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11/01/2023

GIDEON LEVY
Pour la première fois en 40 ans, Karim Younis est vraiment libre

Gideon Levy, Haaretz, 8/1/2023
Traduit par 
Fausto Giudice, Tlaxcala

Bienvenue, Karim Younis, ahlan wa sahlan. J’étais si heureux de ta libération de prison, comme toute personne décente qui a vu le moment où tu es rentré chez toi après 40 ans. Les embrassades des hommes, les youyous des femmes et le visage impassible de l’homme de 66 ans qui a été incarcéré pendant la majeure partie de sa vie. C’était probablement la première fois que quelqu’un embrassait Younis en 40 ans ; c’était la première fois qu’il était libre. Comment ne pas être ému par cela ?

Karim Younis après sa libération de la prison israélienne. Photo : Fadi Amun

Younis a été condamné à la prison à vie pour avoir participé au meurtre d’Avi Bromberg, un soldat israélien. Très peu de condamnés restent en prison pendant 40 ans pour un seul chef d’accusation de meurtre ; 40 ans est une peine inhumaine et disproportionnée pour presque tout. Même Yigal Amir, le meurtrier d’Yitzhak Rabin, ne le mérite pas. Parce que Younis est un citoyen israélien, l’État a été plus cruel envers lui qu’envers les prisonniers des territoires, et bien sûr qu’envers les Juifs.

Même lors de sa libération, il a été traité de manière honteuse. Il a été déposé à un arrêt de bus à Ra’anana, après 40 ans, de peur qu’ils ne se réjouissent à Wadi Ara. Au moins, il n’a pas été jeté dans une décharge. Au pays de la pirouette, le ministre de la Défense s’est précipité à la prison de Nafha afin de « s’assurer qu’une personne qui a assassiné des Juifs ne bénéficie pas d’un traitement favorable ». O, Itamar Ben-Gvir : Tous les prisonniers palestiniens ne sont pas des meurtriers, et même les meurtriers méritent des conditions bien meilleures que celles accordées aux prisonniers de sécurité. Quarante ans sans une permission, un appel téléphonique, une visite conjugale ? Tel est le visage du mal.

Des voix stridentes à droite ont appelé à son expulsion ; même une journaliste aussi respectée et modérée que Tal Schneider a écrit : « C’est une honte de voir la joie avec laquelle un meurtrier est accueilli... un tel comportement est nauséabond». C’est sa réaction qui est nauséabonde. Dans un pays où des soldats tuent presque quotidiennement des adolescents et des adultes, dont certains sont innocents et presque tous inutilement, c’est en fait la réaction diabolique des Israéliens qui provoque la nausée. Les Israéliens palestiniens sont autorisés à considérer Younis comme un héros, et plus encore, ils sont autorisés à se réjouir de sa libération après 40 ans. C’est répugnant ? Jusqu’où iront la haine des Arabes et les doubles standards moraux dans une société qui sanctifie chaque soldat et chaque crime de guerre ?

J’ai rencontré Younis en 2011, à la prison de Shatta, dans le bureau du commandant de la prison, dont le mur était orné d’une photo du rabbin des Loubavitch [Menahem Schneerson, NdT]. Younis me paraissait “légèrement courbé, dur et enragé”. Cela faisait alors plus de vingt ans qu’il était en prison. « Ils ont assassiné mon espoir », m’a-t-il dit. « Que peut penser un prisonnier si sept ans de pourparlers de paix n’ont pas abouti à sa libération, alors qu’un seul enlèvement par le Hezbollah y parvient ? Israël ne comprend que la force ». Il y a dix ans, sa mère, Subhiya, alors âgée de 78 ans, l’attendait toujours. Jeudi, il s’est rendu sur sa tombe. Lorsqu’elle lui a rendu visite une fois, les gardiens de la prison ont refusé de la laisser entrer dans son fauteuil roulant. Quand elle a fondu en larmes, un garde lui a dit : « Pleure, pleure. La mère de Gilad Shalit pleure tous les jours ».

Quand les Israéliens commenceront-ils à réaliser que ces personnes sont des soldats courageux dans une lutte de libération nationale, non seulement aux yeux de leurs compatriotes, mais aux yeux de toute personne objective ? Quand un sentiment humain s’allumera-t-il à leur égard ?

Le nouveau prisonnier de sécurité le plus ancien, Walid Dakka, est resté en arrière. En 1984, il a été condamné à la prison à vie, qui a été commuée en 37 ans. Il y a vingt ans, il écrivait : « Je vous écris depuis une époque parallèle. Un des jeunes hommes de l’Intifada m’a dit que beaucoup de choses ont changé à votre époque. Les téléphones n’ont plus de cadran et les pneus n’ont plus de chambre à air ». En 2014, les habitants de Baka al-Garbiyeh se sont préparés à sa libération ; son frère As’ad a acheté 200 ballons lumineux. Sa libération a été annulée à la dernière minute.

« J’aurais pu continuer ma vie comme peintre en bâtiment ou comme pompiste dans une station-service. J’aurais pu acheter un camion. Mais j’ai vu les horreurs de la guerre du Liban et le massacre de Sabra et Chatila et cela m’a choqué. Sombrer dans l’apathie face à de telles horreurs est la mesure de la capitulation », a-t-il écrit. Quand comprendrons-nous cela ?