01/09/2024

GIDEON LEVY
Depuis 11 mois, la botte d’Israël appuie de manière impitoyable sur la nuque de la Cisjordanie, et vous voudriez que les Palestiniens se laissent faire ? Normal qu’il y ait de la “terror”*

Gideon Levy, Haaretz, 1/9/2024
Traduit par  
Fausto GiudiceTlaxcala

Surprise, surprise ! La résistance palestinienne violente en Cisjordanie relève la tête. Les monstres humains se sont réveillés de leur sommeil et ont commencé à exploser. Les kamikazes sont de retour et les nombreux experts israéliens ont une explication savante : c’est l’argent iranien. Sans lui, la Cisjordanie serait calme. Avec cet argent, les gens sont prêts à se suicider juste pour mettre la main dessus. C’est la pieuvre iranienne qui est en cause.


Des soldats israéliens près d’un véhicule militaire lors d’un raid israélien dans le camp de Nour Chams à Tulkarem, en Cisjordanie, jeudi 29 août. Photo : Mohamad Torokman/Reuters

Comme c’est facile de tout attribuer à l’Iran. Les Israéliens adorent ça. Il y a un diable, il est iranien et il est responsable de tout. Il y a peut-être de l’argent iranien, peut-être pas, mais l’intensification de la lutte est l’évolution la plus prévisible et la plus compréhensible, compte tenu de ce qui s’est passé en Cisjordanie au cours des 11 mois de la guerre de Gaza. La seule surprise est que cela ne se soit pas produit plus tôt.

Au cours des 11 mois de guerre, Israël a déchiré la Cisjordanie, comme il le fait actuellement avec les routes de Tulkarem et de Jénine ; il n’en reste rien. C’est la période la plus difficile que les Palestiniens aient connue depuis l’opération “Bouclier défensif” en 2002, d’autant plus difficile qu’elle se déroule à l’ombre d’une autre attaque, plus barbare, à Gaza. Contrairement à l’opération “Bouclier défensif”, l’assaut actuel n’a ni raison ni justification. Israël a exploité la guerre à Gaza pour mettre le souk en Cisjordanie. La réponse a été tardive, mais elle est maintenant arrivée.

Cette fois-ci, l’assaut israélien s’appuie sur deux armes : l’armée, le Shin Bet et la police des frontières d’une part, et les milices de colons violentes d’autre part. Les deux armes sont coordonnées ; elles ne se gênent pas l’une l’autre. Elles se fondent parfois l’une dans l’autre, lorsque les Sturmtruppen des avant-postes revêtent des uniformes - ce sont les « équipes d’intervention d’urgence », qui légitiment tous les pogroms. L’armée se garde bien d’intervenir, que ce soit lors de petits ou de grands incidents.

Dans ce contexte, une déclaration d’une source militaire de haut rang qui a mis en garde contre la violence des colons au cours du week-end a exprimé un culot inouï. « La terreur juive porte gravement atteinte à la sécurité en Cisjordanie », a déclaré cette source, dont les forces auraient pu et dû mettre fin à la terreur juive il y a longtemps. Il n’y a pas eu un seul pogrom auquel les soldats n’ont pas assisté et n’ont rien fait pour l’arrêter. Parfois, ils y participent - et l’officier supérieur ose le déplorer.

Le 7 octobre n’a pas été seulement un jour de calamité pour nous Israéliens, il l’a été aussi pour les Palestiniens. Il n’y a pas de mots pour décrire ce qu’Israël a fait dans la bande de Gaza, mais il ne s’est pas arrêté non plus en Cisjordanie, avec l’encouragement des membres du cabinet kahaniste et le silence du premier ministre, des autres ministres et de l’opinion publique.

Ces dernières semaines, j’ai visité Jénine, Tulkarem, Qalqilyah, Ramallah et Hébron. Rien ne ressemble à la réalité du 6 octobre, même si la Cisjordanie n’a joué aucun rôle dans l’attaque du 7 octobre. Le 8 octobre, trois millions de Palestiniens se sont réveillés dans une nouvelle réalité, sans que la précédente ait été humaine ou légitime. Avec la passion de la vengeance et de la saisie d’opportunités, la botte israélienne a écrasé sans pitié la nuque de la Cisjordanie.

Des dizaines de milliers d’hectares ont été expropriés et spoliés au cours de ces mois ; il ne reste plus guère de colline en Cisjordanie sans drapeau israélien ou sans avant-poste qui sera un jour une ville. Les barrages routiers sont également revenus en force. Il est impossible de se déplacer d’un endroit à l’autre en Cisjordanie sans les rencontrer et y poireauter, humilié, pendant des heures. Il est impossible de planifier quoi que ce soit dans une réalité où au moins 150 000 personnes ont perdu leurs moyens de subsistance, après que le travail en Israël leur a été complètement interdit. Tout le monde a été pénalisé pour le 7 octobre. Onze mois sans salaire laissent des traces. À quoi vous attendiez-vous ?

Il y a maintenant un nouveau venu : le drone. À l’ombre de la guerre, l’armée de l’air a commencé à tirer sur la Cisjordanie, densément peuplée. Selon les chiffres de l’ONU, 630 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie depuis le début de la guerre, dont 140 dans 50 frappes aériennes. Ce qui est autorisé à Gaza l’est désormais en Cisjordanie. Les soldats ont intériorisé ce fait et leur comportement à l’égard des Palestiniens a changé en conséquence. Si nous ne sommes pas à Gaza, comportons-nous au moins comme si nous y étions. Demandez à n’importe quel Palestinien ce qu’il a vécu. Le désespoir n’a jamais été aussi grand.

Et après tout ça, il ne devrait pas y avoir de terror ?

NdT

*Terrorisme se dit en hébreu israélien moderne « טרור » [« terror »]. C’est le terme généralement utilisé pour qualifier tout acte de résistance palestinien, armé ou non.


“Armes palestiniennes saisies en Cisjordanie et à Gaza”, un dessin de 1988 d’Etta Hulme (1923-2014)

 

 

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