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15/07/2022

FRANCESCA ALBANESE
Parler de la Palestine aujourd'hui est impossible, même au Parlement italien

 Francesca Albanese, il manifesto, 13/7/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Francesca Albanese est une avocate internationale et chercheuse italienne spécialisée dans les droits humains et les réfugiés. Elle est, depuis mai 2022, rapporteuse spéciale de l’ONU sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967. @FranceskAlbs

Invitée par la Commission des Affaires étrangères du parlement italien, le 6 juillet dernier, pour parler de la situation des droits humains en Palestine, (vidéo) Francesca Albanese y a fait l’objet d’une attaque virulente de la part du « démocrate » (ex-communiste) Piero Fassino, président de la commission, qui l’a accusée d’ « unilatéralisme » propalestinien, déformant les propos qu’elle avait tenu dans une interview en juin dernier. Voici la réponse de Francesca Albanese. On peut lire la réponse de Fassino à cet article ici-FG

Moyen-Orient : après l'attaque de M. Fassino devant la commission des affaires étrangères de la Chambre des députés, la difficulté de parler de la question palestinienne, même selon les règles du droit, apparaît clairement : l'idée que le droit international est contraignant pour les ennemis et facultatif pour les alliés est une déclinaison dangereuse du concept d'autonomie de la politique, qu'en tant que juriste je ne peux m'empêcher de condamner...

La Palestine - c'est-à-dire ce qui est resté de la Palestine historique lors de la création de l'État d'Israël en 1948 -, comprenant la Cisjordanie, Jérusalem-Est et la bande de Gaza, est une terre qu'Israël occupe militairement depuis 1967.

Il convient de rappeler d'emblée que le droit international n'admet les occupations militaires que sous une forme limitée dans le temps, avec des contraintes précises pour protéger la population sous occupation et, surtout, sans jamais transférer la souveraineté à la puissance occupante.

L'État d'Israël viole systématiquement ces principes depuis 1967, par le biais du transfert continu de civils et de la construction de colonies en Palestine occupée. Au cours des dernières décennies, ces violations ont été condamnées à maintes reprises par les principales institutions internationales, et plus récemment par le Conseil de sécurité des Nations unies.

Les organisations humanitaires s'accordent à dire que cette occupation est illégitime et illégale, car elle est menée par un usage interdit de la force armée et dans le but d'annexer le territoire palestinien à l'État d'Israël et de déplacer les Palestiniens qui y vivent. Face à cette réalité largement documentée, il est nécessaire que la politique se conforme aux préceptes du droit international, en sanctionnant Israël et en soutenant les Palestiniens dans le processus d'autodétermination qui leur est assigné non pas par telle ou telle faction politique, mais par les principes les plus fondamentaux de la communauté internationale.

C'est dans cet esprit que j'ai assumé, il y a deux mois, le rôle de rapporteuse spéciale des Nations unies sur les droits de l'homme dans le territoire palestinien occupé, qui m'a été confié par le Conseil des droits de l'homme des Nations unies. Avec le défi et l'honneur supplémentaires d'être la première femme à occuper ce poste délicat, j'ai assumé cette responsabilité en étant pleinement consciente des difficultés que j'allais rencontrer.

La première difficulté est qu'au cours des 30 dernières années, les droits du peuple palestinien ont cessé de faire la une des journaux, bien que la Palestine reste le théâtre d'un affrontement acharné entre la justice et la prévarication, le droit et l'abus, la légalité et, hélas, la realpolitik inspirée uniquement par les rapports de force. Deux mois après le début du mandat, j'ai évoqué l'impossibilité de discuter de la Palestine en suivant une approche strictement juridique.

Face à quiconque oppose à la logique des rapports de force une éthique guidée par la force du droit, un rideau d'hostilité et souvent de violence verbale tombe au nom de la défense idéologique de la politique de l'État d'Israël.

J'en veux pour preuve mon audition, le 6 juillet, devant la Commission des affaires étrangères de la Chambre des députés, qui m'avait invité à rendre compte de la situation couverte par mon mandat. Après mon intervention, dont il avait manifestement écouté peu et compris encore moins, le président de la Commission, Piero Fassino, au lieu de modérer le débat afin d'acquérir des éléments utiles pour les délibérations parlementaires, s'est lancé dans un j'accuse contre moi aussi inopportun qu'injustifié.

L'accusation portait sur mon prétendu manque d’ « imparttialité », manifestement pour ne pas avoir mis sur un pied d'égalité l'occupant et l'occupé, le colonisateur et le colonisé, dans mon discours sur les abus continus des forces israéliennes contre les Palestiniens. Le respect de toute critique fait partie intégrante de mon interprétation du mandat qui m'a été confié. Cependant, j'ai le devoir premier, précisément sur la base de ce mandat, de dénoncer les violations du droit international.

Bien que je me sois limitée à cette tâche consciencieuse lors de l'audience, M. Fassino, manifestement irrité par l'exercice de mes fonctions institutionnelles, est allé jusqu'à m'attribuer des phrases contenant des formes de légitimation de la violence que je n'ai jamais prononcées et qu'aucun intervieweur n'a jamais transcrites. La revue Altraeconomia l'a rapidement démontré en rapportant mes déclarations originales condamnant la spirale de violence perpétuée par l'occupation, habilement décontextualisées par M. Fassino.

En critiquant ma focalisation excessive « sur la donnée juridique », M. Fassino a également minimisé le rôle central du droit international dans la résolution des conflits, qui fait pourtant partie intégrante de l'ordre républicain.

L'idée que le droit international est contraignant pour les ennemis et facultatif pour les alliés est une déclinaison dangereuse du concept d'autonomie de la politique, qu'en tant que juriste je ne peux m'empêcher de condamner.

Comme le rappelle Edward Said, une lutte pour les droits se gagne « avec les armes de la critique et l'engagement de la conscience ». Et c'est ce que je continuerai à promouvoir dans l'exécution de mon mandat, un débat sain, pluraliste et informé sur la question israélo-palestinienne, à partir - quelles que soient les lectures historiques et politiques du « conflit » et de ses racines - de la force régulatrice du droit international, seule boussole possible dans les ténèbres fomentées par plus d'un siècle de realpolitik.