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12/06/2023

GIDEON LEVY
La contestation des Blancs : une “success story” israélienne

Gideon Levy, Haaretz, 11/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La contestation des Blancs a réussi. Elle a mis un terme au projet de refonte du système judiciaire et, pour cela, ses participants méritent tout le respect et la gratitude qui leur sont dus. Il n'y a pas eu beaucoup de mouvements de protestation dans l'histoire de ce pays, et celui-ci semble avoir été le plus réussi. Applaudissements, chers amis. Vous avez prouvé que les Israéliens ne sont pas des Hongrois ou des Polonais. Mais ces applaudissements enthousiastes ne doivent pas masquer les maux et les défauts de cette protestation. Les symptômes n'ont fait qu'empirer ces derniers temps.


Manifestation contre la réforme judiciaire à Tel Aviv, samedi 10 juin 2023. Photos : Moti Milrod (en haut) & Ofer Vaknin (en bas)


Plus la protestation réussissait, plus l'autosatisfaction de ses initiateurs augmentait - regardez comme nous sommes merveilleux - et avec elle, la sauvegarde méticuleuse de la pureté du camp, ne permettant à aucune autre question de brouiller les cartes. Cette autosatisfaction a entraîné la satiété de la protestation : la pureté du camp l'a rendu trop blanc. L'histoire retiendra peut-être qu'il s'agit d'un mouvement qui a bloqué certaines législations dangereuses ; mais elle retiendra certainement qu'il s'agit d'un mouvement qui a systématiquement fait preuve de lâcheté en évitant des questions plus fatidiques.

Après tout, même si la protestation atteint pleinement ses objectifs, Israël ne fera que revenir à ce qu'il était il y a encore quelques années. Pour rappel, c'était aussi un pays moralement tordu, à peine moins que l'actuel dirigé par Netanyahou.

Le week-end dernier, les organisateurs de la contestation ont invité Rawia Aburabia, professeure de droit au Sapir Academic College, à parler de la violence dans les communautés arabes. La contestation étend ses ailes, diversifie les thèmes de sa campagne, devient plus pertinente et plus actuelle. Mais il s'est avéré que l'invitation comportait un piège : Il ne devait pas être question de l'occupation. Aburabia a évidemment décidé de refuser cette généreuse invitation, écrivant : « si c'est à cela que ressemble la liberté d'expression dans une vague de protestations visant la démocratie pour les Juifs seulement, dans laquelle les structures de pouvoir ethno-nationales et le contrôle des orateurs sont des copiés-collés [d'autres sphères], en vérité, je ne sais plus quoi dire ».

Il s'agissait manifestement d'un incident annoncé, dans le cadre d'un mouvement déterminé à combattre les personnes qui luttent contre l'occupation. L'occupation n'est manifestement pas liée à la démocratie aux yeux des démocrates de la rue Kaplan.

Shikma Schwartzman-Bressler s'adresse aux manifestants lors d'une manifestation à Tel Aviv en mars. Photo : Hadas Parush

L'héroïne photogénique de la contestation, Shikma Bressler, qui a récemment été photographiée dans une pose à la Che Guevara, tenant un drapeau israélien, a déclaré : « le fait de voir des Israéliens défendre la démocratie, manifester partout dans le monde et en Israël, devrait faire comprendre que nous sommes comme [le mouvement hassidique] Chabad, sauf que nous défendons la démocratie. Nous sommes pleins de foi dans notre façon de faire, nous nous battons en étant ce que nous sommes. Le drapeau a remplacé les vêtements noirs [portés par les disciples de Chabad] ».

Nous avons de la chance. Le drapeau israélien a remplacé l'habit noir et nous avons maintenant un nouveau Chabad. Oublions l'incroyable comparaison avec une organisation religieuse ultra-nationaliste, cette dangereuse organisation appelée Chabad, dont la leadeuse du mouvement de protestation s’inspire.

Laissons également de côté son attitude à l'égard des vêtements noirs, qui est inoffensive même si elle est différente - une protestation qui se glorifie de cette manière est une protestation qui s'est engraissée et rassasiée, une protestation de privilégiés. Si cette protestation rejette tout contact avec les personnes qui comprennent qu'une démocratie construite sur les bases d'une dictature militaire cruelle ne sera jamais une véritable démocratie, il s'agira d'un mouvement de protestation creux, trompeur et spécieux.

Il est bon que des masses de gens continuent à descendre dans la rue. Il est difficile de critiquer la conscience politique et la volonté d'agir des gens de bonne volonté. Mais à côté des drapeaux, il faut aussi dire la vérité. Et la vérité, c'est que cette manifestation n'a qu'un seul objectif : la destitution de Benjamin Netanyahou. Telle est la véritable passion des manifestants.

C'est un objectif légitime et même juste. Netanyahou porte l'entière responsabilité de l'effondrement insensé du système au cours des derniers mois. Mais les gens qui brandissent des drapeaux sur la rue Kaplan, blancs et rassasiés, juifs et sionistes, n'oubliez pas que même si Netanyahou s'en va, Israël continuera d'être un État d'apartheid.

Un État d'apartheid ne sera jamais une démocratie, même si les Juifs y préservent leurs droits, même si vous continuez à défiler avec des drapeaux dans la rue Kaplan pendant des années.

Ce n'est donc pas une véritable démocratie que vous défendez. Les vrais démocrates ne peuvent donc pas se joindre à votre combat.

 


 

 

10/06/2023

AYMAN ODEH
Combien de temps les protestataires contre la refonte judiciaire pourront-ils ignorer l'occupation israélienne ?

Ayman Odeh, Haaretz, 4/6/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Ayman Odeh (Haïfa, 1975) est un avocat et homme politique palestinien de 1948. Il dirige le parti communiste d'Israël Hadash/Ta'al et il est député à la Knesset de la coalition Liste unifiée (al-Qa'imah al-Mushtarakah/HaReshima HaMeshutefet), dont il est le président.

Depuis 22 semaines, des centaines de milliers de citoyens israéliens descendent dans la rue pour lutter pour la démocratie. C'est impressionnant et émouvant, et cela m'inspire un grand respect. Je n'ai pas été invité à dire quoi que ce soit lors de ces manifestations. Je ne suis ni blessé ni surpris, mais je sais que ces centaines de milliers de manifestants sont mes futurs partenaires dans la création d'une vie meilleure pour ce pays.

“J’ai peur des missiles, mais encore plus de la dictature” : manifestation contre le coup d'État judiciaire dans le centre de Tel Aviv, en mai dernier.
Photo : Tomer Appelbaum

Peut-être mes positions sont-elles difficiles à accepter pour certains d'entre eux, peut-être les organisateurs ont-ils choisi de dissimuler certaines opinions, craignant que le fait de parler de l'occupation et de la paix ne fasse fuir un grand nombre de manifestants.

Je profite donc de cette tribune pour me tourner vers les chers manifestants de la rue Kaplan et leur demander de consacrer quelques minutes à la réflexion sur le lien entre démocratie et occupation.

Nous vivons une réalité tragique dans ce pays, qui a connu tant d'effusions de sang que le mot “paix” semble presque étranger. C'est paradoxal, car nous savons que la question de la paix, ou du “conflit”, comme on aime à l'appeler, est la plus importante.

La grande majorité des Israéliens et des Palestiniens souhaitent vivre en sécurité, sans guerre, sans conflit. Mais même si de nombreuses personnes travaillent à l'instauration de la paix, l'occupation se durcit et la paix s'éloigne.

Certains pensent que le conflit peut être géré, qu'il n'a pas besoin d'être résolu. Mais ces dernières semaines, avec une nouvelle série de violences horribles, avec la reconnaissance par l'ONU de la Nakba palestinienne de 1948, avec la Marche des drapeaux raciste et la violence envers les Palestiniens à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, nous avons reçu un nouveau rappel de la fausseté d'une telle conception.

Une politique de gestion du conflit ignore complètement la vie quotidienne de millions de Palestiniens qui se réveillent chaque matin pour une nouvelle journée de contrôle répressif sur leur vie. Pour eux, la gestion du conflit n'est pas une stratégie dont on peut s'accommoder jusqu'au prochain round, mais plutôt une réalité de souffrances permanentes qui pèsent sur les deux parties.

Il y a aussi ceux qui ne sont pas intéressés par la gestion ou la résolution du conflit, mais par la résolution du problème palestinien par le feu messianique du transfert, l'exacerbation de la violence et l'adoption rapide d'une abomination inimaginable. Je ne parle pas avec ces gens-là, évidemment, mais à ma grande joie, ils sont encore une minorité, même s'ils occupent actuellement des positions de pouvoir au sein du gouvernement.

 

"On est là pour sauver la démocratie juive !"


Mais notre tragédie est plus complexe. C'est une tragédie qui consiste en une réalité dans laquelle une majorité des deux peuples soutient les négociations pour une paix véritable, basée sur deux États, mais où il n'y a pas de négociations. Cette situation est tragique parce que la plupart des gens, après avoir désespéré, ne s'attaquent pas au problème. Les Israéliens savent que la seule solution à long terme qui ne rappelle pas les régimes obscurs est un accord de paix entre les deux nations.

Je pense que si l'on interrogeait la plupart des Israéliens, ils seraient même capables d'énoncer les principales composantes d'une telle paix, qui relèvent presque du bon sens. Mais en dépit de cette simplicité, nombreux sont ceux qui pensent que ce n'est tout simplement pas faisable à l'heure actuelle, si tant est que cela l'ait jamais été.

C'est profondément tragique, car nous ne sommes pas en stase, dans une situation où l'attente laisserait les choses inchangées, dans un sens ou dans l'autre. Notre situation est plutôt celle d'une cocotte-minute sur le feu, qui explosera si nous continuons à attendre sans agir. Cela pourrait prendre la forme d'une troisième intifada, d'une guerre à Gaza ou de toute autre forme d'effusion de sang destructrice qui ferait des milliers de victimes de part et d'autre.

C'est pourquoi il est important pour moi de lancer un appel à tous les chers manifestants. Le mouvement de protestation ne peut pas continuer à ignorer l'occupation. Après tout, la raison sous-jacente de la tentative de briser le système judiciaire, la société civile et les frontières démocratiques est de donner au fascisme les coudées franches dans les territoires, afin d'y perpétrer des crimes horribles sans aucune interférence.


"Démocratie pour tous" : manifestation du Bloc anti-occupation en mai. Photo : Fadi Amub : Fadi Amub

Dans un sens plus profond, l'occupation est le cordon ombilical du fascisme israélien. Partout ailleurs dans le monde, le fascisme se développe soit au sein du grand capital, soit dans les rangs des généraux de l'armée, mais ici, tant les généraux que le grand capital s'opposent à la refonte du système de gouvernement. Ici, la source du fascisme est l'occupation et les colonies, d'où viennent Itamar Ben-Gvir, Bezalel Smotrich et Simcha Rothman, et où se trouve leur principal soutien.

Par conséquent, la demande de mettre fin à l'occupation doit faire partie intégrante de la protestation, en partant du principe qu'il n'y a pas de démocratie en même temps qu'une occupation, et que l'occupation a besoin d'une révision judiciaire pour alimenter ce cycle qui se perpétue de lui-même.

Cette semaine marquera le 56e  anniversaire du début de l'occupation. Ce qui a commencé comme la mal nommée guerre des six jours s'est transformé en une guerre de 56 ans. Pour marquer cet événement, nous avons décidé d'organiser samedi une marche qui est partie de la rue Dizengoff pour rejoindre ensuite la grande manifestation de la rue Kaplan. Cette marche n'avait qu'une seule exigence : demander la fin de l'occupation et la paix sur la base de deux États pour deux peuples.

J'espère du fond du cœur que beaucoup jugeront bon de se joindre à cette cause : Juifs et Arabes, tous ceux qui ont encore de l'espoir, mais aussi ceux qui ressentent un profond désespoir, qui verront peut-être qu'en marchant avec nous, ils ne sont pas seuls. Peut-être y trouveront-ils un peu d'espoir dans cette période sombre. Nous avons le devoir de brandir ensemble la bannière de la paix, sinon la bannière noire de l'occupation continuera de flotter.

Certains diront que ce sont des espoirs vains. Que c'est la réalité et qu'il faut simplement l'accepter. Mais même si beaucoup ont désespéré de la paix, nous devons nous rappeler qu'en 2001 et 2008, nous en avons été très proches. Et que tous les tyrans sont destinés à tomber à la fin, que chaque peuple occupé continuera à se battre pour sa liberté et que la paix vaut tous les efforts. Je suis plein d'espoir qu'après avoir vaincu le désespoir, nous pourrons, ensemble, instaurer la paix.

25/04/2023

JUDY MALTZ
Les manifestants israéliens prodémocratie peinent à gagner à leur cause les juifs usaméricains “déférents” réunis en assemblée générale à Tel-Aviv

Judy Maltz, Haaretz, 24/4/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Malgré les appels passionnés à “nous aider à sauver la démocratie israélienne”, de nombreux délégués de la diaspora - mais pas tous - ont semblé considérer la lutte des manifestants contre la réforme judiciaire comme une affaire interne israélienne.

Des centaines de manifestants devant Expo Tel Aviv dimanche, espérant persuader les délégués de la diaspora des dangers politiques auxquels Israël est actuellement confronté. Photo : Tomer Appelbaum

 À l’intérieur, une étoile de David éblouissante éclairait l’écran qui affichait les mots « Israël fête ses 75 ans. Un passé. Un avenir. Un peuple ».

À l’extérieur, des centaines d’Israéliens manifestaient contre le projet de réforme judiciaire du gouvernement, dont ils craignent qu’il ne porte atteinte à leur démocratie. Leurs tambours et leurs chants étaient clairement audibles à l’intérieur du grand auditorium où étaient assis les délégués juifs du monde entier. Les visiteurs étrangers ont essayé de ne pas laisser le bruit de fond gâcher leurs festivités.

La dissonance entre ce qui se passait à l’intérieur et à l’extérieur du centre des congrès dExpo Tel Aviv dimanche soir résume l’histoire des relations entre Israël et la diaspora ces jours-ci.

Les dirigeants du soulèvement populaire en Israël ne comprennent pas pourquoi leurs frères et sœurs de la diaspora ne se précipitent pas à leur secours et n’adoptent pas une position plus ferme à l’égard du Premier ministre Benjamin Netanyahou et de son gouvernement. Où ailleurs dans le monde qu’en Israël, demandent-ils, tant de Juifs risquent-ils de perdre leur liberté et leurs droits fondamentaux ?

Les visiteurs juifs venus de l’étranger, quant à eux, ne comprennent pas pourquoi les manifestants turbulents attendent d’eux qu’ils prennent parti dans un débat politique interne. Ils se sentent mal à l’aise lorsqu’ils entendent les manifestants qualifier leur gouvernement de “fasciste” et leur premier ministre de “dictateur”. Ces Israéliens naïfs ne comprennent-ils pas, se demandent-ils, qu’ils alimentent l’antisémitisme ?

 

Des manifestants prodémocratie devant Expo Tel Aviv, où se tient l’assemblée générale des Fédérations juives d’Amérique du Nord, dimanche soir. Photo : Tomer Appelbaum

 Les Fédérations juives d’Amérique du Nord* - en partenariat avec les principales organisations sionistes internationales - organisent leur grand rassemblement annuel à Tel-Aviv cette semaine. Ce n’est qu’une fois tous les deux ans que l’assemblée générale se réunit en Israël, et généralement pas à cette période de l’année. Les dates ont été choisies pour coïncider avec le 75e anniversaire d’Israël.

La cacophonie créée par les manifestants a été largement ignorée par les délégués présents à l’intérieur. Il en a été de même pour la grande nouvelle du jour : l’absence de Netanyahou : L’absence de M. Netanyahou. Invoquant des problèmes d’emploi du temps, le cabinet du Premier ministre a informé les organisateurs dimanche matin qu’il ne participerait pas à la conférence.

Les manifestants, qui avaient déjà annoncé leur intention de perturber l’arrivée et l’apparition de Netanyahou à l’AG, ont remporté une grande victoire. C’est la première fois, au cours de ses nombreuses années de service en tant que premier ministre israélien, qu’il manque l’événement. Toutefois, aucun des orateurs présents sur scène ce soir-là n’en a fait mention.

Les perturbations majeures qui ont été évitées dimanche soir en raison de l’annulation surprise de Netanyahou ont éclaté en force le lundi matin. C’est alors qu’un des principaux architectes de la réforme judiciaire est arrivé à Expo Tel Aviv pour participer à l’une des sessions. Simcha Rothman, chef de la commission de la Knesset chargée de préparer la législation très critiquée, avait été invité à participer à une table ronde sur la loi du retour, qui régit l’éligibilité à la citoyenneté en Israël. Chaque fois qu’il la parole, des manifestants dispersés dans la foule sautaient de leur siège et tentaient de couvrir sa voix, le traitant de “dictateur”, de “menteur” et de “fasciste”.

Plusieurs manifestants ont été traînés hors de la salle par la police, se défendant à coups de pied et en criant. Les délégués usaméricains qui ont assisté à ces scènes, jamais vues auparavant lors d’événements des Fédérations, étaient abasourdis.

Des drapeaux usaméricains sont brandis lors de la manifestation en faveur de la démocratie à l’extérieur d’Expo Tel Aviv, dimanche soir. Photo : Tomer Appelbaum

 Une table ronde organisée plus tard dans la journée de lundi était consacrée aux questions de religion et d’État sous le nouveau gouvernement israélien. Chaque déclaration des panélistes attaquant le gouvernement a suscité des applaudissements enthousiastes de la part de la foule. Mais un examen attentif de la salle a montré que presque tous ceux qui applaudissaient étaient des Israéliens. Les USAméricains, pour la plupart, sont restés assis, les mains sur les genoux, déterminés à conserver leur neutralité.

C’est un autre aspect inhabituel de ce rassemblement particulier : le grand nombre d’Israéliens, tant à l’extérieur pour protester qu’à l’intérieur pour participer.

D’ordinaire, les Israéliens ne s’intéressent pas beaucoup, voire pas du tout, aux activités des fédérations juives. Mais avec des milliers d’inscrits à la conférence de cette année à Tel Aviv, les dirigeants du mouvement de protestation anti-Netanyahou ont identifié une occasion en or d’enrôler le monde juif dans leur cause.

Dans le cadre de leurs efforts de mobilisation, les militants ont rencontré les délégués de l’AG dans leurs hôtels au cours du week-end, en essayant de leur expliquer pourquoi ils pensent que la refonte du système judiciaire est dangereuse. Ils ont accompagné des groupes de délégués à la manifestation du samedi soir à Tel Aviv, afin qu’ils puissent ressentir l’énergie de la rue. Ils ont également préparé des affiches et des T-shirts en anglais à leur intention. Une petite brochure que les manifestants ont placée sur chaque siège de la table ronde à laquelle assistait Rothman exhortait les délégués à cesser d’être aussi polis.

Le député Simcha Rothman, l’une des forces motrices des efforts de réforme judiciaire du gouvernement, au début du mois. Son apparition à Expo Tel Aviv lundi a suscité des protestations. Photo : Moti Milrod

 Lors de conversations privées, de nombreux délégués ont exprimé leur scepticisme quant au rôle qu’ils pourraient jouer, si tant est qu’ils en aient un.

« Qu’attendent-ils de nous ? », a demandé une femme active dans de nombreuses grandes organisations juives aux USA. « Veulent-ils que nous demandions à nos représentants de réduire l’aide à Israël ? Veulent-ils que nous arrêtions de donner de l’argent à Israël ? Je veux dire qu’ils ne comprennent pas qu’en s’élevant ainsi contre leur gouvernement, ils font directement le jeu de la gauche anti-israélienne en Amérique ? »

Une autre femme a déclaré : « On nous dit toujours que parce que nous ne vivons pas ici, que nous ne payons pas d’impôts et que nous n’envoyons pas nos enfants à l’armée, nous devrions nous mêler de nos affaires. Soudain, ils veulent que nous nous impliquions ? »

Comme de nombreux délégués, ces femmes n’ont pas souhaité être citées nommément.

Dov Ben-Shimon, directeur de la Fédération juive du Greater MetroWest, New Jersey, a fait exception à la règle. Non seulement il a accepté de s’exprimer publiquement, mais il s’est également retiré de la soirée de gala du dimanche soir pour rencontrer les manifestants à l’extérieur.

« J’ai pensé qu’il était important d’entendre leur douleur, leur amour, leur patriotisme et leur respect, de dialoguer avec eux et d’apprendre d’eux », a déclaré Ben-Shimon, dont la fédération est la plus grande organisation juive du New Jersey et représente des centaines de milliers de juifs.

Lorsqu’on lui a demandé s’il avait appris quelque chose de nouveau de cette rencontre, Ben-Shimon a répondu : « Oui, j’ai appris quelque chose. La façon dont ils abordent avec sensibilité et bon sens, avec compassion et compréhension, l’avenir d’Israël et leur relation avec le judaïsme mondial m’a donné un sentiment d’optimisme. Il était important pour moi d’entendre cela, et le fait que nous ayons pu avoir cette conversation dans le respect a été mémorable et significatif ».

 

Un manifestant devant Expo Tel Aviv transmet un message explicite au Premier ministre Benjamin Netanyahou, qui a manqué un événement de l’AG pour la première fois depuis le début de son mandat. Photo : Tomer Appelbaum

 Alors qu’ils sortaient en masse du centre des congrès dimanche soir, à l’issue du gala d’ouverture, les délégués n’ont pas pu s’empêcher de se confronter aux manifestants, qui se tenaient droit devant eux, derrière une grille fermée à clé. « Aidez-nous à sauver la démocratie israélienne », leur ont-ils demandé.

Le parking, où les bus attendaient pour ramener les délégués à leurs hôtels, se trouvait sur la gauche. Les agents de sécurité ont demandé à ceux qui sortaient du centre de congrès - et leur ont même ordonné - de tourner à gauche pour rejoindre les bus. Mais certains délégués ont défié les gardes, se dirigeant plutôt vers les manifestants. De l’autre côté de la grille, ils ont rejoint les Israéliens dans leurs chants.

La plupart des délégués ont toutefois obéi aux gardes et se sont dirigés vers le parking. Pour les manifestants, qui espéraient que ce serait l’occasion de galvaniser la communauté juive mondiale, ce n’était pas un bon signe.

NdT
* Les Jewish Federations of North America (JFNA), anciennement United Jewish Communities (UJC), sont une organisation parapluie  représentant 146 fédérations juives et 300 communautés juives indépendantes à travers l'Amérique du Nord, qui collectent et distribuent plus de 3 milliards de dollars par an et par le biais de dons planifiés et de programmes de dotation pour soutenir la protection sociale, les services sociaux et les besoins en matière d'éducation. Les JFNA fournissent également des services de collecte de fonds, d'aide à l'organisation, de formation et de direction générale aux fédérations et communautés juives à travers les USA et le Canada.

20/04/2023

Israël : le Grand Magic Circus de la dissonance mémorielle

La fièvre monte en Israël à l’approche de la Journée du Souvenir et de celle dite de l’Indépendance : les partisans d’un sionisme à visage humain menacent de perturber les cérémonies officielles, ce qui donne des sueurs froides aux membres de la coalition au pouvoir, tandis que les organisateur·trices de la Journée conjointe israélo-palestinenne du Souvenir font valoir leur droit à la célébrer. Ce qu’il faut savoir : La Journée du souvenir (Yom HaZikaron LeHalalei Ma’arakhot Yisrael ul’Nifge’ei Pe’ulot HaEivah, Journée de commémoration des soldats tombés pendant les guerres d’Israël et des victimes d’actes de terrorisme) qui tombe le 4 du mois luni-solaire de lyar, aura lieu en cette année 5783 du calendrier hébraïque du lundi 24 avril au coucher du soleil au mardi 25 la nuit venue. Yom Haʿatzmaout, Jour de lIndépendance, célébrant la proclamation de l‘État dIsraël le 14 mai 1948, tombe le 5 lyar. Ci-dessous 3 articles sur les derniers événements du psychodrame collectif qui fracture le camp sioniste. [Fausto Giudice, Tlaxcala]

  Le reality show de la fête de l’indépendance d’Israël

Gideon Levy, Haaretz, 19/4/2023

Depuis que la membre de la Knesset Tally Gotliv* a fait irruption dans nos vies, la ministre Miri Regev** est devenue une sorte d’aristocrate britannique par rapport à son héritière - en termes de manières royales, de retenue, de style, de langue anglaise et de litotes. Mais avec la cérémonie d’allumage des flambeaux, la duchesse de Rosh Ha’ayin s’est réveillée et a recommencé à être Miri Regev. Elle a une idée : Si une protestation éclate pendant la cérémonie, les chaînes de télé diffuseront un enregistrement de la répétition générale.

La ministre des Transports Miri Regev déguisée en statue de la liberté pour la fête de Pourim au début du mois. Photo: David Bachar

C’est certainement une bonne idée. Cela épargnerait au saint public des spectacles désagréables, et ce à la veille du 75e anniversaire de l’indépendance. Qu’ils manifestent sur le mont Herzl, qu’ils crient, qu’ils protestent, qu’ils se déchaînent, nous ne vous en parlerons pas. Et si nous n’en parlons pas, c’est que cela n’a pas eu lieu. Bonne fête de l’indépendance, Israël. Sans le vouloir, Regev a simplement suggéré d’élargir ce qui est déjà le comportement habituel des médias israéliens.

Médiatiser la réalité en omettant la vérité et en la déformant est, après tout, le pain quotidien des chaînes de télévision. Lorsqu’un jeune se bat pour sa maison et sa dignité et qu’il est abattu pour cela, la télévision ne diffuse que la répétition générale, c’est-à-dire les mensonges dont le porte-parole des FDI l’abreuve. Ils ne nous montrent pas la vie sous l’occupation, seulement la répétition. Ainsi, on nous épargne le désagrément de regarder les scènes dures, les protestations ou les souffrances que nous provoquons.

De même, lorsqu’Israël attaque en Syrie ou à Gaza, les chaînes de télévision ne nous montrent que la narration officielle, afin que personne n’ait la moindre idée de ce que nous attaquons, de qui nous tuons et de ce que nous détruisons - et surtout, pourquoi.

Le crime de Mme Regev, porte-parole de Tsahal à la retraite, est d’avoir voulu étendre au Mont Herzl la propagande mensongère dont elle était responsable à l’époque de sa splendeur. Qu’y a-t-il de mal à cela ? En quoi est-ce pire que les autres fausses narrations que l’on nous sert ad nauseam ? Quand exactement nous a-t-on montré la réalité à la télévision, en ce qui concerne l’occupation en particulier, mais aussi en général ? Quand ont-ils organisé une véritable discussion sur quoi que ce soit ?

L’inconcevable ignorance de l’Israélien moyen sur ce qui se passe non loin de chez lui, et peut-être aussi son obtusité, proviennent avant tout des narrations qui lui sont retransmises à la télévision, au lieu des scènes réelles.

Que savez-vous du camp de réfugiés de Jénine ? Et que voulez-vous savoir ? Seulement la narration éculée du “nid de terroristes”. Et que savez-vous de la vie (et parfois de la mort) de centaines de milliers de jeunes Palestiniens, de leurs rêves et de leurs chances ? Seulement ce qu’on vous a dit dans la narration. La télévision israélienne est en grande partie devenue le studio d’enregistrement de Regev : de pures absurdités au lieu d’une réalité douloureuse ; du pain (programmes de cuisine) et des cirques (émissions de téléréalité) au lieu de la vie elle-même. Et surtout, de la propagande au lieu de la vérité. Chaque chaîne a sa propre propagande, et toutes ensemble cachent le problème le plus crucial : l’occupation.

Mais la proposition de la ministre, qui sera probablement mise au rebut par les chevaliers de la vérité des chaînes, a aussi ouvert une fenêtre fascinante sur l’incroyable sainteté des cérémonies nationales israéliennes. On n’avait pas vu depuis longtemps une telle vigilance en prévision de cérémonies creuses. Qui allumera le flambeau ? C’est devenu une question existentielle. Seule la question de savoir qui viendra sur les concessions des cimetières militaires la surpasse en fatalité. Les propositions rivalisent d’absurdité : dicter des discours uniformes à tous les hommes politiques ou interdire l’accès aux cimetières à ceux qui n’ont pas servi dans l’armée. Comme toujours, entre l’important et l’insignifiant, Israël choisit le second.

Il faut le dire : les cérémonies stériles, tout comme les émissions stériles, sont de fausses cérémonies. On peut manifester n’importe où, même dans les cimetières ; tout doit être rapporté, cela aussi. Les âmes sensibles des Israéliens, y compris celles des familles endeuillées, le supporteront, sans médiation ni dissimulation. Le deuil est de toute façon une affaire extrêmement privée. En attendant, une protestation se prépare déjà contre la répétition principale, par sécurité. C’est comme ça que ça se passe dans l’état d’absurdité le plus total.

NdT

*Tally (ou Tali) Gotliv  (Revital Gottlieb), née en 1975 est une avocate sulfureuse et députée du Likoud. Elle a critiqué avec véhémence la décision du gouvernement de geler provisoirement le projet de refonte judiciaire, provoqué par la vague de protestations en cours.

** Miriam “Miri” Siboni, épouse Regev, née en 1965, est ministre des Transports, des infrastructures nationales et de la sécurité routière dans le gouvernement de coalition actuel. Membre du Likoud, elle a été générale de division et porte-parole de l’armée.

“Pour quoi les puissants sont-ils tombés ?”
La semaine prochaine, Israël célèbrera son jour le plus douloureux. Cette année, ce sera très différent

Judy Maltz, Haaretz, 19/4/2023

Des familles endeuillées ont demandé aux ministres du gouvernement de ne pas s’approcher des cimetières militaires lorsqu’Israël célébrera la Journée du souvenir mardi, un appel qui risque de tomber dans l’oreille d’un sourd. Je pense que nous devons nous préparer à des scènes sans précédent", prévient un expert.

Photos : Oded Balilty/ AP / Moti Milrod / ingimage, photoshoppées par Anastasia Shub

Lors de la grande manifestation de samedi dernier à Tel Aviv contre le projet de coup d’État judiciaire du gouvernement, plusieurs dizaines de manifestants s’étaient organisés en une ligne horizontale sur la route principale menant à la scène centrale. Avec une rangée de bougies allumées sur le sol, il était difficile de les manquer.

Une femme tenait une pancarte écrite à la main qui demandait : « Pour quoi les puissants sont-ils tombés ? »

Un autre portait une affiche avec cette douloureuse question : « Mon frère est mort pour un Israël démocratique. Est-il mort en vain ? »

Une vieille photo en noir et blanc d’un jeune soldat était collée sur un morceau de carton brandi par un autre manifestant. Le texte sous la photo disait : « Le sang de mon frère crie sur la terre ».

Les T-shirts noirs portés par les membres du groupe de familles endeuillées réunis
lors des manifestations hebdomadaires comportaient une légère déformation des célèbres mots du grand poète hébreu Haïm Nahman Bialik qui figurent sur de nombreux monuments commémoratifs en Israël. À la place du mot “vie” à la fin du texte, on peut lire : « Dans leur mort, ils nous ont légué la démocratie ».

Jamais auparavant les jours précédant la journée de commémoration des soldats israéliens tombés au combat n’ont été aussi tendus. Les veillées très médiatisées organisées ces dernières semaines par des membres de familles endeuillées, dans le cadre des principales manifestations du samedi soir, ne sont probablement qu’un avant-goût de ce à quoi les Israéliens peuvent s’attendre en ce jour le plus sacré qui soit.

Omri Shabtay, au centre, avec Avivit Gera à sa gauche, tenant une photo de son frère décédé, lors de la manifestation en faveur de la démocratie à Tel Aviv samedi dernier. Photo : Judy Maltz

Perturber les discours

Les cimetières militaires israéliens sont généralement bondés le jour du souvenir (qui tombe cette année le 25 avril). À 11 heures, les sirènes retentissent dans tout le pays, tandis que les Israéliens observent deux minutes de silence. Des représentants du gouvernement s’adressent ensuite aux civils et aux soldats rassemblés autour des pierres tombales.

Des milliers de membres de familles endeuillées ont déjà signé des lettres suppliant les ministres du gouvernement de rompre avec la tradition cette année, par respect pour eux, et de rester à l’écart des cimetières. Ils représentent sans doute la majorité des Israéliens qui s’opposent à la réforme judiciaire du gouvernement et craignent qu’elle ne sonne le glas de la démocratie dans le pays.

Nombreux sont ceux qui ont menacé de perturber les discours, voire pire, si leur demande était rejetée.

Omri Shabtay, dont le père a été tué lors de la guerre du Kippour en 1973, affirme qu’il aurait préféré ne pas se présenter. « Ce sera la première fois que je ne me tiendrai pas sur la tombe de mon père le jour du souvenir », déclare ce professeur d’histoire et d’éducation civique de 53 ans.

Le Jour du Souvenir a toujours été un symbole de consensus dans un Israël de plus en plus divisé. C’est le seul jour de l’année où la plupart des Israéliens sont prêts à mettre leurs différences de côté par respect pour les jeunes hommes et femmes qui ont donné leur vie pour le pays. Alors qu’aux USA, le Memorial Day est connu pour les soldes dans les centres commerciaux et les barbecues dans les jardins, en Israël, c’est un moment de réflexion et de deuil, avec des chansons tristes et des témoignages déchirants entendus tout au long de la journée à la radio.

Ce n’est pas un hasard si ceux qui ont décidé des dates des fêtes nationales israéliennes ont placé le Jour du Souvenir un jour avant le Jour de l’Indépendance. C’était une façon de rappeler aux Israéliens le coût très élevé de leur indépendance.

Le frère cadet d’Orly Eshkar, un pilote, a été tué dans la catastrophe d’hélicoptère de 1997 au cours de laquelle 73 soldats israéliens ont perdu la vie. Elle a l’intention de se rendre sur sa tombe au cimetière militaire et d’assister à la cérémonie, comme elle le fait chaque année. Elle n’a cependant pas encore décidé si elle répondra aux appels à la retenue.

« Personne n’a envie de voir des cris ou des manifestations dans les cimetières, et c’est pourquoi nous supplions les politiciens de ne pas venir », explique cette grand-mère de 65 ans qui travaille dans le secteur de la haute technologie. « Ils nous ont traités d’anarchistes, de terroristes et de traîtres, et nous ont dit d’aller au diable. Mais tant qu’aucun membre du gouvernement n’aura présenté d’excuses pour ces paroles horribles, je pense qu’ils ont perdu le droit de participer à ces cérémonies ».

Avner Ben-Amos, un historien de l’université de Tel-Aviv qui étudie les rituels de commémoration, cite un autre facteur expliquant l’indignation de tant de familles endeuillées cette année. « C’est le premier gouvernement que nous avons avec autant de membres qui n’ont jamais servi dans l’armée », note-t-il, en faisant référence aux membres des partis ultra-orthodoxes et même orthodoxes.

Le ministre d’extrême droite de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir, par exemple, a été exclu de l’armée en raison de son implication dans des activités terroristes lorsqu’il était adolescent. Ben-Gvir, qui dirige le parti Otzma Yehudit, doit s’adresser aux familles rassemblées mardi matin au cimetière militaire de Be’er Sheva, où une confrontation semble presque inévitable.

« Je pense que nous devons nous préparer à des scènes sans précédent dans les cimetières militaires cette année », déclare Ben-Amos.

Le ministre extrémiste Itamar Ben-Gvir s’exprimant lors d’une marche de droite dans l’avant-poste d’Itamar, en Cisjordanie, au début du mois. Photo : Moti Milrod

Mourir en vain

Avivit Gera, qui a perdu son frère aîné lors de la guerre de Kippour, animera mardi matin une cérémonie commémorative alternative organisée par un groupe de familles actives dans le mouvement de protestation. La cérémonie devrait se dérouler, symboliquement, à l’extérieur du bâtiment de Tel Aviv où la déclaration d’indépendance d’Israël a été signée il y a 75 ans.

Samedi soir, aux côtés d’autres membres du groupe de familles endeuillées, Gera a brandi un morceau de carton sur lequel était collée la photo de son frère. Sous la photo, elle avait écrit ces mots : « Ophir Beit-Arie, de mémoire bénie, 20 octobre 1973. Il a donné sa vie pour un Israël démocratique ».

« La perte d’un frère fait mal, mais c’est encore pire à cause de cet horrible gouvernement », déclare cette conservatrice de sites archéologiques et naturels âgée de 64 ans. « J’avais l’habitude de dire que mon frère avait été tué au combat. Aujourd’hui, j’ai presque l’impression qu’il a été assassiné ».

Des membres de la coalition au pouvoir et de l’opposition ont exhorté les manifestants à marquer un temps d’arrêt à l’occasion du Jour du Souvenir, par respect pour les morts. Chili Tropper, un député de l’opposition, a signé avec plus de 100 autres députés une pétition appelant les Israéliens à laisser les controverses politiques qui les divisent en dehors des cimetières militaires.

Miriam Peretz, une conférencière populaire qui a perdu deux fils dans l’armée, a récemment lancé un appel similaire sur sa page Facebook. « Le Jour du Souvenoir est un jour de tristesse, mais aussi un jour de fraternité », a écrit l’ancienne candidate à la présidence. « C’est un jour où je me sens accueillie par la grande famille que j’appelle la nation d’Israël. C’est un jour d’empathie et de partage de notre douleur, un jour où la nation étreint les familles endeuillées et où les amis rendent hommage, même 30 ans plus tard. C’est l’amitié, la fraternité, le ciment de l’unité ».

Cependant, Gera ne voit aucune raison de faire une pause dans les manifestations à l’occasion du Jour du Souvenir.

« Au contraire », dit-elle. « En ce jour sacré, la dernière chose que nous devrions faire, c’est de jouer le jeu des politiciens ».

Boaz Zirkel et sa sœur Maya sont les organisateurs du groupe des familles endeuillées lors des manifestations de Tel Aviv. Leur frère aîné, Yonatan, a été tué lors de la première guerre du Liban.

Boaz, 46 ans, explique que ce qui les a poussés à agir, c’est le sentiment grandissant que leur frère est mort en vain. « Ce gouvernement bafoue les valeurs pour lesquelles mon frère s’est battu » [quelles valeurs exactement ?, NdT], déclare ce père de trois enfants, originaire de Givatayim, dans la banlieue de Tel-Aviv.

Boaz Zirkel, avec la pancarte suspendue autour du cou, à côté d’Omri Shabtay à Tel Aviv samedi soir dernier. La pancarte de Shabtay porte des photographies de son père Arye, tué près du canal de Suez en octobre 1973, et de son oncle Simcha, décédé deux ans plus tôt dans un accident lors d’un entraînement militaire. Photo : Judy Maltz

« Je n’ai plus de frères pour une guerre entre frères », peut-on lire sur la pancarte faite à la main qu’il porte autour du cou.

Sur l’affiche de Shabtay sont collées des photos de son père Arye, tué près du canal de Suez en octobre 1973, et de son oncle Simcha, mort dans un accident d’entraînement militaire deux ans plus tôt. »

« Le Jour du Souvenir est la chose la plus constante de ma vie », déclare Shabtay, qui est le porte-parole du groupe des familles endeuillées. « Chaque année, je me rendais sur la tombe de mon père et lui parlais de tout ce qui m’était arrivé cette année-là. Je lui parlais de mon service militaire, de mes études, de mon mariage et de mes enfants. Ce sera donc étrange de ne pas être là cette année ».

Orit Yaal, historienne du kibboutz Afikim, près de la mer de Galilée, a perdu son frère aîné, Ziv Levin, lors d’une opération militaire au Liban il y a 45 ans. « J’ai toujours pensé que pour construire un pays comme le nôtre, il fallait être prêt à perdre quelque chose », explique cette mère de quatre enfants, âgée de 61 ans. « Mais récemment, j’ai commencé à me demander pour la première fois si cela en valait la peine ».

Son frère est enterré au cimetière du kibboutz, où elle assiste chaque année à la cérémonie du jour du souvenir. Elle prévoit de s’y rendre cette année encore, mais ne sait pas encore si et comment elle exprimera sa forte opposition au gouvernement actuel.

« C’est un exercice d’équilibre très délicat », dit-elle. « D’un côté, je ne veux pas profaner la mémoire de mon frère ou de tout autre soldat tombé au combat. Mais d’un autre côté, je ressens un énorme besoin de crier ».


Quelques-unes des familles endeuillées lors de la manifestation en faveur de la démocratie la semaine dernière. Les tee-shirts portent l’inscription suivante : « Dans leur mort, ils nous ont légué la démocratie ». Photo : Judy Maltz

Les organisateurs de la Journée alternative du Souvenir déposent une requête devant la Haute Cour contre l’exclusion des familles palestiniennes par Israël

Chen Maanit, Haretz, 19/4/2023

Le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, a fondé sa décision sur le fait que l’armée israélienne devrait fermer la Cisjordanie avant le Jour du Souvenir et le Jour de l’Indépendance, le lendemain.

La journée alternative du souvenir : « La cérémonie commémorative conjointe, organisée par Combatants for Peace (CfP) et The Parents Circle Families Forum, est le plus grand événement israélo-palestinien organisé conjointement pour la paix. La Cérémonie commémorative conjointe est une occasion unique pour les Israéliens et les Palestiniens de faire leur deuil ensemble et d’exiger avec force la fin de la violence actuelle. La cérémonie a lieu chaque année depuis 2006, à la veille de Yom Hazikaron (journée commémorative israélienne). Dans la culture israélienne dominante, les cérémonies qui sont le plus souvent organisées en l’honneur de cette journée servent à renforcer les récits culturels de la douleur, de la victimisation et du désespoir. Notre mémorial commun transforme ce récit en amenant les Palestiniens au mémorial aux côtés des Israéliens. En nous unissant pour pleurer la douleur de l’autre, nous voulons remettre en question le statu quo et jeter les bases d’une nouvelle réalité fondée sur le respect mutuel, la dignité et l’égalité pour tous. En pleurant ensemble, nous ne cherchons pas à mettre les récits sur un pied d’égalité, mais plutôt à transformer le désespoir en espoir et à construire des ponts de compassion. Nous nous rappelons à nous-mêmes et à la société que l’occupation, l’oppression et la violence ne sont pas inévitables ». En 2022, 300 000 personnes ont participé à l’événement retransmis en direct et plus d’un million de personnes l’ont regardé en streaming.

Les organisateurs d’une cérémonie commune entre Israéliens et Palestiniens à l’occasion du Jour du souvenir ont saisi la Haute Cour de justice mercredi, contestant la décision du ministre de la Défense d’interdire aux familles palestiniennes d’entrer en Cisjordanie pour assister à la cérémonie.

La pétition, déposée par les familles israélo-palestiniennes endeuillées pour la paix et par les combattants pour la paix, vise à obtenir une ordonnance de justification de la décision, afin que les Palestiniens puissent entrer en Israël sous réserve d’une inspection de sécurité.

C’est la 18e année que la cérémonie commune, prévue la veille du Jour du Souvenir au parc Yarkon de Tel-Aviv, devrait avoir lieu. Des membres de quatre familles endeuillées - israéliennes et palestiniennes - devraient prendre la parole. Ces trois dernières années, l’événement s’est déroulé en ligne, en partie à cause de la pandémie de coronavirus.

Le ministre de la défense, Gallant, a fondé sa décision sur le fait que l’armée israélienne devrait fermer la Cisjordanie avant le Jour du Souvenir et le Jour de l’Indépendance, le lendemain. Le bureau de Gallant a déclaré que dans la situation sécuritaire complexe actuelle en Cisjordanie, il n’est pas possible d’autoriser les Palestiniens à franchir la frontière.

Les années précédentes, les ministres de la défense avaient émis des ordres similaires sans faire d’exception pour les familles palestiniennes désireuses d’assister à la cérémonie.

La pétition, déposée par les avocats Tamir Blank et Adi Lustigman, affirme que la décision de Gallant « ne tient pas compte de l’État de droit et de l’autorité de la Cour suprême » et la qualifie d’ « atteinte flagrante à la liberté d’expression et au tissu fragile de la démocratie dans l’État d’Israël ». Elle qualifie la cérémonie commémorative de « nouvelle expression du deuil des familles qui ont perdu ce qu’elles avaient de plus cher ». Du point de vue des familles, la cérémonie est “une ouverture à l’espoir” qui “remplacerait la haine qui a conduit à la perte”.

La pétition cite la décision de la présidente de la Cour suprême, Esther Hayut, dans l’affaire de 2019, qui a annulé l’ordre du ministre de la Défense et autorisé l’entrée de la plupart des personnes pour lesquelles les organisateurs avaient demandé une autorisation. Esther Hayut a noté que la cérémonie « a un objectif déclaré et un message clair de réconciliation et de paix. Du point de vue [des familles], il apparaît que des personnes se sont rassemblées ici et cherchent, par leur activité, à changer activement la réalité de l’inimitié et à insuffler de l’espoir ».

Combatants for Peace a répondu : « Bien que certains aient présenté Gallant comme un chevalier de la démocratie, nous constatons qu’il poursuit la ligne du gouvernement extrémiste [actuel] et méprise la Cour suprême et la liberté d’expression. Il est regrettable que cette décision intervienne à la veille Jour du Souvenir, une année où tant d’entre nous cherchent à se rassembler autour de la mémoire de tous ceux qui ont subi des pertes, sans l’intervention de politiciens... »