains ont été immédiatement expulsés de leur pays. Une minorité d’entre eux avaient du sang sur les mains, les autres étaient des prisonniers politiques, des opposants au régime. La plupart d’entre eux étaient des habitants de Gaza qui ont été pris dans cet enfer. Il est peu probable que les centaines de Gazaouis libérés samedi aient tous levé la main sur un soldat des forces de défense israéliennes ou sur des habitants des communautés frontalières d’Israël.

Certains d’entre eux ont été enlevés à Khan Younès, tout comme des Israéliens ont été enlevés à Nir Oz. Mais aux yeux d’Israël, ils faisaient tous partie de la force Nukhba du Hamas. Ils étaient également attendus par des familles enthousiastes, tout aussi enthousiastes que les familles Dekel Chen, Troufanov et Horn. Elles aussi aiment leurs enfants.

Certains d’entre eux ne savaient pas ce qu’il était advenu de leurs proches depuis le début de la guerre, tout comme nos familles ne le savaient pas. Mais alors que nos familles, comme l’ensemble de la nation, étaient autorisées à se réjouir autant qu’elles le souhaitaient, guidées par les émissions de propagande israéliennes qui transforment toute célébration humaine en un festival d’endoctrinement à la nord-coréenne, les Palestiniens se sont vu interdire de se réjouir. À Jérusalem-Est et en Cisjordanie, toute manifestation de joie a de nouveau été interdite. Ils n’avaient pas le droit d’exprimer leur joie. Notre tyrannie est si cruelle qu’elle va jusqu’à contrôler leurs émotions.

À en juger par le traitement des prisonniers (palestiniens) et des otages (israéliens) - un indice très significatif - il est difficile de savoir quelle société est la plus humaine. Israël respecte-t-il davantage la convention de Genève que le Hamas ? Il ne peut plus le prétendre. Cette dure impression ne peut plus être corrigée, pas même avec des sweatshirts frappés d’une étoile de David bleue.

 

05/02/2025

ROGEL ALPHER
L’histoire de Yocheved Lifshitz fait éclater la bulle de la fausse image d’Israël

Voilà une parfaite farce israélienne. Cette fausse image de soi, entretenue par les mythes diffusés par les médias israéliens, télévision en tête, s’est retournée et s’est défaite de l’intérieur

Rogel Alpher, Haaretz 28/1/2025
Traduit de l’hébreu par Keren Rubinstein et de l’anglais 
par Fausto GiudiceTlaxcala

Rogel Alpher (9 juin 1967) est un journaliste et écrivain israélien. Fils d’un agent de Mossad, il a fait son service militaire dans les renseignements avant d’étudier la philosophie. Musicien, critique de cinéma et télévision, auteur de 5 romans, de BD et de scénarios, il se définit comme “gauchiste radical” antisioniste.

Keren Rubinstein est une traductrice israélo-australienne

 


Voici un scénario de satire sociale poignante. Imaginez deux femmes âgées prises en otage à Gaza. Nous les appellerons Yocheved Lifshitz (85 ans, interprétée par Tiki Dayan) et Nurit Cooper (80 ans, interprétée par Sandra Sade). Mais leurs ravisseurs ne tardent pas à découvrir que les deux femmes souffrent énormément. Cooper est à l’agonie après s’être cassé l’épaule, tandis que les vomissements et la diarrhée de Lifshitz n’en finissent pas.

Yocheved (à g.) et Nurit

Le médecin gazaoui (Eli Yatzpan) annonce la couleur : dysenterie. Les ravisseurs, incapables de supporter les nausées et les diarrhées, lui ordonnent de la soigner. Lifshitz prend des pilules - en vain. Lorsque le médecin mentionne que la maladie est contagieuse, les ravisseurs paniquent et décident que ces deux-là n’en valent pas la peine. Si elles meurent, ils n’obtiendront rien pour elles, et ils risquent de contracter la dysenterie et de mourir. « Je n’ai pas signé pour ça, mec », dit l’un d’eux en anglais. (Par ailleurs, une version usaméricaine réalisée par Spielberg, scénarisée par Aaron Sorkin, avec Bette Midler et Dolly Parton dans le rôle des otages détenues par les clandestins mexicains qui avaient traversé le Rio Grande sous le commandement d’Alon Abutbul, est également en cours de tournage).

Les ravisseurs appellent Israël et disent : prenez-les. Israël répond : pas question, nous ne paierons pas un centime pour elles. Les ravisseurs mettent au courant les otages, qui sont choquées et humiliées. Les ravisseurs ont pitié d’elles, appellent Israël et disent : nous les laissons à la frontière. Vous les voulez, prenez-les. Vous ne les voulez pas, ne les prenez pas.

26/01/2025

GIDEON LEVY
Kitsch et mensonges pour le retour des 4 “otages”
L'illusion israélienne de la grande “unité nationale”

Gideon Levy, Haaretz , 24/1/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Non seulement les quatre soldates enlevées sont rentrées chez elles samedi, mais le pays tout entier est revenu à lui-même, à son autoglorification, à son unité trompeuse, à ses fausses célébrations de victoire, à ses sentiments de supériorité, à l’ultranationalisme et à l’incitation à la violence.


La joie personnelle émouvante des membres des familles et des amis, dont le monde s’est effondré au cours de l’année écoulée, s’est transformée en un carnaval national démesuré. Nous nous y étions déjà habitués, mais samedi, nous nous sommes injecté une overdose de kitsch et de mensonges.

Après plus d’une année épouvantable, il est facile de comprendre le besoin d’être heureux, ne serait-ce qu’un instant, voire le besoin de s’enorgueillir et de se féliciter. Mais la célébration de samedi est allée bien au-delà. Comme si la joie naturelle du retour des soldates ne suffisait pas, il a fallu la couvrir de mensonges. Le besoin de propagande et d’incitation, précisément en ce jour de grande joie nationale, atteste du fait que quelque chose de mauvais bouillonne sous le couvert des embrassades, des baisers et des larmes partagés avec Karina, Naama, Daniella et Liri.

On nous a menti samedi. Le mensonge de la victoire totale sur le Hamas a volé en éclats, à la vue d’un Hamas organisé, ordonné et armé, souverain de Gaza, organisant une cérémonie de libération avec une scène et quelques figurants. Si victoire il y a eu samedi, c’est celle d’une organisation qui, après 16 mois de frappes aériennes, de tueries et de destructions, s’est relevée de ses cendres et de ses ruines, toujours debout, vivante et en pleine forme.

On nous a dit que cette organisation était nazie, cruelle, monstrueuse, démoniaque - non seulement dans les discours excités de la rue, mais aussi par les plus grands présentateurs de télévision, la voix d’Israël et ceux qui arrangent la réalité. La réalité, comment dire, était quelque peu en contradiction avec ces déclarations.

La compétition entre les présentateurs de télévision pour savoir qui pouvait le plus vilipender le Hamas dans leurs studios était en contradiction grotesque avec le spectacle réconfortant et relativement encourageant des femmes libérées de leur captivité. Elles se tenaient droites, distribuaient des sourires, tenaient des sacs contenant des souvenirs qui leur avaient été donnés par leurs ravisseurs.

Elles n’avaient pas du tout la même allure que les détenus palestiniens à leur libération, dont certains au moins ont l’air de véritables épaves. On peut supposer qu’à l’avenir, nous assisterons à des scènes plus dures de libération d’otages israéliens, et il est évident qu’il ne faut pas prendre à la légère les souffrances endurées par les soldates libérées, mais ce n’est pas à ça que ressemblent des personnes libérées par des nazis.

Regardez-nous, comme nous sommes beaux, comme nous sanctifions la vie. Nous sommes prêts à payer n’importe quel prix pour libérer nos otages. Cette perception de soi contraste avec la vérité persistante et contrariante selon laquelle la cérémonie de samedi aurait pu avoir lieu il y a huit mois, peut-être dans les jours qui ont suivi le 7 octobre. L’affirmation selon laquelle eux sanctifient la mort et nous la vie est peut-être le plus vil des mensonges.

Après 50 000 morts, pour la plupart d’innocents, causées par les forces de défense israéliennes, , il est inutile de gaspiller des mots sur cette idée. Israël sanctifie à peine la vie de ses propres fils - avec plus de 800 soldats morts au combat, on peut en douter - et ne sanctifie définitivement pas la vie d’un quelconque être humain.

Rien n’est moins cher en Israël que la vie d’un Palestinien, en temps de guerre comme au quotidien. Demandez à Gaza quelle valeur les soldats et les pilotes israéliens attribuent à la vie humaine. Ceux qui ont systématiquement détruit tous les hôpitaux de Gaza, tiré sur les ambulances et tué des centaines de secouristes n’ont pas sanctifié la vie, mais l’ont écrasée.

La solidarité a également été falsifiée ad nauseam samedi. Un ruban jaune sur une voiture n’est pas de la solidarité. Les Israéliens se soucient les uns des autres ? C’est une plaisanterie. Parcourez les autoroutes, faites la queue, considérez la falsification massive des documents d’invalidité. Ce n’est pas de la solidarité ou de l’attention réciproque, c’est le règne des puissants ; c’est chacun pour soi, et aucune parole noble ne peut cacher cette réalité.

Samedi, Israël a célébré le retour de quatre otages. La joie était sincère, émouvante et générale. Mais le maquillage était de mauvaise qualité, les accessoires bon marché et le kitsch rappelait Bollywood. Avec un peu plus de vérité et moins de mensonges, cette célébration aurait pu être beaucoup plus complète.


10/11/2024

GIDEON LEVY
Amsterdam-Gaza : un pogrom imaginaire pour justifier un génocide réel

Gideon Levy, Haaretz, 10/11/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Un pogrom hideux et criminel [sic] contre des supporters de football israéliens a eu lieu à Amsterdam jeudi. Des pogroms similaires, perpétrés par des colons, ont lieu presque quotidiennement en Cisjordanie. Les pogroms de Huwara, par exemple, ont dépassé par leur ampleur et leur violence même l’Holocauste II à Amsterdam. Le lendemain du pogrom aux Pays-Bas, des colons violents se sont déchaînés à Surif ; deux jours auparavant, ils s’étaient déchaînés à Al-Maniya.

 Alors que des Israéliens étaient tabassés à Amsterdam, dans la bande de Gaza, des dizaines de personnes ont été tuées sans distinction, y compris de nombreux enfants, comme c’est le cas tous les jours. Les pogroms quotidiens en Cisjordanie et, bien sûr, la guerre à Gaza n’ont pas été comparés à l’Holocauste ; le président de Yad Vashem n’a pas été interrogé à leur sujet ; aucune force de secours n’a été envoyée pour sauver les victimes ; le ministre israélien des affaires étrangères et le président de la Knesset n’y ont pas vu l’occasion d’une séance de photos. Ces pogroms ont lieu tous les jours et personne ne se soucie de vous en informer.
Israël a battu jeudi un nouveau record d’auto-victimisation, et les médias ont battu un nouveau record d’incitation à la haine, d’exagération, d’alarmisme et, surtout, de dissimulation des informations qui ne cadrent pas avec le récit, que leurs consommateurs apprécient. Amsterdam était une occasion à ne pas manquer : une fois de plus, des Juifs sont tabassés en Europe.
Un fan de football du Maccabi Tel Aviv a raconté qu’il avait visité la veille la Maison d’Anne Frank - quelle coïncidence qui fait froid dans le dos - et l’animateur radio a failli fondre en larmes. La correspondante de la propagande israélienne de droite et ultranationaliste en Allemagne, Antonia Yamin, a expliqué que « l’Europe ne comprend pas le problème » : l’année dernière, 300 membres d’une famille de Khan Younès sont venus à Berlin et certains d’entre eux sont déjà connus de la police. Gaza est également à blâmer à Amsterdam. Yamin a bien sûr oublié de mentionner l’enfer d’où venait cette famille et qui l’avait créé.
C’est comme ça quand on vit dans la bulle chaude et confortable, complètement déconnectée de la réalité, dans le déni complet, que les médias israéliens construisent pour nous : nous sommes toujours les victimes et les seules victimes ; il n’y a eu un massacre que le 7 octobre; tout Gaza est à blâmer ; tous les Arabes sont assoiffés de sang ; toute l’Europe est antisémite. Vous en doutez ? Voyez la Nuit de Cristal à Amsterdam.
Et maintenant, les faits : à Amsterdam, certains supporters israéliens se sont déchaînés dans les rues avant même le pogrom : les médias israéliens n’ont presque jamais montré les cris dégoûtants « Nous allons baiser les Arabes » (en hébreu) et l’arrachage d’un drapeau palestinien légitimement accroché au balcon d’un immeuble, ce qui pourrait gâcher l’image de l’antisémitisme. Personne n’a posé la première question que la vue de la violence et de la haine à Amsterdam aurait dû soulever : pourquoi nous détestent-ils à ce point ? Non, ce n’est pas parce que nous sommes juifs.
Non pas qu’il n’y ait pas d’antisémitisme : bien sûr qu’il existe et qu’il doit être combattu, mais la tentative de tout mettre sur le dos de l’antisémitisme est ridicule et mensongère. Un vent anti-israélien a soufflé sur Amsterdam jeudi, et c’est ce qui a déclenché le pogrom. Les immigrés nord-africains, les Arabes et les Néerlandais qui se sont révoltés ont vu les horreurs commises à Gaza au cours de l’année écoulée. Ils n’ont pas l’intention de les passer sous silence.
Pour eux, les victimes sont leurs frères et leurs compatriotes. Et qui peut rester indifférent lorsque son peuple est massacré de manière aussi cruelle ? Chaque garçon de café marocain dans chaque ville néerlandaise reculée a vu bien plus de Gaza que les experts des affaires arabes en Israël. Aucune personne décente ne peut rester indifférente aux images de Gaza. Les émeutiers d’Amsterdam ont commis des actes de violence flagrants et méritent d’être condamnés et punis. Rien ne peut justifier un pogrom, ni à Amsterdam, ni à Huwara.
Mais les émeutes d’Amsterdam ont aussi un contexte, et Israël ne veut pas l’aborder. Il préfère envoyer un garde du corps avec chaque supporter israélien qui se rendra désormais en Europe plutôt que de se demander pourquoi ils nous haïssent tant et comment cette haine peut être apaisée. Après tout, elle n’avait pas éclaté de la sorte avant la guerre de Gaza.
Il s’agit là d’un autre coût de la guerre à Gaza qui aurait dû être pris en compte : le monde nous détestera pour cela. Chaque Israélien à l’étranger sera désormais la cible de la haine et de la violence. C’est ce qui arrive lorsque l’on tue près de 20 000 enfants, que l’on procède à un nettoyage ethnique et que l’on détruit la bande de Gaza. C’est une petite bizarrerie du monde : il n’aime pas ceux qui commettent ce genre de crimes.

 NdT
1-Mais que fait donc Israël dans l’Europa League ?
2-Les détenteurs d’un passeport israélien peuvent voyager dans 128 pays du monde, dont ceux d’Europe à une seule exception (Arménie), sans visa
3-Les polices de l’Union européenne surveillent les hooligans, tifosi et autres supporters de près et les fichent, mais apparemment pas les 2 700 “Maccabi Fanatics” débarqués à Amsterdam. Or, à l’occasion du match de Conference League face à Olympiakos en mars 2024, les fanatics du Maccabi Tel Aviv avaient à nouveau fait parler d’eux en agressant sauvagement trois personnes sur la place Syntagma à Athènes. Un lynchage en règle qui avait envoyé une des victimes, d’’origine arabe, à l’’hôpital.
4-Les autorités turques viennent d’interdire la tenue, prévue pour le 28 novembre, d’un match entre Beşiktaş et Maccabi, qui devrait se tenir dans un “pays neutre” (le Groenland ? Les îles Kamchatka ? Les Galapagos ?)
5-Les autorités françaises ont en revanche décidé de maintenir le match France-Israël (Ligue des Nations) prévu pour le jeudi 14 novembre au Stade de France. On annonce la venue de 70 à 90 supporters israéliens, pour la protection desquels 2 500 policiers et gendarmes seront réquisitionnés, outre plusieurs compagnies de CRS réparties dans la capitale [en tout, de 4 000 à 4 500 uniformés]. « Le Stade de France et ses abords seront bunkérisés », a déclaré une source policière au journal L’Équipe. Prix de l’opération (pour les contribuables) : un minimum de 250 000 € [plus un ensemble de primes d'un montant inconnu], soit environ 2500 € par supporter.
On vit une époque formidable
Lire aussi : Violences à Amsterdam: Qui sont les supporters du Maccabi Tel Aviv?

08/09/2024

NOUR ALHAKK
Les Juifs ont-ils fait fleurir des déserts ?
Contes et légendes sionistes sur le vol des terres palestiniennes

 Nour Alhakk, 6/9/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

Nour Alhakk est un testeur logiciel d’origine palestinienne vivant au Canada.

Chaque fois que j’entends un premier ministre israélien, je me souviens de l’observation incisive de Norman Finkelstein:

« S’il existait un Oscar pour la meilleure performance théâtrale d’un pays, Israël le remporterait chaque année. C’est une nation construite sur le théâtre - un État lunatique, complètement zinzin ».

 Une femme palestinienne récoltant des oranges à Jaffa, en Palestine, années 1930. (Source : Yaffa48)

Lorsque le Polonais David Grün alias Ben Gourion a proclamé la création de son État colonial, il a déclaré :

« Poussés par cet attachement historique et traditionnel, les Juifs se sont efforcés, à chaque génération successive, de se rétablir dans leur ancienne patrie. Au cours des dernières décennies, ils sont revenus en masse. Pionniers, ma’pilim (terme hébreu désignant les immigrants défiant la législation restrictive britannique) et défenseurs, ils ont fait fleurir les déserts, fait revivre la langue hébraïque, construit des villages et des villes... ».

On peut s’interroger : Quel était l’état mental de Ben Gourion lorsqu’il a fait cette déclaration ? Était-il sous l’influence de l’alcool ? Depuis quand la Palestine était-elle un désert ?

Pendant plus de 200 ans, les musulmans et les croisés se sont disputé férocement la Palestine, qui n’était pas une terre stérile.  [avant eux, Alexandre le Grand, en route de l’Égypte vers Canaan, a fait le siège de Gaza pendant 3 ans, NdT]. En 1799, le général Napoléon Bonaparte a envahi Gaza et Jaffa, avant d’essuyer une défaite décisive en tentant de s’emparer d’Acre. Napoléon essayait-il de conquérir un désert ?

La description de la Palestine par Ben Gourion comme une terre désolée n’est pas seulement inexacte, c’est aussi une déformation flagrante de l’histoire.


Yosef Weitz, 1945 Source Wikipedia

L’incohérence de l’affirmation de Ben Gourion sur le désert : le journal de Yosef Weitz de 1941 et la vérité sur la terre palestinienne

À quoi ressemblait réellement la Palestine avant la création de l’État d’Israël ?

Pour répondre à cette question, je me tournerai non pas vers un Palestinien, un Arabe ou un musulman, mais vers un proche allié de David Ben Gourion.

Yosef Weitz, un Polonais juif arrivé en Palestine en 1908 - douze ans avant Grün - était une figure clé du département de colonisation du Fonds national juif. Le journal de Weitz, qui s’étend sur cinq volumes et qui est conservé aux Archives sionistes de Jérusalem, commence en 1932 et se poursuit jusqu’à sa mort en 1970. Ce journal est rempli de notes urgentes visant à saisir les opportunités offertes par la guerre de 1948 et contient des preuves incriminantes de crimes de guerre, de pillages et d’atrocités commis par les forces de l’« État juif » nouvellement établi.

Au cours de l’été 1941, Weitz a parcouru le centre de la Palestine et a consigné ses observations dans son journal :

« De grands villages [arabes palestiniens] peuplés et entourés de terres cultivées où poussent des olives, des raisins, des figues, du sésame et des champs de maïs...

Serions-nous en mesure de maintenir des colonies dispersées parmi ces villages [arabes palestiniens] existants qui seront toujours plus grands que les nôtres ?

Et y a-t-il une possibilité d’acheter leurs [terres] ?...

Et une fois de plus, j’entends cette voix intérieure qui m’appelle : évacuez ce pays ». (Expulsion des Palestiniens, 133)

Ce récit contredit directement toute affirmation selon laquelle la Palestine était une terre stérile avant la création d’Israël.


Photographie de 1914 : Les orangeraies de Jaffa, Palestine. Source : Palestine Remembered

En outre, lorsque l’Assemblée générale des Nations unies a adopté le plan de partage de la Palestine en 1947, Weitz a noté que la majeure partie des terres cultivables de l’« État juif » proposé appartenait à des Palestiniens. Il a écrit :

« [La plupart des terres sont] cultivées par des Palestiniens :

« [La plupart des terres] n’appartiennent pas à des Juifs ni même à la catégorie du domaine de l’État dont la propriété pourrait être automatiquement assumée par un gouvernement successeur. Ainsi, sur les 13 500 000 dunums (dont 6 000 000 de désert et 7 500 000 dunums de terres cultivables) de l’État juif selon le plan de partage, SEULEMENT 1 500 000 dunums appartenaient à des Juifs ». (Expulsion des Palestiniens, p. 183)

Ces documents de Weitz révèlent un paysage riche en terres cultivées et soulignent l’écart important entre la réalité de la propriété palestinienne et les affirmations faites sur le statut de la terre.

Photographie de 1940 : La rue Nuzha : l’une des rues les plus célèbres de Jaffa, Palestine (Source : Palestine Remembered)

Le vol des terres

Les intentions de Weitz à l’égard de la population palestinienne sont tout aussi révélatrices. Lors d’une réunion avec le Comité des transferts, le 15 novembre 1937, il déclare :

« ...le transfert de la population arabe [palestinienne] de la zone de l’État juif n’a pas qu’un seul but : diminuer la population arabe.

Il sert également un second objectif, non moins important, qui est de plaider pour les terres actuellement détenues et cultivées par les Arabes [palestiniens] et de les libérer ainsi pour les habitants juifs ». (Expulsion des Palestiniens, p. 94-95)

Cette déclaration souligne que le « transfert » des Palestiniens n’était pas seulement une stratégie démographique, mais aussi un effort calculé pour les déposséder de leurs terres, facilitant ainsi leur appropriation par les colons juifs. La combinaison des observations et des intentions de Weitz donne une image plus claire de l’approche systématique du déplacement des Palestiniens et de l’appropriation de leurs terres.

Sources :

1.      Masalha, Nur. Expulsion of the Palestinians : The Concept of « Transfer » in Zionist Political Thought, 1882-1948. Washington, DC : Institut d’études palestiniennes, 1992. 

2. Jaffa avant l’occupation israélienne : Jaffa - يافا (יפו) - Palestine Remembered

NdT

« Nous avons fait refleurir le désert » est un des mantras principaux des contes et légendes sionistes tout de suite après celui proclamant que la Palestine était « une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». On peut lire un exemple de cette propagande dans Faire fleurir le désert est un exploit qu’Israël est le seul à le [sic] faire au Moyen – Orient !, par Souhail Ftouh, un Tunisien se disant avocat, qui a « choisi l’exil » (vers la France) en 2012 pour mieux défendre la « cause juive » sur des sites ouèbe sionistes et fascistes.

Le site de Battir, situé à quelques kilomètres au sud-ouest de Jérusalem, dans les hautes terres entre Naplouse et Hébron a été inscrit au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO en 2014. Le paysage de collines de Battir comprend une série de vallées agricoles, widian, caractérisées par des terrasses de pierre, certaines irriguées pour la production maraîchère, d’autres sèches et plantées de vignes et d’oliviers. Le développement de ces terrasses cultivées, dans un environnement très montagneux, s’est appuyé sur un réseau de canaux d’irrigation alimenté par des sources souterraines. L’eau collectée grâce à ce réseau est attribuée selon un système traditionnel de répartition équitable entre les familles du village de Battir, situé à proximité de ce paysage culturel. Drôle de « désert »