05/06/2022

ANNAMARIA RIVERA
Dino Frisullo et la noblesse des petites histoires

Annamaria Rivera, 1/6/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

L'un des nombreux grands mérites de Dino Frisullo (1952-2003) est d'avoir parfaitement saisi que le sens de la "grande histoire" se trouve dans les "petites histoires" de domination, d'oppression, de discrimination d'une population, d'une minorité, d'un groupe, mais aussi dans le malheur et les drames de chacun de ses membres, de chaque réfugié, de chaque migrant, de chaque opprimé : l'histoire "mineure" d'un réfugié qui a suffoqué dans la cale d'un navire peut nous en dire plus sur le monde d'aujourd'hui qu'un essai géopolitique froid. Donner un sens et une valeur politique générale à ces "petites histoires", c'est en somme saisir le sens profond du présent et des processus de mondialisation.

S'occuper, comme Dino l'a fait, d'un groupe de migrants bangladais, d'une communauté de demandeurs d'asile, d'une minorité opprimée comme la minorité kurde, d'un groupe de Roms déportés, en assumant leurs besoins existentiels et politiques, en lisant leurs "petites histoires" comme des indications et des effets prégnants de la "grande histoire" : c'était pour lui la seule façon possible de pratiquer une connaissance critique et un engagement social et politique adaptés au présent, et libres de toute politicaillerie et de tout enfumage idéologique.

Sa propension à regarder le monde à travers les yeux des autres était le fruit, rationnel mais aussi émotionnel et sentimental, d'un engagement qui n'avait pas expurgé la pietas et qui se nourrissait de rigueur morale, de sensibilité et de connaissance : un engagement global et radical, généreux jusqu'à l'autodissipation, intransigeant jusqu'à l'obstination ; bref, toute son existence comme engagement.

C'est surtout grâce à lui que nous avons fondé, ensemble et avec beaucoup d'autres, le Réseau antiraciste, une brève et intense expérience de connexion entre les associations antiracistes de toute l'Italie qui a duré de 1994 à 1997. Une expérience que lui et moi (nous en étions les porte-paroles) mais aussi d'autres camarades (mais pas tous, malheureusement) ne cesserons jamais de regretter. Parce qu'il s'agissait d'un antiracisme cultivé et radical, qui anticipait de plusieurs années des analyses, des thèmes et des revendications que certains considèrent aujourd'hui comme inédits : le peuple migrant et réfugié comme sujet exemplaire de notre temps, le thème de la citoyenneté européenne de résidence, la bataille pour le droit de vote et la civilisation des compétences pour le droit au séjour, la critique des camps de concentration d'État.

C’était l'époque du premier "gouvernement ami" et la voix dissonante du réseau antiraciste sera bientôt réduite au silence.

Ce que peuvent dire ceux qui l'ont fréquenté et ont vécu avec lui des saisons de lutte fécondes, c'est que son absence brille aujourd'hui de manière aussi aveuglante qu'un soleil inexorable sans crépuscule, pour paraphraser un poème de Jorge Luis Borges.

Aujourd'hui, face au flot quotidien d'exodes qui ont pour épilogue la mort en mer de centaines de réfugiés ou le retour forcé aux tragédies et aux persécutions auxquelles ils ont tenté d'échapper, nous nous surprenons à penser : bien sûr, l'activisme frénétique de Dino ne parviendrait pas à lui seul à surmonter notre faiblesse politique et l'arrogance grossière et féroce des entrepreneurs politiques du racisme.

Pourtant, combien nous manquent et combien nous seraient précieux, précisément à ce stade, ses dix communiqués par jour qui arrivaient dans toutes les rédactions et dans tous les coins de l'Italie, son entêtement inflexible et irritant auquel personne ne pouvait échapper, son travail obstiné de vieille taupe qui découvre, met en lumière et dénonce les injustices et les crimes contre les damnés de la terre, sa capacité à opposer des données, des chiffres, des faits aux galimatias des spécialistes de la xénophobie et du racisme.

Ce 5 juin, date qui coïncide avec l’anniversaire de sa naissance mais aussi avec celui de sa mort, "Senza Confine" (Sans Frontière), l'association fondée par Dino avec Eugenio Melandri, se souviendra de lui cette année encore, avec un double rendez-vous à Rome : le premier, à 10h30, à l'entrée du cimetière du Verano, Via dello Scalo di San Lorenzo ; le second, à 18h30, dans les jardins de la Piazza Vittorio, pour discuter avec des collectifs, des associations et d'autres groupes sur les thèmes de la paix et des migrations.

 

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