Lyna Al-Tabal, Rai Al Youm, 12/8/2025
Traduit par TlaxcalaChers lecteurs, vous n’êtes donc pas encore fatigués de ces vieux mensonges sur la mer qui protégerait la ville ? Allons… la mer ne protège personne. Elle n’a ni parti, ni camp, ni mémoire. Elle n’est que de l’eau, vouée à s’évaporer, et ses vagues ne sont rien d’autre qu’un balancement physique dénué de sens. Gaza, noyée dans son sel, dans son sang, c’est pas une légende… Gaza, c’est du vrai, du dur, une réalité qui fait mal.
C’est de là qu’il est sorti, Anas
al-Sharif. Qui a dit que c’était le héros d’une vieille histoire ? Non… C’était
un jeune homme du camp de Jabaliya, il filmait le réel, rien que ça. C’est la
seule histoire qui compte. Anas, pas un héros des contes, mais le type qui
fabrique une nouvelle légende : celle de la vérité.
Le voilà, Anas, venu de là-bas, l’armure sur le dos, avec marqué dessus : «
PRESS » Une armure en tissu épais, dessous des plaques serrées, compressées…
une amulette moderne, en kevlar, en céramique… censée tenir les balles à
distance. Mais, comme toutes les amulettes de cette époque pourrie, ça sert à
rien… quand c’est Israël qui tire. Anas… comme Ismaël… comme Shireen .. Hamza,
Abdel Hadi, Salam, Hani, Mohammed, Ahmed, Majid, Shimaa, Ola, Duaa, Hanan,
Samer... comme des centaines d'autres journalistes pris pour cible par Israël, a
été témoins de ses crimes et de ceux de son armée qui se discrédite chaque jour
en tuant les témoins.
Israël, l'État qui se vend au monde comme un havre de démocratie, bat un nouveau record au Guinness des records de la mort...
Imaginez-vous qu'en moins de deux
ans, Israël a tué à Gaza plus de journalistes que toutes les guerres entre 1861
et 2025 ? Pouvez-vous accepter ce chiffre ? Cette période comprend la guerre
civile américaine, la Première Guerre mondiale, la Seconde Guerre mondiale, la
guerre de Corée, la guerre du Vietnam, la guerre du Cambodge et la guerre du
Laos... Ajoutez à cela les guerres de Bosnie-Herzégovine, de Croatie et du
Kosovo, la guerre d'Afghanistan, la guerre d'Irak et la guerre en Ukraine...
Hier, c'était le tour d'Anas...
Anas al-Sharif est tombé en martyr... C'est la phrase habituelle, le slogan que
nous répétons pour tenir le coup. Car ici, à Gaza, la mort est une routine
quotidienne, comme le pain, ou plutôt comme l'absence de pain. C'est comme la
faim, comme la peur, comme la couleur sombre du sang lorsqu'il se mélange à la
cendre. Tout ce qui est mauvais ici se répète... Tout ce qui est mauvais se
répète sans cesse, sauf le sourire d'Abou Mazen, qui s'élargit à mesure que le
siège sur Gaza se resserre.
De loin, Gaza ressemble à un
tableau aux couleurs cendrées, ses rues sont des trous noirs sans début ni fin,
et le vent transporte une odeur de poudre mêlée à un peu de sel marin... Un
mélange que connaissent bien les Gazaouis, mais aussi les pilotes israéliens...
qui reviennent bombarder.
Ici, à Gaza, la parole est
interdite, la nourriture aussi... La liberté d'expression pour les Israéliens
signifie la liberté de tuer tous ceux qui parlent. Israël ne parle pas de
déontologie, il ne connaît qu'un seul métier : l'occupation... et le meurtre.
Israël tue les journalistes parce qu'il a peur de ce que la caméra montre : des
cadavres d'enfants, des visages de mères, des yeux qui disent au monde : «
Regardez, c'est un génocide ». Israël tue les journalistes parce qu'il sait que
l'histoire sera écrite à travers leurs objectifs et que les procès seront
documentés par leurs photos.
Finalement, Anas al-Sharif a été
tué et enterré. C'est désormais une image gravée dans la mémoire de Gaza : un
corps recouvert d'un linceul blanc, des mains qui le soulèvent rapidement avant
que le prochain raid ne commence, une caméra silencieuse qui accompagne le
corps, son objectif toujours ouvert, témoin de la mort de son propriétaire
comme elle a été témoin de sa vie... Mais désormais, elle ne filme plus rien.
Sans image ni son, mais #la_couverture_continue, comme tu l'as demandé, Anas...
La vérité ne meurt pas, elle passe d'un objectif à l'autre, d'un collègue à
l'autre, d'un martyr à un encore vivant en direct... Et nous sommes tous des
martyrs qui attendons notre tour sur la route de Jérusalem.
À cette heure même, les
fonctionnaires de l'ONU se disputent la formulation d'une déclaration exprimant
leur profonde inquiétude. Certains pleureront, d'autres feindront d'être émus,
puis ils retourneront boire leur café infect dans leurs bureaux climatisés.
Netanyahou, noyé jusqu'aux
oreilles dans les dossiers de corruption et les rêves de grandeur, sait que
l'image transmise par Anas est plus dangereuse que n'importe quel missile, plus
dangereuse que mille déclarations des Nations unies. La caméra était la
dernière arme dont disposait Anas face au monde, quelque chose que le dôme de
fer ne pouvait arrêter. Il tirait avec son appareil photo comme un combattant
tire un missile Yassin, des images et des vidéos que ni la fronde de David ni
les Patriot ne pouvaient intercepter.
Netanyahou s'est tenu debout,
avec un sourire à moitié déformé, pour déclarer qu'Israël combattait le
terrorisme. Le monde écoutait en silence, comme toujours. Mais Anas savait que
la fin allait venir, et il savait peut-être aussi que le monde allait faire la
risette à Israël quelques heures après son martyre. Il savait qu'après sa mort,
rien ne changerait. Le blocus resterait un blocus, et les Palestiniens
resteraient en vie, juste assez pour mourir le lendemain.
Savez-vous qu'Anas avait appelé sa fille « Sham* » pour dire que la Palestine ne connaît pas de frontières ? Il l'avait fait pour dire au monde : la Palestine ne se résume pas à une ligne de cessez-le-feu, ni à un mur de séparation, ni à une carte sur laquelle s'amusent des politiciens obsédés. La Palestine est contre toute occupation et contre toute violation du droit de l'homme à être libre. La patrie est plus grande que Gaza, et la blessure arabe est unique, à Khartoum assiégée, à Beyrouth détruite, à Bagdad sinistrée, à Damas survolée par les avions ennemis qui bombardent et repartent... Partout où il y avait de la douleur, il y avait la Palestine.
Non, mon ami, nous n'avons pas
besoin d'un miracle. Les miracles n'existent plus, et s'ils existent, ils sont
ennuyeux. Nous avons besoin d'autre chose, de beaucoup moins romantique, de
beaucoup plus cruel : du temps, par exemple... ou peut-être l'effondrement
complet du système mondial. En réalité, les héros de Gaza sont le miracle qui
n'étonne personne, car le monde s'est habitué à les voir mourir.
Nous avons besoin d'un droit
international qui poursuive Israël et lui impose des sanctions, et d'un monde
qui cesse de jouer les sympathisants. Ce que nous voulons, c'est que le monde
cesse de se mentir à lui-même... même si ce n'est qu'une courte pause avant le
prochain mensonge. Y a-t-il une trêve dans les mensonges ?
Au final, la mer restera, la
ville restera, mais les visages disparaîtront. C'est toujours ainsi que les
choses se passent. La mer est témoin de la mort de ceux qu'elle ne peut sauver,
et la ville s'effondrera encore, encore et encore. Tout reviendra comme avant,
car le temps à Gaza tourne en rond et n'avance pas... Ici, le temps se répète
sans pitié.
Mais ce n'est pas si mythique que
ça. La survie de Gaza n'est pas un miracle, c'est simplement une réalité
dérangeante. Et la vérité, c'est que la survie de Gaza est une victoire en soi.
Gaza vaincra parce qu'il y a des choses qui ne peuvent pas être tuées.
Vous entendez ?
Des choses qui ne peuvent pas
être tuées...
Il y a des choses plus simples et
plus décourageantes : comme la vérité, comme la mer qui, contrairement à la
plupart des politiciens de la région, comprend que la prochaine vague sera
inévitablement plus grande que la précédente.
Oui, la mer de Gaza qui, malgré
votre silence et votre complicité, continue d'envoyer des vagues plus grandes
que les précédentes, signe évident que cette fin est le début de Gaza et votre
fin.
NdT
*Sham : Bilad al-Sham, le pays “à main gauche” (depuis le Hijaz) par opposition au Yemen, le pays “à main droite”, désignait traditionnellement la “Grande Syrie“, englobant la Syrie, le Liban, la Palestine et la Jordanie d’aujourd’hui.
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