Judy Maltz, Haaretz, 24/4/2023
Traduit
par Fausto
Giudice, Tlaxcala
Malgré les appels passionnés à “nous aider à sauver la démocratie israélienne”, de nombreux délégués de la diaspora - mais pas tous - ont semblé considérer la lutte des manifestants contre la réforme judiciaire comme une affaire interne israélienne.
Des centaines de manifestants devant Expo Tel Aviv dimanche, espérant persuader les délégués de la diaspora des dangers politiques auxquels Israël est actuellement confronté. Photo : Tomer Appelbaum
À l’intérieur, une étoile de David éblouissante éclairait l’écran qui affichait les mots « Israël fête ses 75 ans. Un passé. Un avenir. Un peuple ».
À l’extérieur, des centaines d’Israéliens manifestaient contre le projet de réforme judiciaire du gouvernement, dont ils craignent qu’il ne porte atteinte à leur démocratie. Leurs tambours et leurs chants étaient clairement audibles à l’intérieur du grand auditorium où étaient assis les délégués juifs du monde entier. Les visiteurs étrangers ont essayé de ne pas laisser le bruit de fond gâcher leurs festivités.
La dissonance entre ce qui se passait à l’intérieur et à l’extérieur du centre des congrès d’Expo Tel Aviv dimanche soir résume l’histoire des relations entre Israël et la diaspora ces jours-ci.
Les dirigeants du soulèvement populaire en Israël ne comprennent pas pourquoi leurs frères et sœurs de la diaspora ne se précipitent pas à leur secours et n’adoptent pas une position plus ferme à l’égard du Premier ministre Benjamin Netanyahou et de son gouvernement. Où ailleurs dans le monde qu’en Israël, demandent-ils, tant de Juifs risquent-ils de perdre leur liberté et leurs droits fondamentaux ?
Les visiteurs juifs venus de l’étranger, quant à eux, ne comprennent pas pourquoi les manifestants turbulents attendent d’eux qu’ils prennent parti dans un débat politique interne. Ils se sentent mal à l’aise lorsqu’ils entendent les manifestants qualifier leur gouvernement de “fasciste” et leur premier ministre de “dictateur”. Ces Israéliens naïfs ne comprennent-ils pas, se demandent-ils, qu’ils alimentent l’antisémitisme ?
Des manifestants prodémocratie devant Expo Tel Aviv, où se tient l’assemblée générale des Fédérations juives d’Amérique du Nord, dimanche soir. Photo : Tomer Appelbaum
Les Fédérations juives d’Amérique du Nord* - en partenariat avec les principales organisations sionistes internationales - organisent leur grand rassemblement annuel à Tel-Aviv cette semaine. Ce n’est qu’une fois tous les deux ans que l’assemblée générale se réunit en Israël, et généralement pas à cette période de l’année. Les dates ont été choisies pour coïncider avec le 75e anniversaire d’Israël.
La cacophonie créée par les manifestants a été largement ignorée par les délégués présents à l’intérieur. Il en a été de même pour la grande nouvelle du jour : l’absence de Netanyahou : L’absence de M. Netanyahou. Invoquant des problèmes d’emploi du temps, le cabinet du Premier ministre a informé les organisateurs dimanche matin qu’il ne participerait pas à la conférence.
Les manifestants, qui avaient déjà annoncé leur intention de perturber l’arrivée et l’apparition de Netanyahou à l’AG, ont remporté une grande victoire. C’est la première fois, au cours de ses nombreuses années de service en tant que premier ministre israélien, qu’il manque l’événement. Toutefois, aucun des orateurs présents sur scène ce soir-là n’en a fait mention.
Les perturbations majeures qui ont été évitées dimanche soir en raison de l’annulation surprise de Netanyahou ont éclaté en force le lundi matin. C’est alors qu’un des principaux architectes de la réforme judiciaire est arrivé à Expo Tel Aviv pour participer à l’une des sessions. Simcha Rothman, chef de la commission de la Knesset chargée de préparer la législation très critiquée, avait été invité à participer à une table ronde sur la loi du retour, qui régit l’éligibilité à la citoyenneté en Israël. Chaque fois qu’il la parole, des manifestants dispersés dans la foule sautaient de leur siège et tentaient de couvrir sa voix, le traitant de “dictateur”, de “menteur” et de “fasciste”.
Plusieurs manifestants ont été traînés hors de la salle par la police, se défendant à coups de pied et en criant. Les délégués usaméricains qui ont assisté à ces scènes, jamais vues auparavant lors d’événements des Fédérations, étaient abasourdis.
Une table ronde organisée plus tard dans la journée de lundi était consacrée aux questions de religion et d’État sous le nouveau gouvernement israélien. Chaque déclaration des panélistes attaquant le gouvernement a suscité des applaudissements enthousiastes de la part de la foule. Mais un examen attentif de la salle a montré que presque tous ceux qui applaudissaient étaient des Israéliens. Les USAméricains, pour la plupart, sont restés assis, les mains sur les genoux, déterminés à conserver leur neutralité.
C’est un autre aspect inhabituel de ce rassemblement particulier : le grand nombre d’Israéliens, tant à l’extérieur pour protester qu’à l’intérieur pour participer.
D’ordinaire, les Israéliens ne s’intéressent pas beaucoup, voire pas du tout, aux activités des fédérations juives. Mais avec des milliers d’inscrits à la conférence de cette année à Tel Aviv, les dirigeants du mouvement de protestation anti-Netanyahou ont identifié une occasion en or d’enrôler le monde juif dans leur cause.
Dans le cadre de leurs efforts de mobilisation, les militants ont rencontré les délégués de l’AG dans leurs hôtels au cours du week-end, en essayant de leur expliquer pourquoi ils pensent que la refonte du système judiciaire est dangereuse. Ils ont accompagné des groupes de délégués à la manifestation du samedi soir à Tel Aviv, afin qu’ils puissent ressentir l’énergie de la rue. Ils ont également préparé des affiches et des T-shirts en anglais à leur intention. Une petite brochure que les manifestants ont placée sur chaque siège de la table ronde à laquelle assistait Rothman exhortait les délégués à cesser d’être aussi polis.
Lors de conversations privées, de nombreux délégués ont exprimé leur scepticisme quant au rôle qu’ils pourraient jouer, si tant est qu’ils en aient un.
« Qu’attendent-ils de nous ? », a demandé une femme active dans de nombreuses grandes organisations juives aux USA. « Veulent-ils que nous demandions à nos représentants de réduire l’aide à Israël ? Veulent-ils que nous arrêtions de donner de l’argent à Israël ? Je veux dire qu’ils ne comprennent pas qu’en s’élevant ainsi contre leur gouvernement, ils font directement le jeu de la gauche anti-israélienne en Amérique ? »
Une autre femme a déclaré : « On nous dit toujours que parce que nous ne vivons pas ici, que nous ne payons pas d’impôts et que nous n’envoyons pas nos enfants à l’armée, nous devrions nous mêler de nos affaires. Soudain, ils veulent que nous nous impliquions ? »
Comme de nombreux délégués, ces femmes n’ont pas souhaité être citées nommément.
Dov Ben-Shimon, directeur de la Fédération juive du Greater MetroWest, New Jersey, a fait exception à la règle. Non seulement il a accepté de s’exprimer publiquement, mais il s’est également retiré de la soirée de gala du dimanche soir pour rencontrer les manifestants à l’extérieur.
« J’ai pensé qu’il était important d’entendre leur douleur, leur amour, leur patriotisme et leur respect, de dialoguer avec eux et d’apprendre d’eux », a déclaré Ben-Shimon, dont la fédération est la plus grande organisation juive du New Jersey et représente des centaines de milliers de juifs.
Lorsqu’on lui a demandé s’il avait appris quelque chose de nouveau de cette rencontre, Ben-Shimon a répondu : « Oui, j’ai appris quelque chose. La façon dont ils abordent avec sensibilité et bon sens, avec compassion et compréhension, l’avenir d’Israël et leur relation avec le judaïsme mondial m’a donné un sentiment d’optimisme. Il était important pour moi d’entendre cela, et le fait que nous ayons pu avoir cette conversation dans le respect a été mémorable et significatif ».
Un manifestant devant Expo Tel Aviv transmet un message explicite au Premier ministre Benjamin Netanyahou, qui a manqué un événement de l’AG pour la première fois depuis le début de son mandat. Photo : Tomer Appelbaum
Alors qu’ils sortaient en masse du centre des congrès dimanche soir, à l’issue du gala d’ouverture, les délégués n’ont pas pu s’empêcher de se confronter aux manifestants, qui se tenaient droit devant eux, derrière une grille fermée à clé. « Aidez-nous à sauver la démocratie israélienne », leur ont-ils demandé.
Le parking, où les bus attendaient pour ramener les délégués à leurs hôtels, se trouvait sur la gauche. Les agents de sécurité ont demandé à ceux qui sortaient du centre de congrès - et leur ont même ordonné - de tourner à gauche pour rejoindre les bus. Mais certains délégués ont défié les gardes, se dirigeant plutôt vers les manifestants. De l’autre côté de la grille, ils ont rejoint les Israéliens dans leurs chants.
La plupart des délégués ont toutefois obéi aux gardes et se sont dirigés vers le parking. Pour les manifestants, qui espéraient que ce serait l’occasion de galvaniser la communauté juive mondiale, ce n’était pas un bon signe.
NdT* Les Jewish Federations of North America (JFNA), anciennement United Jewish Communities (UJC), sont une organisation parapluie représentant 146 fédérations juives et 300 communautés juives indépendantes à travers l'Amérique du Nord, qui collectent et distribuent plus de 3 milliards de dollars par an et par le biais de dons planifiés et de programmes de dotation pour soutenir la protection sociale, les services sociaux et les besoins en matière d'éducation. Les JFNA fournissent également des services de collecte de fonds, d'aide à l'organisation, de formation et de direction générale aux fédérations et communautés juives à travers les USA et le Canada.
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