Gideon Levy & Alex Levac (photos), Haaretz , 26/7/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Avant la guerre, cette étendue de terre à l’est de Jérusalem, parsemée de rochers et d’oliveraies, abritait trois communautés de bergers palestiniens – jusqu’à ce que des colons violents et des ordres d’évacuation les en chassent.
Le danger rôde partout. Il est dangereux de mener les troupeaux au pâturage, dangereux de se promener dans la nature, dangereux de travailler la terre, dangereux même d’essayer de l’atteindre.
Depuis le
début de la guerre à Gaza – et dans les communautés palestiniennes de
Cisjordanie devenues l’arrière-cour de ce conflit – le terrain a subi une
transformation radicale. Aux centaines de check-points militaires, à
l’étranglement économique imposé par les blocus israéliens sur les villages et
villes, à la brutalité des soldats atteignant des sommets inédits, aux
descentes militaires aléatoires et incessantes, aux innombrables avant-postes
de colons sauvages établis sans aucune opposition des autorités, et aux pogroms
quasi quotidiens commis par les colons, s’ajoute une atmosphère de terreur
absolue.
Une terreur
de quitter sa maison, et encore plus de s’aventurer hors de sa communauté.
Dehors, tout est plus dangereux. Les colons violents rôdent partout, et
personne ne les arrête. Ils observent de loin et attaquent rapidement quiconque
ose marcher dans les zones ouvertes, pourtant en grande partie propriétés
privées palestiniennes.
Depuis le 7
octobre, les territoires palestiniens ont vu fleurir des tentes de deuil pour
les centaines de personnes tuées par des tirs de soldats ou de colons, ainsi
que pour des milliers de blessés tentant de se remettre des violences, sous le
regard des forces israéliennes.
Nous avons
récemment rendu visite à plusieurs blessés, chacun dans une zone différente de
la Cisjordanie. À Hizma, à l’est de Jérusalem, trois personnes se remettent
d’attaques récentes de colons. L’une d’elles est Ouda Ahmed Askar, 29 ans,
ouvrier du bâtiment célibataire, dont la jambe a été pulvérisée par des balles,
et qui est en convalescence chez son frère.
Une attaque ciblée contre des bergers
L’incident a
eu lieu le dimanche 29 juin. Sabrine, la sœur de 25 ans d’Ouda, emmenait les
moutons de la famille au pâturage, accompagnée de sa nièce de 3 ans, Ibtisam.
Leur troupeau, d’environ 100 têtes, est gardé dans un enclos en bordure de la
ville, près d’une vallée appelée Biryat Hizma.
Alors
qu’elles s’approchaient de la vallée, huit colons masqués, dont quatre armés de
fusils et pistolets, ont surgi d’une colline voisine. Apparemment venus d’un
avant-poste clandestin, ils ont pris position face à Sabrine et à l’enfant.
Sabrine a
immédiatement envoyé un message WhatsApp à Ouda, lui demandant de venir
d’urgence. Vingt proches et voisins l’ont suivi. Sabrine, fuyant la vallée avec
sa nièce, a raconté qu’un des colons les avait menacées en arabe :
« Si vous revenez avec les moutons, on vous les confisque et on brûle l’enclos.
»
Ils ont ajouté :
« On vous fera comme à Kafr Malik »,
faisant référence au pogrom du 25 juin, où trois Palestiniens ont été tués et
de nombreux biens incendiés.
La vallée
est rapidement devenue une zone de guerre. Les habitants jetèrent des pierres
pour repousser les colons, qui menaçaient d’approcher les maisons et les
enclos. Soudain, les colons ont ouvert le feu. À une distance de 50 mètres, ils
ont tiré en rafale.
Ouda a été
touché à la jambe droite. Un ami l’a aidé à fuir en voiture — mais lui aussi a
été blessé par balle. Les deux hommes ont atteint une clinique à Hizma, où un
troisième blessé, touché à l’épaule lors de la même attaque, venait aussi
d’arriver. Tous trois ont été évacués à l’hôpital gouvernemental de Ramallah.
Entendant les tirs des colons, les Palestiniens ont fui en panique vers la ville.
Ni l’armée ni la police n’étaient présentes.
Le repli des habitants a permis aux colons de passer à leur deuxième activité
favorite — après les tirs à balles réelles sur des Palestiniens — à savoir incendier
les biens palestiniens.
Ils ont mis
le feu à la ferme des Askar, située à la lisière de la vallée.
C’était une construction en bois colorée — comme on peut le voir sur les photos
— où la famille venait se reposer en paix, au cœur de la nature. Elle était
ornée de plantations décoratives et de pots de fleurs.
Il n’en reste plus rien aujourd’hui.
Ouda a subi
deux opérations à la jambe et a été hospitalisé pendant huit jours.
Il commencera la rééducation le mois prochain ; en attendant, il est alité.
L’ami qui l’a secouru — et qui a demandé à rester anonyme — a lui aussi passé
une semaine à l’hôpital.
Trois
autres familles élargies vivaient à proximité de cette vallée jusqu’au début de la
guerre à Gaza.
L’une d’elles a dû partir après la démolition de ses habitations par l’Administration
civile (branche du gouvernement militaire israélien).
Les deux autres familles, terrorisées par les colons, se sont déplacées
cinq kilomètres plus à l’est.
La vallée a
été “nettoyée”.
Mohammed
Askar. L’oliveraie familiale est divisée en deux parcelles : la famille
n’a plus le droit d’approcher l’une, et l’autre a été arrachée par les colons.
Amer Aruri,
chercheur de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits
humains B’Tselem, a documenté six attaques de colons qui ont accéléré le nettoyage
de la vallée.
La barrière de séparation, qui coupe les Palestiniens de 40 % de leurs terres depuis
plus de vingt ans, a été accompagnée depuis le 7 octobre d’une hausse
significative des attaques et accaparements par les colons près de Hizma, selon
B’Tselem.
Les colons
n’entrent pas dans la ville densément peuplée, à l’entrée de laquelle l’armée a
récemment installé une barrière en acier jaune (ouverte cette semaine).
Mais ils se contentent d’expulser quiconque s’approche ou entre dans la vallée
en bordure de Hizma — même sur ses confins les plus éloignés.
Retour à
l’incident avec Ouda : une unité de l’armée est arrivée à la clinique où Ouda
et son ami s’étaient rendus, mais ils étaient déjà à l’hôpital.
Un interrogateur du Shin Bet l’a appelé là-bas, mais Ouda était incapable de
parler.
Depuis, il affirme n’avoir reçu aucune nouvelle des autorités israéliennes.
Un habitant
local a raconté à Ouda qu’après sa fuite, l’armée est arrivée et un officier a
déclaré :
« Les colons
sont fous. On ne peut pas les arrêter. Ne vous frottez pas à eux et ne leur
lancez pas de pierres. »
Nous nous
sommes rendus sur les lieux de l’attaque avec Ali, le frère de 40 ans d’Ouda,
père de quatre enfants, qui avait lui aussi participé à la défense du troupeau
ce dimanche-là.
Il nous a également montré les ruines de maisons voisines, démolies ces
dernières années par l’Administration civile.
Pendant ce temps, un nouveau quartier de tours est en construction non loin de
là.
Les colonies d’Anatot (à l’est) et d’Adam (au nord) dominent les crêtes des
collines environnantes.
Au cœur de
la vallée, on aperçoit deux caroubiers isolés.
L’oliveraie des Askar y est divisée en deux :
la famille ne peut plus approcher l’une des parcelles depuis le début de la
guerre ; l’autre a été arrachée par les colons.
Le reste de la vallée est rocailleux, désert, vallonné.
Le troupeau familial est toujours dans l’enclos — mais il est désormais
impossible de l’emmener paître dans la vallée.
Le père
d’Ouda, un homme barbu et expressif nommé Mohammed, affirme avoir « environ 70
ans ».
— Combien d’enfants avez-vous ?, lui avons-nous demandé.
— Vingt.
Des bidons
jaunes en plastique, utilisés pour apporter de l’eau aux moutons, sont
éparpillés sur le sol.
Un chien de berger, attaché, montre les crocs et aboie sur notre passage.
Non loin de
là, tout ce qui reste de la ferme des Askar, c’est de la poussière et des
cendres.