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24/06/2023

ANNAMARIA RIVERA
Dino Frisullo, un militant hors norme

 Annamaria Rivera, 20/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Intervention lors d'une rencontre de commémoration “Vingt ans sans Dino Frisullo”, organisée par l'association Senza Confine (Sans Frontière) à Rome le 20 juin, à l’occasion de la Journée des réfugiés

L'un des nombreux et grands mérites de Dino est d'avoir parfaitement saisi que le sens de la “grande histoire” peut être retracé dans les “petites histoires” de domination, d'oppression, de discrimination d'une population, d'une minorité, d'un groupe, mais aussi dans le malheur et les drames de chacun·e de ses membres, de chaque réfugié·e, de chaque migrant·e, de chaque opprimé·e : la “petite” histoire d'un exilé étouffé dans la cale d'un bateau peut nous en dire plus sur le monde d'aujourd'hui qu'une froide dissertation géopolitique. Donner un sens et une valeur politique générale à ces “petites histoires”, c'est en somme saisir le sens profond du présent et des processus de mondialisation. 


Dino Frisullo (5 juin 1952 - 5 juin 2003)

S’occuper, comme l'a fait Dino, d’ un groupe de migrants bangladais, d’une collectivité de demandeurs d'asile, d’une minorité opprimée comme la minorité kurde, d’un groupe de Rroms déportés, prendre en charge leurs besoins existentiels et pas seulement politiques, lire leurs “petites histoires” comme des indices et des effets prégnants de la “grande histoire” : c'était pour lui la seule façon possible de pratiquer un savoir critique et un engagement social et politique adaptés au présent, et libres de toute politicaillerie et de tout enfumage idéologique.

Sa propension à regarder le monde à travers les yeux des autres était le fruit, rationnel mais aussi émotionnel et sentimental, d'un engagement qui n'avait pas expurgé la pietas et qui se nourrissait de rigueur morale, de sensibilité et de connaissance : un engagement totalisant et radical, généreux jusqu'à l'autodissipation, intransigeant jusqu'à l'obstination : en un mot, toute son existence en tant qu'engagement.

Dino était un militant hors norme, très différent du modèle qui s'était imposé au cours des années 1970 : parce qu'il savait combiner l'obstination, l'entêtement, inflexible et parfois même irritant, auxquels personne ne pouvait échapper (être réveillé au milieu de la nuit par lui qui vous investissait d'un problème urgent était assez courant), avec la douceur et la mansuétude, parce qu'il ne connaissait ni sectarismes ni idéologismes, parce qu'il ne pouvait en aucun cas être enrégimenté par un quelconque comité central, même celui de la plus ouverte des formations politiques de la nouvelle gauche, parce qu'il était irrévérencieux non seulement à l'égard des puissants mais aussi à l'égard de tout pouvoir, même celui d'un leadership de mouvement. Tout cela se combinait avec une sorte de légèreté ironique dans la façon dont il se présentait aux autres : son style était aussi celui d'une séduction et d'une douceur désarmantes, qui réussissaient souvent à arrêter des fleuves et à déplacer des montagnes. 

C'est surtout grâce à lui que nous avons fondé, ensemble et avec beaucoup d'autres, le Réseau antiraciste, une expérience brève et intense de liaison entre les associations antiracistes de toute l'Italie, qui a duré de 1994 à 1997. Une expérience que lui et moi (nous en étions les porte-parole), mais aussi d'autres camarades (mais pas tous, malheureusement) ne cesseront jamais de regretter. Parce qu'il s'agissait d'un antiracisme éclairé et radical, qui anticipait de plusieurs années des analyses, des thèmes et des revendications que certains considèrent aujourd'hui comme inédits : les personnes migrantes et réfugiées en tant que sujets exemplaires de notre époque, le thème de la citoyenneté européenne de résidence, la bataille pour le droit de vote et la civilisation des procédures administratives concernant les étrangers*, la critique des camps d'État.

C'était l'époque du premier “gouvernement ami” et la voix dissonante du Réseau antiraciste allait bientôt être réduite au silence.

Ce que peuvent dire celles et ceux qui l'ont fréquenté et qui ont vécu avec lui des saisons fertiles de lutte, c'est que son absence brille aujourd'hui de manière aussi aveuglante qu'un soleil inexorable qui ne se couche pas, pour paraphraser un poème de Jorge Luis Borges.

Aujourd'hui, devant le flux continu des exodes qui ont pour épilogue la mort en mer de centaines de réfugié·es ou le retour forcé aux tragédies et aux persécutions auxquelles ils·elles ont tenté d'échapper, on se surprend à penser : bien sûr, l'activisme frénétique de Dino ne parviendrait pas à lui seul à vaincre notre faiblesse politique et l'arrogance grossière et féroce des entrepreneurs politiques du racisme.

Mais combien nous manquent et combien nous seraient précieux, précisément à ce stade, ses dix communiqués par jour qui arrivaient dans toutes les rédactions et dans tous les coins d'Italie, son entêtement inflexible et irritant auquel personne ne pouvait échapper, son travail obstiné de vieille taupe qui découvre, met en lumière et dénonce les injustices et les crimes contre les damnés de la terre, sa capacité à opposer des données, des chiffres, des faits au baragouin des experts en xénophobie et en racisme.

NdT
* En Italie, c'est la police qui gère toutes les démarches administratives des étrangers, par exemple concernant l'état-civil, qui, pour les nationaux, est géré par les administrations communales

 

Présentation du livre In cammino con gli ultimi (En marche avec les derniers) le 29 juin à Bari

05/06/2022

ANNAMARIA RIVERA
Dino Frisullo et la noblesse des petites histoires

Annamaria Rivera, 1/6/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

L'un des nombreux grands mérites de Dino Frisullo (1952-2003) est d'avoir parfaitement saisi que le sens de la "grande histoire" se trouve dans les "petites histoires" de domination, d'oppression, de discrimination d'une population, d'une minorité, d'un groupe, mais aussi dans le malheur et les drames de chacun de ses membres, de chaque réfugié, de chaque migrant, de chaque opprimé : l'histoire "mineure" d'un réfugié qui a suffoqué dans la cale d'un navire peut nous en dire plus sur le monde d'aujourd'hui qu'un essai géopolitique froid. Donner un sens et une valeur politique générale à ces "petites histoires", c'est en somme saisir le sens profond du présent et des processus de mondialisation.

S'occuper, comme Dino l'a fait, d'un groupe de migrants bangladais, d'une communauté de demandeurs d'asile, d'une minorité opprimée comme la minorité kurde, d'un groupe de Roms déportés, en assumant leurs besoins existentiels et politiques, en lisant leurs "petites histoires" comme des indications et des effets prégnants de la "grande histoire" : c'était pour lui la seule façon possible de pratiquer une connaissance critique et un engagement social et politique adaptés au présent, et libres de toute politicaillerie et de tout enfumage idéologique.

Sa propension à regarder le monde à travers les yeux des autres était le fruit, rationnel mais aussi émotionnel et sentimental, d'un engagement qui n'avait pas expurgé la pietas et qui se nourrissait de rigueur morale, de sensibilité et de connaissance : un engagement global et radical, généreux jusqu'à l'autodissipation, intransigeant jusqu'à l'obstination ; bref, toute son existence comme engagement.

C'est surtout grâce à lui que nous avons fondé, ensemble et avec beaucoup d'autres, le Réseau antiraciste, une brève et intense expérience de connexion entre les associations antiracistes de toute l'Italie qui a duré de 1994 à 1997. Une expérience que lui et moi (nous en étions les porte-paroles) mais aussi d'autres camarades (mais pas tous, malheureusement) ne cesserons jamais de regretter. Parce qu'il s'agissait d'un antiracisme cultivé et radical, qui anticipait de plusieurs années des analyses, des thèmes et des revendications que certains considèrent aujourd'hui comme inédits : le peuple migrant et réfugié comme sujet exemplaire de notre temps, le thème de la citoyenneté européenne de résidence, la bataille pour le droit de vote et la civilisation des compétences pour le droit au séjour, la critique des camps de concentration d'État.

C’était l'époque du premier "gouvernement ami" et la voix dissonante du réseau antiraciste sera bientôt réduite au silence.

Ce que peuvent dire ceux qui l'ont fréquenté et ont vécu avec lui des saisons de lutte fécondes, c'est que son absence brille aujourd'hui de manière aussi aveuglante qu'un soleil inexorable sans crépuscule, pour paraphraser un poème de Jorge Luis Borges.

Aujourd'hui, face au flot quotidien d'exodes qui ont pour épilogue la mort en mer de centaines de réfugiés ou le retour forcé aux tragédies et aux persécutions auxquelles ils ont tenté d'échapper, nous nous surprenons à penser : bien sûr, l'activisme frénétique de Dino ne parviendrait pas à lui seul à surmonter notre faiblesse politique et l'arrogance grossière et féroce des entrepreneurs politiques du racisme.

Pourtant, combien nous manquent et combien nous seraient précieux, précisément à ce stade, ses dix communiqués par jour qui arrivaient dans toutes les rédactions et dans tous les coins de l'Italie, son entêtement inflexible et irritant auquel personne ne pouvait échapper, son travail obstiné de vieille taupe qui découvre, met en lumière et dénonce les injustices et les crimes contre les damnés de la terre, sa capacité à opposer des données, des chiffres, des faits aux galimatias des spécialistes de la xénophobie et du racisme.

Ce 5 juin, date qui coïncide avec l’anniversaire de sa naissance mais aussi avec celui de sa mort, "Senza Confine" (Sans Frontière), l'association fondée par Dino avec Eugenio Melandri, se souviendra de lui cette année encore, avec un double rendez-vous à Rome : le premier, à 10h30, à l'entrée du cimetière du Verano, Via dello Scalo di San Lorenzo ; le second, à 18h30, dans les jardins de la Piazza Vittorio, pour discuter avec des collectifs, des associations et d'autres groupes sur les thèmes de la paix et des migrations.