Seraj Assi et Zachary Foster, Haaretz, 21/3/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Seraj Assi est un Palestinien né en Israël, titulaire d’un doctorat en études arabes et islamiques de l’université de Georgetown (Washington DC, USA), où il est chercheur invité. Il est professeur adjoint d’arabe à l’université George Mason (Fairfax, Virginie). Il est l’auteur de The History and Politics of the Bedouin. Reimagining Nomadism in Modern Palestine, Routledge 2018. @Srjassi
Zachary Foster est un historien usaméricain de la Palestine et le créateur de Palestine Nexus. @_ZachFoster
Des hommes politiques israéliens comme le ministre des Finances Bezalel Smotrich persistent à nier l’existence d’un peuple palestinien, mais les faits historiques parlent d’eux-mêmes. Smotrich et les conservateurs usaméricains pro-israéliens devraient écouter.
Le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, a prononcé en mars à Paris un discours niant l’existence des Palestiniens en tant que peuple, affirmant que “la nation palestinienne n’existe pas” : « Il n’existe pas de nation palestinienne. Il n’y a pas d’histoire palestinienne. Il n’y a pas de langue palestinienne ».
La plus ancienne carte ptolémaïque de la Palestine encore existante. Copie grecque byzantine de la carte de la 4e carte de l’ Asie de Ptolémée [IIème siècle ap. J-C). Tirée du Codex Vaticanus Urbinas Graecus 82, Constantinople vers 1300. Probablement assemblée par Maximus Planudes ; plus tard en possession de Palla Strozzi (1372-1462) puis de Federico da Montefeltro, duc d’Urbino. Les grandes lettres rouges au centre indiquent en grec : Παλαιστινης ou Palaistinis.
Autre carte de la
Palestine de Ptolémée
Smotrich n’était pas le premier haut responsable israélien à nier l’existence du peuple palestinien. Il faisait clairement écho au fameux dicton de Golda Meir : « Les Palestiniens, ça n’existe pas », ainsi qu’aux remarques plus récentes de la députée du Likoud Anat Berko, qui a affirmé que le peuple palestinien n’existait pas « parce qu’il ne peut pas prononcer la lettre P », une déclaration qui pourrait faire un titre dans The Onion (site satirique].
Ces dernières années, nier l’existence nationale des Palestiniens est devenu un stéréotype faux-cul populaire parmi les politiciens pro-israéliens en Occident également. Les politiciens conservateurs usaméricains ont nié à plusieurs reprises l’existence des Palestiniens à des fins politiques. Pour Mike Huckabee [ancien gouverneur républicain de l’Arkansas et pasteur baptiste, NdT] : « Les Palestiniens n’existent pas vraiment ». Pour Newt Gingrich, ancien président de la Chambre des représentants : « Il n’y a pas eu d’État palestinien, je pense que le peuple palestinien a été inventé ».
Une fois de plus, les Palestiniens se trouvent dans l’obligation de défendre leur existence même en tant que peuple. Heureusement, les données historiques sont sans ambiguïté et parlent d’elles-mêmes : Les Palestiniens sont connus sous le nom de Palestiniens depuis le XIXe siècle.
Les références aux Palestiniens en tant que peuple remontent aux années 1870, lorsque des voyageurs et diplomates usaméricains et européens en Palestine ont commencé à désigner les habitants arabes de la Palestine comme “Palestiniens”. Parmi eux, le consul britannique à Jérusalem, James Finn, le missionnaire protestant allemand Ludwig Schneller et la voyageuse irlando-usaméricaine Adela E. Orpen, qui ont tous appelé les habitants arabes musulmans et chrétiens de la Palestine “Palestiniens”.
C’est avec l’écrivain palestinien Khalil Baydas (1874-1949) que l’appellation “palestinien” s’est imposée en arabe. Baydas a été le premier Arabe à utiliser le terme “palestinien” au sens moderne et national du terme. En 1898, il publie une traduction arabe d’un traité russe populaire, Description de la Terre Sainte. Son objectif était évidemment patriotique. « Les livres arabes de géographie sur le sujet étaient insuffisants », écrit-il dans l’introduction. « Le peuple de Palestine avait besoin d’un livre de géographie sur son pays ». Le reste de l’ouvrage est truffé de références aux Palestiniens en tant que peuple.
Au XXe siècle, après que la révolution constitutionnelle ottomane a assoupli les lois sur la censure de la presse en 1908, des dizaines de périodiques sont apparus en Palestine, et le terme “palestinien” a ainsi gagné en popularité. Entre 1908 et 1914, le terme apparaît quelque 170 fois dans plus de 110 articles de livres et de journaux arabes.
En 1911, Isa al-Isa et Yusif al-Isa, des cousins palestiniens de Jaffa, ont fondé ce qui allait devenir le journal le plus populaire de Palestine, pour lequel ils ont choisi le nom de Filastin. En fait, des années avant la fondation de Filastin, plusieurs autres Palestiniens, dont Ilyas Bawwad à Safed et Yusuf Siddiqi à Hébron, avaient tenté de lancer un journal appelé Palestine ou Filastin, mais aucune de ces tentatives ne s’était concrétisée.
Un sentiment d’identité palestinienne se développe en Palestine et au-delà, et les Palestiniens de l’Est à l’Ouest adoptent rapidement cette identité. Entre 1908 et 1914, une multitude d’associations “palestiniennes” sont créées à Chicago, Beyrouth et Istanbul.
L’occupation britannique de la Palestine pendant la Première Guerre mondiale n’a fait qu’accélérer le rythme d’adoption de l’identité nationale palestinienne. En 1919, craignant la montée du sionisme et de l’immigration juive en Palestine, le premier congrès arabe palestinien se tient à Jérusalem. Le 3 septembre 1921, le journal Filastin déclare : « Nous sommes d’abord des Palestiniens et ensuite des Arabes ».
L’identité palestinienne ne tardera pas à se répandre dans les villes et les villages de Palestine. En 1925, l’éminent éducateur palestinien Khalil Sakakini a parcouru la campagne palestinienne en tant que représentant de la délégation du sixième Congrès arabe palestinien. Il s’en souviendra plus tard : « La nation palestinienne vivait une phase de lune de miel du nationalisme ».
Même les dirigeants sionistes ont été contraints de reconnaître l’existence d’une identité nationale palestinienne. En 1923, Ze’ev Jabotinsky écrit : « le peuple arabe de Palestine dans son ensemble ne vendra jamais ce patriotisme fervent qu’il garde si jalousement ». En 1929, David Ben-Gourion prévient qu’un mouvement national arabe palestinien est en train de naître.
Grâce au Grand soulèvement palestinien, qui a duré de 1936 à 1939, le terme “palestinien” était tout simplement omniprésent dans la presse à la fin des années 1930. De nombreux écrivains palestiniens, par exemple, tenaient à souligner que des familles “non palestiniennes”, notamment les Sursuq (ou Sursock), avaient vendu des “terres palestiniennes” aux sionistes. Les écrivains arabes ont également invoqué le terme pour faire l’éloge des “Palestiniens” qui ont joué un rôle clé dans le mouvement littéraire arabe d’avant-guerre, ou de ceux qui ont rejoint la Grande Révolte arabe, dirigée par l’émir Faysal Ier pendant la Première Guerre mondiale.
Tout cela montre que les Arabes de Palestine sont connus sous le nom de Palestiniens depuis [au moins] le dix-neuvième siècle et qu’ils se sont toujours identifiés comme Palestiniens.
Alors pourquoi les propagandistes racistes comme Smotrich ressentent-ils constamment le besoin de nier l’existence des Palestiniens ? Parce que la notion même de peuple palestinien rappelle constamment que l’entreprise sioniste a été fondée sur l’effacement de l’identité nationale des Palestiniens. Mais l’histoire nous enseigne que le peuple palestinien existait bien avant la création de l’État d’Israël, et même avant le mouvement sioniste moderne.
NdT
La palme de l'infamie revient sans doute à Shmuel Trigano, dans l'article Le passé historique du mot « Palestine » – Peleshet/Philistie, Plishtim/ Philistins/Envahisseurs (2021). Il écrit :
“C’est le KGB qui en 1964 réécrivit l’histoire pour les « idiots utiles »
d’Occident, la gauche socialiste, communiste, tiers mondiste, en
faisant de la guerre des Arabes contre les Juifs (ce que fut excactement
la guerre de 1948 rassemblant plusieurs pays arabes contre Israël, une
guerre semi nationaliste, semi djihadique), une guerre nationale
palestinienne contre le colonialisme occidental.” [sic]