07/09/2024

YOSSI VERTER
Le harcèlement organisé ne dissuadera pas le seul ministre israélien qui se préoccupe des otages, Yoav Gallant

La campagne de harcèlement contre le ministre de la Défense Yoav Gallant s’est intensifiée cette semaine, mais il n’a pas l’intention de démissionner Cette semaine pourrait bien rester dans les mémoires comme celle où Netanyahou a renoncé à la récupération des otages Ben-Gvir et Smotrich ne se laissent pas intimider par la menace d’une guerre régionale qui engloberait la Cisjordanie ; au contraire, ils aspirent à l’Armageddon

Yossi Verter, Haaretz, 6/9/2024
Traduit par  Fausto GiudiceTlaxcala

 

Illustration : Amos Biderman

Ce samedi, Yoav Gallant fête son onzième mois en tant que ministre de la défense au cours d’une guerre effroyable comme Israël n’en a jamais connue. Ce n’est pas le seul événement auquel son nom sera associé dans les années et les décennies à venir, lorsque les élèves apprendront le massacre du 7 octobre, les échecs qui l’ont précédé et la guerre qui s’en est suivie.

Les élèves apprendront que le ministre de la défense - un illustre ancien général - a été le seul ministre d’un gouvernement d’échec à se préoccuper du sort des otages retenus à Gaza. Ils apprendront qu’il a été le seul à se battre pour leur retour face à un Premier ministre cynique et indifférent et à ses collègues apeurés, pour lesquels le terme de lemming est trop gentil.

Ils apprendront que, malgré son rôle dans les échecs précédents, le public lui faisait grandement confiance et qu’il était en conflit permanent avec le premier ministre (comme tous les autres ministres de la défense qui ont servi sous Netanyahou). Dans les livres, ils liront qu’à certains moments, il semblait que se débarrasser du ministre de la défense était l’un des objectifs de Netanyahou pour la guerre. Cela aurait-il pu être le cas ? Ils se poseront la question avec incrédulité.


Les membres de la coalition Shalom Danino, à gauche, David Amsalem, David Biton et Simcha Rothman à la Knesset le mois dernier. Photo Olivier Fitoussi

La semaine dernière, la campagne de harcèlement organisée contre Gallant s’est intensifiée. Lors d’une conférence de presse, Netanyahou a présenté une note écrite en arabe qui avait été trouvée à Gaza par des troupes en janvier et qui avait été rapportée par Channel 12 News : elle contenait des directives pour mener une guerre psychologique contre Israël. L’une des sections stipulait qu’il fallait augmenter la « pression psychologique sur Gallant ».

Au même moment - et ce n’est pas une coïncidence - quatre députés du Likoud à la Knesset ont envoyé une lettre au premier ministre pour lui demander de renvoyer l’ensemble de la direction des Forces de défense israéliennes et le ministre de la défense avec elle « avant d’entamer la guerre au Liban ». D’autres députés marginaux comme Moshe Saada et Nissim Vaturi ainsi que le ministre du Venin [des Communications, NdT]  Shlomo Karhi se sont joints à eux. Ils ont affirmé que Gallant est faible, qu’il représente l’opposition et qu’il doit partir.

Personne au sein du parti ou du cabinet n’a pris la défense de Gallant. Même les collaborateurs du ministre admettent que la situation n’est pas bonne. Le discours sur sa faiblesse risque de s’amplifier. Entre-temps, il continue de jouir de la confiance de la population [israélienne juive, NdT] qui, dans sa grande majorité, refuse d’avaler les pilules empoisonnées. Grâce à l’opinion publique, Gallant n’a pas été poussé vers la sortie, même s’il a « adopté le récit du Hamas », pour citer Netanyahou.


Le ministre de la Justice Yariv Levin, le ministre de la Défense Yoav Gallant et Benjamin Netanyahou à la Knesset en février. Photo Olivier Fitoussi

Il a été demandé à Gallant de convoquer une conférence de presse et de présenter son cas, mais ce serait peut-être aller trop loin. Cela reviendrait à provoquer directement Netanyahou et, contrairement à ce que l’on pense, Gallant ne « veut pas être viré ». Il est convaincu que sans lui, un larbin de Netanyahou sera installé dans le bureau du ministre de la défense au 14ème étage du quartier général de la défense à Tel Aviv. Cela pourrait profiter à Netanyahou personnellement, mais ne permettrait pas d’atteindre les objectifs de la guerre, et certainement pas l’objectif que Gallant considère comme le plus important : sauver la vie des otages.

« Tout ce qui a été réalisé à Gaza peut être revendiqué, à l’exception de la vie des otages », dit Gallant aux personnes qu’il rencontre en privé et au cabinet. « Si nous ne concluons pas un accord maintenant, non seulement nous les perdrons, car ils mourront s’ils restent là-bas, mais nous continuerons à nous battre à Gaza et nous ne serons pas en mesure de traiter avec le Liban, que ce soit par le biais d’un accord ou d’une opération militaire ».

C’est pourquoi il a demandé à Netanyahou de réunir le cabinet il y a une semaine, au cours de laquelle Gallant a présenté son « carrefour stratégique »: l’escalade ou l’accord. « Comprenez ce sur quoi vous votez », a dit Gallant aux ministres. « Si vous choisissez l’escalade, nous risquons de nous retrouver dans une guerre régionale ».

Le reste appartient à l’histoire. Après de longues heures de discussions que plusieurs participants ont qualifiées de sérieuses et approfondies, le premier ministre a demandé un vote sur le maintien de Tsahal dans le corridor de Philadelphie (son « Masada », selon les associés de Gallant). L’objectif, selon l’entourage du ministre de la défense, était de détourner l’attention du carrefour stratégique, moins confortable pour Netanyahou, et de l’orienter vers le corridor. C’est le roc de notre existence, ai-je écrit dimanche avec sarcasme. Mais soyons clairs : c’est le roc de l’existence (politique) de Netanyahou.


Netanyahou en conférence de presse, mercredi. Photo Ohad Zwigenberg/AP

L’embuscade du cabinet a donné lieu à deux conférences de presse de Netanyahou, l’une en hébreu et l’autre en anglais, consacrées à l’importance de la route Philadelphie. Netanyahou est premier ministre depuis 2009. Il a présidé trois opérations militaires à Gaza, s’est catégoriquement opposé à la prise du corridor, n’a pas exigé que les FDI s’en emparent au début de l’opération terrestre actuelle et, pendant des années, a approuvé le transfert de milliards de shekels au Hamas dans le but de le renforcer. Il explique maintenant au monde entier, par le biais d’une multitude de présentations et de documents, pourquoi cette bande de sable garantit l’existence d’Israël et que, sans elle, le massacre du 7 octobre se reproduira encore et encore.

Si le sens de cette farce n’était pas si triste - les derniers espoirs d’une prise d’otages s’amenuisant - nous serions morts de rire.

Gallant connaît la vérité : Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich détiennent le droit de veto sur toute mesure considérée comme un retrait des FDI de la bande de Gaza. Ils ne peuvent pas non plus être effrayés par l’idée d’une guerre régionale impliquant la Cisjordanie. Au contraire, ils aspirent à l’apocalypse. C’est leur rêve. À une autre époque, avec d’autres partenaires et sans qu’un procès pour corruption ne plane sur lui, Netanyahou aurait agi différemment. Aujourd’hui, il est leur otage.

Sa captivité est volontaire ; d’autres otages n’ont jamais choisi leur sort.

La mentalité du troupeau

Les personnes qui ont rencontré Gallant cette semaine disent avoir vu un homme le cœur est honnêtement touché par le sort des otages. Disons-le franchement : jusqu’à ce que survienne cette tragédie nationale, nous n’aurions jamais soupçonné qu’il était capable d’une telle humanité et d’une telle compassion. Nous l’avons connu courageux le 25 mars 2023 lorsqu’au plus fort de la controverse sur la réforme du système judiciaire, il a mis en garde contre le danger clair et présent pour la sécurité nationale d’Israël (ce qui lui a valu d’être licencié puis réembauché). Au courage et à la responsabilité dont il a fait preuve s’ajoutent désormais l’humanité et les valeurs [sic].

Le problème est qu’il est seul et isolé. Il est l’un des 32 membres du groupe parlementaire du Likoud, l’un des 64 membres de la coalition. Lorsqu’on lui a demandé ce que c’était que d’être l’animal que le troupeau expulse, Gallant a répondu nonchalamment qu’il était plus rapide que le troupeau et que personne ne devrait douter de son endurance, car il a subi des épreuves plus difficiles dans sa vie, dans des endroits beaucoup plus rudes que la salle du cabinet.


Des manifestants à Tel-Aviv jeudi ; sur la pancarte : « Les otages avant tout ». Photo Itai Ron

Les insultes et les humiliations qu’il y subit le laissent indifférent. Il n’a pas appris grand-chose de Shimon Peres, mais il a adopté l’un de ses dictons : « C’est moi qui décide par qui je suis prêt à être offensé ».

Malgré les difficultés, il n’a pas l’intention de démissionner. Même si, à Dieu ne plaise, les négociations sur les otages échouent, si la proposition imminente des USAméricains ne se concrétise pas, si la situation va de mal en pis et si sa mise en garde contre une escalade en l’absence d’un accord se vérifie, il ne démissionnera pas pour autant. « C’est la chose la plus importante que j’ai faite ou que je ferai dans ma vie publique », avait-il coutume de dire. « Il y a des choses importantes - l’Iran, le Liban. J’ai une responsabilité unique. La trajectoire de ma vie m’a amené à ce point ».

Lors de cette fameuse réunion du cabinet, connue sous le nom de « séance de coups de gueule », alors qu’il tentait d’empêcher Netanyahou de soumettre la question de Philadelphie à un vote, Gallant a déclaré aux ministres : « Avec cette décision, vous poussez [Yahya] Sinwar, le chef du Hamas, à dire : “Si c’est le cas, il n’y a pas d’accord” ». Ils l’ont regardé d’un air absent. L’accord en question, qui pourrait démanteler le gouvernement, les renverrait à la maison.

D’ailleurs, cette question le concerne. Comme les autres, Gallant a également un intérêt personnel à la survie du gouvernement. Il considère son poste de ministre de la Défense comme le plus important de sa vie. Mais ce n’est pas la chose la plus importante pour lui. Un drôle d’oiseau. Un excentrique.

À ses yeux, toute cette agitation autour de la route Philadelphie, comme s’il s’agissait du Saint des Saints, est absurde. L’establishment de la défense qu’il dirige a des réponses à toutes les objections, certainement pour les 42 jours de la première étape de l’accord proposé qui devrait ramener plus de 20 personnes vivantes en Israël - des jeunes femmes, des personnes âgées, des malades et des blessés.


D’autres manifestants à Tel Aviv jeudi. Photo Hadas Parush

Le Washington Post a rapporté jeudi que le Hamas envisageait d’exécuter d’autres otages afin d’exacerber les divisions en Israël et de susciter davantage de protestations. Un responsable diplomatique affirme la même chose. Les vidéos publiées par le Hamas sur les six otages qui ont été exécutés par la suite sont choquantes. Les jeunes hommes et femmes sont maigres et pâles, faibles, les yeux enfoncés dans les orbites. Comment peut-on dire que le maintien d’une barrière terrestre est plus important que la libération immédiate des otages ?

Netanyahou, je suis désolé de le dire, a perdu sa dernière once d’humanité il y a quelque temps. Monstrueux, sans cœur, têtu, Netanyahou déteste autant Gallant car la comparaison est si peu flatteuse.

On se souviendra peut-être de cette semaine (et on l’oubliera peut-être) comme celle où le premier ministre israélien a déclaré au monde que l’objectif de la guerre, à savoir le retour des otages, était à ses yeux lettre morte.

Lors de sa rencontre avec le secrétaire d’État usaméricain Antony Blinken, il y a deux semaines, le ministre de la défense lui a demandé : « Vous voulez que nous mettions fin à la guerre, mais si, après 42 jours, nous sommes contraints de reprendre le combat et que le Conseil de sécurité des Nations unies vote contre nous, comment les USA voteront-ils ? » « Nous opposerons notre veto », a promis Blinken. Cela aurait dû apaiser les inquiétudes du premier ministre. Même si Ben-Gvir et/ou Smotrich quittent la coalition pendant l’accord, ils reviendront quand Israël reprendra la guerre.

Gallant ne comprend pas : si les USA sont de notre côté, comment pouvons-nous insister sur Philadelphie au prix de l’abandon des otages ? Comment pouvons-nous agir de la sorte sur le plan moral ? Qu’en est-il des valeurs de Tsahal ? De l’éthique israélienne ? Il sait exactement où elles se trouvent. Sur le tas de cendres de cette coalition du désastre.


Faux cercueils d’otages à Tel-Aviv, jeudi. Photo Itai Ron

Les erreurs de Bibi hier et aujourd’hui

D’accord, ce n’est plus drôle. Les erreurs de Netanyahou sur le jour où ont eu lieu les massacres à la frontière de Gaza peuvent être considérées comme un événement médical, psychologique ou cognitif. Appelez cela comme vous voulez, mais il n’est pas raisonnable qu’une personne, et certainement pas un Premier ministre, ne se souvienne pas de la pire date de l’histoire du pays.

Lors de la journée de commémoration de l’Holocauste, il a lu un discours et a dit « 7 novembre ». Cette semaine, lors de sa conférence de presse en hébreu, il a dit « 9 octobre ». Le lendemain, lors d’une interview accordée à Fox News, il a de nouveau dit « 7 novembre ».

Au moins, il n’est pas loin. En fait, il lui arrive quelque chose. Les gens qui passent du temps avec lui disent qu’il a mauvaise mine. À la télévision, caché sous des couches de maquillage, c’est moins visible. Ce qui est sûr, c’est que si Joe Biden se trompait aussi souvent sur Israël, il se ferait lyncher par les porte-parole de Bibi sur Canal 14.

Outre le nombre croissant d’erreurs, regarder les discours de Netanyahou est également devenu une sorte de jeu. On peut l’appeler « Le jeu du mensonge » ou « Twister », même s’il ne s’agit pas d’une façon particulièrement stimulante de tester ses capacités cérébrales.

Au contraire, il est devenu plus facile de détecter les tromperies de Netanyahou. Ses mensonges, manipulations et demi-vérités sont devenus superficiels et maladroits. Ils ne présentent pas de véritable défi intellectuel.

Prenons l’exemple du retrait de Gaza en 2005. Tous les consommateurs israéliens raisonnables d’informations peuvent réciter dans leur sommeil comment Netanyahou, ministre des finances à l’époque, a soutenu le plan d’Ariel Sharon d’évacuer les colonies de Gaza (et quatre autres dans le nord de la Cisjordanie). Ils se souviennent des remarques de Netanyahou à la Knesset, de son rôle dans la rédaction de la proposition au cabinet, puis de sa volte-face et de sa démission une semaine avant que la décision de la Knesset (pour laquelle il avait voté) n’entre en vigueur.


Manifestants devant la résidence du premier ministre à Jérusalem, lundi.  Photo Olivier Fitoussi

C’est simple. Mais un autre détail a été négligé, et c’est le plus important en ce qui concerne le rôle de Netanyahou dans la poursuite du désengagement.

En mai 2004, environ 15 mois avant le retrait des forces de défense israéliennes, le Likoud de Sharon a sondé les militants pour savoir s’ils soutenaient le plan. Netanyahou - et les médias s’en sont fait l’écho - a annoncé qu’il voterait en faveur du plan. L’hypothèse était qu’il s’agissait d’une affaire réglée et que la plupart des membres du parti voteraient en faveur du plan. Mais ce ne fut pas le cas : 60 % des députés se sont opposés au retrait. Sharon subit une défaite humiliante.

Sharon a promis qu’il respecterait le vote du parti, mais quelques heures après l’annonce des résultats, il a clairement fait savoir qu’il ne le ferait pas. Un démocrate ?

Le moment était venu pour Netanyahou de contrecarrer le retrait. Quoi de plus légitime que de dire : « Le parti a voté contre, nous représentons un mouvement et nous devons respecter sa décision. » Mais même là, alors qu’un cadeau tombait du ciel, Netanyahou n’a rien fait.

D’accord, ce n’est pas tout à fait exact. Netanyahou a fait quelques remarques indécises, et c’est ainsi qu’a commencé une farce qui a été appelée plus tard « l’affaire Livni ». La ministre du logement, Tzipi Livni, s’est interposée entre lui, Sharon et plusieurs ministres indécis, et a rédigé un document évoquant un retrait par « étapes », avec une évaluation de la situation à l’issue de chacune d’entre elles.

Au sein du cabinet, Netanyahou et ses amis ont voté en faveur de ce document. Plus tard, Sharon a rejeté le plan de Livni. Mais même à ce moment-là, Netanyahou est resté silencieux. Toutes les raisons qu’il a invoquées cette semaine pour démissionner du gouvernement Sharon existaient depuis de nombreux mois avant qu’il n’agisse, et chaque fois qu’il a soutenu un retrait.

Une semaine avant l’évacuation elle-même, un de ses proches conseillers m’a appelé le matin de la réunion du cabinet. « Bibi est en route pour la réunion avec sa démission plus tard », m’a-t-il chuchoté.

« Pourquoi ? » lui ai-je demandé.

« Il est paniqué. Les sondages montrent qu’Uzi Landau* le devance dans la course à la direction du Likoud. »

Non, ce ne sont pas les armes passées en contrebande sur la route Philadelphie qui l’ont fait changer d’avis. C’était juste un Uzi.

NdT

*Uzi Landau (81 ans) est un caméléon bien représentatif de la caste politico-militaire israélienne. Il a été député et ministre un nombre conséquent de fois, outre d’avoir présidé l’entreprise militaire Rafael. Il s’est promené au fil des années entre le Likoud et Yisrael Beiteinu (Avigdor Liberman), le parti « russe » disputant l’héritage révisionniste de Jabotinsky au Likoud.


 

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