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18/08/2024

Le pogrom commis par les colons à Jit en Cisjordanie vous a choqué ? Et ce que fait l’armée à Gaza, non ?
Gideon Levy interpelle la gôche israélienne

Gideon Levy, Haaretz, 18/8/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Comme il est facile de choquer les Israéliens à propos des colons émeutiers. Ce n’est pas nous, nous n’avons rien à voir avec ça. Ils ne font même pas partie d’Israël. Ils sont les « mauvaises herbes » en marge de la société. C’est un fait, tout le monde rejette toute responsabilité.

Les politiciens condamnent en chœur, et même la presse affiche une expression choquée. Qui l’aurait cru ? Les médias ont même pris la peine de rapporter l’incident. Dans les bons jours, un ou deux émeutiers [juifs, NdT] peuvent être détenus pendant une heure ou deux.

L’approche des crimes des colons se distingue de celle des crimes de l’armée, que l’on dissimule . Soudain, il est permis de montrer les victimes et de condamner les criminels. Mais les crimes des colons font pâle figure à côté des crimes de l’armée.


Des personnes examinent une voiture brûlée au lendemain d’une attaque de colons juifs dans le village de Jit près de Naplouse en Cisjordanie, vendredi. Photo : Jaafar Ashtiyah/AFP

À Jit, Huwara, Qusra, dans les collines du sud d’Hébron et dans la partie nord de la vallée du Jourdain, il y a effectivement des gens qui vivent sous la terreur des colons, mais comparés aux ravages que l’armée fait à Gaza et en Cisjordanie, les émeutes descolons ne sont qu’une colonie de vacances. Une colonie de vacances de l’horreur, mais de dimensions mineures.

Le pogrom de Jit est perpétré quotidiennement par l’armée, dans une version beaucoup plus meurtrière, dans les camps de réfugiés de Toulkarem, Jénine, Naplouse et évidemment à Gaza. Un pogrom tous les jours. Mais seuls les colons suscitent le choc.

Jit a choqué, mais le meurtre de 100 personnes déplacées s’abritant dans une école à Gaza n’a suscité qu’un bâillement. Le choc provoqué par les émeutes des colons est forcé et méprisable. Il canalise tous les sentiments de culpabilité refoulés vers les marges, en rejetant toute responsabilité.

Si l’on considère l’incroyable déclin moral qu’Israël a connu au cours des dix derniers mois, on constate que l’armée est responsable de la plupart des crimes. Même à Jit, si l’armée avait fait son devoir, aucun pogrom n’aurait eu lieu.

Elle sait comment réprimer toute protestation pacifique ou émeute palestinienne, mais reste à l’écart ou soutient les pogroms perpétrés par les Juifs. C’est une politique, pas un accident. C’est une intention, pas une erreur.

Mais même lorsqu’il est clair que l’armée est responsable du pogrom de Jit, personne ne la condamne, parce que l’armée, c’est nous, et que nous n’étions pas à Jit ; nous n’avons joué aucun rôle dans les émeutes qui s’y sont déroulées. Nous sommes le bel Israël et ils sont les détraqués, avec leurs longues papillotes et leurs gigantesques kippas. Une autre tribu, la tribu de Judée. Nous sommes d’Israël. Nous avons les mains propres.


Un homme à côté de voitures brûlées montre les dégâts dans sa maison, un jour après une attaque de colons juifs sur le village de Jit près de Naplouse en Cisjordanie, vendredi. Photo : Jaafar Ashtiyeh/AFP

Mais la base de Sde Teiman, c’est l’armée, les boucliers humains utilisés à Gaza, c’est l’armée, les assassinats, c’est l’armée. Quarante mille morts, c’est l’armée ; la destruction de Gaza, c’est l’armée ; les cruels barrages routiers en Cisjordanie, c’est l’armée ; l’assassinat de jumeaux de trois jours, avec leur mère et leur grand-mère, alors que le père était sorti pour obtenir leur certificat de naissance, c’est l’armée ; l’utilisation croissante de drones pour tuer des gens en Cisjordanie, c’est l’armée ; les pilotes, les unités d’artillerie, les unités blindées, les bulldozers, les unités canines, tout ça, c’est l’armée.

Ce sont nos enfants ; presque tous ceux qui marchent dans une rue ou conduisent sur l’autoroute sont liés d’une manière ou d’une autre à l’armée. Ce sont eux qui commettent la plupart des crimes dont Israël est responsable, et non les gangsters de Givat Ronen ou les Sturmtruppen de Havat Gilad.

C’est précisément le camp des protestataires qui ne veut pas voir tout cela. La droite fond à la vue de toute démonstration du mal infligé aux Palestiniens. Cela répond à son désir de vengeance et à sa soif de sang. Mais le camp des protestataires n’est pas comme ça.

Il est humain et éthique, regardez comme il est choqué par Jit et compagnie. Ce camp ne se contente pas de nier les crimes de l’armée, il continue à la vénérer. C’est de là que viennent la plupart de ses dirigeants. Même le dernier né de la gauche, Yaïr Golan [nouveau chef du Parti travailliste, NdT], vient de l’armée.

Après le pogrom de Jit, l’un des plus graves, qui a entraîné la mort d’un innocent dont l’assassin ne sera jamais jugé comme il se doit, c’est précisément le moment d’examiner la situation dans son ensemble. Benjamin Netanyahou est le premier ministre et c’est lui qui est à blâmer. Tous les colons violent la loi et certains d’entre eux sont des tueurs potentiels.

Mais au-dessus d’eux plane un nuage sombre, qui couvre leurs actions : les Forces de défense israéliennes. C’est la véritable tête de la pyramide criminelle et c’est elle qui est responsable. C’est le corps que nous continuons à vénérer, en ignorant ce qu’il détruit.

Il est composé de nos enfants et ses commandants sont nos guides. Personne n’est prêt à condamner ses crimes ou à les énumérer. Chapeau bas devant Tsahal, pour toujours et à jamais.