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17/01/2024

Un tribunal israélien du travail annule le licenciement de Meir Baruchin, le professeur de lycée qui avait critiqué l’armée sur les médias sociaux

Or Kashti, Haaretz, 15/1/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

La juge a estimé que la municipalité n'avait pas fourni de motif justifiable pour le licenciement, ajoutant que l'attaque du Hamas et la guerre à Gaza ne modifiaient pas « les limites de la liberté d'expression des enseignants »

Meir Baruchin en 2020. Photo : Emil Salman

Un tribunal israélien a ordonné lundi à une municipalité du centre d'Israël de réintégrer un enseignant après l'avoir licencié d'un lycée pour avoir publié des messages anti-occupation sur les médias sociaux.

Le tribunal régional du travail de Tel Aviv a également ordonné au ministère israélien de l'Éducation de supprimer la réprimande officielle figurant dans le dossier personnel de Meir Bauchin, ce qui l'empêche de chercher du travail dans d'autres lycées.

Il a été licencié du lycée Yitzhak Shamir de Petah Tikva le 19 octobre. Baruchin, qui est titulaire d'un doctorat en histoire et qui enseigne dans des lycées du pays depuis trente ans, publie régulièrement des messages contre l'occupation sur sa page Facebook.

Le 8 octobre, un jour après le massacre du Hamas, Baruchin a écrit sur Facebook : « Aujourd'hui encore, le bain de sang en Cisjordanie se poursuit », écrivant le nom et l'âge des Palestiniens tués et ajoutant : « Nés sous l'occupation et y ayant vécu toute leur vie, ils n'ont jamais connu un seul jour de vraie liberté, et ils ne l'auront plus. Ce soir, ils ont été exécutés par nos braves garçons ».

Une dizaine de jours après le début de la guerre, la municipalité de Petah Tikva - qui emploie les enseignants des écoles publiques de la ville - convoque Baruchin pour une audition. Le lendemain, il est licencié pour « incompatibilité » et « mauvaise conduite ».

Selon la municipalité, Baruchin a publié des « déclarations inappropriées » sur les réseaux sociaux, dont un « soutien à des actes terroristes ». Baruchin a saisi le tribunal pour contester son licenciement, affirmant notamment qu'aucun de ses supérieurs ne lui avait demandé de s'abstenir de toute remarque politique sur sa page Facebook.

La juge Sharon Shavit Caftori a estimé que la municipalité n'avait pas fourni de motif justifiant le licenciement, ajoutant que l'attaque du Hamas et la guerre à Gaza ne modifiaient pas « les limites de la liberté d'expression des enseignants ».

En outre, elle a rejeté l'affirmation selon laquelle les messages anti-occupation de l'enseignant, qui étaient « tous visibles depuis des années », exprimaient un soutien au terrorisme.

« Bien que ses opinions soulèvent des critiques difficiles à l'égard des actions des forces de défense israéliennes et qu'elles décrivent les morts du côté palestinien », a écrit la juge, » le Dr Baruchin n'a pas exprimé dans ses messages son soutien aux actes terroristes perpétrés par le Hamas contre l'État d'Israël. Même s'il a exprimé son point de vue sur les actes de terreur, il a précisé - lors de l'audience de licenciement, sur sa page Facebook et devant le tribunal - qu'il ne soutenait en aucune façon les atrocités commises par le Hamas ».

« Étant donné qu'il n'existe aucune restriction à la liberté d'expression des enseignants en dehors de l'enceinte de l'école lorsqu'il s'agit d'exprimer des opinions personnelles et politiques », écrit la juge, « nous avons du mal à accepter la position de la ville, qui sous-entend que les événements de la guerre modifient les limites de la liberté d'expression des enseignants ».

Après le renvoi de Baruchin du lycée, le ministère de l'Éducation lui a adressé une « convocation » qui l'obligeait à se soumettre à une audience avec le directeur général du ministère avant de pouvoir occuper un poste dans une autre école.

Le tribunal a décidé qu'en annulant son licenciement, cette convocation était également annulée. La juge Shavit Caftori a déclaré qu' « aucune lettre de plainte n'a été présentée par un élève ou un parent » et qu'il n'est donc pas clair comment il a été prouvé au ministère de l'Éducation « que le comportement de Baruchin a un effet néfaste sur les élèves ».

Outre le renvoi, la municipalité de Petah Tikva a déposé une plainte contre Baruchin auprès de la police, et il a été arrêté début novembre, soupçonné d'avoir « révélé l'intention de trahir le pays ».

Il a été libéré cinq jours plus tard sans avoir été inculpé. Lors d'une audience visant à prolonger sa détention, le représentant de la police a affirmé que « concernant l'attaque terroriste, il a téléchargé la photo d'un terroriste, en a fait l'éloge et a décrit ses actions comme des actes de désespoir, décrivant la routine de la vie des Palestiniens. Dans un autre message concernant une attaque de véhicule, il a écrit qu'il était impossible de dire que le conducteur était un terroriste ».

Baruchin a déclaré à Haaretz que « la décision est un point lumineux dans la situation sombre dans laquelle nous nous trouvons depuis quelques mois, où les citoyens israéliens qui expriment leur opposition à ce qui se passe à Gaza sont politiquement persécutés, publiquement condamnés, perdent leurs moyens de subsistance et, dans certains cas, sont jetés en prison ».

L'avocat Amit Gorevich, qui a représenté Baruchin devant le tribunal du travail, a déclaré : « Pas un seul des arguments de la municipalité n'a été accepté. Nous devons applaudir le tribunal, qui a courageusement statué en faveur de la liberté d'expression des enseignants et contre les licenciements politiques ». Dans le cadre de son jugement, la Cour a ordonné à la municipalité et au ministère de l'Éducation de prendre en charge les frais de justice de Baruchin à hauteur de vingt mille shekels [4 850€].

La municipalité de Petah Tikva a déclaré qu'elle avait l'intention de faire appel de la décision et de demander à en retarder l'exécution. Selon la municipalité, « la procédure de licenciement s'est déroulée en bonne et due forme », tandis que le tribunal « s'est abstenu de traiter la question de fond concernant les déclarations graves de l'enseignant et s'est concentré sur les procédures disciplinaires. Il convient de noter que le Dr Baruchin enseigne à des lycéens qui se préparent à s'enrôler dans l'armée israélienne, ce qui crée une certaine confusion, en particulier en ces temps de guerre ».

Lors d'une audience tenue le mois dernier, la juge Shavit avait critiqué la conduite de la municipalité dans la procédure de licenciement de Baruchin. « J'ai été surprise de constater qu'il n'y a aucune preuve ni documentation pour certaines des affirmations de la municipalité », a-t-elle déclaré aux représentants de la mairie, « vous n'avez pas présenté un seul document. C'est ahurissant. Vous êtes un organisme public et la tête de la ville bafouille. Une entité publique ne peut pas se permettre d'agir de la sorte ».

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“C’est l’heure de la chasse aux sorcières en Israël” : un enseignant israélien juif est détenu à l’isolement pour avoir exprimé son inquiétude sur les morts à Gaza

16/01/2024

“C’est l’heure de la chasse aux sorcières en Israël” : un enseignant israélien juif est détenu à l’isolement pour avoir exprimé son inquiétude sur les morts à Gaza

Emma Graham-Harrison et Quique Kierszenbaum (photo) à Jérusalem, The Observer/The Guardian, 13/1/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Meir Baruchin, qui a été licencié et emprisonné pour avoir critiqué l’armée israélienne, affirme que beaucoup de ceux qui sont d’accord avec lui craignent de s’exprimer publiquement.

Meir Baruchin, professeur d’histoire, qui a publié sur Facebook des messages s’opposant aux opérations de l’armée à Gaza. Photo : Quique Kierszenbaum/the Observer

Début novembre 2023, Meir Baruchin, professeur d’histoire et d’éducation civique aux cheveux grisonnants et à la voix douce, a été incarcéré dans l’aile d’isolement de la tristement célèbre prison de Jérusalem, dans le Complexe Russe [Al Moskobiya/Migrash ha Rusim/Russian Compound] à la suite d’une improbable accusation d’intention de trahison.

Les preuves rassemblées par la police qui l’a menotté, puis s’est rendue à son appartement et l’a saccagé sous ses yeux, sont une série de messages qu’il a publiés sur Facebook, pleurant les civils tués à Gaza, critiquant l’armée israélienne et mettant en garde contre les guerres de vengeance.

« Des images horribles nous parviennent de Gaza. Des familles entières ont été anéanties. Je n’ai pas l’habitude de mettre en ligne ce genre de photos, mais regardez ce que nous faisons pour nous venger », peut-on lire dans un message publié le 8 octobre, sous une photo de la famille Abou Daqqa, tuée lors de l’une des premières frappes aériennes sur la bande de Gaza. « Quiconque pense que cela est justifié par ce qui s’est passé hier devrait se désolidariser. Je demande à tout un chacun de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour mettre fin à cette folie. Arrêtons ça  maintenant. Pas plus tard, maintenant !!! »

C’était le lendemain de l’horrible attaque du Hamas contre Israël, alors que le pays était sous le choc du massacre de 1 200 personnes et de l’enlèvement de plus de 240 autres.

Il savait que ses opinions sur l’armée israélienne étaient controversées ; des critiques similaires à une époque moins volatile lui avaient coûté son poste d’enseignant dans la ville de Rishon LeZion, près de Tel Aviv, trois ans plus tôt. Mais il pensait qu’il était vital de les exprimer au moment où le pays décidait de sa réaction.

« La plupart des Israéliens ne savent pas grand-chose des Palestiniens. Ils pensent qu’ils sont tous des terroristes, ou de vagues images sans noms, sans visages, sans familles, sans maisons, sans espoirs », dit Baruchin. « Ce que j’essaie de faire dans mes messages, c’est de présenter les Palestiniens comme des êtres humains ».

Dix jours après ce message sur Facebook, il a été licencié de son poste d’enseignant dans la commune de Petah Tikva. Moins d’un mois plus tard, il se retrouvait dans une prison de haute sécurité, détenu pour donner à la police plus de temps pour enquêter sur des opinions critiques qu’il n’avait jamais essayé de cacher.

À l’intérieur d’Israël, des journalistes chevronnés, des intellectuels et des militants des droits humains affirment qu’il n’y a guère d’espace public pour s’opposer à la guerre à Gaza, même après trois mois d’une offensive qui a tué 23 000 Palestiniens et dont la fin n’est pas en vue. « Il ne faut pas se leurrer : Baruchin a été utilisé comme un outil politique pour envoyer un message politique. Le motif de son arrestation était la dissuasion - faire taire toute critique ou toute velléité de protestation contre la politique israélienne », a écrit le journal Haaretz, établi de longue date, dans un éditorial.

Il n’est pas le seul enseignant à être visé. Les autorités ont également convoqué Yael Ayalon, directrice d’un lycée de Tel-Aviv, après qu’elle eut partagé un article du Haaretz avertissant que les médias israéliens cachaient les souffrances des civils de Gaza. « Les citoyens israéliens doivent être conscients de cette réalité », disait l’article.


Meir Baruchin estime qu’il est vital d’exprimer son point de vue sur l’armée israélienne. Photo Ohad Zwigenberg/AP

Ses élèves se sont révoltés dans l’école après que la nouvelle de son message se fut répandue ; elle a poursuivi ses employeurs devant un tribunal et a été réintégrée, mais lorsqu’elle est retournée à l’école, elle a de nouveau été attaquée par des élèves qui scandaient « Rentre chez toi ». Elle a refusé de nous parler.

Meir Baruchin a également été entendu par un tribunal de l’éducation ce mois-ci. Selon le droit du travail israélien, les autorités municipales n’ont pas le droit de licencier un enseignant dont les performances ont toujours été excellentes, affirme-t-il, et les lois sur la liberté d’expression ont protégé son droit de publier des articles sur la guerre.

Mais il vit sur ses économies en attendant le verdict et même s’il gagne, les accusations de trahison n’ont pas été abandonnées : il pourrait vivre dans leur ombre pendant cinq ans, la limite fixée pour que la police puisse engager des poursuites.

« Cette histoire est bien plus importante que mon histoire personnelle ou celle de Yael. Nous vivons une époque de chasse aux sorcières en Israël, de persécution politique », dit-il. « Je suis devenu un “partisan du Hamas” parce que j’ai exprimé mon opposition au ciblage de civils innocents ».

Il a déclaré avoir reçu des centaines de messages privés de soutien de la part de collègues enseignants et d’élèves trop effrayés pour s’exprimer publiquement, et nous en a montré plusieurs.

« Le message est clair comme de l’eau de roche : taisez-vous, faites gaffe », dit-il, ajoutant qu’ils ont renforcé sa propre conviction quant à la nécessité de s’exprimer. « Je me suis dit que lorsque je prendrai ma retraite, je pourrais conclure qu’il s’agit de la leçon d’éducation civique la plus importante que j’aie jamais donnée ».

Meir Baruchin estime être le seul Israélien juif à avoir été détenu pour avoir dénoncé la mort de civils à Gaza, mais cela n’aurait rien d’inhabituel s’il était un citoyen palestinien d’Israël.

Des centaines de personnes ont été arrêtées et emprisonnées, ou ont perdu leur emploi ou leur accès à l’éducation à cause de messages publiés sur les médias sociaux. Le juge qui a mis Baruchin en prison a établi une comparaison explicite. « Si un résident arabe avait publié ce message, le danger aurait été évident. Je ne pense pas qu’il soit possible de faire la différence entre un message arabe et un message juif ».

Un groupe d’éminents Israéliens a cité dans une lettre les différences entre les normes de liberté d’expression du pays pour les citoyens juifs et palestiniens, estimant que l’incitation au génocide avait été normalisée dans le pays.

Baruchin a d’abord été convoqué à un poste de police pour y être interrogé sur des accusations de sédition. Lorsqu’il a fait remarquer à la police qu’elle avait besoin d’un mandat du procureur général pour inculper un citoyen israélien de ce délit, des accusations de trahison ont été dûment formulées.

Lorsqu’il est arrivé au poste de police, ses bras et ses chevilles ont été menottés et on lui a présenté un mandat de perquisition de son domicile. Cinq inspecteurs l’ont escorté, ont mis son appartement sens dessus dessous et ont finalement confisqué deux ordinateurs portables et six disques durs. La police a alors demandé plus de temps pour enquêter, et un juge a ordonné qu’il soit maintenu en détention.

« Je n’avais pas le droit de prendre quoi que ce soit avec moi dans la cellule », raconte-t-il. « Je suis entré avec mes vêtements et je suis resté avec les mêmes vêtements pendant quatre jours. Il y avait des douches à l’eau froide, un minuscule morceau de savon, deux couvertures empestées par la fumée de cigarette et une minuscule serviette ».

« Je n’avais pas le droit d’avoir un livre, la télévision ou quoi que ce soit d’autre. Les gardiens n’avaient pas le droit de me parler et il n’y avait pas de fenêtre, si bien que je ne distinguais pas le jour de la nuit. On m’a enlevé ma montre.

« Pour ne pas devenir fou, je faisais de l’exercice toutes les heures et demie ou toutes les deux heures. Chaque fois que le gardien venait vérifier, je demandais l’heure qu’il était, pour calculer ce qu’il restait. »

Il a été de nouveau interrogé avant qu’un second juge n’ordonne sa libération. Les personnes qui l’ont interrogé lui ont dit que ses messages ressemblaient aux Protocoles des Sages de Sion, l’un des documents antisémites les plus célèbres au monde. « Je suis professeur d’histoire et j’ai donc demandé : “Les avez-vous déjà lus ?” Ils n’ont pas répondu. »

Lorsqu’il aura été innocenté, Baruchin prévoit de poursuivre les médias israéliens qui ont rapporté les accusations de la police sans lui demander sa réponse ou chercher des preuves, et qui l’ont accusé de justifier et de légitimer le Hamas.

Il affirme ne pas avoir été traumatisé par cette expérience, le sort des civils palestiniens et des otages israéliens à Gaza étant pour lui bien plus préoccupant. Il continue de suivre de près ce qui se passe là-bas et parcourt sur son téléphone les images des récents morts, un journaliste, un violoniste, un bébé.

Le dernier message qu’il a posté avant notre entretien est une image d’une pierre tombale improvisée, qui ressemble à une partie d’un meuble cassé. “Martyr inconnu, cadavre en décomposition, portant un survêtement et une veste verte ”, peut-on y lire.

« Toute l’histoire en une seule image », dit-il. « Les grands médias israéliens ne diffusent pas cette image. Ils ne comprennent pas cette image et ne veulent pas la comprendre ».


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