Fred Kaplan, Slate, 4/2/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Lors d’une conférence de presse mardi soir 4 février, Donald Trump a tenu les propos les plus foldingues sur le Moyen-Orient qu’un président usaméricain ait jamais prononcés dans l’histoire.
Il a proposé
non seulement que les quelque 2 millions de Palestiniens de Gaza quittent leur
patrie - parce que, a-t-il dit, c’est “un trou à rats” et qu’il en sera
toujours ainsi - mais aussi que les USA s’en emparent, la “possèdent” (il a
lâché cette expression à plusieurs reprises) et la transforment en “Riviera du
Moyen-Orient”.
Oui, il a
vraiment dit ça.
Oui, a-t-il
reconnu, les dirigeants jordaniens et égyptiens insistent sur le fait qu’ils ne
veulent pas participer à ce déplacement forcé ; ils ne veulent certainement pas
de l’instabilité qu’entraînerait l’arrivée de près de 2 millions de réfugiés
palestiniens dans leurs propres villes surpeuplées. Mais Mister Trump est
convaincu que ces pays “ouvriront leurs cœurs” et créeront des lieux chaleureux
et pacifiques où les réfugiés pourront vivre leur vie loin de la violence que
le Hamas leur a imposée.
Ou bien, a
imaginé Mister Trump, les Palestiniens pourraient être réinstallés dans “un,
deux, trois, quatre, cinq, sept, huit, douze sites, ou un grand site” - peu
importe, tant qu’ils “vivent dans le confort et la paix ... Nous ferons en
sorte que quelque chose de vraiment spectaculaire puisse être fait”.
Il ne s’agissait
pas de remarques spontanées et irréfléchies. Mister Trump a répété ces propos à
plusieurs reprises. Il a déclaré qu’il y pensait depuis un certain temps. Il a
dit qu’il avait proposé l’idée à des dirigeants de la région qui l’ont trouvée “merveilleuse”.
(Il n’a pas identifié les personnes qui l’ont fait marcher, si tant est que
quelqu’un ait dit ça).
Il a fait
ces déclarations lors d’une conférence de presse aux côtés du Premier ministre
israélien Benjamin Netanyahou, après que les deux hommes se sont entretenus en
privé pendant plus d’une heure. Un journaliste a demandé à Netanyahou ce qu’il
pensait de l’idée de Mister Trump. Il a semblé aussi surpris que tout le monde,
même s’il s’est efforcé d’être poli.
L’objectif d’Israël,
a souligné le Premier ministre, est de s’assurer que Gaza ne représente plus
jamais une menace pour lui. « Le président Trump porte cette question à un
niveau bien plus élevé », a-t-il déclaré. « Il envisage un avenir
différent pour ce terrain. ... Il a une idée différente, et cela vaut la peine
d’y prêter attention. ... Cela vaut la peine de poursuivre dans cette voie ».
Euh, euh...
On a demandé à Mister Trump si sa vision impliquait qu’il rejetait l’idée d’un État palestinien. Il a répondu qu’il ne rejetait aucune idée, même si, bien sûr, l’expulsion des Palestiniens de Gaza signifie précisément ça. Son hypothèse (à laquelle il croit probablement), selon laquelle les habitants seront plus heureux de vivre dans un pays moins violent, ne tient pas compte du fait qu’ils considèrent que Gaza, c’est chez eux. Il n’a pas non plus précisé où se trouverait leur nouveau foyer.
Il a déclaré
que les Saoudiens voulaient absolument normaliser les relations avec Israël,
tout en ignorant le fait qu’ils ont explicitement déclaré qu’ils n’avaient aucun
intérêt à le faire à moins qu’Israël n’accepte au moins l’objectif d’un
État palestinien et ne s’engage activement dans des négociations en vue de la
création d’un tel État.
Mais il ne s’agissait
pas simplement du spectacle d’un homme engagé dans une fantaisie
extra-terrestre. Il pourrait avoir des conséquences dans le monde réel. Israël
et le Hamas sont au milieu de la première phase d’un cessez-le-feu, qui se
déroule mieux que prévu. Si une deuxième phase est lancée, ce pourrait être le
début d’une paix permanente. Certains s’attendaient à ce que Mister Trump
profite de sa rencontre pour faire pression sur Netanyahou afin qu’il accepte
cette paix, même si cela devait signifier la fin de sa coalition
gouvernementale avec les partis d’extrême-droite.
Et pourtant,
voilà que Trump présente un plan d’expulsion des Palestiniens - de l’endroit vers
lequel ils ont été expulsés de ce qui est aujourd’hui Israël - et transforme la
bande de Gaza, leur patrie, en une propriété en bord de mer “détenue” par des
promoteurs immobiliers usaméricains pour les cosmopolites du monde entier.
Le Hamas
prendra-t-il au sérieux la phase 2 du cessez-le-feu si c’est ce que le
président usaméricain a en tête pour la phase 3 ? L’Égypte et le Qatar,
partenaires de cette négociation, continueront-ils à considérer les USA comme
un médiateur sérieux ? La Jordanie et l’Arabie saoudite, participants
nécessaires à toute reconstruction d’après-guerre, souhaiteront-elles être
considérées comme les facilitateurs d’une telle vision ? Le roi de Jordanie
prévoit de rendre visite à Trump à la Maison Blanche à la fin du mois. Après ça,
il doit sûrement réviser ses plans de voyage. Et puis il y a Steve Witkoff, l’émissaire
de Trump au Moyen-Orient, qui a aidé les fonctionnaires de Biden à conclure le
cessez-le-feu dans les derniers jours de l’administration précédente. À quoi
devait penser ce négociateur très pratique, pragmatique et très efficace, assis
à regarder ce spectacle entre les journalistes et une poignée d’autres
fonctionnaires ?
La vision de
Trump est une caricature de l’impérialisme usaméricano-sioniste tout droit
sortie de l’imagination d’un dirigeant du Hamas - sauf que maintenant, il
semble bien que ce soit le véritable président usaméricain qui l’ait imaginée de bout en
bout.
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