Affichage des articles dont le libellé est Droit d'asile. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Droit d'asile. Afficher tous les articles

30/06/2023

GABRIEL TAN
La Cour d’appel britannique estime que le plan Rwanda est illégal car le Rwanda n’est pas un pays tiers sûr

Gabriel Tan, Freemovement, 29/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Gabriel Tan est un candidat à la licence en droit civil à l’Université d’Oxford et un ancien chargé de dossiers de droit public au cabinet Wilson Solicitors. @finishedloading

La Cour d’appel d‘Angleterre et du Pays de Galles a estimé, à la majorité, que le plan Rwanda était illégal car le Rwanda n’est pas un pays suffisamment sûr. En bref, les autorités rwandaises ne sont pas encore en mesure de faire le tri entre les réfugiés authentiques et les autres, et le risque est donc trop grand que les réfugiés authentiques soient renvoyés dans leur pays d’origine où ils risquent d’être persécutés. Les Afghans et les Syriens, par exemple, ont actuellement un taux de rejet de 100 % au Rwanda.


L’intégralité de l’arrêt est accessible ici, et un résumé de cet arrêt est accessible ici. L’arrêt majoritaire est rendu par le Master of the Rolls [garde des archives], Sir Geoffrey Vos, et le vice-président de la division civile de la Cour d’appel, Lord Justice Underhill. Le Lord Chief Justice, Lord Burnett, est en désaccord et aurait rejeté ce moyen d’appel.

Tous les autres moyens invoqués par les demandeurs d’asile contre le plan Rwanda ont été rejetés à l’unanimité.

Vous pouvez visionner le résumé des conclusions de la Cour par le Lord Chief Justice ici :

 

Le Rwanda n’est pas un pays tiers sûr

Sir Geoffrey Vos et Lord Justice Underhill rendent des jugements séparés. Lue ensemble, leur décision est que les déficiences du système d’asile rwandais signifient qu’il y a des raisons substantielles de croire qu’il existe un risque réel que les personnes envoyées au Rwanda soient renvoyées dans leur pays où elles ont été persécutées ou ont subi d’autres traitements inhumains, alors qu’elles ont en fait une bonne raison de demander l’asile.

Cela signifie que le plan Rwanda viole l’article 3 de la CEDH [Cour européenne des droits de l’homme], et plus précisément le critère énoncé dans l’affaire Soering contre Royaume-Uni (1989) 11 E.H.R.R. 439, selon lequel une décision ou une politique est contraire à l’article 3 lorsqu’il y a des motifs sérieux de croire qu’elle exposerait les demandeurs d’asile à un risque réel de mauvais traitements au titre de l’article 3.

Cette conclusion est fondée sur les preuves, principalement celles de la Commission des droits de l’homme des Nations unies, selon lesquelles le système rwandais d’examen des demandes d’asile était, jusqu’à la finalisation du plan Rwanda, inadéquat.

Alors que la majorité (en accord avec Lord Burnett) souligne qu’il n’y a pas de preuve suggérant que le gouvernement rwandais a conclu l’accord de mauvaise foi, les points suivants sont soulignés dans le jugement de Lord Justice Underhill comme soutenant la conclusion que le système rwandais n’était pas fiable, équitable et efficace aux dates concernées :

1.      La preuve de la manière dont les entretiens sur l’asile sont menés.

2.     L’absence de possibilité pour les demandeurs de présenter leurs demandes par l’intermédiaire d’un avocat.

3.     La preuve que l’autorité chargée de statuer sur les demandes d’asile ne dispose pas des compétences et de l’expérience suffisantes pour prendre des décisions fiables.

4.    La preuve que les ONG censées être en mesure de fournir une assistance juridique n’ont probablement pas les capacités suffisantes pour le faire.

5.     Le fait que la procédure d’appel devant la Haute Cour rwandaise n’ait pas du tout été testée, ainsi que les motifs d’inquiétude quant à la culture judiciaire rwandaise, qui fait que les juges sont peu enclins à inverser les décisions des décideurs exécutifs, sont autant de raisons de s’inquiéter.

Cela a conduit le Master of the Rolls, Sir Geoffrey Vos, à conclure que « d’après les preuves présentées à cette Cour, il n’y avait tout simplement pas assez de preuves pour démontrer que les fonctionnaires seraient formés de manière adéquate pour prendre des décisions saines et raisonnées » (paragraphe 99). Lord Justice Underhill a souscrit à cette conclusion, estimant que « le système rwandais de détermination du statut de réfugié n’était pas, à la date pertinente, fiable, équitable et efficace » (paragraphe 263).

Les assurances données au gouvernement britannique par le gouvernement rwandais ont été jugées insuffisantes. Vos MR a souligné la conclusion de la Cour suprême israélienne selon laquelle le gouvernement rwandais avait déjà violé un accord similaire entre Israël et le Rwanda (paragraphe 102). Cela est important non seulement pour la procédure d’asile, mais aussi pour la sécurité même des réfugiés, étant donné que la police rwandaise a abattu au moins 12 réfugiés congolais en 2018. Vos MR poursuit en disant (paragraphe 104) :

le problème que pose l’acceptation sans critique du point de vue du SSHD [ministère de l’Intérieur] selon lequel les assurances sans équivoque du MEDP [l’acronyme du partenariat entre le Royaume-Uni et le Rwanda] peuvent éliminer tout risque réel de violation de l’article 3 est que les institutions structurelles à l’origine des violations du passé subsistent aujourd’hui au Rwanda.

Underhill LJ critique l’approche adoptée par le gouvernement britannique sur cette question. Il admet que les fonctionnaires ne se sont pas contentés de “suivre le mouvement”, mais il poursuit (paragraphe 268)

peut-être en raison de la pression du calendrier qu’ils devaient respecter, je pense que les fonctionnaires en question ont été trop prompts à accepter des assurances qui n’étaient pas spécifiées ou pas prouvées ou dont les détails n’étaient pas explorés : l’émergence tardive du problème des interprètes en est l’illustration.

Il poursuit en citant l’examen des informations sur les pays utilisé par le gouvernement britannique par le groupe consultatif indépendant sur les informations sur les pays au nom de l’inspecteur en chef indépendant des frontières et de l’immigration.

Il est important de noter que la majorité de la Cour n’a pas jugé que le Royaume-Uni était obligé de statuer sur les demandes d’asile des réfugiés qui arrivent dans sa juridiction ; elle a jugé que le Rwanda n’était pas un pays sûr vers lequel envoyer les réfugiés pour qu’ils fassent l’objet d’une décision sur leurs demandes. Les juges n’excluent pas la possibilité de renvoyer des réfugiés vers un pays véritablement sûr.

Tous les autres moyens du pourvoi sont rejetés

Tous les autres moyens de recours des demandeurs d’asile contre le plan Rwanda ont été rejetés. Voici un résumé des conclusions de la Cour.

Premièrement, en ce qui concerne l’effet de la Convention sur les réfugiés, la Cour d’appel conclut, en accord avec la Haute Cour, que l’article 31 n’empêche pas en principe le Royaume-Uni d’expulser les demandeurs d’asile vers un pays tiers sûr.

Deuxièmement, en ce qui concerne le maintien de la législation de l’UE, la Cour d’appel conclut, en accord avec la Haute Cour, que le droit de l’UE, qui permet uniquement aux demandeurs d’asile d’être renvoyés vers un pays tiers sûr lorsqu’ils ont un certain lien avec celui-ci (aucun des demandeurs d’asile requérants n’a de lien avec le Rwanda), a cessé de faire partie du droit du Royaume-Uni à la suite de la législation primaire qui a suivi le Brexit.

Troisièmement, en accord avec la Haute Cour, la Cour d’appel conclut que l’utilisation de conseils aux personnes chargées de traiter les dossiers pour qu’elles considèrent le Rwanda comme un pays tiers sûr, plutôt qu’une désignation officielle, n’était pas illégale.

Quatrièmement, en accord avec la Haute Cour, la Cour d’appel conclut que les renvois vers le Rwanda ne sont pas eux-mêmes rendus illégaux par des violations de la loi sur la protection des données.

Cinquièmement, en ce qui concerne l’équité de la procédure, si la Cour d’appel estime que le gouvernement doit donner des orientations aux responsables de dossiers en insistant sur la nécessité de faire preuve de souplesse en accordant des prolongations du délai de sept jours lorsque l’équité l’exige, elle conclut que la période de sept jours ne rend pas le processus décisionnel “structurellement inéquitable et injuste”.

L’effet de l’arrêt

Le résultat de l’arrêt de la Cour d’appel est que la décision de la Haute Cour selon laquelle le Rwanda était un pays tiers sûr est renversée et que tant que les lacunes de ses procédures d’asile n’auront pas été corrigées, l’expulsion des demandeurs d’asile vers le Rwanda sera illégale.

Il est très probable que l’affaire sera portée devant la Cour suprême. Il semble tout à fait possible que la Cour d’appel accorde elle-même l’autorisation, compte tenu de la division entre les juges. On ne sait pas combien de temps cela prendra, mais ce sera au moins une question de mois. Dans l’intervalle, compte tenu des conclusions majoritaires de la Cour, il est clair qu’aucun renvoi vers le Rwanda ne sera possible.

Quelle que soit la décision de la Cour suprême, il semble également probable que l’affaire sera portée devant la Cour européenne des droits de l’homme, étant donné qu’elle soulève d’importantes questions en matière de droits de l’homme.