Le nouveau président syrien doit manœuvrer entre le monde occidental, le monde arabe et ses alliés miliciens étrangers qui se sentent marginalisés. Le consentement de Trump à l’intégration des combattants étrangers dans l’armée syrienne sert les intérêts des deux présidents.
Zvi Bar’el, Haaretz, 6/6/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
L’une des
conditions posées par Donald Trump au président syrien Ahmad al-Charaa pour
obtenir la pleine reconnaissance de son pays et la levée des sanctions était le
démantèlement de toutes les milices étrangères en Syrie et l’expulsion des
combattants. Une fois de plus, Trump n’a pas déçu.
Cela
ressemble à son revirement lorsqu’il a annoncé son « accord de cessez-le-feu »
avec les
Houthis au Yémen et a troqué ses menaces d’ouvrir les portes de l’enfer sur
l’Iran contre une diplomatie visant à un
nouvel accord nucléaire.
De la même
manière, il a radicalement changé sa position sur la Syrie. Cette semaine, il a
autorisé al-Charaa à intégrer des combattants étrangers dans la nouvelle armée
syrienne.
Dans ces
trois développements, Trump
a balayé les réserves d’Israël et l’a laissé manœuvrer seul sa
nouvelle carte géopolitique. La raison de ce revirement en Syrie pourrait
résider dans l’avertissement sévère que le secrétaire d’État Marco Rubio a
adressé au Comité des relations étrangères du Sénat le mois dernier.
« En fait,
nous estimons franchement que, compte tenu des défis auxquels elle est
confrontée, l’autorité de transition est peut-être à quelques semaines, et non
à plusieurs mois, d’un effondrement potentiel et d’une guerre civile à grande
échelle aux proportions épiques, qui conduirait essentiellement à la division
du pays », a
déclaré Rubio.
Un
avertissement similaire a été lancé par les amis de Trump, le prince héritier
saoudien Mohammed ben Salmane et l’émir qatari Tamim ben Hamad al-Thani, lors
de la visite de Trump dans la région le mois dernier. Le président turc Recep
Tayyip Erdogan a
exprimé des idées similaires.
Ils sont
tous les nouveaux protecteurs d’al-Charaa et ont promis de l’aider à forger une
nouvelle Syrie, à reconstruire son armée et à garantir que le nouvel avatar sera
pro-occidental et pacifique, et qu’il combattra l’État
islamique.
Mais comme
tout le monde l’a dit à Trump, sans la levée des sanctions, la Syrie n’aurait
aucune chance de se reconstruire et pourrait même s’effondrer, mettant en
danger toute la région.
Trump s’intéressait
à une autre question. Il n’a pas exigé que la Syrie devienne un pays
démocratique laïc où les droits de l’homme seraient le principe directeur.
Trump voulait savoir comment et quand il pourrait ramener les troupes usaméricaines
et quitter ce pays qu’il avait décrit en 2019, lorsqu’il avait annoncé pour la
première fois son intention de retirer les forces usaméricaines, comme un
endroit où il y avait « beaucoup de sable ».
Ainsi, si le
départ des USAméricains nécessite un renforcement d’al-Charaa et si la
condition est un “arrangement” avec les
milices étrangères, alors les considérations idéologiques ou morales ne
feraient que perturber les plans de Trump.
Ces milices
sont estimées à quelques milliers de combattants provenant d’une douzaine de
pays, dont la Tchétchénie, la Chine, la Turquie, la Jordanie et l’Égypte. Elles
constituaient l’épine dorsale d’al-Charaa lorsqu’il dirigeait les rebelles du
Hayat Tahrir al-Cham dans la province d’Idlib, et en décembre dernier, lorsqu’il
a lancé sa campagne éclair pour prendre Damas et renverser le régime d’Assad.
Mais il ne s’agit
pas de mercenaires d’al-Charaa qui, une fois leur mission accomplie, peuvent
être payés et renvoyés chez eux. Les combattants ne peuvent pas retourner dans
leur pays d’origine, où la plupart d’entre eux sont considérés comme des
terroristes. Et sans une solution qui garantisse leur sécurité en Syrie, le
danger est qu’ils retournent leurs armes contre le nouveau gouvernement.
Comme l’a
déclaré l’un de ces combattants à un site ouèbe en langue arabe : « Après
toutes ces souffrances, après le changement de politique et le changement de
drapeau » – du drapeau du parti Baas à l’ancien drapeau syrien – « j’ai l’impression
d’être à découvert, comme si nous avions été oubliés, comme si les immigrés qui
ont tout sacrifié étaient devenus un fardeau ». Al-Charaa est conscient que le
chemin vers la lutte armée pourrait être court.
Les
combattants étrangers sont arrivés en Syrie en 2012, environ un an après le
début de la guerre civile. Depuis, ils se sont intégrés, ont fondé des familles
et créé des entreprises et, si vous leur demandez, sont devenus partie
intégrante de la société.
Beaucoup étaient
motivés par les idéologies religieuses d’Ayman al-Zawahiri, le chef d’Al-Qaida,
et d’Abou Bakr al-Baghdadi, le chef de l’État islamique. Certains ont combattu
pour l’État islamique avant de rejoindre al-Charaa, qui utilisait alors le nom
de guerre Abou Mohammed al-Joulani. D’autres ont créé des milices qui ont
offert leurs services à al-Charaa, puis, après sa rupture avec Al-Qaida en
2016, ont soit continué avec Al-Qaida, soit aidé l’État islamique.
À l’époque, al-Charaa
devait lutter à la fois contre l’armée du régime d’Assad et les milices
rivales, jusqu’à ce qu’il forme Hayat Tahrir al-Cham, une coalition de milices.
En cours de route, il n’a pas hésité à tuer ses rivaux, y compris certains qui
faisaient partie de son cercle restreint, lorsqu’il a découvert, ou cru
découvrir, qu’ils cherchaient à le renverser ou qu’ils étaient en désaccord
avec ses politiques et sa vision du monde.
Le passage
de la direction d’un ensemble de milices à celle d’un pays a obligé al-Charaa à
se démener pour empêcher cet ensemble de se désagréger. Il a dû former une
grande force nationale loyale opérant dans tout le pays, mais il s’est heurté à
un champ de mines constitué de groupes ethniques et de milices armées.
Parmi
ceux-ci figurent les
Druzes, les
Kurdes et les
Alaouites (la secte de la famille Assad) ; les deux premiers au moins sont
lourdement armés et réclament l’autonomie. En outre, des dizaines de milices
composées de Syriens et d’étrangers sont réticentes à abandonner les zones qu’elles
contrôlent, qui financent leurs opérations et leur mode de vie.
Al-Charaa a
également dû trouver des financements pour l’État syrien, afin de mettre en
place les institutions gouvernementales, les forces de l’ordre, la justice et
les services civils détruits sous le régime d’Assad.
Une fois de
plus, il a dû suivre deux voies : établir des relations avec des pays arabes et
occidentaux méfiants en prouvant sa volonté d’adopter des politiques
pro-occidentales, y compris une éventuelle volonté de reconnaître Israël, tout
en apaisant ses frères d’armes, les commandants des milices radicales qui
éveillent les soupçons des pays qu’il courtise.
Al-Charaa a
rapidement nommé certains des commandants étrangers à des postes élevés dans l’armée
et les services de sécurité syriens, faisant de certains d’entre eux des
généraux.
Il a
également conclu un accord temporaire avec les Kurdes, qui ont annoncé leur
volonté de rejoindre l’armée syrienne à condition de pouvoir créer une unité
kurde qui n’opérerait que dans les zones kurdes, une condition à laquelle al-Charaa
s’oppose. Al-Charaa a également conclu un accord partiel avec les Druzes,
soutenu par plusieurs grandes milices druzes, même si d’autres attendent de
voir où va la Syrie.
Quant aux
petites milices, dont certaines ne comptent que quelques dizaines ou centaines
de combattants, il leur a ordonné de déposer les armes et de rejoindre l’armée
avant le 27 mai.
La semaine
dernière, le ministre syrien de la Défense, Murhaf Abu Qasra, a déclaré que
jusqu’à présent, plus de 130 miliciens avaient rejoint l’armée et formeraient
une brigade distincte.
Ce compromis
visait à obtenir le consentement des USAméricains pour l’enrôlement des
combattants étrangers au lieu de leur expulsion. L’hypothèse est que s’ils font
partie d’une unité spéciale, ils peuvent être déployés dans des missions moins
sensibles et être étroitement surveillés.
Mais cela ne
résout pas le problème de l’endoctrinement religieux radical dont ont fait l’objet
la plupart de ces combattants, qui les a poussés à venir en Syrie. Cela
pourrait avoir des conséquences concrètes.
Par exemple,
l’armée syrienne est censée gérer les grands complexes pénitentiaires où sont
détenus des dizaines de milliers de combattants de l’État islamique et leurs
familles, principalement dans le nord du pays.
Ces
installations sont sous contrôle kurde. La crainte est que si ces complexes
sont transférés à l’armée syrienne, certains soldats redécouvrent leurs «
frères perdus » de l’État islamique et les aident à s’échapper, ou pire,
collaborent avec eux contre le régime.
Cette
crainte devrait être prise en compte par la Turquie, qui a proposé de combattre
l’État islamique à la place des USAméricains, qui se retireraient alors de
Syrie. Dans le passé, Washington a rejeté cette idée, mais elle semble
désormais constituer une solution acceptable qui permettrait à Trump de réfuter
les accusations selon lesquelles le retrait des troupes usaméricaines équivaut
à abandonner les Kurdes et la lutte contre l’État islamique.
L’accord
concernant les milices étrangères est loin de suffire à imposer l’autorité de l’État
sur les forces armées. Les accords avec les Kurdes et les Druzes n’existent
encore que sur le papier. Les Alaouites, qui vivent sur la côte, sont une
source de friction, tout comme les vestiges du régime Assad, qui sont armés et
envisagent une contre-révolution.
Pour l’instant,
al-Charaa bénéficie d’un large soutien arabe et occidental. Mais il devra
bientôt prouver aux Syriens que sa révolution est plus que quelques slogans
accrocheurs.