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21/11/2024

FRANCISCO CARRION
Le Maroc utilise le changement de position de la France comme monnaie d’échange pour exiger de nouvelles concessions de la part de l’Espagne


Un homme politique marocain souligne publiquement que la démarche de Macron impose à l’Espagne d’adopter “une position plus claire et essentiellement opérationnelle”.

Francisco Carrión, El Independiente, 15/11/2024
Traduit par Tafsut Aït Baamrane, Tlaxcala

Mohamed VI avec le président français Emmanuel Macron à Rabat. Photo EFE

Il était prévisible, mais le mouvement a commencé à se manifester de toute évidence. Pour s’imposer, sans demi-mesure ni euphémisme. À peine deux semaines après la visite d’Emmanuel Macron à Rabat, méritant tous les honneurs et agrémentée d’accords d’une valeur de 10 milliards d’euros, le régime marocain offre en public les premiers témoignages exigeant de nouvelles concessions de la part de l’Espagne et l’avertissant qu’elle est à la traîne.

La thèse défendue dans les officines de Rabat est que le virage copernicien opéré par Pedro Sánchez en mars 2022 a vite et mal vieilli. Il est dépassé par les événements et manifestement insuffisant au regard de la nouvelle position du président français, ardent défenseur depuis juillet non seulement des « trois pages » du plan marocain d’autonomie pour le Sahara, mais aussi de la souveraineté marocaine sur l’ancienne colonie espagnole, dont l’Espagne reste la puissance administrante de jure.

« Il ne fait aucun doute que le soutien exprimé par Sánchez dans sa lettre à Mohamed VI le 14 mars 2022 était à l’époque un pas courageux et considérable, mais dans le contexte actuel, il ne suffit pas que  l’Espagne considère la proposition marocaine d’autonomie présentée en 2007 comme la base la plus sérieuse, la plus crédible et la plus réaliste pour la résolution de la question du Sahara », déclare Mohamed Benabdelkader, ancien ministre de la Justice (2019-2021, dans le gouvernement El Otmani II) et dirigeant de l’Union socialiste des forces populaires, une organisation sœur du PSOE et incluse dans l’Internationale socialiste* avec le soutien exprès de la rue Ferraz [siège du PSOE, NdT], dans une interview accordée au média officiel marocain Rue20.com

Cette affirmation n’est pas isolée au sein de l’establishment alaouite, même si, jusqu’à présent, on avait évité de la formuler aussi clairement en public. Pour Benabdelkader, « la nouvelle perspective qui s’ouvre au niveau régional et mondial nécessitera certainement l’adoption d’une position plus claire et essentiellement opérationnelle ». Un avertissement direct à Sánchez, lancé par un parti d’opposition mais qui pratique une loyauté absolue envers le makhzen, qui pourrait être un avant-goût de nouvelles exigences et concessions.


Sanctions commerciales

La principale serait de suivre les traces de l’Elysée et de proclamer la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. C’est l’intention du Maroc, qui a célébré un prétendu erratum publié dans le BOE [Journal officiel de l’État espagnol, NdT] l’année dernière comme un signe qu'on était sur la bonne voie. En février, El Independiente a rapporté que le gouvernement espagnol avait reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara dans le cadre d’un appel d’offres pour la rénovation de l’école espagnole d’El Ayoun, accompagné d’une série de documents l’identifiant comme un territoire marocain. L’information a provoqué des versions contradictoires entre les ministères de l’Education et de la Culture, respectivement aux mains du PSOE et de Sumar. Finalement, le département d’Ernest Urtasun [ministre de la Culture, NdT] a refusé de rectifier le document, affirmant qu’elle s’était produite des mois auparavant, lorsque le socialiste Miquel Iceta dirigeait le ministère.

L’un des leviers que le Maroc utilisera pour imposer de nouvelles concessions est l’atout commercial, en élargissant et en attisant le différend entre les entreprises espagnoles et françaises. Lors de la tournée de Macron, le Maroc a récompensé la nouvelle direction prise par la France avec des contrats de milliards après deux années de crise déclenchée par l’espionnage du président français et d’une bonne partie de son cabinet par les services marocains utilisant le logiciel israélien Pegasus. Le gros lot est revenu à la société française Alstom avec la fourniture de 18 trains pour la future ligne ferroviaire à grande vitesse Kénitra-Marrakech, qui, pour 1,8 milliard d’euros, était en concurrence avec les sociétés espagnoles CAF et Talgo, la société coréenne Hyundai Rotem et la société chinoise China Railway Rolling Stock Corp.

« Quelle que soit la lecture en Espagne du nouveau rapprochement de la France avec le Maroc, il est clair que les médias de notre pays voisin ibérique, en soulignant l’ampleur des projets signés entre la France et le Maroc lors de cette visite, et en insistant sur l’engagement de Paris à accompagner Rabat dans la défense de son initiative d’autonomie, auront compris deux choses importantes », argumente l’homme politique marocain. La première est que le « partenariat d’exception renforcé » entre la France et le Maroc est un signal d’alarme pour l’Espagne qui a besoin d’une stratégie plus compétitive et coordonnée sur le marché marocain. La seconde est que le président français, en plaçant la barre plus haut, a montré l’exemple que la nouvelle dynamique de la question du Sahara marocain nécessite non seulement des mots, mais des gestes, et appelle à des actions concrètes en plus des belles déclarations ». Cette semaine, l’ambassadeur de France à Rabat s’est rendu pour la première fois dans les territoires occupés du Sahara, accompagné d’une délégation d’hommes d’affaires et d’une promesse d’ouverture de consulat, le prix habituel exigé par la diplomatie alaouite.

La carte du Maroc, avant et après
«Pour la France le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine»
Le ministère français des Affaires étrangères a modifié la carte du Maroc sur son site internet pour inclure le territoire du Sahara occidental dans la cartographie du pays maghrébin, profitant du voyage de Macron à Rabat.

Débloquer la cession de l’espace aérien
La stratégie du Maroc consiste également à avancer sur certains dossiers qui n’ont pas été satisfaits depuis la lettre de Sánchez à Mohammed VI en mars 2022. Parmi eux, la cession de l’espace aérien du Sahara occidental, actuellement contrôlé depuis les îles Canaries. Dans le jargon aéronautique, FIR est une région d’information de vol où est assuré un service d’information de vol et d’alerte (ALRS). L’OACI [Organisation de l’aviation civile internationale] délègue le contrôle opérationnel d’une FIR donnée à un pays, en l’occurrence, celle qui couvre les îles Canaries et le Sahara occidental relève de l’Espagne.

Le groupe de travail mis en place par le Maroc et l’Espagne depuis le virage copernicien du gouvernement espagnol dans le conflit du Sahara et le début de la « nouvelle ère » des relations hispano-marocaines se penche sur la question du transfert de la gestion, qui - s’il est réalisé - constituerait une violation du droit international. Le partenaire de la coalition s’oppose ouvertement à cette mesure. « Nous rejetons la souveraineté marocaine sur le territoire du Sahara occidental. Nous rejetons également la souveraineté du Maroc sur les eaux territoriales et l’espace aérien », ont déclaré des sources de Sumar à notre journal il y a plusieurs mois. D’autres mesures qui auraient conduit à la reconnaissance du statut marocain du territoire, comme l’installation d’un centre de l’Institut Cervantes, ont été suspendues**.

Ces nouvelles exigences de Rabat, exprimées par un politicien socialiste, interviennent au milieu de l’impasse dans laquelle se trouvent les bureaux de douane de Ceuta et Melilla, complètement bloqués du côté marocain et avec le sentiment qu’ils ne seront pas ouverts parce que, pour les autorités marocaines, cela signifierait reconnaître les frontières terrestres avec l’Espagne, ce qu’elles nient avec insistance.

Le PSOE omet le Maroc dans son document cadre du Congrès

Dans ce contexte de concurrence entre la France et l’Espagne pour obtenir les faveurs du Maroc, l’absence de toute mention du Maroc et du conflit du Sahara dans le document cadre du PSOE pour son congrès qui se tiendra à la fin du mois à Séville est frappante. Le document se targue que « le PSOE a ramené l’Espagne au premier plan de la politique internationale et a porté notre prestige et notre influence à des niveaux sans précédent dans l’histoire récente de notre pays », mais omet toute référence au Maroc.
Lors du Congrès de 2021, la rue Ferraz avait cependant décrit le Maroc comme un « partenaire clé sur la rive sud de la Méditerranée », donnant un avant-goût des actions qui allaient suivre dans les mois suivants. « Nous devons continuer à renforcer ces liens et ces intérêts, ce qui nous permettra de surmonter certaines difficultés. C’est pourquoi, au cours des prochaines années, nous progresserons dans le partenariat stratégique bilatéral à long terme que les gouvernements socialistes ont toujours promu ; d’autre part, et comme elle l’a fait depuis son entrée en fonction, l’Espagne continuera à défendre en Europe le caractère stratégique que ce pays a pour l’Espagne et pour l’Europe », promettait le document.

L’Espagne et la France, par leurs actions diplomatiques de ces dernières années, ont été prises dans la rivalité entre le Maroc et l’Algérie. « L’Algérie partage avec le Maroc la tendance à considérer ses interlocuteurs en fonction de leur position sur la question. Au fil des ans, alors que le Maroc a abandonné l’option du référendum, Alger s’est accroché au principe de l’autodétermination, rendant impossible toute négociation de sortie de crise », note Khadija Mohsen-Finan, spécialiste du Maghreb et membre du comité de rédaction du magazine français en ligne Orient XXI. « En conséquence, le conflit du Sahara occidental s’est figé, ce qui est préjudiciable, d’une part, aux Sahraouis et, d’autre part, à l’ensemble du Maghreb, dans la mesure où cela empêche l’intégration de la région. L’Algérie perçoit désormais la coopération entre le Maroc et Israël comme une menace, ce qui accroît la tension et éloigne un peu plus la solution à la question du Sahara occidental », conclut-elle.

NdT
*Le Front Polisario fait  partie de l’Internationale socialiste en tant que membre consultatif.

** L’Institut Cervantes, qui dépend du ministère espagnol des Affaires étrangères, est dirigé par le poète grenadin Luis García Montero, militant historique d’Izquierda Unida (Gauche Unie), parti qui participe à la coalition gouvernementale de Pedro Sánchez à travers la plateforme Sumar de la vice-présidente du gouvernement Yolanda Díaz. En voyage au Maroc en mars dernier, il a déclaré : « Lors de ce voyage, la possibilité » d’ouvrir une annexe de Cervantes à El Aaiún n’a pas été envisagée.
L’Institut Cervantes compte actuellement six centres actifs au Maroc : Rabat, Casablanca, Tanger, Tétouan, Marrakech et Fès. Le projet d’en ouvrir un à El Ayoun avait suscité les critiques du Front Polisario et de l’eurodéputé Manu Pineda. Selon des sources espagnoles, 12 000 habitants d’El Ayoun parlent l’espagnol. D’autre part, une décision d’ouvrir une annexe de l’Institut à Tindouf en Algérie pour enseigner l’espagnol à des réfugiés sahraouis, prise en 2019, ne s’est jamais concrétisée. L’Institut est présent à Alger et Oran.
 

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