Malgré des décisions préfectorales d’éloignement, les juges se voient dans l’impossibilité de valider ces demandes en raison de la situation sur place. La rétention de certains étrangers est prolongée, alors que ce système ne doit s’appliquer qu’à ceux dont l’expulsion est imminente.
Christophe Ayad et Julia Pascual, Le Monde, 30/8/2024
Il est le sixième à se présenter devant le juge des libertés et de la détention, mercredi 28 août. Dans cette annexe du tribunal judiciaire qui jouxte le centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne), le juge se prononce tous les jours sur la prolongation des rétentions d’étrangers demandée par l’administration. A quelques encablures de là, des avions décollent en continu des pistes de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle.
A priori, les personnes placées en rétention ont vocation à être expulsées dans un délai maximum de quatre-vingt-dix jours. Mais Issa (les personnes citées par leur prénom sont anonymisées) n’a pour ainsi dire aucune chance de l’être. Et pour cause : il est originaire de Gaza. « Il y a une absence totale de perspective d’éloignement », est venu plaider ce jour-là son avocat, Samy Djemaoun, alors que le droit prévoit qu’un étranger ne peut être retenu « que pour le temps strictement nécessaire à son départ ». « Il y a, à Gaza, une situation de violence aveugle, il n’y a pas un mètre carré qui n’est pas bombardé, donc, aller à Gaza, c’est aller se tuer, a encore plaidé Me Djemaoun. Et la Palestine n’a pas le contrôle de ses frontières extérieures, donc demander un laissez-passer consulaire à la Palestine est vain. »
C’est pourtant ce qu’a fait le préfet de la Seine-Saint-Denis, qui a placé Issa en rétention en août et sollicité les autorités palestiniennes en vue de son éloignement – alors que la France ne reconnaît pas l’Etat palestinien. L’homme de 34 ans, père de deux enfants français et conjoint d’une Française, est arrivé dans l’Hexagone en 2010. Il a fait l’objet d’une condamnation en juin 2022 à quatre mois de prison avec sursis et à une interdiction du territoire de cinq ans pour avoir fait entrer deux Syriens illégalement en France. Son nom apparaît aussi – sans qu’il ait été condamné – dans des affaires de vols, de violences, de dégradation de biens privés ou encore d’escroquerie. Aux yeux des autorités françaises, il constitue une « menace à l’ordre public ».
« Aberration »
Mercredi, en fin de journée, le juge a finalement décidé sa remise en liberté, pour un vice de procédure. Ils sont plusieurs, comme lui, à avoir été placés en rétention. Au total, depuis le début de l’année et d’après les données compilées par Le Monde auprès de plusieurs associations intervenant en CRA, près d’une vingtaine de ressortissants palestiniens ont été placés en rétention. Selon le ministère de l’intérieur, à ce jour, trois sont toujours retenus. A chaque fois, la France a entrepris des démarches auprès des autorités consulaires palestiniennes en vue de leur identification et de leur éloignement. Aucune des personnes n’a pourtant été reconduite en Palestine.
Certaines ont en revanche été renvoyées vers un Etat duquel elles bénéficiaient de la nationalité, à l’image de la militante palestinienne d’extrême gauche Mariam Abudaqa, qui devait participer à diverses conférences sur le conflit israélo-palestinien et qui a été expulsée vers l’Egypte en novembre 2023. Certains Palestiniens ont aussi été éloignés vers un autre Etat européen où ils bénéficiaient d’un titre de séjour ou avaient une demande d’asile en cours. D’autres encore ont fini par être libérés. Pour Claire Bloch, de la Cimade, une association d’aide aux migrants, « c’est une aberration que des juges prolongent des rétentions alors qu’il n’y a pas d’éloignement possible vers la Palestine. Et s’il y en avait, ce serait en violation de l’article 3 de la CEDH [Convention européenne des droits de l’homme], qui interdit la torture ».
Dans une décision du 16 juin, un juge de Bordeaux a pourtant prolongé la rétention d’un Gazaoui au motif principal que « les autorités consulaires de Palestine et d’Israël ont été saisies ». Ce dernier se trouve toujours en rétention à ce jour. Dans une autre décision du 17 juillet, rendue cette fois par un juge de Lille, c’est au motif qu’une « demande de laissez-passer consulaire a été faite auprès de la mission de Palestine en France », bien que restée sans réponse, que la rétention d’un Palestinien a été prolongée de trente jours.
Selon une source au ministère de l’intérieur, « il n’y a pas d’interdiction a priori de procéder à un éloignement vers un quelconque pays, même s’il peut y avoir des impossibilités techniques ou diplomatiques ». Cette source avance en outre que certaines personnes se prévalant de la nationalité palestinienne sont en réalité originaires d’un autre pays.
« Risque de traitements inhumains »
« Les personnes placées en rétention sont en priorité des étrangers qui représentent une menace à l’ordre public », ajoute-t-on place Beauvau. Cela se traduit notamment par des condamnations pénales comportant des interdictions du territoire. Un élément que l’administration n’hésite pas à plaider devant le juge des libertés et de la détention. « La rétention ne doit pas être un moyen de régulation de la sécurité, estime, de son côté, Claire Bloch. C’est un détournement du droit des étrangers à des fins de répression. »
Jeudi 29 août, Me Djemaoun est allé au tribunal défendre un autre Palestinien, Youssef, retenu depuis le 9 août au Mesnil-Amelot. Le préfet de la Seine-Saint-Denis a décidé de son expulsion après des condamnations, notamment une pour recel de vol de téléphone portable en récidive assortie d’une interdiction du territoire français. Le tribunal administratif de Montreuil avait annulé, le 23 août, l’arrêté de fixation du pays de renvoi au motif que son expulsion vers la Palestine l’exposerait à « un risque de traitements inhumains ou dégradants », en violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Un juge de Meaux a pourtant rejeté sa demande de remise en liberté. Décision dont il a fait appel. « Le préfet, nonobstant l’annulation du pays de renvoi, a demandé au Maroc de l’accueillir. Pourquoi le Maroc ? On ne sait pas, ironise Me Djemaoun devant le juge. S’il n’y a pas de départ possible, qu’est-ce que fait mon client en rétention ? », poursuit-il. L’avocat de la préfecture est bien en peine de fournir une réponse sur le choix du Maroc, avec lequel Youssef n’a aucun lien. Ce 29 août, le juge décidera finalement son maintien en rétention au motif que la préfecture a lancé des « diligences » – sans réponse pour le moment – en vue de l’expulser vers le Maroc.
Pendant sa rétention administrative au Mesnil-Amelot, Youssef, qui séjournait en France depuis 2003, a présenté une demande d’asile. L’Office français de protection des réfugiés et apatrides l’a rejetée car il ne s’est pas présenté le jour de l’entretien prévu – il était malade et avait prévenu de son indisponibilité. Il compte faire appel devant la Cour nationale du droit d’asile.
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