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07/12/2022

MOHAMMED ABDEL QADER
Farha,un film sur la Nakba, donne des boutons aux ministres israéliens du gouvernement de “changement” sortant

Mohammed Abdel Qader, Haaretz, 6/12/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

L'auteur est étudiant en droit à l'Université Bar-Ilan, à Ramat Gan (Tel Aviv).

Lundi soir, le film jordanien Farha a été projeté au théâtre Alsaraya de Jaffa. Le film contient une scène dans laquelle un nouveau-né est laissé à mourir de faim afin de « ne pas gaspiller une balle sur lui ». En réponse, le gouvernement sortant s'est prononcé contre le film et le cinéma qui l'a projeté, affirmant qu'il ne présente pas les FDI sous un jour positif. Le ministre de la Culture Hili Tropper et le ministre des Finances Avigdor Lieberman ont déjà annoncé qu'ils examineraient la possibilité de révoquer le budget du théâtre.

La productrice Deema Azar et l'acteur Ashraf Barhom présentent Farha lors du festival des Journées du cinéma palestinien, dans la ville de Ramallah, en Cisjordanie, en novembre. Photo : FILM LAB PALESTINE/ REUTERS

Le film n'est pas flatteur pour les FDI, mais la solution n'est pas de le faire taire, mais plutôt de parler sérieusement de ce qui s'est réellement passé pendant la guerre de 1948. Nous devons nous rappeler à quoi ressemblait une guerre « sans la Haute Cour et sans B'Tselem », et avoir une discussion publique de fond sur la guerre et ses victimes, et pas seulement un débat mesquin sur « qui a commencé », comme si la réponse justifiait de faire du mal à des innocents. Mais selon les ministres Tropper et Lieberman, une telle discussion n'est pas nécessaire, et toute personne qui soulève ces questions devrait se voir retirer son financement.

La productrice du film affirme que Farha est une œuvre artistique qui ne prétend pas être un documentaire, et que les critiques à son encontre et à l'encontre du cinéma qui a choisi de le projeter sont donc étranges. Sommes-nous censés accepter l'idée qu'une œuvre culturelle qui ne plaît pas à quelqu'un n'a pas le droit d'exister ? Cette conception est particulièrement troublante car elle est le fruit d'une attitude qui nie les faits et insiste pour dire que la Nakba et le peuple palestinien, ça n’existe pas. La réaction des ministres au film fait écho à l'amendement sur la “loyauté culturelle” que Miri Regev a essayé de promouvoir autrefois, mais alors que l'initiative de Regev s'est immédiatement attirée les foudres des artistes et d'une grande partie des médias, aucune critique de Tropper et Lieberman ne se fait entendre.

Tropper et Lieberman, ministres du gouvernement sortant de “guérison et de changement”, ont essentiellement montré que rien n'a changé et qu'ils souhaitent perpétuer les politiques de Regev et du gouvernement précédent. Ils n'incarnent pas une alternative intellectuelle et idéologique, mais choisissent plutôt d'être une imitation du gouvernement de droite de Netanyahou. Il n'est donc pas surprenant que le public choisisse l'original plutôt que la copie.

La critique du ministre de la Culture n'est pas cohérente avec la position d'unité et de conciliation qu'il est censé soutenir. Par exemple, lors de la remise des Ophir Awards l'année dernière, il a déclaré : « Lorsque les choses sont clarifiées de manière appropriée et respectueuse, c'est bienvenu ». Et aussi : « Pour ma part, j'ai une identité claire. Entre autres choses, elle inclut le fait d'être juif, sioniste et patriote israélien, c'est mon identité. J'en suis heureux, j'en suis fier, mais précisément parce que j'en suis si sûr, je n'ai aucun problème à écouter et à accepter la critique ».

Si vous n'avez aucun problème avec la critique, ministre Tropper, je m'attendrais à ce que vous soyez le premier à faire la queue pour voir le film. Mais vous demandez la suppression du financement sans même l'avoir vu. Ce n'est pas ainsi que l'on exprime une identité sûre.

Je suis allé au théâtre Alsaraya de nombreuses fois. Je peux témoigner de la grande qualité des films qui y sont projetés et du fait que ce cinéma présente une véritable coexistence fondée sur l'égalité intellectuelle et culturelle.

 L'un des films que j'y ai vu était Tantoura, un documentaire sur les crimes de guerre présumés commis par des combattants des FDI dans le village dont le film porte le nom. Ce film n'est pas non plus flatteur pour les FDI, et il a également été projeté à la Cinémathèque de Tel Aviv. Mais, bien sûr, Hili Tropper et Avigdor Lieberman ne sont pas sur le point d'arrêter le financement de la Cinémathèque de Tel Aviv.

Ce qu'ils veulent faire à Alsaraya donnera une base et une légitimité à la politique du gouvernement Netanyahou-Ben-Gvir, qui pourrait effectivement chercher à supprimer le financement de la Cinémathèque. Et alors, avec le recul, nous comprendrons que non seulement la gauche [sic] a perdu dans les urnes, mais qu'elle n'a même pas fait l'effort d'être un acteur sur le terrain.

Lire sur le même sujet

Farha, un film de Darin Sallam : l'histoire de la Palestine à travers le regard d’une adolescente

 NdT

Le film devait être diffusé sur Netflix à partir du 1er décembre 2022, mais il ne l'est pas à ce jour. On peut donc le voir ici :

GIUSEPPE GARIAZZO
Farha, un film de Darin Sallam : l'histoire de la Palestine à travers le regard d’une adolescente

Giuseppe Gariazzo, ilmanifesto, 17/10/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

Se tourner vers le passé pour parler du présent. Revenir sur une année décisive pour la Palestine et se rendre compte que, plus de soixante-dix ans plus tard, rien n'a changé. Placer l'histoire en 1948, lorsque les Britanniques sont partis et que les Israéliens ont commencé la dévastation systématique d'une terre et de ceux qui y avaient vécu jusqu'alors, pour dire que depuis lors, le peuple palestinien continue de souffrir d'une occupation qui semble interminable. 

Dépeindre, à travers le personnage d'une adolescente, la tragédie mais aussi la détermination de toute une population contrainte à l'errance et à l'apatridie (comme le résume Tawfiq Saleh "pour toujours" dans Les Dupes (1972), basé sur le roman Des hommes dans le soleil de l'écrivain palestinien Ghassan Kanafani). 

L'adolescente s'appelle Farha et son nom donne le titre au film de Darin J. Sallam (au Festival du film de Rome), une réalisatrice jordanienne qui fait ses débuts en long métrage avec une œuvre d'une grande maturité, puissante, dense et poignante.

19/11/2021

RAJAA NATOUR
Le problème avec les « histoires palestiniennes » sur Netflix

Rajaa Natour, Haaretz, 17/11/2021

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

                Photo Bar Gordon

Rajaa Natour est une journaliste, poètesse et défenseuse des droits humains palestinienne née dans le village de Qalansawe, dans le Triangle sud de l'actuel District central israélien (Samarie). Elle est titulaire d'une maîtrise en sciences politiques obtenue à l'université de Bradford, au Royaume-Uni. Elle travaille actuellement comme correspondante étrangère aux Pays-Bas pour le quotidien Haaretz. @RajaaNatour

La collection de films que Netflix exhibe fièrement n'a rien de réjouissant : ils se concentrent tous sur la victimisation et l'occupation, au lieu d'oser affronter les problèmes internes des Palestiniens.

Netflix a lancé le 14 octobre la collection "Palestinian Stories", qui comprendra 32 films réalisés par des Palestinien·nes ou racontant des histoires palestiniennes, ce qui a déclenché la colère de divers groupes sionistes opposés au mouvement BDS de boycott d'Israël [NdT]

 

Cet article ne contient ni recommandations de visionnage ni pitié. Netflix a récemment lancé une collection de films palestiniens intitulée "Histoires palestiniennes". Rien ne justifie, ni sur le plan artistique ni sur le plan politique, la frénésie médiatique arabo-palestinienne qui a accompagné sa sortie.


Sur le plan politique,
le lancement ne signale pas nécessairement un changement d'attitude du populaire service de streaming à l'égard des Arabes et des musulmans, dont les représentations sur Netflix sont encore effroyablement stéréotypées. La démarche n'est pas non plus courageuse ni "audacieuse", comme l'a affirmé Ameen Nayfeh, un cinéaste palestinien vivant et travaillant à Ramallah, dans une interview accordée à CNN.

En tant qu'entreprise capitaliste, Netflix a apparemment compris - en particulier après les récents événements survenus dans le quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem -Est et dans des villes mixtes en Israël - que le récit palestinien gagne en popularité au niveau international et devient "sexy". En conséquence, elle a traduit cela en une brillante opération commerciale. En termes de réalisation, il n'y a là rien de nouveau sous le soleil, ni dans la manière dont le cinéma palestinien raconte le récit national, ni en termes de contenu.

 

Une scène de "Giraffada". Crédit : Pyramide International / Netflix

Avant d'aller plus loin, il est important de savoir quel type de films a été sélectionné, quels cinéastes palestiniens ont été honorés par leur inclusion, et quand chaque film est sorti en salle - car ces questions sont essentielles à la discussion.

14/06/2021

200 mètres : le train-train en Palestine occupée


 Rosa Llorens, 14/6/2021

Pour leur réouverture, les cinémas semblent nous avoir préparé une pochette-surprise de feel good movies , dont le fleuron est l’hagiographique L’oubli que nous serons, avec l’inévitable Javier Cámara, spécialiste, avec le don qu’il a de se faire rougir le bout du nez pour exprimer des émotions intenses, du mélo.


 Que pouvait-on attendre de 200 mètres, d’Amine Nayfeh, co-production qataro-italo-suédo-jordanienne ? Mustafa habite chez sa mère, à 200 mètres de sa femme et leurs trois enfants, séparé d’eux par le Mur israélien ; lorsque son fils a un accident et que Mustafa veut aller le voir à l’hôpital, ces 200 mètres deviennent, suivant un schéma maintenant bien établi, une odyssée de 200 km. Qu’apporte cette énième variation sur le système d’apartheid routier israélien et de check-points où les Palestiniens s’entassent comme des poissons pris dans la nasse ?

Dans Paradise now, de 2005, où jouait déjà Ali Suliman, celui-ci menait, sur les chapeaux de roues, une discussion passionnée sur l’emploi de la violence, avec une Palestinienne de la diaspora revenue au pays avec un point de vue occidental. Ici, il a pour co-passagère Anne, une jeune Allemande qui filme plus vite que son ombre, artifice de narration qui ne se prend pas vraiment au sérieux, et qui sert à Nayfeh à se moquer lui-même, et à se justifier, des ficelles éculées qu’il emploie. L’identité d’Anne est longtemps mystérieuse : ne serait-elle pas une espionne israélienne (ici, apparaît la hantise de la manipulation, comme dans Omar, chef-d’œuvre de Hany abu-Assad, de 2013) ? Effectivement, on finit par découvrir qu’elle parle hébreu couramment, et que son père est juif ; son naïf fiancé, Kifah, se met alors en colère et essaie de s’emparer de sa caméra et peut-être de la casser, comme dans Five broken cameras, film que les Israéliens avaient tenté de faire passer pour palestinien (en jouant grossièrement de l’ambiguïté entre le héros à la caméra, palestinien, et celui qui le filmait, qui, lui, est juif) et qui était en fait l’œuvre de la propagande israélienne. Kifah, en faisant des reproches à Anne, parle aussi de ce film : pourquoi veux-tu nous filmer ? pour montrer combien les Palestiniens sont malheureux et que les gentils Israéliens s’occupent de nous ? Five broken cameras avait en effet pour but d’enfermer les Palestiniens dans une attitude victimiste et une stratégie légaliste et judiciaire (filmez les violences israéliennes, réunissez des preuves, adressez-vous aux tribunaux, mais surtout ne sortez pas de la légalité ; pendant ce temps, le Mur et les expropriations de Palestiniens avançaient). 

Mais Mustafa tranche le débat en obligeant Kifah à rendre sa caméra à Anne, confirmant ainsi le statut de fétiche de l’objet et la pertinence de la stratégie qui va avec, et ridiculisant la position que représente Kifah, traité de révolutionnaire à la manque (sa manie d’arracher des drapeaux israéliens n’a d’autre résultat que de retarder Mustafa dans son itinéraire vers l’hôpital). Cela permet même au réalisateur de traiter Kifah de raciste, parce qu’il se met en colère contre une fille qui veut aider les Palestiniens, parce qu’elle est a un père juif. On nous suggère même qu’une Européenne à moitié juive peut mieux aider les Palestiniens que les Palestiniens eux-mêmes, divisés par leurs querelles internes. A ce propos, il y a une curieuse séquence, où des Palestiniens empêchent un jeune co-passager d’escalader le Mur, en criant : « Ce secteur de mur est à nous »...La séquence se termine brutalement par un fondu au noir, et on n’en saura pas plus.


Où nous mène donc le réalisateur ? Quelles perspectives pour la famille de Mustafa et tous les Palestiniens pris au piège du Mur et de toutes les chausse-trapes administratives mises au point par les Israéliens pour leur pourrir la vie ? Le dénouement est stupéfiant de futilité : Mustafa continue à téléphoner tous les soirs pour souhaiter une bonne nuit à ses enfants et à leur envoyer des signaux lumineux ; mais il a trouvé un système d’éclairage avec des ampoules de toutes les couleurs qui ravit la famille ! A quoi bon lutter, quand le bonheur, c’est simple comme une ampoule… Salwa, la femme de Mustafa l’a compris depuis longtemps, elle qui, tranquillement collaborationniste, a sollicité pour son fils un stage d’été dans un club de foot israélien, le Maccabi de Haïfa, et qui reproche à son mari de leur compliquer bêtement la vie par son entêtement à ne pas demander la nationalité israélienne.
 
 
Le site du quotidien tunisien La Presse nous éclaire sur les non-dits du film : 200 mètres « nous fait vivre de façon perceptible les « indignités » terribles de la vie quotidienne des Palestiniens ». C’est-à-dire qu’il sollicite seulement notre compassion : ce film « n’est pas du tout dans le discours de la « Cause ». [...]c’est le cinéma de la « Cause » avec du discours au premier degré sur la « Cause » qui a fait fuir beaucoup de gens devant la « Cause » parce qu’il nous donne une impression de déjà vu ». Difficile de faire mieux dans le sens de la contre-vérité : alors que les grands films engagés d’Elia Suleïman ou Hany abu-Assad étaient de vrais coups de poing, les gentils films victimistes de leurs épigones délavés tournent en rond, accumulant les redites insipides. 
 
Face à son fiancé, Anne se défend en disant : « Je voulais juste comprendre cette merde de situation » : il y a bien longtemps qu’on a compris, et les films qui veulent encore nous éclairer sur les difficultés pratiques des Palestiniens sont parfaitement anachroniques : aujourd’hui, il faut aller plus loin. Certes, ce sont les hasards de la production et de la programmation qui amènent ce film en salle après la nouvelle agression d’Israel contre Gaza, et cette situation nouvelle qu’est la solidarité des Palestiniens au-delà de leurs différences de statut légal, voulues par Israel pour les diviser. 
 
Mais les hasards du calendrier montrent bien que cette histoire familiale entre un Palestinien de Cisjordanie qui refuse de demander la nationalité israélienne et sa femme pourvue de cette nationalité expose une situation trop conforme aux intérêts israéliens et de toute façon dépassée.