04/04/2023

RUTH MARGALIT
Itamar Ben-Gvir, ministre israélien du Chaos

Ruth Margalit, The New Yorker, 27/2/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Alors que des troubles agitent le pays, une figure controversée de l’extrême droite aide Benjamin Netanyahou à se maintenir au pouvoir.

À la fin de l’année dernière, alors qu’Israël inaugurait le gouvernement le plus à droite de son histoire, une blague désespérante a circulé en ligne. Une image divisée en carrés ressemblant à un captcha - le test conçu pour vous différencier d’un robot - représentait les membres du cabinet du Premier ministre Benjamin Netanyahou. La légende disait : « Sélectionnez les carrés dans lesquels apparaissent les personnes qui ont été inculpées ». La bonne réponse concernait la moitié d’entre eux. C’était le genre de message qui est devenu typique du centre et de la gauche israéliens ces dernières années : sombre, cynique et finalement résigné.

Quelques semaines plus tard, le cabinet Netanyahou a présenté la première étape d’une refonte judiciaire qui affaiblirait la Cour suprême du pays et rendrait le gouvernement largement imperméable au contrôle. Les députés de droite avaient déjà proposé une mesure similaire, mais elle avait été jugée trop radicale. Ce qui a changé, selon les opposants à Netanyahou, c’est qu’il est désormais accusé d’avoir accordé des faveurs politiques à des magnats en échange de cadeaux personnels et d’une couverture médiatique positive, accusations qu’il nie. En supprimant les contraintes qui pèsent sur le pouvoir exécutif, la refonte menaçait de placer Israël dans les rangs de démocraties peu libérales telles que la Hongrie et la Pologne. Dans un discours extraordinairement brutal, la présidente de la Cour suprême du pays, Esther Hayut, l’a qualifiée de “coup fatal” porté aux institutions démocratiques. Depuis lors, des dizaines de milliers de manifestants se sont déversés dans les rues de Tel-Aviv et d’autres villes chaque samedi. La pancarte d’un manifestant résume le sentiment général : « À vendre : Démocratie. Modèle : 1948. Sans freins ».

Netanyahou dirige le Likoud, un parti qui se définit par des idées conservatrices et populistes. Le Likoud a longtemps adopté des positions dures en matière de sécurité nationale, mais ses dirigeants ont toujours vénéré l’État de droit, maintenu l’équilibre des pouvoirs et défendu la liberté d’expression. Netanyahou avait lui aussi l’habitude de courtiser les électeurs centristes, en tentant de convaincre les indécis. Mais l’échec des négociations de paix avec les Palestiniens et la montée en puissance du nationalisme religieux ont eu pour effet de ratatiner la gauche israélienne et de rendre le parti de Netanyahou plus extrémiste. Récemment, un député du Likoud a présenté une proposition qui interdirait à de nombreux hommes politiques palestiniens de se présenter à la Knesset.

Les manifestants avertissent que les titres des journaux israéliens commencent à ressembler à un manuel pour les futures autocraties, avec des ministres apparemment triés sur le volet pour saper les services qu’ils dirigent. Le nouveau ministre de la Justice a l’intention de priver le système judiciaire de son pouvoir. Le ministre des Communications a menacé de défaire le radiodiffuseur public israélien, espérant apparemment canaliser l’argent vers une chaîne favorable à Netanyahou. Le ministre des Affaires de Jérusalem et des Traditions a qualifié les organisations représentant les juifs réformés de “danger actif” pour l’identité juive.

Ben-Gvir a bâti sa carrière sur la provocation. En tant que ministre de la sécurité nationale, il supervisera ce qu’un fonctionnaire appelle une “armée privée”. Illustration de Yonatan Popper

Cependant, personne n’offense les Israéliens libéraux et centristes autant qu’Itamar Ben-Gvir. Entré à la Knesset en 2021, il dirige un parti d’extrême droite appelé Otzma Yehudit, Pouvoir juif. Son modèle et sa source idéologique sont depuis longtemps Meir Kahane, un rabbin de Brooklyn qui s’est installé en Israël en 1971 et qui, au cours d’un seul mandat à la Knesset, a testé les limites morales du pays. Les hommes politiques israéliens s’efforcent de concilier les identités d’Israël en tant qu’État juif et que démocratie. Kahane a affirmé que « l’idée d’un État juif démocratique est absurde ». Selon lui, les tendances démographiques allaient inévitablement faire des non-Juifs d’Israël une majorité, et la solution idéale était donc « le transfert immédiat des Arabes ». Pour Kahane, les Arabes étaient des “chiens” qui “doivent rester tranquilles ou dégager”. Sa rhétorique était si virulente que les députés des deux bords avaient l’habitude de quitter la Knesset lorsqu’il prenait la parole. Son parti, le Kach (Ainsi), a finalement été exclu du parlement en 1988. Pouvoir Juif est une émanation idéologique du Kach ; Ben-Gvir a été l’un des responsables de la jeunesse du Kach et a qualifié Kahane de “saint”.

Âgé de quarante-six ans, il a été condamné pour au moins huit chefs d’accusation, dont le soutien à une organisation terroriste et l’incitation au racisme. Son casier judiciaire est si long que, lorsqu’il comparaissait devant un juge, « nous devions changer l’encre de l’imprimante », m’a dit Dvir Kariv, un ancien fonctionnaire de l’agence de renseignement Shin Bet. En octobre dernier encore, Netanyahou refusait de partager la scène avec lui, ou même d’être vu avec lui sur des photos. Mais une série d’élections décevantes a convaincu Netanyahou de changer d’avis.

Netanyahou a été la figure politique dominante d’Israël pendant une génération, occupant le poste de Premier ministre pendant une période sans précédent de quinze ans. En 2021, cependant, il a été mis à l’écart par une coalition parlementaire qui, pour la première fois, comprenait un parti arabe indépendant. Lors des élections de l’année dernière, Netanyahou est revenu avec ce qu’un juriste a décrit comme “un couteau entre les dents”. Pour s’assurer une coalition gagnante, il a orchestré une alliance entre Pouvoir juif et un autre parti d’extrême droite, Sionisme religieux. L’alliance a fini par remporter la troisième plus grande part des sièges au Parlement, dépassant les attentes de manière si radicale que Netanyahou s’est trouvé confronté à la perspective désagréable de partager le pouvoir avec Ben-Gvir - un homme que l’ancien Premier ministre Ehud Olmert a décrit comme un danger plus imminent pour Israël qu’un Iran doté de l’arme nucléaire. Plutôt que de lui donner une sinécure, Netanyahou l’a nommé ministre de la Sécurité nationale*. En Israël, la gauche en difficulté a cessé de se demander si un personnage aussi clivant que Ben-Gvir pouvait atteindre les plus hauts niveaux de pouvoir. La question est devenue : Peut-on le contenir ?

La salle Heichal David, située près de la gare routière centrale de Jérusalem, accueille des mariages, des bar mitzvahs et, une fois par an, une cérémonie à la mémoire de Kahane. Les organisateurs ont choisi le Heichal David, comme l’a annoncé un jour un maître de cérémonie, parce que c’était « la seule salle de Jérusalem qui n’emploie pas d’Arabes ». En novembre dernier, trente-deux ans après l’assassinat de Kahane par un extrémiste égypto-usaméricain dans un hôtel de Manhattan, une foule agitée s’est rassemblée dans la salle pour commémorer son héritage. Des t-shirts portant le slogan “Kahane avait raison” se vendaient neuf dollars. Les femmes, peu nombreuses, étaient assises à l’écart, derrière un paravent.

Ben-Gvir devait être le premier orateur de la soirée, mais pendant des semaines, la presse a laissé planer le doute sur sa venue, comme s’il s’agissait d’un suspense dans une émission de téléréalité. (Ben-Gvir avait accepté de rejoindre le casting de “Big Brother” en 2019, mais une élection anticipée avait fait capoter le projet). Ben-Gvir a été l’ambassadeur le plus visible de Kach. Lors de son premier rendez-vous avec sa future épouse, ils se sont rendus sur la tombe de Baruch Goldstein, un colon extrémiste qui, en 1994, avait abattu vingt-neuf fidèles musulmans dans le Caveau des Patriarches, un lieu saint pour les musulmans et les juifs à Hébron. Jusqu’à récemment, une photographie de Goldstein était accrochée au mur du salon des Ben-Gvir, dans leur maison de la colonie de Kiryat Arba, à Hébron.

Ben-Gvir a commencé à assister à la cérémonie commémorative de Kahane lorsqu’il était adolescent, et est finalement devenu son hôte. Il avait l’habitude d’appeler les journalistes, leur promettant des provocations - comme un nœud coulant pour menacer un député arabe - pour les inciter à couvrir l’événement. Le mouvement était considéré comme marginal. « On se moquait de sa taille », dit Kariv, l’ancien fonctionnaire du Shin Bet. Depuis, il s’est développé et comprend un parti politique (Pouvoir juif), une branche financière (le Fonds pour sauver le peuple d’Israël) et un groupe militant anti-assimilation (Lehava, ou Flamme). Lors des dernières élections, selon une estimation, un tiers des soldats israéliens ont voté pour Ben-Gvir.

Lorsque Ben-Gvir est entré au gouvernement, il a insisté sur le fait qu’il était devenu plus modéré, assurant à un auditoire qu’il ne pensait plus que “les Arabes devaient être tués”. Deux de ses mentors d’extrême droite ont même rompu avec lui à cause de ce qu’ils considéraient comme des concessions inacceptables. « Itamar a beau tuer huit moustiques, au lieu des deux que ses prédécesseurs ont tués, cela ne suffit pas à assécher le marais », a déclaré Baruch Marzel, qui a été porte-parole du Kach. Un initié m’a dit que le désaccord était réel : Marzel est une figure sombre, un « kahaniste de la première génération ». Ben-Gvir est de la « deuxième génération » et tempère son sectarisme par un sens de l’humour très présent sur Internet. Certains de ses militants portent des t-shirts « Notorious I.B.G. » (dans l’une de ses vidéos sur TikTok, visionnée 1,3 million de fois, il donne un coup de pied dans un ballon de football qui, selon lui, représente des politiciens arabes). « Je m’entraîne à envoyer Odeh, Tibi et Abbas en Syrie », dit-il). Mais cette rupture a également aidé Ben-Gvir sur le plan électoral. Il pouvait désormais affirmer de manière plausible qu’il ne représentait plus l’extrême droite israélienne.

Ben-Gvir est devenu avocat au milieu de la trentaine et a souvent fait preuve d’un talent pour rester dans les limites de la loi. En 2015, il a demandé à ses partisans d’arrêter de crier “Mort aux Arabes” : « Vous devriez dire “Mort aux terroristes”. C’est légal avec un tampon ». Raphael Morris, un militant de la droite dure qui dirige un mouvement appelé “Retour au Mont du Temple”, m’a dit : « J’ai appris de lui comment défier le système sans franchir une ligne rouge. » Kariv dit que Ben-Gvir est « un extrémiste, mais un extrémiste pragmatique. Il sait comment marcher entre les gouttes ».

Avant les élections de 2019, ses conseillers, espérant consolider ce que la presse a décrit comme une nouvelle image d’“homme d’État”, ont exhorté Ben-Gvir à retirer la photo de Goldstein de son mur. « Je lui ai dit que les gens avaient peur de voter pour lui », m’a confié Berale Crombie, son stratège de campagne à l’époque. Ben-Gvir a refusé. « Il avait très peur de perdre sa base », dit Crombie. Après deux tentatives infructueuses pour obtenir un siège à la Knesset, il a finalement cédé : la photo est tombée. « Symboliquement, c’était crucial », dit Crombie, qui reste ami avec Ben-Gvir. En l’espace de deux ans, selon une analyse, le soutien à Ben-Gvir parmi les électeurs est passé d’un trentième de celui au Likoud à un tiers.

Pour obtenir un poste ministériel de haut niveau, Ben-Gvir a dû prendre ses distances avec l’idéologie qui avait fait sa réputation, sans pour autant se détourner de ses fervents adeptes. Lors de la commémoration de Kahane, il a parcouru la salle en souriant. Il a un visage rond, des lunettes à monture métallique et une grande kippa blanche qui se tient souvent de travers. Lorsqu’il est monté sur scène, son sourire s’est effacé et les agents de sécurité l’ont entouré. Il a expliqué au public qu’il devait son identité religieuse au Kach, mais il a également insisté sur la modération : « Ce n’est pas un secret qu’aujourd’hui, je ne suis pas le rabbin Kahane ». Les gens se sont tortillés sur leurs sièges, certains ont commencé à le huer. « Je ne suis pas favorable à l’expulsion de tous les Arabes et je ne ferai pas de lois créant des plages séparées pour les Juifs et les Arabes ». Nouvelles huées. « Mais bien sûr, bien sûr, nous travaillerons à l’expulsion des terroristes du pays » - là, les huées se sont transformées en applaudissements – « pour le caractère de l’État, la colonisation de sa terre et son identité juive ». À la fin du discours, les gens se sont levés et ont pris des photos. Pourtant, ses gardes du corps ont dû le raccompagner à la sortie.

La couverture médiatique du discours s’est concentrée sur les signes de dissidence : « Ben-Gvir hué lors de la commémoration du rabbin kahane ». Pour Ben-Gvir, il s’agissait d’une aubaine : l’accent mis sur les huées représentait un pas vers l’acceptation par le grand public. Mais, comme me l’a dit Rino Zror, un journaliste qui a passé des années à couvrir l’extrême droite, il semblait que l’accent mis sur les huées « venait de lui ». D’autres journalistes ont abondé dans ce sens, notant que MBen-Gvir avait laissé filtrer une version partielle de son discours sur les réseaux sociaux. L’année dernière, un partisan qui s’inquiétait de sa transformation a contacté Almog Cohen, un homme politique de Pouvoir juif. « C’est une ruse », a expliqué Cohen, dans un échange qui a été enregistré. « Tu sais ce que c’est, un cheval de Troie ? »

La plupart des Israéliens ont entendu parler d’Itamar Ben-Gvir pour la première fois à l’automne 1995, une période tendue de l’histoire d’Israël. Alors même que les attentats suicides frappaient avec une fréquence alarmante, le Premier ministre Yitzhak Rabin signait un accord de paix historique avec les dirigeants palestiniens. Mais l’accord concédait des étendues de terres occupées par Israël en Cisjordanie, ce que la droite considérait comme une trahison. Les manifestations deviennent violentes. Le 11 octobre, Ben-Gvir, âgé de 19 ans, apparaît à la télévision, vêtu d’un T-shirt bleu pâle, le bras en écharpe. Il tenait un emblème de Cadillac arraché à la voiture du Premier ministre. « Tout comme nous avons chopé cet emblème, nous pouvons choper Rabin », a-t-il déclaré. Trois semaines plus tard, un étudiant en droit de droite, Yigal Amir, s’est approché de Rabin lors d’une manifestation pour la paix à Tel Aviv et lui a tiré dessus à deux reprises. Rabin est mort peu après.

Sept semaines plus tard, les avocats de la commission d’enquête de l’État ont rendu visite à Amir dans sa cellule et l’ont interrogé sur cette nuit-là. Amir a déclaré que dans le bus pour Tel Aviv, il avait rencontré un militant du Likoud « qui m’a dit qu’Itamar Ben-Gvir voulait tuer Rabin lors de la manifestation » (Ben-Gvir a refusé d’être interviewé pour cet article, mais un assistant a déclaré que ce récit était faux). (Ben-Gvir a refusé d’être interviewé pour cet article, mais un de ses assistants a qualifié ce récit de faux). Amir connaissait Ben-Gvir dans les milieux activistes de droite, mais il a déclaré aux enquêteurs qu’il s’était moqué de l’idée qu’il puisse commettre un meurtre. Ce n’était qu’un enfant, a suggéré Amir, pas un meurtrier mais un provocateur.

Ben-Gvir a grandi à Mevaseret Zion, dans la banlieue de Jérusalem. Lorsqu’il était enfant, il vivait dans un quartier délabré qui était autrefois un camp de transit pour les immigrants juifs du Kurdistan, d’où la famille de sa mère était originaire. Dans les années qui ont précédé la création de l’État israélien, elle avait lutté contre la domination britannique au sein du groupe clandestin connu sous le nom d’Irgoun. Son père, dont la famille était originaire d’Irak, vendait des produits au marché de Jérusalem.

Avec le temps, la famille de Ben-Gvir a déménagé dans un quartier plus huppé de la ville, bordé d’arbres. Ses parents étaient de droite, mais ce n’étaient pas des idéologues ; il a dit qu’ils votaient parfois pour le parti travailliste de gauche. Comme beaucoup de mizrahim, ou juifs séfarades, ils se situaient à mi-chemin entre la laïcité et l’observance. Ben-Gvir était différent. Il est devenu religieux à l’âge de douze ans et s’est radicalisé à quatorze ans, lors de la première Intifada palestinienne. « Les meurtres se succédaient et je suis allé voir ma mère pour lui dire : “Il faut régler ce problème” »", a-t-il raconté l’année dernière dans une interview accordée au site d’information Mako.

Un vendredi, il a demandé à son père de le conduire au centre de Jérusalem, où une manifestation de femmes de gauche se réunissait chaque semaine. Là, il a formé une contre-protestation d’une seule personne. Mais il avait commis une erreur de débutant : les femmes s’habillaient habituellement en noir, et Ben-Gvir portait du noir, si bien qu’il a été obligé d’appeler son père pour qu’il lui trouve une autre chemise. Rapidement, il rencontre Baruch Marzel et un autre agitateur du Kach, qui l’initient au mouvement. « Au début, je pensais qu’ils étaient trop extrémistes pour moi, mais à un moment donné, j’ai réalisé que ce n’était pas ce que les médias décrivaient. »

Ceux qui ont connu Ben-Gvir adolescent se souviennent d’un garçon intelligent, charismatique et au sourire facile. Un camarade de classe a dit qu’il était “un peu marginal”, mais a ajouté, en utilisant un terme qui dénote un comportement agressif, « Il y avait des arsim [voyous m’as-tu-vu séfarades en hébreu israélien, dérivé de l’arabe ars, berger, maquereau, NdT] beaucoup plus effrayants qu’Itamar ». Ben-Gvir a fréquenté un lycée professionnel à Jérusalem, où un ancien professeur se souvient de lui comme d’un gars sérieux et engagé, assis au premier rang, « comme s’il ne voulait pas être dérang »". Son affiliation au Kach était connue à l’école, a ajouté l’enseignant, mais ce n’était pas inhabituel : « La plupart des élèves venaient de familles très à droite ».

L’ambition de Ben-Gvir a fait de lui une exception parmi les kahanistes. « La plupart d’entre eux sont des parasites », dit Kariv. « Ils se lèvent à midi, n’étudient pas et ne travaillent pas. Ben-Gvir a toujours été très motivé ». Avec le temps, il a commencé à recruter d’autres personnes pour les activités du Kach, qui, selon Kariv, se résumaient principalement à des actes de vandalisme : bombages de “Kahane avait raison” et “Arabes dehors” sur des bâtiments à travers Jérusalem, sabotage de chauffe-eau sur les terrasses de familles arabes. Un ancien membre du Kach m’a dit que le recrutement pour l’organisation atteignait son apogée à la suite d’attaques violentes : « Disons qu’il y a un attentat à la bombe et que tu entends quelqu’un crier “Mort aux Arabes”. Tu t’approches et tu lui demandez : “Tu veux nous rejoindre” ». Ehud Olmert, maire de Jérusalem à l’époque, m’a dit : « Ben-Gvir appartenait à un groupe qui a prospéré et s’est épanoui sur le dos des personnes assassinées lors d’attentats terroristes ». Une fois, après un attentat sur le marché de Jérusalem, Olmert visitait les lieux lorsque trois hommes ont commencé à le harceler en criant “Mort aux Arabes !” et “Trouillard !”. L’un d’eux était Ben-Gvir. Olmert dit qu’il s’est retourné et lui a donné un coup de poing au visage.

À seize ans, Ben-Gvir s’est inscrit à la yeshiva de Kahane, la “Yeshiva Idée Juive”, à Jérusalem. (Lorsque j’ai mentionné l’“époque étudiante” de Ben-Gvir à l’ancien membre du Kach, il a ri et a dit : « Ce n’est pas ce genre de yeshiva »). Là, un rabbin nommé Yehuda Kreuzer a transmis les principes du kahanisme : l’idée de coexistence avec la population arabe d’Israël, qui représente 21 % du pays, est, comme le dit Ben-Gvir, du “babillage” (Kahane : « On ne coesxiste pas avec le cancer ») ; que les femmes juives doivent être sauvées des hommes arabes (Kahane : « l’incroyable pollution de la semence sacrée juive ») ; et que la “voie” pour résoudre le conflit israélo-palestinien est un “échange de populations”. En d’autres termes : l’expulsion des Palestiniens du Grand Israël, territoire qui comprend la Cisjordanie et Jérusalem-Est.

Alors que les anciens camarades de classe de Ben-Gvir servaient dans les Forces de défense israéliennes, il est resté à la yeshiva, absorbant des idées extrémistes. L’armée a refusé de l’enrôler. « Il n’y a que très peu de personnes que nous ne recrutons pas », m’a dit un ancien haut fonctionnaire de la défense. Pourquoi pas Ben-Gvir ? ai-je demandé. Le fonctionnaire m’a regardé fixement et a dit : « Donner une arme à quelqu’un comme ça ? ».

En tant que nouveau ministre chargé de superviser les forces de police israéliennes, Ben-Gvir supervise une unité d’opérations spéciales chargée de disperser les émeutes armées. Pour de nombreux Israéliens, cette situation est alarmante. Dans un sondage, 46 % des personnes interrogées l’ont qualifié d’“indigne” d’un poste aussi sensible. Mais les résultats de Ben-Gvir aux élections de l’année dernière ont été suffisamment bons pour que Netanyahou lui accorde un portefeuille élargi, qui comprend une large responsabilité en matière de “sécurité nationale” et l’autorité sur les unités de police aux frontières en Cisjordanie - ce que le ministre de la Défense sortant, Benny Gantz, appelait une “armée privée”.

En 2021, Ben-Gvir est retourné dans son ancienne yeshiva pour la fête de l’indépendance. « Le rabbin Kreuzer avait l’habitude de nous dire, à nous étudiants, qu’un jour nous atteindrions des positions d’influence », a-t-il lancé à une foule d’étudiants. « Pendant des années, ils nous ont délégitimés. Ils nous ont présentés comme une bande de haineux, de délirants, de fous. Ils ont déformé nos positions, menti et triché. Mais lentement, au fil du temps, j’ai vu leur attitude à notre égard changer. C’est peut-être dû aux médias sociaux, que la presse ne pouvait pas ignorer. Soudain, le peuple israélien nous découvre… C’est incroyable, messieurs. Des laïcs, des religieux, du sud et du nord, des Ashkénazes et des Séfarades, des haredim qui étudient et des haredim qui travaillent. Partout où nous sommes allés, nous avons été enveloppés d’amour ».

Pour de nombreux observateurs, l’acceptation croissante de Ben-Gvir et de ses alliés est davantage liée à la montée de l’indignation populiste et à l’affaiblissement de l’aile gauche d’Israël. En 1977, après des années de règne travailliste, le Likoud est arrivé au pouvoir pour la première fois. Son Premier ministre, Menachem Begin, a su concilier un nationalisme ardent et le respect du pouvoir judiciaire, et une génération d’hommes politiques conservateurs a suivi son exemple, y compris Netanyahou, qui a rejoint le Likoud en 1988. Mais Netanyahou n’a pas tardé à tirer parti de l’hostilité croissante à l’égard de ce qu’il appelait “l’élite” : les gauchistes, les juges, les universitaires, la presse. Après l’assassinat de Rabin, l’accord de paix qu’il avait signé s’est effondré. Les colonies juives en Cisjordanie occupée se sont multipliées, de même que les attentats terroristes palestiniens, et un nombre croissant de centristes ont commencé à se rallier à l’argument de la droite selon lequel « il n’y a pas de partenaire pour la paix ». Avec l’essor des médias sociaux, les divisions n’ont fait que s’accentuer, ou du moins sont devenues plus visibles : dans un récent sondage, 22 % des Israéliens ont déclaré “détester” les électeurs de gauche.

Ben-Gvir a commencé sa carrière en attisant ce genre de haine. Jeune kahaniste, il chahutait des acteurs de théâtre connus pour leurs opinions de gauche et distribuait des œufs à lancer aux marcheurs des défilés de la gay pride. Pour Pourim, il se déguisait en Baruch Goldstein, le meurtrier de Hébron. En 2011, il a invité la presse dans une piscine publique de Tel-Aviv, où il est apparu avec quarante travailleurs migrants soudanais. Il leur a acheté des tickets pour entrer dans la piscine et, sous l’œil des caméras, leur a remis des maillots de bain. « Je veux que tous les Tel-Aviviens choyés comprennent que si nous accordons des droits de l’homme aux Soudanais, ils viendront ici », a-t-il déclaré aux journalistes. En riant, il a crié aux migrants en anglais : « Swim ! Nagez ! »

Il a fait preuve d’une franchise surprenante quant à l’objectif de sa propagande. « J’utilise les camps d’été du Kach et les événements commémoratifs de Rabin pour que vous veniez nous interviewer », a-t-il déclaré à une publication israélienne de surveillance des médias en 2004. « L’idéologie elle-même que vous ne couvririez jamais ». Ben-Gvir a passé des années à cultiver les journalistes qui traitent des colonies juives, devenant ce que l’un d’entre eux a décrit comme leur “extrémiste de prédilection”. Il tient un carnet de notes avec un décompte des journalistes et des informations qu’il leur donne. Chaim Levinson, journaliste de longue date à Haaretz, m’a dit : « Lorsque votre rédaction vous presse de trouver un jeune au sommet d’une colline » - surnom donné aux colons les plus endurcis – « vous appelez Itamar ». L’année dernière, lors d’une vague d’attentats meurtriers, Ben-Gvir a bénéficié de plus de temps d’antenne à la télévision que n’importe quel autre membre de la Knesset, à l’exception du Premier ministre.

Ben-Gvir « était toujours conscient qu’il s’agissait d’une sorte de spectacle », dit Mikhael Manekin, un vétéran de l’activisme de gauche. De nombreux libéraux israéliens ont compris qu’il n’était pas un idéologue, ajoute Manekin, mais le fait qu’il puisse plaisanter avec vous ne le rendait pas moins dangereux. Lorsque Manekin emmenait des groupes visiter Hébron, Ben-Gvir se présentait régulièrement pour les confronter. « Il nous jetait des œufs, nous injuriait et nous criait dessus", raconte Manekin. Puis, une fois la visite terminée, il venait me voir en souriant et me demandait : “Alors, quand est-ce que vous revenez ?” ».

En décembre dernier, je me suis rendue en Europe pour rencontrer Gilad Sade, qui a été élevé par Tiran Pollak, le bras droit de Kahane, et qui a été pendant des années l’un des plus proches confidents de Ben-Gvir. Au téléphone, avant notre rencontre, Sade m’a demandé de ne pas révéler sa position exacte. Il ne s’est pas rendu en Israël depuis quatre ans. « Si je mets les pieds à Jérusalem, ils me briseront les os », m’a-t-il dit. « Ils », a-t-il expliqué, ce sont d’anciens membres du Kach qui appartiennent maintenant à d’autres branches, y compris le groupe anti-assimilation Lehava, fondé par Bentzi Gopstein, un kahaniste que Ben-Gvir considère comme un “ami cher”. (Sade et moi nous sommes rencontrés dans un café en sous-sol. Il est arrivé en ressemblant à l’un des milliers d’Israéliens en tour du monde post-service militaire : boucles hirsutes, barbe, vêtements de randonnée, une boucle d’oreille raffinée. Il n’y avait aucune indication de son ancienne vie - la grande kippa tricotée et les longues papillotes qui caractérisent les colons de Cisjordanie.

J’ai demandé à Sade depuis combien de temps il connaissait Ben-Gvir, qui a dix ans de plus que lui. « Depuis toujours », a-t-il répondu. « Il était comme un grand frère pour moi ». Ben-Gvir était aussi son patron. Il avait l’habitude de payer Sade et d’autres adolescents environ soixante dollars pour une nuit entière passée à bomber des slogans. Sade a déclaré qu’il encourageait également des “activités” extrascolaires telles que crever des pneus de voiture et briser des pare-brise.(Ben-Gvir nie ça). La plupart des actions se déroulaient dans les quartiers arabes de Jérusalem-Est et d’Hébron, mais il arrivait que les garçons louent une voiture et se rendent d’une ville à l’autre pour se livrer à des actes de vandalisme. Sade m’a fait écouter un enregistrement dans lequel un homme qui reste proche de Ben-Gvir confirme que ce dernier l’avait également payé pour des graffitis lorsqu’il était adolescent. « Lorsque nous parlions d’argent, Itamar avait l’habitude de dire que tout ce qu’il avait obtenu en échange de son travail pour Bentzi était un shawarma », plaisante l’homme. (Je tais son nom car il était mineur à l’époque).

Sade m’a raconté que, peu après sa bar mitzvah, Ben-Gvir l’a envoyé taguer des graffitis du Kach à un carrefour central de Jérusalem. Il a été arrêté et conduit dans une salle d’interrogatoire de la police au centre-ville. Mais lorsqu’il a donné son nom à l’interrogateur, on lui a dit : « Il n’y a pas de Gilad Pollak dans le système ». L’interrogateur a pensé qu’il n’était pas coopératif et a commencé à le battre. C’est alors que Sade a appris que Pollak n’était pas son nom de naissance. Il avait été adopté : son père biologique était palestinien. Il découvrit plus tard qu’une vidéo de collecte de fonds avait circulé au sein du mouvement Kach, le montrant à l’âge de trois ans, dans les bras du rabbin Kahane. Dans cette vidéo, Kahane déclare à un donateurus américain : « Rien ne peut mieux prouver l’importance de ce que nous faisons que ce petit garçon. Il aurait pu être en train de jeter des pierres sur les Juifs si nous ne l’avions pas enlevé, lui et sa mère, d’un village arabe ». On voit ensuite le donateur, un archéologue biblique nommé Vendyl Jones, remettre un chèque à Kahane. Ben-Gvir a montré la vidéo lors de la commémoration annuelle de Kahane en 2017.

La nouvelle des origines de Sade l’a encore plus radicalisé et il a abandonné l’école après la neuvième année. « Soudain, tu as vingt dossiers de police pour des graffitis, vingt dossiers de police pour des destructions de biens », dit-il. Ben-Gvir, ajoute-t-il, a profité de son zèle.

En 2001, le Hezbollah a déclaré qu’il disposait d’une vidéo documentant la capture par des militants de trois soldats israéliens un an plus tôt. Les Nations unies disposaient également d’une vidéo relative à l’enlèvement, mais elles ont d’abord refusé d’en remettre une version non éditée à Israël. De nombreux membres de la droite israélienne étaient furieux. Une nuit de cet été-là, selon Sade, Ben-Gvir lui a dit de se procurer un masque de ski, puis l’a conduit à une base de l’ONU à Jérusalem-Est. Ben-Gvir l’a déposé au coin de la rue et lui a tendu une pince coupante, lui indiquant où il pourrait franchir la clôture sans se faire prendre. « Il m’a envoyé faire irruption dans une base de l’ONU à Jérusalem et détruire leurs voitures », m’a raconté Sade. « J’avais quatorze ans, putain ! J’aurais pu être tué ! » (Un assistant de Ben-Gvir a déclaré que Sade avait inventé ce récit par animosité personnelle). À l’intérieur de l’enceinte, Sade raconte qu’il a crevé les pneus de toutes les voitures qu’il a pu trouver et qu’il a peint des slogans à la bombe : “L’ONU dehors” et “Kahane avait raison”. Lorsqu’il est sorti, il a trouvé Ben-Gvir qui l’attendait dans sa voiture déglinguée, avec de la musique hassidique diffusée par les haut-parleurs. « Nu, nu, nu ? » a-t-il demandé à Sade, gonflé à bloc.

Kariv, l’ancien responsable du Shin Bet, n’a pas pu confirmer l’effraction, mais a déclaré qu’il s’agissait d’un “Itamar classique”. Les kahanistes se tenaient à distance pendant que des mineurs faisaient le sale boulot. Ils « étaient tout à fait conscients que pour nous, interroger un mineur est beaucoup plus compliqué », explique-t-il. Pourtant, Kariv semble presque charmé par son ancienne cible. « J’apprécie vraiment d’où il vient, à quel point il a travaillé dur et où il va », dit-il. Ce n’est pas la seule fois que j’ai été confronté à cette dissonance : les personnes qui parlaient du racisme manifeste de Ben-Gvir étaient tout aussi enthousiastes à parler de son charisme, de sa gentillesse et de son éthique de travail. (Des années plus tard, Kariv a rencontré Ben-Gvir dans un studio de télévision et l’a félicité pour la naissance de son enfant. Ben-Gvir a été surpris. « Vous, les shabakniks, vous savez tout », a-t-il dit, utilisant un terme courant pour désigner les agents du Shin Bet. Kariv lui a montré son bras, où se trouvait un bracelet de la maternité. Les deux hommes ont ri.)

Sade craint que l’affabilité superficielle de Ben-Gvir n’ait détourné de nombreux Israéliens du danger qu’il représente : « D’après ce que je sais d’Itamar et du kahanisme, l’objectif est très simple : il s’agit de semer le chaos ».

Sade, qui a quitté Kach il y a plus de dix ans, travaille aujourd’hui comme reporter dans des pays comme l’Ukraine et le Kosovo, rédigeant des articles pour la radio israélienne et pour des sites d’information internationaux. En 2014, il a découvert des informations surprenantes. Alors qu’il apparaissait dans un film sur sa vie, “Best Unkept Secret”, il a appris de sa mère que l’histoire de sa naissance présentée dans la vidéo de collecte de fonds était un bobard. Le père de Sade n’était pas palestinien, lui a-t-elle dit. Elle n’a jamais été “sauvée” d’un village arabe. Elle était une jeune mère célibataire issue d’un foyer traditionnel, et sa mère l’avait poussée à chercher de l’aide auprès du mouvement Kach. Une fois sur place, elle a été incitée à réaliser une vidéo promotionnelle vantant les mérites du mouvement. « Ils l’ont exploitée, et ils m’ont exploité », dit Sade. « En plus d’être dangereux, ces gens sont sophistiqués. Ils ont appris à ne pas se salir les mains tout en laissant de la terre brûlée sous les pieds des autres ».

Deux semaines après les récentes élections, l’épouse de Netanyahou, Sara, a invité les épouses des nouveaux dirigeants de la coalition (tous des hommes) à un brunch à l’hôtel Waldorf Astoria de Jérusalem. Une photo de l’événement s’est répandue sur les médias sociaux. Les Netanyahou sont laïques, mais les invitées de Sara étaient toutes religieuses et portaient des jupes longues et des cache-cheveux, ce qui en fait un échantillon nettement non représentatif de la société israélienne, dans laquelle les secteurs ultra-orthodoxe et national-religieux représentent environ 30 % de la population. L’image est également devenue virale pour une autre raison : la femme de Ben-Gvir, Ayala, portait un pistolet dans un étui visible par-dessus sa jupe. Ayala, qui a trente-cinq ans, a gazouillé plus tard dans la journée : « [Je] vis à Hébron, je suis mère de six enfants adorables, je circule sur des routes ravagées par le terrorisme, je suis mariée à l’homme le plus menacé du pays, et oui, j’ai un pistolet. Faites avec ».

Selon le Shin Bet, deux choses ont tendance à calmer les extrémistes : la conscription militaire et le mariage. Ben-Gvir a échappé à la conscription et a épousé une personne encore plus radicale que lui. Ben-Gvir a rencontré Ayala Nimrodi vers 2002, alors qu’il avait vingt-six ans et elle quinze. Elle faisait partie de la poignée de jeunes filles du mouvement Kach et en était une fervente adepte. « J’ai vu par hasard un tract de Kahane, je l’ai lu et j’y ai trouvé de nombreuses réponses », a-t-elle raconté au site d’information Ynet. Environ un an après leur rencontre, elle a été arrêtée alors qu’elle occupait un avant-poste illégal à Hébron et, lorsqu’elle a refusé de signer les conditions de sa libération, Ben-Gvir s’est présenté pour l’encourager au tribunal. Ils se sont mariés l’année suivante. Il lui a dit : « Je ne peux pas te promettre des fleurs et des roses, mais des arrestations, des manifs et la presse ». Dans l’interview d’Ynet, publiée un mois après leur mariage, on a demandé à Ayala ce qu’elle prévoyait pour l’année à venir. Elle a répondu : « Je souhaite que, si Dieu le veut, l’année prochaine, la terre d’Israël soit entièrement à nous. Que nous continuions à la conquérir - je veux dire les deux rives du Jourdain et le sud du Liban. Que nous nous débarrassions enfin des Arabes et que nous les expulsions. Que tous ceux qui doivent être condamnés à mort le soient ».

Les Ben-Gvir ont déménagé à Kiryat Arba, où ils ont trouvé une maison à la limite contestée de la colonie : une zone du vieil Hébron qu’Israël a gardée sous contrôle militaire. Quelque huit cents colons juifs y vivent, gardés par plus de six cents soldats, vingt-deux points de contrôle et une clôture de barbelés. Avec un passé marqué par des attaques à l’arme blanche de la part de Palestiniens et des fusillades en voiture le long de l’autoroute voisine, c’est l’un des endroits les plus dangereux de Cisjordanie. Pourtant, lorsque Ben-Gvir fait le tour du quartier en voiture, il garde les fenêtres ouvertes, « pour qu’ils sachent clairement qui est le proprio », a-t-il déclaré un jour à un intervieweur.

Environ deux cent vingt mille Palestiniens vivent à côté, dans une zone d’Hébron contrôlée par l’Autorité palestinienne. Mais dans le quartier de Ben-Gvir, les Palestiniens n’ont pas le droit de conduire sur de nombreuses routes et n’ont même pas le droit de marcher dans les rues désignées comme “stériles”. Lorsque j’ai visité la région récemment, une affiche à l’entrée du Caveau des Patriarches proclamait : « C’est l’heure de Ben-Gvir ». Je marchais avec un militant palestinien nommé Issa Amro lorsqu’un soldat israélien l’a averti de ne pas marcher sur le chemin réservé aux Juifs. Finalement, le soldat m’a autorisé à rejoindre Amro du côté palestinien, qui n’était pas asphalté et jonché d’ordures. Lorsque des gens parlent d’Israël comme d’un État d’apartheid, c’est ce genre d’image qui leur vient à l’esprit. En réalité, Hébron est une exception, même selon les critères de l’occupation israélienne : c’est la seule ville palestinienne dont le centre est occupé par une colonie juive. Les opposants au nouveau gouvernement craignent que Ben-Gvir et d’autres ultranationalistes ne provoquent ce qu’Amro appelle l’“hébronisation” du pays dans son ensemble.

Amro, 42 ans, a toujours vécu à Hébron. Lorsqu’il était enfant, la principale artère de la ville, la rue Al Chouhada, était tellement fréquentée par les commerçants que « mon père devait me tenir le bras lorsque nous traversions ». Aujourd’hui, nos pas résonnent lorsque nous marchons au milieu de la rue. Après le massacre de Goldstein, en 1994, mille deux cents boutiques et stands de marché appartenant à des Palestiniens le long d’ Al Chouhada et des rues voisines ont été fermés, sur ordre militaire. Pendant des semaines, l’air a empesté les fruits et légumes laissés par les marchands. Depuis, c’est la désolation. Selon Amro, les hostilités à l’égard des Palestiniens provenaient auparavant principalement des colons. Mais depuis les dernières élections, les soldats et les policiers israéliens se montrent de plus en plus agressifs. Dix jours avant ma visite, deux soldats ont arrêté un groupe de militants pacifistes israéliens qui visitaient la région. L’un des soldats s’est attaqué à un militant, lui a donné un coup de poing au visage et a pointé son arme à feu contre le dos de l’homme. Amro était présent et a filmé l’incident. L’autre soldat lui a dit : « Ben-Gvir va mettre de l’ordre ici ». « Vous êtes foutus ». (La semaine dernière, un soldat a confronté Amro alors qu’il parlait avec deux journalistes étrangers et lui a ordonné d’effacer une vidéo de leur échange. Lorsque Amro a refusé, le soldat l’a saisi par la gorge, l’a jeté au sol et lui a donné des coups de pied).

En décembre, Ben-Gvir a proposé un projet de loi qui accorderait aux soldats l’immunité contre les poursuites judiciaires. Peu de temps auparavant, il avait brandi un pistolet contre des émeutiers à Jérusalem qui lui lançaient des pierres. Il avait lancé aux soldats présents sur les lieux : « S’ils jettent des pierres, tirez sur eux ».

Netanyahou ne tolère guère les députés considérés comme insuffisamment loyaux, mais Ben-Gvir le traite avec déférence. « Ben-Gvir l’admire vraiment », m’a dit Crombie, l’ancien stratège de la campagne. L’été dernier, Netanyahou a convoqué des membres de la droite dure à un sommet informel à Césarée, où il vit. Tandis que quatre des enfants de Ben-Gvir s’amusaient dans la piscine, Netanyahou mettait au point les termes d’une alliance entre Ben-Gvir et le leader de Sionisme religieux, un colon du nom de Bezalel Smotrich. Les deux hommes « étaient censés former l’équipe gagnante du camp de la droite de la droite dit Crombie. Smotrich, qui appelle à l’annexion de la Cisjordanie et qui a déjà déclaré que les maternités en Israël devraient être séparées, a attiré des hommes d’affaires ashkénazes portant la kippa dans les banlieues et les colonies. Ben-Gvir a fait appel aux électeurs pratiquants des villes en développement et des villes mixtes d’Israël.

Mais l’alliance n’était que tactique et, peu après l’élection, les deux partis se sont séparés. Le problème, semble-t-il, était lié à l’ego : Smotrich exigeait d’être le leader officiel de l’alliance ; Ben-Gvir se sentait traité avec condescendance. Crombie, qui entretient des relations amicales avec les deux hommes, a déclaré que  Smotrich avait passé des années à se positionner comme la nouvelle élite d’un camp religieux-nationaliste éduqué et sans complaisance, et qu’il « n’a pas compris ce qui lui arrivait » lorsque la popularité de Ben-Gvir a commencé à augmenter. Smotrich représentait le contingent des colons, un bloc électoral très organisé. Selon Crombie, il a eu l’impression que Ben-Gvir l’avait poussé aux marges de la société. (Selon les données de l’Institut israélien de la démocratie, recueillies peu après l’élection, 78 % des électeurs de l’alliance ont déclaré qu’ils préféraient Ben-Gvir à Smotrich. Netanyahou aurait pu penser la même chose. Yossi Verter, chroniqueur à Haaretz, a écrit en novembre que Netanyahou avait moins de soucis à se faire avec Ben-Gvir, le “pyromane”, qu’avec Smotrich, le “mégalomane”. (Un fonctionnaire usaméricain a déclaré que l’administration Biden « ne s’engageait pas » avec Ben-Gvir, espérant que Netanyahou pourrait le gérer).

Dans une émission humoristique populaire, Ben-Gvir est présenté comme un aimable klutz [couillon en yiddish et en anglais US, NdT]. « Avec des extrémistes comme lui, on a deux options », m’a dit Omri Marcus, un ancien scénariste de l’émission, « soit le présenter comme un ours en peluche ou comme un fanatique super effrayant ». La décision était claire : Ben-Gvir était le nounours,  Smotrich, le fanatique. Kariv, qui a suivi les activités des deux hommes au début des années 2000, est globalement d’accord avec cette description. Il a proposé un index des menaces, emprunté à celui du département du Shin Bet chargé du “terrorisme non arabe”, dans lequel des actes tels que l’endommagement de lieux saints et l’organisation d’attaques terroristes contre des Palestiniens se situent au sommet d’une échelle allant de un à dix. Selon cette mesure, dit-il, Ben-Gvir était un trois. Smotrich ? Un sept.

En 2005, après des années d’attaques meurtrières de militants palestiniens à Gaza, le gouvernement d’Ariel Sharon, un Premier ministre par ailleurs faucon, s’est retiré unilatéralement de la bande de Gaza. Pour les colons juifs, qui croient au droit divin d’Israël de régner du Jourdain à la Méditerranée, ce retrait était une calamité. Pourtant, la plupart d’entre eux ont réagi à l’évacuation des colonies avec peu de violence. « Le grand débat entre les rabbins était de savoir s’il fallait se laisser faire comme un sac de pommes de terre ou comme un sac de poissons, en donnant des coups de pied et en se tortillant », dit Kariv. Néanmoins, selon les responsables de la sécurité, une petite cellule de colons endurcis préparait des actes de sédition. Smotrich aurait appartenu à cette cellule.

En août 2005, Kariv a dirigé une opération au cours de laquelle les forces spéciales ont arrêté Smotrich, ainsi que quatre autres suspects, dans une maison près de Petah Tikva. « Ils avaient des jerricanes remplis d’essence et d’huile brûlée provenant des garages voisins », raconte Kariv. Il n’a pas voulu préciser quel était leur plan, mais Yitzhak Ilan, le n° 2 du Shin Bet qui avait supervisé l’interrogatoire de Smotrich, a déclaré en 2019 que le groupe avait l’intention d’incendier des voitures le long de l’autoroute Ayalon de Tel-Aviv à l’heurede pointe et avait stocké pour cela 700 litres de liquide inflammable. (Smotrich, qui a refusé d’être interviewé pour cet article, nie ces allégations ; un porte-parole a déclaré qu’il avait été arrêté pour avoir organisé une manifestation et bloqué des routes, et qu’il avait été libéré sans inculpation. Ilan est décédé en 2020). En fin de compte, le Shin Bet a choisi de ne pas porter l’affaire devant les tribunaux, de peur d’exposer les méthodes de collecte de renseignements de l’agence.

Entre-temps, Ben-Gvir a tenté de rejoindre les colons de Gaza avant l’évacuation. Mais, selon Sade, qui faisait partie de son entourage pour le voyage, les colons considéraient les kahanistes comme des fouteurs de merde et des agitateurs. « Ils nous ont arrosé avec des gicleurs », raconte Sade. Lorsque l’évacuation est devenue imminente, le groupe, composé de Ben-Gvir, de sa femme et de Bentzi Gopstein, s’est emparé d’un hôtel juif abandonné sur la rive gazaouie, qu’il a squatté pendant plusieurs mois. Au bord de la piscine vide, ils ont bombé “Mort aux Arabes”. Au cours des semaines suivantes, ils ont été rejoints par des sympathisants, jusqu’à ce que cent cinquante squatters soient regroupés autour de l’hôtel. Finalement, la police a fait une descente dans le bâtiment, dans le cadre d’une opération tentaculaire à laquelle ont participé six cents agents. Selon Sade, Ben-Gvir et Ayala étaient introuvables. « Ils étaient partis faire du shopping deux heures plus tôt », dit-il. Ce n’était pas la seule fois que Ben-Gvir disparaissait à un moment critique. Selon lui, il est possible que Ben-Gvir ait coopéré avec le Shin Bet et qu’il ait été informé du raid.

Pendant des années, Ben-Gvir a nié les rumeurs de collaboration avec le Shin Bet. Lors d’une session de la Knesset en 1999, concernant les activités des agents du Shin Bet, un député de droite nommé Benny Elon a lu à haute voix un extrait de l’entretien de la commission avec Yigal Amir, l’assassin de Rabin, dans lequel Amir mentionne que Ben-Gvir aurait voulu tuer Rabin lui-même. Elon a demandé à l’État de lui garantir que le Shin Bet ne déployait pas d’ “agents provocateurs”.

Après l’assassinat de Rabin, le Shin Bet a révélé qu’il avait infiltré au moins un agent au sein de l’extrême droite : Avishai Raviv, qui portait le nom de code Champagne. En 2019, l’ancien ministre de la Défense Avigdor Liberman a parlé du parti de Ben-Gvir lors d’une interview à la radio. Liberman, un homme de droite ayant émigré de l’ex-Union soviétique, s’est demandé : « Itamar Ben-Gvir est-il tel qu’il se présente ou une sorte de nouveau Champagne ? » Et de conclure : « Je n’en suis pas du tout sûr ». Ben-Gvir l’a rapidement poursuivi en justice, déclarant : « Si je suis un agent du Shabak, alors Liberman est un agent du KGB ». (Liberman a invoqué l’immunité parlementaire).

J’ai demandé à Kariv si les rumeurs concernant l’implication de Ben-Gvir dans le Shin Bet étaient fondées. « Même officieusement, je ne vous dirais pas si c’est vrai ou non », a-t-il répondu.

J’ai mentionné l’interview radiophonique de Liberman et j’ai remarqué : « C’est ce qu’un ministre de la défense a insinué « .

« Et la femme d’un Premier ministre », a rétorqué Kariv.

En 2020, alors que Naftali Bennett était ministre de la Défense, sa femme, Gilat, a écrit sur Facebook que son domicile avait été cambriolé et a affirmé que des militants de Pouvoir juif en étaient responsables. Ben-Gvir l’a poursuivie en justice pour diffamation. Quatre mois plus tard, elle a publié une déclaration détaillée, dans laquelle elle écrit : « Bien que Ben-Gvir présente un vernis d’extrémiste de droite [...], il a servi pendant de nombreuses années en tant qu’agent du Shin Bet, dans le but de recueillir des informations sur les militants d’extrême droite et de salir le camp de droite par des provocations ». Mme Bennett n’a pas révélé comment elle avait obtenu ces informations. (Un mois plus tard, elle et Ben-Gvir sont parvenus à un accord à l’amiable et elle a présenté des excuses officielles, retirant ses allégations).

En 2015, Ben-Gvir, vêtu de blanc, a assisté à un mariage à Jérusalem pour un jeune couple de son entourage. Après la cérémonie, la musique a retenti et les hommes ont entamé une danse extatique, brandissant non seulement le marié mais aussi des couteaux, des fusils d’assaut et ce qui semblait être un cocktail Molotov, qu’ils se passaient de main en main. L’un des invités a ensuite brandi la photo d’un bébé, tandis qu’un autre l’a poignardée à plusieurs reprises avec un couteau. Le bébé s’appelait Ali Dawabsheh.

Cinq mois plus tôt, dans le village de Douma, en Cisjordanie, des pyromanes juifs avaient incendié une maison palestinienne, brûlant à mort le bébé Ali et ses parents et blessant grièvement son frère de quatre ans. De nombreux participants au mariage étaient amis avec le principal incendiaire, qui a depuis été reconnu coupable de meurtre et condamné à la prison à vie. Ben-Gvir était son avocat. (Bien que l’on puisse voir Ben-Gvir sourire dans une vidéo du mariage, il a maintenu qu’il n’avait pas été témoin de l’exposition des armes ou de la photo du bébé, ce qu’il a qualifié de “connerie”).

Avant que Ben-Gvir n’entre au Parlement, en 2021, il était le principal avocat israélien des terroristes juifs présumés, des colons et de l’extrême droite. « Il était littéralement l’avocat du diable », m’a dit un observateur judiciaire. Il est très inhabituel en Israël qu’un homme ayant fait l’objet d’une cinquantaine d’inculpations puisse pratiquer le droit, et Ben-Gvir n’a obtenu sa licence qu’après une bataille de deux ans avec l’Association du barreau israélien. Yori Geiron, alors président du barreau, faisait partie de ceux qui s’opposaient à ce qu’il soit autorisé à exercer. Geiron m’a dit : « Nous aurions espéré que l’Association du Barreau n’intègre pas dans ses rangs une personne ayant un casier judiciaire, et encore moins une personne qui n’a pas été réhabilitée ».

Pourtant, même les détracteurs de Ben-Gvir reconnaissent qu’il est un plaideur talentueux. Peu de temps après avoir commencé à exercer, il a défendu un colon juif accusé d’avoir attaqué un Palestinien à Hébron. Au tribunal, Ben-Gvir a demandé au principal témoin de l’accusation de confirmer que la personne qui se trouvait dans le box de l’accusé était bien le suspect. Le témoin l’a fait et Ben-Gvir a alors révélé qu’il avait secrètement échangé son client contre un autre homme. Le juge a prononcé un non-lieu.

Au fur et à mesure que sa réputation juridique grandit, Ben-Gvir réussit à s’éloigner du cercle le plus fermé de l’extrémisme. Il n’a cependant pas semblé assouplir ses opinions. « Mon style est différent », aurait-il déclaré en 2016, « mais idéologiquement, je n’ai pas changé ».

« Je ne me souviens pas que Ben-Gvir ait jamais soutenu qu’il était mal de blesser un Palestinien innocent », m’a dit un certain Dov Morell. Morell, qui a vingt-huit ans, était invité au “mariage de la haine”, terme sous lequel l’événement est devenu connu en Israël. C’est lui qui a brandi la photo du bébé Ali. « J’y repense aujourd’hui et je suis horrifié », m’a-t-il dit lorsque je l’ai rencontré récemment sur le campus de l’université de Tel-Aviv, où il est étudiant en droit. Il était facile à repérer au milieu d’une foule de jeunes gens : un homme corpulent avec une barbe rousse et une grande calotte tricotée.

Après la fuite d’images du mariage dans la presse israélienne, en 2015, les parents de Morell l’ont envoyé chez des proches dans le Wisconsin et le New Jersey. C’est là, m’a-t-il dit, qu’il a été exposé à des groupes Facebook libertaires et féministes, et qu’il a lentement fait le point. Il est aujourd’hui actif au sein du parti politique de gauche Meretz. Il a semblé sincère lorsqu’il a tenté de se souvenir de son état d’esprit à l’époque. « L’une de mes idoles était Himmler », m’a dit Morell. « Je sais que c’est choquant. Mais lorsque vous lisez son journal, vous voyez un homme aux prises avec les horreurs commises par les nazis, tout en continuant à croire en la théorie de la race. Je me suis vraiment identifié à cela. Je savais que ce que je faisais était nuisible, mais je pensais que c’était juste ». (Plus tard, Morell a appris que les journaux de Himmler avaient été largement réécrits).

En avril dernier, Morell a été condamné pour incitation au terrorisme, tout comme six autres participants au mariage, dont le marié. Bien qu’il soit désormais “fermement ancré à gauche”, comme il dit, il soutient toujours le mouvement visant à autoriser les Juifs à prier sur le Mont du Temple [Esplanade des Mosquées, NdT] - ce qui leur est actuellement interdit - afin que les Musulmans puissent pratiquer leur culte à la mosquée Al Aqsa, située sur le même site, sans risquer de confrontations violentes. Dans le cadre de son activisme religieux, Morell a fait la connaissance d’Ayala Ben-Gvir. Il l’a décrite, ainsi que Ben-Gvir, comme « des gens extraordinaires qui veulent faire des choses terribles ». Les personnes d’extrême droite ne se considèrent pas comme des extrémistes, dit Morell : « Lorsque l’on croit que le monde a été conçu selon les instructions du fabricant, il faut suivre ces instructions ».

Au printemps 2021, un mois après que Ben-Gvir est entré à la Knesset, ses allégeances en tant qu’homme politique ont été mises à l’épreuve pour la première fois. Dans le quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est, les résidents palestiniens étaient engagés dans une bataille juridique de cinq décennies pour conserver leurs maisons, situées sur des terres revendiquées par les colons. En mai, la Cour suprême d’Israël devait rendre un arrêt décisif. Craignant d’être expulsés, les habitants ont organisé des manifestations nocturnes. Après une semaine d’agitation, Ben-Gvir est arrivé. Il s’est installé un bureau, a planté le drapeau israélien et a accroché une énorme pancarte déclarant que l’endroit était “le bureau du membre de la Knesset Ben-Gvir”. L’objectif, a-t-il dit, était d’assurer la sécurité de la poignée de familles juives qui vivaient là. Au lieu de cela, sa présence a provoqué davantage de violence. Les résidents palestiniens ont lancé des chaises et des pierres ; les résidents juifs ont répondu en retour. Cette nuit-là, Ben-Gvir aurait reçu un appel du bureau  deNetanyahou, l’avertissant : « Si tu ne pas pas, le Hamas pourrait tirer des roquettes sur Israël ».

Netanyahou avait raison. Les affrontements se sont étendus à d’autres parties de la vieille ville, y compris les terrains de la mosquée al-Aqsa, que la police israélienne a ensuite investie. Cette nuit-là, le Hamas a lancé des roquettes sur Jérusalem. Israël a lancé des frappes aériennes dévastatrices sur Gaza. Pour les partisans de Ben-Gvir, ce n’était que le début. Dans des messages sur WhatsApp et Telegram, ils ont encouragé des manifestations violentes dans les villes mixtes d’Israël. L’allié de Ben-Gvir, Gopstein, a écrit : « Bons Juifs, nous organisons une manifestation à Bat Yam sur la promenade à 17 heures ». Cette manifestation s’est soldée par la tentative de lynchage d’un Arabe. Le lendemain, le chef de la police israélienne a fait une déclaration étonnamment directe lors d’une réunion à huis clos : « Le responsable de cette intifada est Itamar Ben-Gvir. . . . La police n’a pas les moyens de s’occuper de lui ».

Le soulèvement a mis en lumière un terme que Ben-Gvir affectionne : meshilut, ou gouvernance. Lors d’interviews, il a parlé des femmes qui avaient peur de marcher dans les rues et s’est insurgé contre l’incendie de fermes juives. Alors que Netanyahou parlait du coût de la vie, Ben-Gvir se concentrait sur les angoisses et les préjugés des Israéliens qui se plaignaient que leurs filles ne pouvaient pas se rendre au centre commercial de peur d’être harcelées. Rapidement, les citoyens préoccupés par les questions d’ordre public ont commencé à le considérer comme une alternative viable à l’establishment. Son soutien s’est même accru dans les kibboutzim d’Israël, longtemps considérés comme des bastions de la gauche. L’effet n’a fait que s’amplifier lorsque les militants palestiniens ont multiplié les assassinats l’année dernière.

La campagne pour la meshilut a fonctionné. Dans un sondage réalisé par le radiodiffuseur public israélien avant les dernières élections, 84 % des électeurs ont déclaré qu’ils n’étaient pas “préoccupés” par les liens entre Ben-Gvir et Kahane. Pour ses critiques de gauche, cependant, la “gouvernance” est un nom de code pour une majorité qui exerce le pouvoir comme elle l’entend. « Son objectif est d’allouer les ressources de la police en fonction d’un indice nationaliste et non d’un indice lié à la criminalité », a écrit Chaim Levinson dans Haaretz. Selon Ben-Gvir, « un Bédouin qui viole une jeune fille est plusieurs fois pire que n’importe quel autre homme qui viole une jeune fille », poursuit Levinson. « C’est toute sa théorie ».

Le personnage de Ben-Gvir, un dur à cuire, a peut-être trouvé le plus d’écho auprès des supporters de son équipe de football, le Beitar Jérusalem. Le Beitar a une longue histoire de racisme et n’a jamais eu de joueur arabe jusqu’en 2013, lorsque l’équipe a fait venir deux joueurs musulmans de Tchétchénie. En réaction, deux hommes qui seraient liés à un club de supporters appelé La Familia ont mis le feu aux bureaux et à la salle des trophées de l’équipe. La Familia peut être difficile à distinguer d’un gang. En 2016, une opération de police sous couverture a conduit à l’arrestation de cinquante-deux membres, soupçonnés de violences aggravées et d’exploitation d’un commerce d’armes.

L’affiliation de Ben-Gvir au club remonte à son adolescence et on le voit souvent porter l’écharpe noire et jaune de l’équipe. Deux semaines après l’élection, il s’est rendu dans un stade de Jérusalem pour assister à un match entre Beitar et Bnei Sakhnin, un club d’une ville arabe du nord. Les rencontres entre les deux équipes ont une histoire si violente que, pendant des années, leurs supporters ont été interdits de se rendre aux matchs à l’extérieur à chaque fois qu’ils s’affrontaient. Ce jour-là, Ahmed Tibi, député arabe, a rejoint les supporters dans les tribunes de Sakhnin. Depuis son siège, il regardait les vidéos TikTok qui défilent sur son téléphone, montrant Ben-Gvir dans la tribune Est, réservée aux Beitaristes purs et durs. Il souriait pour prendre des selfies avec des spectateurs, tandis qu’un chant résonnait dans le stade : « Ahmed Tibi est mort ! ». Tibi est membre de la Knesset depuis vingt-trois ans et en a été le vice-président. En 2021, Ben-Gvir, lors de l’un de ses premiers discours devant le Parlement, a refusé de le saluer par le “monsieur” habituel. Tibi l’a rappelé à l’ordre.

Ben-Gvir lui a crié : « Tu es qui ? Tu es un terroriste ! Ta place est au Parlement syrien, pas ici ! ».

« Malpoli ! Bute ! Sortez-le d’ici ! » a rétorqué Tibi, alors que des agents de sécurité tentaient de faire sortir Ben-Gvir, qui s’accrochait au pupitre.

En janvier, j’ai rencontré Tibi dans son bureau de la Knesset. Il parlait doucement, mais sa voix s’est élevée lorsque le nom de Ben-Gvir a été évoqué. Il l’a qualifié de “manipulateur bon marché”. Il a tenu à préciser que son animosité n’était pas due à des différences religieuses. Tibi a ce que l’on appelle dans la politique israélienne une “alliance minoritaire” avec les députés ultra-orthodoxes. Il est courant de voir des rivaux politiques à la Knesset échanger un mot amical à la cafétéria ou dans les couloirs. Mais avec Ben-Gvir, a déclaré Tibi, « il y a une véritable haine ».

Le parti de Tibi faisait partie d’une alliance qui était dans l’opposition lors du dernier gouvernement, connu sous le nom de coalition du “changement”. Son alliance a contribué à précipiter la dissolution du gouvernement et, par extension, à accélérer le retour de Netanyahou. J’ai demandé à Tibi s’il se sentait en partie responsable des derniers résultats électoraux. Il a balayé la question d’un revers de main. « Plus de Palestiniens ont été tués sous le gouvernement du “changement” que sous le gouvernement précédent", a-t-il déclaré. Pour Tibi, deux questions sont désormais d’une importance capitale. La première concerne les récentes tentatives de Ben-Gvir d’aggraver les conditions des Palestiniens détenus dans les prisons israéliennes. La seconde est le statut de la mosquée AlAqsa. En 2000, Ariel Sharon, en tant que chef de l’opposition, est entré dans l’enceinte sacrée, contribuant à déclencher la deuxième intifada palestinienne. Tibi craint qu’une troisième intifada ne soit pas loin. Si le nouveau gouvernement tente de modifier les fragiles accords de sécurité qui régissent le site depuis 1967, Tibi a prévenu que « cela pourrait mettre le feu aux poudres dans la région ».

Le nouveau gouvernement israélien a prêté serment dans un contexte d’escalade de la violence, une série d’attaques menées par des Palestiniens ayant entraîné des raids militaires israéliens dans toute la Cisjordanie occupée. Les raids se sont poursuivis jusqu’au Nouvel An, lorsque les forces israéliennes ont tué neuf Palestiniens, que l’armée a qualifiés de militants, ainsi qu’une femme âgée dans le camp de réfugiés de Jénine. Almog Cohen, le député de Pouvoir juif, a touité un émoji de biceps fléchi et une note d’encouragement : « Continuez à les tuer ».

Peu après, un Palestinien a abattu sept Israéliens juifs à l’extérieur d’une synagogue à Jérusalem, avant d’être tué par la police. Ben-Gvir, qui venait d’être nommé ministre de la Sécurité nationale, est arrivé sur les lieux ce soir-là, vêtu d’une chemise blanche et d’un blazer. « Nous avons voté pour toi ! », a crié un homme en pleurant. Embrassant les témoins, Ben-Gvir a répété trois fois qu’il avait quitté la “table de Shabbat” de sa famille pour être là. Il semblait vouloir être remercié. Sans ses boucs émissaires habituels - Bennett, les ministres de gauche, Tibi, la presse libérale, l’ONU - il semblait également à court de mots.

Dans les vingt-quatre heures qui ont suivi la fusillade, Ben-Gvir a toutefois désigné un coupable : la procureure générale d’Israël. Il a déclaré aux journalistes qu’elle n’avait pas agi assez rapidement pour autoriser la mise sous scellés du domicile du terroriste, ce que certains responsables de la sécurité considèrent comme un moyen de dissuasion pour d’autres attaquants potentiels. Ayala Ben-Gvir a rédigé un article d’opinion pour un site d’information destiné à la communauté des colons, se plaignant que, tandis que son mari « travaillait plus dur que je ne l’aurais jamais cru possible », les conseillers juridiques du gouvernement « débattaient pour savoir s’il fallait boire du Nespresso ou de l’espresso ».

Le prédécesseur de Ben-Gvir, membre du parti travailliste, s’était efforcé de limiter l’accès aux armes à feu. Ben-Gvir a déclaré qu’il accélérerait l’octroi de permis de port d’armes aux citoyens israéliens. La coalition précédente avait également lancé un programme quinquennal qui allouait environ dix milliards de dollars aux communautés arabes d’Israël, qui avaient été négligées pendant des années par le gouvernement. Le parti de Ben-Gvir a laissé entendre qu’il s’emploierait à supprimer ce programme, affirmant, sans preuve, qu’une “grande partie” de l’argent avait servi à financer le terrorisme et la criminalité. Mais  Ben-Gvir n’a pas proposé grand-chose en matière de politique. Au lieu de cela, il s’est concentré, comme à son habitude, sur les symboles : il a fermé les fours à pita des prisonniers palestiniens (qui fonctionnaient parce que des camionnettes de livraison de pain avaient été utilisées pour faire passer de la contrebande), puis a publié sur TikTok une vidéo de lui en train de savourer un plateau de pita frais. Après la fusillade de la synagogue, il a également ordonné que les prisonniers palestiniens soient placés à l’isolement. En réponse, des militants de Gaza ont tiré des roquettes sur Israël, sur lesquelles étaient inscrits des messages à l’intention des prisonniers.

La refonte du système judiciaire n’a fait qu’accentuer les divisions du pays. Elle donnera notamment à la Knesset la possibilité d’annuler les décisions de la Cour suprême à la majorité simple et permettra au gouvernement de contrôler une commission chargée de nommer les juges. « Le problème, c’est que les majorités politiques débridées font ce qu’elles veulent », dit Adam Shinar, professeur de droit constitutionnel à l’université Reichman. « Et, bien sûr, qui sera la victime ? Probablement les Palestiniens, les femmes en général, les demandeurs d’asile, les citoyens israélo-palestiniens, les LGBTQ, les minorités religieuses, les réformés, les conservateurs ». En d’autres termes, dit  Shinar, il s’agit de groupes qui n’ont pas de lobby à la Knesset et dont le seul recours est le système judiciaire. J’ai remarqué que les libéraux avaient soulevé de telles préoccupations dans le passé et j’ai demandé s’il était possible qu’ils crient au loup. « Ce que les gens oublient dans cette parabole, c’est que le loup finit par arriver », rétorque Shinar.

Les critiques émanent de plus en plus de la droite. L’ancien procureur général de Netanyahou, Avichai Mandelblit, a déclaré dans une interview que la refonte était « la chose la plus dangereuse qui soit ». Un sondage publié par Canal 12 a montré que 62 % des Israéliens voulaient arrêter ou retarder la refonte, tandis que seulement 24 % voulaient qu’elle aille de l’avant. Dans un discours prononcé le 12 février, le président israélien, Isaac Herzog, a lancé un avertissement : « Nous sommes au bord de l’effondrement constitutionnel et social ». Le lendemain, une centaine de milliers de manifestants ont marché sur la Knesset en scandant “Démocratie !” ; À l’intérieur, une commission législative contrôlée par le gouvernement a adopté la première proposition de réforme.

Au milieu de cette agitation, une lettre a récemment atterri sur le bureau de Ben-Gvir. Rédigée par Raphael Morris, militant du Mont du Temple, elle demande à Ben-Gvir d’autoriser les juifs à monter sur le lieu saint à l’occasion de la Pâque et d’y offrir un agneau en sacrifice. Ce rituel, pratiqué dans l’Antiquité, est considéré comme tellement extrême que seules quelques branches du judaïsme l’autorisent. S’adressant à M. Ben-Gvir, la lettre note que « l’importance du rituel vous est bien connue en raison de votre militantisme passé ». Morris m’a dit qu’il n’était pas sûr de la réaction de Ben-Gvir. Dov Morell, qui avait également défendu la question, était catégorique sur le fait que Ben-Gvir, sous la pression de se conformer aux normes gouvernementales, « ne l’autorisera jamais ».

D’autres en Israël partagent ce point de vue. Rino Zror, le journaliste qui couvre l’extrême droite, m’a indiqué un briefing que Ben-Gvir a donné après l’explosion de deux bombes à Jérusalem, tuant une personne et en blessant une vingtaine. En parlant des attentats, Ben-Gvir a fait une distinction entre le “petit Israël” et la “Judée-Samarie”, le terme biblique pour la Cisjordanie. Il s’agissait d’une référence superficielle, mais, selon Zror, le “vieux Ben-Gvir” ne l’aurait pas faite. Certains dirigeants arabes se sont également abstenus de tout jugement. « Peut-être fera-t-il des choses que d’autres n’ont pas faites », a déclaré Fayez Abu Sehiban, maire de Rahat, une ville majoritairement bédouine du Néguev, lors d’une interview télévisée après l’élection.

Depuis le début de son mandat, Ben-Gvir semble surtout se heurter aux limites de son poste. Lors d’une cérémonie de transition organisée le jour de l’an, il a qualifié son prédécesseur de « ministre qui a sans aucun doute le plus échoué ». Le 3 janvier à minuit, il s’est rendu au mikvé, ou bain rituel. Le lendemain matin, à sept heures, entouré de membres de la sécurité et de la police, il s’est rendu à pied sur le Mont du Temple. Sa visite, qui a duré treize minutes, a été rapidement condamnée par le monde arabe, les USA et la Turquie. Le ministère palestinien des Affaires étrangères l’a qualifiée d’“agression flagrante”. Netanyahou lui-même avait lancé un avertissement similaire en 2020, déclarant que toute perturbation du statu quo sur le site pourrait « lâcher un milliard de musulmans sur nous" » Mais Ben-Gvir a maintenu qu’il avait obtenu l’approbation du Premier ministre avant de faire le voyage. Le mont du Temple est “ouvert à tous”, a-t-il déclaré dans une vidéo. « Les musulmans et les chrétiens viennent ici et, oui, les juifs aussi ». Regardant la caméra tout en marchant dans l’enceinte, il a ajouté : « Dans un gouvernement dont je suis membre, il n’y aura pas de discrimination raciste ». 

NdT

*La première décision de Ben-Gvir a été de changer le nom du ministère de ministère de la Sécurité publique (créé en 1948 comme ministère de la Police) en ministère de la Sécurité nationale; un changement de noms qui coûtera entre 2 et 3 millions de shekels [=500 000/767 000€]. Il a aussi obtenu de prendre le contrôle de la police aux frontières, qui dépendait du ministère de la Défense [comme les gendarmeries et carabiniers en Europe] et a un projet de créer une Garde nationale de 1 800 "hommes", qui a reçu le 2 avril le feu vert gouvernemental, en échange de son acceptation du gel provoisre du projet de refonte judiciaire.

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