Dario Manni et Marco Maurizi, Spazi di Filosofia, n°7/2021, avril 2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Les animaux et la guerre
Les images de réfugiés ukrainiens portant dans leurs
bras des animaux domestiques nous parlent d'une amitié profonde avec les autres
espèces, de la possibilité d'une solidarité prête à risquer sa propre sécurité[
1] . Certes, il s'agit aussi de propagande de guerre - utile pour présenter les
Ukrainiens comme un peuple “bon” et “semblable à nous” par opposition aux
Russes “violents” et “étrangers” - et il ne serait pas déplacé pour une
personne antispéciste de rappeler qu'il s'agit tout de même d'animaux “familiaux”,
une affection qui se construit dans la relation ambiguë entre le chien et son “maître”
; mais il est quand même difficile de ne pas être ému par cette solidarité et
cette affection si exposées à la puissance des bombes.
La guerre est aujourd'hui médiatisée, dans sa
quasi-totalité, et nous ne pouvons pas savoir ce qui se passe sur le terrain
effectivement. Cependant, nous pouvons être sûrs que, peu importe qui gagne et
qui finira par gagner, elle produit des ravages dans lesquels les animaux, pas
moins que les humains, souffrent de manière indicible et meurent sans pitié. La
guerre détruit notre “humanité”, dit-on. Ou bien exprime-t-elle ses contradictions
au plus haut degré ? “Poutine est pire qu'un animal”, s'écrie Luigi Di Maio.
Joe Biden lui fait écho : “Poutine est un boucher”. Tout est normal ?
Lorsque le ministre des Affaires étrangères a prononcé cette phrase honteuse,
nombreux sont ceux qui ont été indignés par cette violation du protocole. Mais
il n'est venu à l'idée de personne de défendre les animaux pour l'horrible juxtaposition
avec un autocrate impérialiste sans scrupules. Nous oublions un phénomène
important qui doit être repensé : seuls les animaux humains font la guerre.
Pourquoi ?
Indépendamment des réponses que l'on peut donner à
cette question, il faut reconnaître que tout discours sur la guerre et la paix
est incomplet et probablement infondé s'il l'élude. Mais avant de tenter d'en
parler, nous pouvons provisoirement clarifier un point. La guerre est la
destruction d'un ordre hiérarchique et oppressif et son remplacement par un
autre qui n'est pas moins violent, pas moins injuste. Ceux qui s'opposent aux
guerres aujourd'hui savent donc qu'il est nécessaire de construire un nouveau
mouvement pacifiste, un nouvel internationalisme, de recommencer à parler de
socialisme et de justice sociale au niveau mondial, car les véritables causes
de la guerre résident dans la nature intrinsèquement conflictuelle de l'ordre
social existant : le capitalisme multipolaire et ses idéologies (le
néolibéralisme occidental, les
souverainismes et nationalismes
des différentes formes de capitalisme autoritaire, le système mixte chinois).
Mais, et cela nous concerne en tant qu'antispécistes, nous avons le devoir de
ne pas oublier cette question. Comment la question des animaux s'inscrit-elle
dans cette perspective ? Pourquoi l'animal humain fait-il la guerre ? Que
deviennent les animaux non humains dans un ordre social qui parvient à mettre
fin au militarisme et à l'injustice mondiale ? Comment une société peut-elle
considérer le mot “boucher” comme une épithète à accoler à juste titre à un
criminel de guerre et, en même temps, comme l'une de ses activités quotidiennes
les plus fondamentales ?