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09/10/2022

ALESSANDRO GHEBREIGZIABIHER
Coupe du Monde de l'Eau

Alessandro Ghebreigziabiher, Storie e Notizie N° 2067, 7/10/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Ça ne va pas tarder, les amis. Résistez, je vous en prie.

Dans un peu plus d'un mois, le grand spectacle commencera.

Mais qui aurait dit que ce serait l’occasion de faire quelque chose de juste, de solidaire, en un mot, d'humain ?

Apparemment, malgré l’impact environnemental considérable et les coûts exorbitants, la fin justifiera peut-être pour une fois les moyens.

Parce que, oyez oyez, dès le début du tournoi, pendant environ trois semaines, 140 camps recevront au moins 10 000 litres d'eau par jour.

De l'eau douce, d'accord ? Préalablement dessalée, avec tous les efforts économiques et industriels appropriés, en plus de ceux environnementaux, comme déjà mentionné. Mais c'est l’occasion de fermer un œil, car c'est la survie de nos semblables les plus en difficulté qui est en jeu.

Maintenant, je ne les ai pas tous comptés, mais 140 camps, c’est un nombre important, peuchère, et 10 000 litres d'eau à boire par jour représentent une véritable manne du ciel, ou plutôt de la mer.

Je pense évidemment aux camps qui comptent le plus grand nombre d'habitants, comme celui de Bidi Bidi, en Ouganda, avec ses 270 000 réfugiés fuyant la guerre civile au Soudan du Sud, et celui de Kutupalong, au Bangladesh, qui accueille des réfugiés Rohingyas, et concurrence le précédent quant à la triste primauté de présences.

Dix mille litres d’eau par jour seraient une bénédiction incroyable, là où même une seule gorgée est capable d'influer sur les chances de survie du lendemain.

13/02/2022

ALEXIS OKEOWO
Les portraits de Somalien·nes en exil dans la poésie pop de Warsan Shire

Alexis Okeowo, The New Yorker, 14/2/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Dans son nouveau recueil, la poétesse mêle vers et reportages pour faire entendre les voix de la diaspora somalienne.

Les « hymnes à la résilience » de Shire ont commencé sur Tumblr, où elle est devenue une star. Photographie de Tracy Nguyen pour The New Yorker

Par une journée humide à Londres, vers 2013, la poétesse Warsan Shire a branché un magnéto tandis que son oncle parlait de sa jeunesse en Somalie, de sa vie de réfugié et de son addiction au khat, un stimulant aux feuilles amères. Shire, qui a trente-trois ans, des boucles sombres et un front haut, s'est assise avec lui dans sa chambre d'une pension de famille du nord-ouest de Londres, où vivent plusieurs hommes immigrés. Son oncle avait perdu la plupart de ses dents à cause de son addiction au khat. « Quand vous mâchez du khat, vous ne dormez pas, ça vous empêche de dormir », m'a dit Shire récemment. « Je lui ai demandé ce que ça faisait de faire ça ». Il lui a répondu : « Quand tu es défoncé, c'est comme si tu construisais, avec tes mots et tes rêves, ces tours massives de ce que tu vas faire demain, comment tu vas arranger ta vie. Et puis le soleil se lève, et les tours ont été renversées. Et vous faites ça tous les jours et vous n'arrivez jamais à rien, parce que vous vous mentez constamment à vous-même ».

Lorsque son oncle était adolescent, il a obtenu une bourse pour étudier à l'étranger ; les membres de sa famille parlaient de lui comme d'un garçon très prometteur. Mais lorsqu'une guerre civile a éclaté en Somalie, au début des années 90, il a perdu sa bourse. Il a émigré en Angleterre, mais ne s'est jamais marié ni n'a eu d'enfants. Les parents de Shire étaient également partis en Angleterre en tant que réfugiés de Somalie, et au fil des ans, elle a souvent parlé avec son oncle de son passé. Dans la pension, en sirotant du qaxwo (café somalien, épicé à la cannelle et à la cardamome), il lui a dit qu'il avait l'impression d'avoir « raté sa vie » et d'être « maudit par la guerre ».

Une grande partie de la poésie de Shire s'est concentrée sur les expériences des femmes immigrées. Ces dernières années, cependant, elle est devenue plus curieuse de la vie intérieure des hommes de sa famille. « Il y a toujours eu cette chose que je trouvais particulièrement triste chez certains des hommes autour desquels j'ai grandi », m'a-t-elle dit. « Ils portaient ces costumes, qui étaient un peu trop grands et qui pendaient sur les poignets, et ils avaient l'air de petits garçons qui jouent à se déguiser pour aller à un entretien d'embauche auquel ils ne seront jamais acceptés. Quelque chose dans tout cela m'a fait penser à la futilité de leur vie dans ce nouveau monde. Ils n'ont leur place nulle part ». Le premier recueil complet de Shire, « Bless the Daughter Raised by a Voice in Her Head » [Bénissez la fille élevée par une voix dans sa tête], sortira en mars. Dans un poème, « My Loneliness Is Killing Me » [Ma solitude me tue], elle décrit sa rencontre avec son oncle à la pension de famille, alors que de la musique pop somalienne est diffusée en fond sonore : « De la vapeur s'élève du qaxwo amer de larmes, soigneusement / roulant du tabac de la même couleur que ses mains / Il chante en même temps. Seul cette fois, seul à chaque fois ». Vers la fin de la visite, son oncle lui dit : « Ma fille, sois plus forte que la solitude que ce monde va te présenter ». Shire cite cette phrase dans la dernière strophe de son poème, et elle a inspiré le titre. « Tous ces hymnes à la résilience », m'a-t-elle dit. « J'ai juste pensé, ce sont les chansons pour le réfugié ».

Shire fait partie d'une génération de jeunes poètes qui ont attiré un large public en publiant initialement leur poésie sur la toile. Elle s'est d'abord fait connaître grâce à Tumblr, et compte aujourd'hui quatre-vingt mille adeptes sur Twitter, et cinquante-sept mille autres sur Instagram, des chiffres plus proches de ceux de la star d'une série FX que de ceux d'une poétesse. Elisa Ronzheimer, spécialiste de littérature à l'université de Bielefeld, en Allemagne, m'a dit que la poésie de Shire produit « quelque chose de valeur dans ce terrain intermédiaire qui n'est pas super hermétique, mais qui n'est pas non plus ce que je considère comme de la culture pop ».  Shire est surtout connuE pour avoir collaboré avec Beyoncé, en 2016, sur « Lemonade », un album visuel dans lequel la musique de la chanteuse est entrecoupée de la poésie de Shire. Le poète Terrance Hayes m'a dit : « Shire possède une manière féroce de dire la vérité féroce à la Sylvia Plath ». Hayes enseigne à l'université de New York, et il est frappé par le nombre de ses étudiants qui sont des inconditionnels de l’œuvre de Shire. « Elle ne touche pas seulement des gens qui suivent Beyoncé », dit-il. « Ce sont aussi des gens qui veulent devenir poètes et qui étudient ce qu'elle fait ».

18/01/2022

Gellert Tamas : Le débat sur les enfants apathiques en Suède est malhonnête

Gellert Tamas, Dagens Nyheter, 29/10/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Le débat sur les enfants apathiques de demandeurs d’asile fait rage  en Suède depuis près de 20 ans. Un nouveau livre de la neurologue Suzanne O'Sullivan met en évidence les facteurs mentaux, physiques et environnementaux de ce trouble. Pourtant, les médias suédois considèrent les enfants apathiques comme des simulateurs, écrit Gellert Tamas.

Se pourrait-il que la question très controversée des enfants apathiques ait enfin trouvé une réponse ? Ce n'est pas impossible, du moins si l'on en juge par l'accueil international réservé à un nouveau livre sur le syndrome de résignation écrit par Suzanne O'Sullivan, neurologue de renom et auteure multiprimée.

 

La neurologue et auteure Suzanne O'Sullivan. Photo : Guillem Lopez/TT

Le débat fait rage depuis près de 20 ans. Au tournant de 2005-2006, 10 000 personnes ont manifesté pour mettre fin aux expulsions en cours, tandis que les médias se focalisaient rapidement sur autre chose. Selon une enquête de l'Université du centre de la Suède, la manipulation était l'explication la plus courante - 42 % des articles - de l'état des enfants. Ils auraient fait semblant ou auraient été empoisonnés par leurs parents - tout cela dans le but d'obtenir un permis de séjour.

Puis le débat a tourné. Les premiers résultats de la recherche ont été publiés dans des revues professionnelles de premier plan. Des analyses sanguines et des tests d'hormones de stress, entre autres, ont montré que ni la simulation ni l'empoisonnement ne pouvaient expliquer l'état des enfants. En 2014, le Conseil national de la santé et du bien-être (Socialstyrelsen) a introduit le symptome de résignation comme un code de diagnostic distinct dans le système de soins de santé. Cela semblait régler la question.

Bien que les recherches soient encore incomplètes, toutes celles qui existent montrent - malgré les divergences d'opinion sur, par exemple, la question des soins hospitaliers ou à domicile, du degré d'implication des parents dans le processus de soins et l'importance de l’obtention d’un permis de séjour pour que soit enclenché le processus de guérison - que la manipulation ne peut expliquer l'affection elle-même, même s'il peut y avoir des cas particuliers. C'est le même tableau que j'ai moi-même brossé dans un livre et dans des émissions télévisées d'investigation.

À l'automne 2019, le débat s'est à nouveau enflammé, après que deux personnes aujourd'hui adultes m'ont raconté qu'enfants, elles avaient été forcées par leurs parents à jouer les apathiques. L'accent a été mis une fois de plus sur la question de la manipulation. Bien qu'aucune nouvelle étude ne vienne infirmer les résultats précédents ou étayer l'allégation de manipulation massive, plusieurs commentateurs ont affirmé qu'il existe désormais des preuves irréfutables ; la quasi-totalité des 1 000 cas d'enfants diagnostiqués avec un symptôme de résignation ont en fait été manipulés.

 

Le ton a été vif et pas pas dénué de sous-entendus politiques. PM Nilsson, rédacteur politique à Dagens Industri, dans une interview à la radio suédoise, balaye le symptôme de résignation d’un revers : « Cette étrange histoire d'enfants apathiques qui ont été exploités par leurs parents pour simuler un état qui en faisait des cas pitoyables ».