Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Un courriel en anglais : « Je m’appelle Yuval Caspi et je suis la fille du Dr Yosef Caspi. Vous avez écrit un article sur mon père. J’espère que vous pourrez m’aider à le retrouver et à connaître la date de sa publication. » Je n’avais aucune idée de ce à quoi cela faisait référence. Les archives de Haaretz l’ont trouvé : le 14 juillet 1995, il y a 30 ans, j’ai accompagné le Dr Caspi lors d’une visite à l’hôpital pour enfants Nasser de Khan Younèss.
Caspi, ancien médecin d’une unité d’élite des FDI et directeur du service de chirurgie pédiatrique de l’hôpital Soroka à l’époque, s’était porté volontaire pour traiter des patients cardiaques pédiatriques à Gaza. Il transférait certains de ces jeunes patients à Soroka pour y être soignés, lorsqu’il était en mesure d’obtenir les dons nécessaires.
La recherche de l’article oublié depuis longtemps a également été comme un voyage dans une machine à remonter le temps vers une réalité tout aussi oubliée. Aujourd’hui, l’hôpital Nasser est au centre des combats à Khan Younès. Les blessés et les morts y sont transportés quotidiennement par dizaines et par centaines.
Dans cette guerre, ce n’est plus un hôpital pour enfants. Difficile de dire si l’on peut encore parler d’hôpital, alors que des personnes meurent à même le sol, sans médicaments, et que le bâtiment est encerclé par l’armée israélienne. Le directeur de l’hôpital, le Dr Nahed Abu Taima, a déclaré cette semaine à Radio A-Shams : « Nous sommes pris dans une catastrophe ».
Il ne reste rien de ce qu’on trouvait à l’époque, dans les jours d’espoir de 1995. Le Dr Caspi ne vit plus ici non plus. Sa fille m’a dit qu’il avait déménagé aux USA peu de temps après, loin de Soroka et de Nasser. Il a aujourd’hui 71 ans.
Quant à Hani Al Hatum, il devrait avoir 40 ans aujourd’hui, s’il est encore en vie. Au cours de l’été 1995, Al Hatum a été admis à l’hôpital Nasser en raison d’une malformation congénitale de la valve cardiaque. Il avait une expression triste et des lèvres bleues. Sa tension artérielle menaçait de faire éclater les vaisseaux sanguins de son cerveau. Mohammed Batash était un patient plus jeune. Il n’était qu’un bébé à l’époque. Il devrait avoir 29 ans aujourd’hui. A-t-il survécu ? Il avait besoin d’une transplantation cardiaque. Les chances qu’il en reçoive une ne sont pas très grandes.
Farid Tartur, du camp de réfugiés de Bureij, n’est probablement plus en vie. Sa maison n’est sûrement plus debout. En 1995, il est venu à l’hôpital avec son bébé Yasser, qui avait un besoin urgent d’une greffe de moelle osseuse. Il avait entendu dire qu’il y avait un médecin israélien à l’hôpital et pensait qu’il pourrait peut-être sauver son fils. Il n’avait pas d’autre moyen de le sauver. Le père et le fils sont-ils encore en vie ? J’en doute fort.
Les enfants et les bébés de l’été 1995 sont aujourd’hui des combattants du Hamas. Quelles autres possibilités et opportunités avaient-ils dans la vie ? Ils sont nés sous l’occupation et ont grandi sous le blocus, sans aucune chance. Peut-être se battent-ils en ce moment même contre l’armée qui a envahi les restes de leur terre après que leurs camarades ont commis le massacre dans le sud d’Israël, ou peut-être fouillent-ils dans les décombres de ce qui reste de leurs maisons.
Depuis le début de la guerre, je n’ai pas osé téléphoner à qui que ce soit à Gaza. Je craignais qu’aucun des membres de mon petit cercle d’amis et de connaissances ne soit encore en vie. Et s’ils l’étaient, que leur dirais-je ? De s’accrocher ? D’être forts ? Dans le meilleur des cas, ils sont tous déracinés et n’ont plus rien à se mettre sous la dent.
Je pense souvent à eux. Y a-t-il une chance que Munir et Sa’id, deux chauffeurs de taxi dévoués et chers à mon cœur, soient encore en vie ? Munir, originaire de Beit Lahiya, s’est récemment remis d’une attaque cérébrale. La dernière fois que nous nous sommes parlé, il m’a demandé d’essayer de lui obtenir un permis de travail en Israël, malgré sa paralysie partielle. Il a suggéré qu’il travaille comme traducteur pour les ouvriers [gazaouis travaillant en Israël, NdT]. Je n’ai pas eu de nouvelles de Sa’id depuis longtemps.
J’ai adoré Gaza. Chaque visite était une expérience unique. Les Gazaouis sont différents des Palestiniens de Cisjordanie. Jusqu’à il y a 16 ans, c’était une communauté très chaleureuse, compatissante, courageuse, avec un sentiment de solidarité et, bien sûr, familière avec la souffrance. Pendant toutes les années où j’ai visité Gaza, je n’ai pas rencontré un seul “sauvage” ou “monstre”.
Je n’ai aucune idée de ce que les 16 années de blocus lui ont fait subir. Aujourd’hui, la guerre est en train de la tuer pour de bon. Il n’est pas difficile de deviner ce qui poussera à Gaza en sa mémoire.