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13/01/2025

ZACHARY FOSTER
Comment les sionistes ont empêché les réfugiés juifs de quitter la Palestine pour rentrer chez eux après la Seconde Guerre mondiale

Les sionistes de Palestine puis d’Israël et ont empêché les réfugiés juifs de rentrer chez eux après l’Holocauste.
Zachary Foster, Palestine Nexus , 10/1/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala


Zachary J. Foster est un historien usaméricain dont les recherches portent sur l’idée de Palestine ainsi que sur les origines de l’identité palestinienne au XIXe siècle. Zach est Maître de conférences en droit au Rutgers Center for Security, Race and Rights. Il est titulaire d’une maîtrise en études arabes de l’université de Georgetown et d’un doctorat en études du Proche-Orient de l’université de Princeton. Il est le fondateur des archives numériques Palestine Nexus et rédige une lettre d’information intitulée Palestine, in Your Inbox. Zach contribue fréquemment à des médias internationaux, dont le journal israélien Haaretz et TRT, le radiodiffuseur public national de Turquie.

Moshe Shertok, devenu Moshe Sharett, chef du département politique de l’Agence juive, et plus tard Premier ministre, a persuadé le gouvernement grec de refuser les documents de rapatriement aux Grecs juifs de Palestine

Plusieurs dizaines de milliers d’Européens juifs ayant trouvé refuge en Palestine avant ou pendant la Seconde Guerre mondiale ont cherché à rentrer chez eux après la guerre. Les dirigeants sionistes de Palestine, puis de l’État d’Israël, n’étaient pas seulement hostiles à cette idée, mais travaillaient avec les services consulaires étrangers pour empêcher leur retour. Voici l’histoire de la manière dont les sionistes d’Israël et de Palestine ont empêché les réfugiés juifs de rentrer chez eux après l’Holocauste.
 
En décembre 1944, plus de 35 000 Juifs de Palestine avaient demandé à être rapatriés dans leur pays d’origine - Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Grèce, Tchécoslovaquie, Autriche, Allemagne et Pologne. Josef Liebman, par exemple, un homme de 80 ans qui avait émigré en Palestine depuis l’Allemagne en 1939, souhaitait retrouver sa femme chrétienne après que leur séparation forcée lui eut causé d’énormes difficultés. Johanna Wasser, une Autrichienne de 57 ans qui a rejoint la Palestine depuis la Yougoslavie en 1944, a cherché à retrouver sa fille à Milan après avoir appris que celle-ci avait survécu à Auschwitz.

Pour les sionistes de Palestine, les personnes comme Joseph et Johanna étaient considérées comme opportunistes et égoïstes, souvent déshumanisées et même comparées à des animaux. Un écrivain sioniste a accusé les rapatriés de « s’échapper comme des rats » de la Terre d’Israël et de « porter le dangereux virus de la haine de soi juive ». Le journal ha-Mashḳif, organe du mouvement révisionniste de droite, a déclaré que ces Juifs avaient des « âmes sales », tandis que le journal Yedioth Ahronoth a décrit le comportement des rapatriés juifs en Pologne en 1947 comme étant « celui de porcs ». Les Juifs étaient nécessaires en Palestine pour mener la guerre démographique et cinétique qui les attendait, et les survivants de l’Holocauste qui voulaient rentrer chez eux étaient souvent considérés comme des traîtres.

Grâce à l’historien Ori Yehudai, nous connaissons aujourd’hui l’ampleur de la stratégie sioniste visant à empêcher le retour des Juifs en Europe. Dans son ouvrage paru en 2020, Leaving Zion : Jewish Emigration from Palestine and Israel after World War II, Yehudai a exploité les dossiers consulaires étrangers et les archives de l’Administration des Nations unies pour le secours et la reconstruction afin de raconter l’histoire des efforts déployés par les dirigeants sionistes pour faire des réfugiés juifs des otages démographiques.

Au-delà de la rhétorique, l’hostilité s’est transformée en politique sioniste dans les années 1940. David Ben-Gourion, président de l’Agence juive, et Moshe Shertok, chef de son département politique, ont persuadé le gouvernement grec de refuser les documents de rapatriement des Grecs juifs de Palestine. Ils menacent également les représentants tchécoslovaques et yougoslaves en Palestine de « représailles si le flux de personnes rapatriées n’est pas stoppé ».

Les Autrichiens juifs qui souhaitaient rentrer chez eux ont été confrontés à la plus grande hostilité. Certains avaient abandonné leur emploi et leur logement en Palestine dans l’espoir d’être rapatriés, et lorsqu’ils révélèrent leur intention de partir à la Histadrout, la Fédération juive du travail, ils furent inscrits sur une liste noire. Nombre d’entre eux ont alors été empêchés de partir et sont restés bloqués, privés d’opportunités d’emploi, de logement et de cartes de rationnement. Certains ont subi des violences physiques et ont dû se déplacer en groupe pour éviter le harcèlement, voire pire. Dans certains cas, ils ont même été accueillis par un salut nazi levé, « Heil Renner, rentre chez toi, l’Autrichien », alors que c’étaient les nazis qui avaient ruiné leur vie et exterminé leurs familles et communautés entières. Les membres de l’Irgoun ont également menacé les Juifs qui aidaient les réfugiés juifs à rentrer chez eux de violences physiques s’ils ne cessaient pas leurs activités.
 
Pendant la guerre de 1948, la communauté sioniste de Palestine a rendu le départ encore plus difficile, en délivrant « très rarement » des permis de sortie aux Juifs.

Les ressortissants israéliens (pas seulement les fonctionnaires en mission) ont besoin d'une autorisation de sortie pour quitter le territoire

 Après la guerre, l’État a commencé à autoriser les Juifs à partir, mais a continué à restreindre l’ émigration. Entre septembre 1948 et juin 1951, Israël a rejeté environ la moitié des 120 000 demandes de permis de sortie temporaire. Ce chiffre n’inclut pas les milliers de demandes déposées avant 1948 qui n’avaient pas encore été traitées et dont aucune n’a été prise en compte après la guerre.
 


L’Allemagne, en particulier, était considérée comme une zone interdite. En décembre 1949, le gouvernement israélien a apposé sur tous les documents de voyage israéliens la mention « valable pour tous les pays à l’exception de l’Allemagne », tandis que les Israéliens demandant des permis de sortie pour se rendre en Allemagne allaient être bannis du pays à tout jamais.


De nombreux sionistes qualifient la création d’Israël en 1948 de « libération » des Juifs, alors qu’il serait plus juste de parler de « confinement » des Juifs.


Samuel Cohen, un Français juif qui s’était rendu en Israël pour combattre dans l’armée sioniste en juillet 1948, a voulu rentrer en France après la guerre. Israël a refusé de le laisser partir et l’a pris en otage pour en faire une arme démographique. « J’ai servi dans les Forces de défense israéliennes (FDI), j’ai été blessé et libéré de l’armée pour cause de maladie », écrit-il. « Aujourd’hui, je souhaite rentrer en France [...]. Nous retenir ici contre notre volonté est une trahison de la confiance. On m’avait promis que je pourrais retourner en France....C’est une honte pour l’État d’Israël de retenir contre leur gré des gens qui se sont battus au nom de la liberté ».


L’objectif du sionisme n’était pas d’assurer le bien-être des Juifs, de favoriser la réunification des familles juives ou d’aider les réfugiés juifs, dont de nombreux survivants de l’Holocauste. L’objectif du sionisme était d’établir un État juif en Palestine, quel qu’en fût le prix. Et lorsque les intérêts des Juifs se sont opposés aux intérêts supposés de l’État juif, les dirigeants politiques ont sacrifié les premiers pour garantir les seconds.

05/06/2023

SERAJ ASSI/ZACHARY FOSTER
“Les Palestiniens, ça n’existe pas”: une affirmation sioniste dans laquelle le fanatisme le dispute à l’ignorance

Seraj Assi et Zachary Foster, Haaretz, 21/3/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Seraj Assi est un Palestinien né en Israël, titulaire d’un doctorat en études arabes et islamiques de l’université de Georgetown (Washington DC, USA), où il est chercheur invité. Il est professeur adjoint d’arabe à l’université George Mason (Fairfax, Virginie). Il est l’auteur de The History and Politics of the Bedouin. Reimagining Nomadism in Modern Palestine, Routledge 2018. @Srjassi

Zachary Foster est un historien usaméricain de la Palestine et le créateur de Palestine Nexus. @_ZachFoster

Des hommes politiques israéliens comme le ministre des Finances Bezalel Smotrich persistent à nier l’existence d’un peuple palestinien, mais les faits historiques parlent d’eux-mêmes. Smotrich et les conservateurs usaméricains pro-israéliens devraient écouter.

Le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, a prononcé en mars à Paris un discours niant l’existence des Palestiniens en tant que peuple, affirmant que “la nation palestinienne n’existe pas” : « Il n’existe pas de nation palestinienne. Il n’y a pas d’histoire palestinienne. Il n’y a pas de langue palestinienne ».


 Smotrich s’est exprimé devant un pupitre drapé d’une image représentant une carte d’Israël incluant la Cisjordanie occupée, la bande de Gaza, la Jordanie et une partie de la Syrie. Il est difficile d’ignorer l’ironie de la situation : un ministre ultranationaliste qui entretient l’idée que les Palestiniens sont un peuple artificiel tout en montrant une carte artificielle d’Israël.

La plus ancienne carte ptolémaïque de la Palestine encore existante. Copie grecque byzantine de la carte de la 4e carte de l’ Asie de Ptolémée [IIème  siècle ap. J-C). Tirée du Codex Vaticanus Urbinas Graecus 82, Constantinople vers 1300. Probablement assemblée par Maximus Planudes ; plus tard en possession de Palla Strozzi (1372-1462) puis de Federico da Montefeltro, duc d’Urbino. Les grandes lettres rouges au centre indiquent en grec : Παλαιστινης ou Palaistinis.


Autre carte de la Palestine de Ptolémée 

 Carte vénitienne de 1300

Abraham Ortelius, Palestinae Sive Totius Terrae Promissionis Nova Descriptio Auctore Tilemanno Stella Sigenens (Une nouvelle description de la Palestine ou de toute la Terre promise par l’auteur Tilemannus Stella Sigenens.), extrait de l’édition allemande de 1572 de son Theatrum Orbis Terrarum, le premier atlas moderne.

Smotrich n’était pas le premier haut responsable israélien à nier l’existence du peuple palestinien. Il faisait clairement écho au fameux dicton de Golda Meir : « Les Palestiniens, ça n’existe pas », ainsi qu’aux remarques plus récentes de la députée du Likoud Anat Berko, qui a affirmé que le peuple palestinien n’existait pas « parce qu’il ne peut pas prononcer la lettre P », une déclaration qui pourrait faire un titre dans The Onion (site satirique].

Ces dernières années, nier l’existence nationale des Palestiniens est devenu un stéréotype faux-cul populaire parmi les politiciens pro-israéliens en Occident également. Les politiciens conservateurs usaméricains ont nié à plusieurs reprises l’existence des Palestiniens à des fins politiques. Pour Mike Huckabee [ancien gouverneur républicain de l’Arkansas et pasteur baptiste, NdT] : « Les Palestiniens n’existent pas vraiment ». Pour Newt Gingrich, ancien président de la Chambre des représentants : « Il n’y a pas eu d’État palestinien, je pense que le peuple palestinien a été inventé ».

Une fois de plus, les Palestiniens se trouvent dans l’obligation de défendre leur existence même en tant que peuple. Heureusement, les données historiques sont sans ambiguïté et parlent d’elles-mêmes : Les Palestiniens sont connus sous le nom de Palestiniens depuis le XIXe siècle.

 

L’édition du 18 août 1931 du journal Filastin. Photos : Archives Filastin

Les références aux Palestiniens en tant que peuple remontent aux années 1870, lorsque des voyageurs et diplomates usaméricains et européens en Palestine ont commencé à désigner les habitants arabes de la Palestine comme “Palestiniens”. Parmi eux, le consul britannique à Jérusalem, James Finn, le missionnaire protestant allemand Ludwig Schneller et la voyageuse irlando-usaméricaine Adela E. Orpen, qui ont tous appelé les habitants arabes musulmans et chrétiens de la Palestine “Palestiniens”.

C’est avec l’écrivain palestinien Khalil Baydas (1874-1949) que l’appellation “palestinien” s’est imposée en arabe. Baydas a été le premier Arabe à utiliser le terme “palestinien” au sens moderne et national du terme. En 1898, il publie une traduction arabe d’un traité russe populaire, Description de la Terre Sainte. Son objectif était évidemment patriotique. « Les livres arabes de géographie sur le sujet étaient insuffisants », écrit-il dans l’introduction. « Le peuple de Palestine avait besoin d’un livre de géographie sur son pays ». Le reste de l’ouvrage est truffé de références aux Palestiniens en tant que peuple.

Au XXe siècle, après que la révolution constitutionnelle ottomane a assoupli les lois sur la censure de la presse en 1908, des dizaines de périodiques sont apparus en Palestine, et le terme “palestinien” a ainsi gagné en popularité. Entre 1908 et 1914, le terme apparaît quelque 170 fois dans plus de 110 articles de livres et de journaux arabes.

En 1911, Isa al-Isa et Yusif al-Isa, des cousins palestiniens de Jaffa, ont fondé ce qui allait devenir le journal le plus populaire de Palestine, pour lequel ils ont choisi le nom de Filastin. En fait, des années avant la fondation de Filastin, plusieurs autres Palestiniens, dont Ilyas Bawwad à Safed et Yusuf Siddiqi à Hébron, avaient tenté de lancer un journal appelé Palestine ou Filastin, mais aucune de ces tentatives ne s’était concrétisée.

Un sentiment d’identité palestinienne se développe en Palestine et au-delà, et les Palestiniens de l’Est à l’Ouest adoptent rapidement cette identité. Entre 1908 et 1914, une multitude d’associations “palestiniennes” sont créées à Chicago, Beyrouth et Istanbul.

L’occupation britannique de la Palestine pendant la Première Guerre mondiale n’a fait qu’accélérer le rythme d’adoption de l’identité nationale palestinienne. En 1919, craignant la montée du sionisme et de l’immigration juive en Palestine, le premier congrès arabe palestinien se tient à Jérusalem. Le 3 septembre 1921, le journal Filastin déclare : « Nous sommes d’abord des Palestiniens et ensuite des Arabes ».

L’identité palestinienne ne tardera pas à se répandre dans les villes et les villages de Palestine. En 1925, l’éminent éducateur palestinien Khalil Sakakini a parcouru la campagne palestinienne en tant que représentant de la délégation du sixième Congrès arabe palestinien. Il s’en souviendra plus tard : « La nation palestinienne vivait une phase de lune de miel du nationalisme ».

Sixième congrès national palestinien, Jaffa, octobre 1925. Photo : Institute of Palestine Studies.

Même les dirigeants sionistes ont été contraints de reconnaître l’existence d’une identité nationale palestinienne. En 1923, Ze’ev Jabotinsky écrit : « le peuple arabe de Palestine dans son ensemble ne vendra jamais ce patriotisme fervent qu’il garde si jalousement ». En 1929, David Ben-Gourion prévient qu’un mouvement national arabe palestinien est en train de naître.

Grâce au Grand soulèvement palestinien, qui a duré de 1936 à 1939, le terme “palestinien” était tout simplement omniprésent dans la presse à la fin des années 1930. De nombreux écrivains palestiniens, par exemple, tenaient à souligner que des familles “non palestiniennes”, notamment les Sursuq (ou Sursock), avaient vendu des “terres palestiniennes” aux sionistes. Les écrivains arabes ont également invoqué le terme pour faire l’éloge des “Palestiniens” qui ont joué un rôle clé dans le mouvement littéraire arabe d’avant-guerre, ou de ceux qui ont rejoint la Grande Révolte arabe, dirigée par l’émir Faysal Ier  pendant la Première Guerre mondiale.

Tout cela montre que les Arabes de Palestine sont connus sous le nom de Palestiniens depuis [au moins] le dix-neuvième siècle et qu’ils se sont toujours identifiés comme Palestiniens.

Alors pourquoi les propagandistes racistes comme Smotrich ressentent-ils constamment le besoin de nier l’existence des Palestiniens ? Parce que la notion même de peuple palestinien rappelle constamment que l’entreprise sioniste a été fondée sur l’effacement de l’identité nationale des Palestiniens. Mais l’histoire nous enseigne que le peuple palestinien existait bien avant la création de l’État d’Israël, et même avant le mouvement sioniste moderne.

 NdT
La palme de l'infamie revient sans doute à Shmuel Trigano, dans l'article Le passé historique du mot « Palestine » – Peleshet/Philistie, Plishtim/ Philistins/Envahisseurs (2021). Il écrit :
C’est le KGB qui en 1964 réécrivit l’histoire pour les « idiots utiles » d’Occident, la gauche socialiste, communiste, tiers mondiste, en faisant de la guerre des Arabes contre les Juifs (ce que fut excactement la guerre de 1948 rassemblant plusieurs pays arabes contre Israël, une guerre semi nationaliste, semi djihadique), une guerre nationale palestinienne contre le colonialisme occidental.” [sic]