Les journalistes israéliens refusent de voir qu’un pays qui a tué plus de journalistes dans cette guerre à Gaza que dans tout autre conflit de l’histoire finira un jour par tourner ses armes contre eux.
Une manifestante tient une photo d’Anas Al-Sharif, l’un des quatre journalistes d’Al Jazeera tués lors d’une frappe israélienne quelques jours plus tôt, lors d’une manifestation de solidarité avec les journalistes de la bande de Gaza et condamnant la récente frappe, organisée par des journalistes devant le Syndicat de la presse égyptienne au Caire mercredi. Crédit : AFP/KHALED DESOUKI
Gideon Levy,
Haaretz, Aug 13, 2025 11:37
Traduit par Tlaxcala
« Si ces
mots vous parviennent, sachez qu’Israël a réussi à me tuer et à faire taire ma
voix. ... Dieu sait que j’ai déployé tous les efforts et toute l’énergie dont
je disposais pour soutenir et faire entendre la voix de mon peuple, depuis le
moment où j’ai ouvert les yeux sur la vie dans les ruelles et les rues du camp
de réfugiés de Jabaliya. J’espérais que Dieu prolongerait ma vie jusqu’à ce que
je puisse retourner avec ma famille et mes proches dans notre ville natale,
Al-Majdal Asqalan, aujourd’hui occupée. Mais la volonté de Dieu a prévalu, et
son décret s’est accompli. »
Ce n’est pas
la volonté de Dieu qui a déterminé le
sort du journaliste Anas Al-Sharif dimanche, ainsi que celui de trois
autres journalistes et de deux civils, dans la tente de presse adjacente à l’hôpital
al-Shifa de la ville de Gaza. Ce n’était pas la volonté de Dieu, mais plutôt
celle d’un drone militaire israélien criminel qui a pris pour cible Al-Sharif,
le correspondant le plus éminent d’Al Jazeera dans cette guerre. Ce n’est
pas la volonté de Dieu, mais celle d’Israël qui a voulu l’exécuter au motif qu’il
dirigeait une « cellule du Hamas », sans présenter la moindre preuve à l’appui.
Beaucoup
dans le monde ont cru à la version de l’armée, tout comme ils avaient cru que
les Forces de défense israéliennes n’avaient pas tué la journaliste d’Al
Jazeera Shireen
Abu Akleh à Jénine en 2022. Même ceux qui veulent croire qu’Al-Sharif était
un chef de cellule doivent se poser la question suivante : qu’en est-il des
cinq personnes qui ont été tuées avec lui ? Étaient-elles des adjoints du chef
de la cellule ? On ne peut croire quoi que ce soit venant d’une armée qui
massacre des journalistes de sang-froid ou d’un État qui n’autorise pas la
libre couverture de la guerre, pas même les reportages sur le chef de la
cellule terroriste de Jabaliya.
Il est
difficile de croire – ou peut-être n’y a-t-il plus rien de difficile à croire –
le peu d’intérêt suscité ici [en Israël] par le meurtre de quatre journalistes.
La presse israélienne était divisée entre ceux qui ont ignoré l’affaire et ceux
qui ont rapporté qu’Israël avait éliminé un terroriste. Sans aucune
information, presque tout le monde s’est mobilisé pour raconter l’histoire
dictée par les Forces de défense israéliennes, au mépris de la vérité. Et au
mépris de la solidarité envers un collègue courageux.
Des Palestiniens récitent la Fatiha dans un cimetière de la ville de Gaza, mardi, sur la tombe du correspondant d’Al Jazeera Anas Al-Sharif, tué avec d’autres journalistes lors d’une frappe israélienne. Crédit : AFP/BASHAR TALEB
La seule
preuve présentée était une photo d’Al-Sharif avec le chef du Hamas Yahya
Sinwar. C’est en effet un motif d’exécution.
Un million
de fois plus courageux que n’importe quel journaliste israélien, et moins
complaisant au service de la propagande de son État et de son peuple que Nir
Dvori et Or Heller, Al-Sharif aurait pu enseigner les fondamentaux du
journalisme aux membres des médias israéliens.
Le chutzpah
de la presse ici est sans limites : Al Jazeera est une chaîne de
propagande, hurlent les reporters des chaînes de télévision israéliennes, qui
ont donné une mauvaise réputation à la propagande ultranationaliste et à la
dissimulation de la vérité pendant cette guerre.
Si Al
Jazeera est de la propagande, alors qu’est-ce que Channel 12 ? Et les chaînes
11, 13, 14 et 15 ? Ont-elles un quelconque rapport avec le journalisme dans
cette guerre ?
Lorsque le
journalisme est mort, la vérité et la solidarité ont également disparu. Ceux
qui ont tué plus de journalistes dans cette guerre que dans toute autre guerre
de l’histoire – 186 selon le Comité pour la protection des journalistes basé à
New York, 263 selon B’Tselem – tourneront un jour leurs armes contre nous, les
journalistes israéliens qui ne trouvons pas grâce à leurs yeux. Il est
difficile de comprendre comment les journalistes israéliens ne parviennent pas
à saisir cela. Ou peut-être ont-ils l’intention de continuer à se soumettre à
la machine de propagande israélienne, car à leurs yeux, c’est ça le
journalisme.
Mais cette
semaine, l’armée israélienne a bombardé une tente de presse, et les scènes que
vous n’avez pas vues étaient horribles : des corps de journalistes ont été
retirés de la tente en feu, et leurs collègues israéliens applaudissaient ou
restaient silencieux. Quelle honte, tant sur le plan personnel que
professionnel. En quoi est-ce moins choquant que le meurtre
du journaliste saoudien Jamal Khashoggi en 2018 ? Parce qu’ils n’ont pas
démembré le corps d’al-Sharif ?
Les amis d’Al-Sharif
et son testament indiquent qu’il savait qu’il était une cible. Lorsque l’armée
israélienne a commencé à proférer des menaces de mort à son encontre en
octobre, Irene Khan, rapporteure spéciale des Nations unies sur la liberté d’expression,
s’est dite inquiète pour son sort. Al-Sharif, a-t-elle déclaré, était le
dernier journaliste encore en vie dans le nord de la bande de Gaza. C’est
précisément pour cette raison qu’Israël l’a tué. « N’oubliez pas Gaza », tels
ont été ses derniers mots dans son testament.
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