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22/06/2022

AMIR OREN
La mythologie des Netanyahou mise à mal : Yoni, Bibi et la vérité sur Entebbe

Amir Oren, Haaretz, 14/6/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Amir Oren, observateur chevronné des affaires militaires et politiques d'Israël, des USA et de l'OTAN, écrit pour Haaretz sur la défense et les affaires gouvernementales depuis plus de deux décennies. Il est membre du comité éditorial du quotidien. @Rimanero

 

Un officier supérieur du renseignement militaire israélien rompt le silence sur le côté sombre du héros de l'intrépide mission de sauvetage des otages d'Entebbe : les doutes sérieux sur la santé mentale de Yoni Netanyahou, et comment sa famille a blanchi l'histoire.

Dans la mort, Yoni (à gauche) est devenu plus emblématique que tous les guerriers juifs tombés depuis Trumpeldor en 1920, grâce aux efforts incessants de sa famille pour le commémorer et passer sous silence les vérités qui dérangent. Photo Porte-parole des FDI, Marc Israël Sellem

Bien avant que Benjamin Netanyahou n'accède au pouvoir, c'est son frère, Yonatan, qui avait acquis la notoriété en Israël. C'est la relation entre ces deux faits et les biographies des frères qui ont façonné la trajectoire politique de Benjamin Netanyahou, cinq fois Premier ministre, et du pays qu'il a gouverné, tout en soulevant des questions gênantes sur la nature de l'héroïsme et du culte du héros, de la vérité et de la manipulation.

L'opération d'Entebbe, au cours de laquelle Yoni est le seul soldat israélien tué (quatre des otages civils, dont la vieille Dora Bloch, assassinée par les sbires d'Idi Amin dans un hôpital de Kampala, n'ont pas survécu), coïncidait avec le bicentenaire de l’indépendance usaméricaine.

Une garde d'honneur militaire se tient autour de la tombe du lieutenant-colonel Yonatan Netanyahou, co-commandant du raid commando israélien sur l'avion détourné en Ouganda, lors de ses funérailles au cimetière militaire de Jérusalem ; Photo AP

L'opération est immédiatement devenue une légende. Un raid audacieux en territoire hostile, à des milliers de kilomètres de chez soi, mené par les émissaires ailés d'une nation déterminée à combattre et à sauver plutôt qu'à se rendre, et où un officier supérieur, chef de la force la plus cruciale de tout le plan, a payé son courage de sa vie.

C'est Yoni qui a été préparé à la grandeur - le rejeton de la dynastie, avec Bibi, le cadet de Yoni de près de quatre ans, relégué au second plan. Bibi avait quitté Israël et commençait sa carrière à Boston en tant que consultant économique. Il utilisait le nom de Ben Nitay pour faciliter la tâche de ses collègues usaméricains et, à l'époque, il s'identifiait autant comme un USAméricain que comme un Israélien (« Mon frère le yored », l'émigrant qui a quitté Israël, comme l'appela un jour Yoni).

Mais la tragédie familiale a changé sa trajectoire, l'obligeant à retourner à Jérusalem et le lançant sur la voie du pouvoir, alimenté au départ par ce que les Netanyahou ont cultivé comme leur propre marque mythique de sacrifice ultime dans la lutte contre le terrorisme.

Le lieutenant-colonel Netanyahou n’était pas le premier commandant de haut rang à être tué à la tête de ses hommes. Des généraux et des colonels ont été victimes de combats dans de nombreuses guerres, batailles et fusillades en Israël. Mais dans la mort, Yoni est devenu une figure prééminente, plus emblématique que tous les guerriers juifs tombés au combat depuis Yosef Trumpeldor en 1920, en raison des efforts incessants de sa famille pour le commémorer. Ses actions controversées à l'aéroport d'Entebbe et le stress émotionnel qu'il subissait, et jusqu'à ka remise en cause de son aptitude au commandement, ont été passés sous silence.

Benjamin Netanyahou avec les effets personnels de son frère Yoni en avril 2019. Photo : Bureau de presse du gouvernement / Amos Ben Gershom

Le ministre de la Défense Shimon Peres, qui a vu un capital politique rapide dans l'affirmation que c'était lui, et non le prudent Premier ministre Yitzhak Rabin, qui était à l'origine de la décision d'exécuter ce plan risqué, a accédé à la demande sans précédent de la famille de renommer rétroactivement l'opération Thunderbolt en opération Yonatan. Les « Lettres de Yoni », un recueil d'écrits qui devait avoir un impact sur deux générations de jeunes hommes impressionnables sur le point de s'engager dans les forces de défense israéliennes, ainsi que sur leurs cousins de la diaspora, sont venues s'ajouter à l'iconographie.

Le Yoni des lettres n'est pas un super-héros. Il est réfléchi, sensible, partagé entre le national et le personnel. Il y a parfois des signes d'abattement, à la limite de la dépression. Mais il n'y a aucun indice du drame qui s'est déroulé dans les semaines précédant Entebbe et qui a été raconté la semaine dernière pour la première fois en public par un participant clé.

Ce témoin est Yosi Langotzki, 88 ans, colonel à la retraite, géologue de formation, avec deux carrières distinguées, militaire et civile. Officier de réserve à la tête d'une troupe de reconnaissance dans sa Jérusalem natale pendant la guerre de 1967, Langotzki a été rappelé au service actif pour occuper deux postes vitaux dans les services de renseignement.

Un policier israélien ouvre la voie aux otages d'Air France qui reviennent de leur calvaire à Entebbe. Photo David RUBINGER / Corbis via Getty Images