Ricardo Mohrez Muvdi, Resumen Latinoamericano, 3/8/2025
Traduit par Tlaxcala
Ricardo Mohrez Muvdi, Bogotá, est membre de la présidence de l’Union palestinienne d’Amérique latine (UPAL) et président de la Fondation culturelle colombo-palestinienne.
Au cours des
dernières semaines, une vague de pays – dont l’Espagne, la Norvège, l’Irlande
et la Slovénie – a annoncé en grande pompe sa reconnaissance de l’État
palestinien. Pour certains, il s’agit d’un événement historique. Pour d’autres,
c’est une victoire morale après des décennies d’occupation et de souffrances.
Mais derrière ces gestes diplomatiques se cache une stratégie beaucoup plus
complexe. La question est inévitable : quels sont les intérêts réels qui se
cachent derrière cette avalanche soudaine de reconnaissances ?
Tout d’abord,
il faut comprendre que ces reconnaissances ne surgissent pas de nulle part.
Elles interviennent au milieu d’une guerre génocidaire contre Gaza, où Israël a
échoué dans sa tentative d’éliminer la résistance palestinienne, en particulier
le Hamas. Ni les bombes, ni la famine, ni les déplacements forcés n’ont réussi
à soumettre un peuple qui résiste avec dignité.
Face à cet
échec, l’Occident – et en particulier les USA et l’Europe – cherchent un « plan
B ». Ils ne peuvent plus soutenir le discours selon lequel Israël « se défend
». Ils doivent proposer une alternative qui permette de maintenir le contrôle
politique, de désamorcer la résistance et d’apaiser la pression sociale
interne. C’est là qu’intervient la reconnaissance de l’« État palestinien ».
Mais il y a
un hic. Car l’État reconnu n’a ni frontières, ni armée, ni souveraineté sur son
territoire. Il ne contrôle ni son espace aérien ni son espace maritime. Il ne
peut garantir la sécurité de ses citoyens et n’a aucune unité politique. Il s’agit,
en substance, d’un fantôme administratif sous occupation. Et ce n’est pas un
véritable État.
Une
opération de blanchiment d’image pour l’Europe
Ces reconnaissances servent également à soulager la conscience de l’Europe. Après des mois de complicité avec le génocide – que ce soit par le silence, le soutien militaire ou des sanctions sélectives contre la résistance – elle tente maintenant d’équilibrer la balance par un geste symbolique. Elle parle de « deux États » comme si c’était encore une option viable, alors qu’en réalité Israël a tellement fragmenté et colonisé le territoire que cette formule est devenue impraticable.
On reconnaît un « État palestinien », mais on ne sanctionne pas Israël, on ne cesse pas la vente d’armes, on n’arrête pas l’expansion des colonies. En d’autres termes, on légitime une solution diplomatique sans modifier les conditions matérielles de l’occupation.
Et si le véritable objectif était de remplacer la résistance ?
Un autre
élément préoccupant est la question de savoir qui on reconnait. La plupart de
ces pays continuent de considérer l’[In]Autorité palestinienne comme le «
gouvernement légitime » du peuple palestinien, malgré son manque de
représentativité, sa corruption interne et sa collaboration avec l’occupation.
Sommes-nous
face à une tentative de réorganisation de la direction palestinienne depuis l’extérieur,
excluant les mouvements de résistance tels que le Hamas ou le Jihad islamique ?
Cherche-t-on à créer un État artificiel, obéissant, qui administrerait l’occupation
sans la remettre en question ?
Si tel est
le cas, l’avalanche de reconnaissances serait moins un signe de solidarité qu’une
manœuvre géopolitique visant à neutraliser la lutte du peuple palestinien.
Le piège
de l’État fictif
Il y a un
risque énorme que le monde commence à parler de la Palestine comme d’un « État
reconnu » alors qu’elle reste en pratique une nation occupée, colonisée et
bloquée. Cette fiction juridique peut être utilisée pour geler le conflit,
désamorcer les dénonciations internationales et rendre les victimes elles-mêmes
responsables de leur situation.
Dans ce
scénario, la cause palestinienne passe d’une lutte anticoloniale légitime à un
différend bureaucratique entre « deux gouvernements ». L’histoire est effacée,
l’apartheid est rendu invisible et la voix des martyrs est étouffée.
Conclusion
L’avalanche de reconnaissances n’est ni gratuite, ni désintéressée, ni révolutionnaire. Elle s’inscrit dans un réajustement politique mondial face à l’usure morale de l’Occident et à la montée de la résistance palestinienne. Elle peut être utile sur le plan diplomatique, certes, mais nous ne devons pas nous laisser berner : la véritable libération ne viendra pas des chancelleries, mais de la détermination du peuple palestinien, à Gaza, en Cisjordanie, en exil et dans la diaspora. Tant que le régime d’occupation sioniste ne sera pas démantelé, aucune reconnaissance ne sera complète. Et tant que le sang continuera de couler à Gaza, aucun geste symbolique ne suffira.
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