Affichage des articles dont le libellé est Complicité armée-colons. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Complicité armée-colons. Afficher tous les articles

28/06/2023

AMEER MAKHOUL
Que faire de l’(In)autorité palestinienne ? L’armée israélienne et le Shin Bet ont des divergences sur la réponse à cette question

Ameer Makhoul, Middle East Eye, 27/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

S’écartant de sa position antérieure, l’agence de sécurité israélienne, le Shin Bet, s’est ralliée aux politiques d’extrême droite du gouvernement.


Ronen Bar (né Berezovsky)

L’influence grandissante de l’actuel chef du Shin Bet, Ronen Bar, a entraîné une divergence notable entre l’agence de sécurité israélienne et l’armée.

Ce fossé stratégique - récemment mis en évidence par le raid de l’armée israélienne à Jénine le 19 juin - se concentre sur deux questions : l’approche vis-à-vis de l’(In)autorité palestinienne (AP) et la question des incursions dans les villes palestiniennes, en particulier dans la zone nord de la Cisjordanie.

Le Shin Bet est favorable à l’invasion des villes palestiniennes et à la destruction de toute nouvelle formation de groupes de résistance. Cependant, son incapacité à détecter les menaces potentielles avant le raid militaire a conduit à des attaques surprise palestiniennes et à la destruction de véhicules blindés par des bombes artisanales placées en bord de route.

Les militaires israéliens, quant à eux, ont émis des réserves quant à la conduite de raids en Cisjordanie. Selon eux, contrairement à la situation de 2003, où l’AP avait soutenu la seconde Intifada, déclenchant l’invasion israélienne des villes de Cisjordanie, l’AP a depuis fait volte-face.

Les militaires estiment qu’une AP forte joue un rôle essentiel dans le maintien de la sécurité d’Israël et le contrôle des activités palestiniennes. C’était également la position du Shin Bet jusqu’à récemment.

Mohamed Sabaaneh

Les colons se déchaînent

Depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement d’extrême droite, la politique israélienne à l’égard de la Cisjordanie s’est nettement infléchie. Hormis les affaires militaires, toutes les questions concernant le territoire occupé relèvent de la compétence du chef du parti Sionisme religieux et ministre des Finances, Bezalel Smotrich.

Ce changement est conforme aux accords de coalition, qui déterminent l’ordre du jour du gouvernement.

Smotrich, personnalité influente du gouvernement israélien, a pour objectif stratégique de dissoudre l’(In)autorité palestinienne. Conformément à sa doctrine stratégique consistant à établir la “souveraineté juive” sur l’ensemble de la terre de Palestine, il préconise l’invasion des villes et des camps afin d’obtenir des résultats décisifs.

Les colons israéliens agissent sous la direction de Smotrich, un leader d’extrême droite, qui, à son tour, s’efforce de façonner les politiques gouvernementales en fonction de la volonté des colons.

Le Shin Bet surveille les mouvements et les projets des colons et dispose même d’un département dédié à cette fonction. Appelé à l’origine “département non arabe”, il est aujourd’hui appelé “département juif” (dans toutes les institutions de l’État et dans la littérature officielle, le terme “non-juifs” est utilisé, alors qu’au Shin Bet, on utilise “non-arabes”). Cependant, aucune mesure n’est prise pour contrecarrer leurs activités ou leur violence.

L’incapacité du Shin Bet à contrôler les colons suggère qu’il voit un rôle dans leur violence : établir une domination sur les Palestiniens, agir comme un moyen de dissuasion et briser tout soutien populaire aux organisations armées qui résistent à l’occupation.

La récente sauvagerie des colons est donc le résultat d’une stratégie mesurée et calculée plutôt que d’une “frénésie sanglante”. Il s’agit d’une tactique visant à faciliter les objectifs plus larges d’Israël, à savoir l’intimidation et le nettoyage ethnique des Palestiniens.

Parmi les exemples récents, on peut citer les incendies criminels de Huwwara, Turmus Ayya et Um Safa, qui n’étaient pas le fruit du hasard, mais plutôt des attaques préméditées.

L’annonce par le gouvernement israélien de la construction de 1 000 unités de logement dans la colonie illégale d’Eli - à la suite de l’opération armée palestinienne qui s’y est déroulée - met encore plus en évidence ses objectifs coloniaux en Cisjordanie.

Affaiblissement de l’AP

Il y a trois mois, alors que la discorde dans les rangs de l’armée s’intensifiait en raison de leur opposition à un éventuel coup d’État judiciaire, des voix importantes de l’armée israélienne se sont fait entendre. Parmi elles, le commandant militaire et ancien chef du Shin Bet, Nadav Argaman. Leur position est sans ambiguïté : si les politiques gouvernementales sont en conflit avec l’État de droit, l’allégeance de l’armée ira à ce dernier.

Cependant, les actions de l’armée semblent aujourd’hui en contradiction avec sa position précédente. Plutôt que d’adhérer à la lettre de la loi, l’armée semble agir en accord avec les décrets du gouvernement.

Ce changement est particulièrement évident dans le cas de l’avant-poste illégal d’Evyatar en Cisjordanie, qui a été évacué sur ordre d’un tribunal israélien. Au mépris de cet ordre, les colons sont revenus et ont repris leur occupation, apparemment sans entrave de la part de l’armée, malgré le statut de zone militaire de la région.

Cette évolution est en contradiction avec la position et les évaluations de l’armée. L’armée a exprimé sa réticence à envahir les villes palestiniennes, comprenant que cela l’obligerait à jouer un plus grand rôle de maintien de l’ordre après l’invasion.

En outre, elle a ajouté qu’une telle action épuiserait les ressources actuellement mobilisées contre l’Iran, la Syrie et le Hezbollah.

C’est pour ces raisons que presque tous les anciens chefs militaires, rejoints par toutes les anciennes agences de sécurité, s’opposent à l’affaiblissement (ou à l’effondrement total) de l’(In)autorité palestinienne. Au contraire, ils perçoivent cet affaiblissement comme une perte stratégique pour Israël, qui ne propose aucune solution tangible pour la paix.

Pourtant, un changement de position significatif peut être observé dans les rangs du Shin Bet, même si ce changement ne représente pas un consensus au sein de l’organisation.

Le directeur du Shin Bet reconnaît qu’une invasion du nord de la Cisjordanie pourrait potentiellement déstabiliser l’(In)autorité palestinienne, mais il plaide en faveur d’une invasion à court terme qui ne prévoit pas ce qui se passerait par la suite. Reconnaissant l’incertitude inhérente à la guerre, il admet qu’il ne peut dicter la durée d’une invasion.

Bar reconnaît en outre que l’incendie criminel de Turmus Ayya a porté un coup terrible à la crédibilité de l’(In)autorité palestinienne - un avantage pour le Shin Bet. Les communautés palestiniennes ont critiqué la “négligence” de l’AP et son incapacité à les protéger des attaques des colons, en particulier dans la zone C, qui est entièrement contrôlée par Israël.

Dans une rare dérogation à la norme, le Shin Bet a envoyé un représentant à la commission de la Knesset chargée des projets de colonisation. Ce représentant, qui s’exprimait derrière un rideau, a exprimé le soutien de l’agence à une proposition de loi visant à étendre la présence juive dans les villes à majorité palestinienne d’Israël, comme celles de Galilée.

Ce représentant a affirmé que la “judaïsation” de la Galilée est en fait une question de sécurité nationale. Il a ajouté : « Le niveau de colonisation dans la région s’accompagne d’un renforcement des forces de police et d’application de la loi, de l’éducation, du développement des routes, etc. »

Il a également laissé entendre que le Shin Bet s’efforcerait de protéger les communautés juives contre les menaces potentielles, considérées comme des adversaires de l’État. Cette politique comprend des stratégies visant à diluer l’importante présence arabe en Galilée et à en perturber la continuité.

Les objectifs du projet de loi soutenu par l’agent du Shin Bet sont décrits comme des principes de l’accord de la coalition gouvernementale, concernant la “judaïsation” non seulement de la Galilée, mais aussi du Naqab [Néguev], de la zone C de la Cisjordanie et de Jérusalem.

Enfin, le représentant du Shin Bet, qui a choisi de rester anonyme, a corroboré ce point de vue comme étant celui de Bar, le chef de l’agence. Cette révélation pourrait signaler l'orientation potentielle de l'organisation de renseignement vers les politiques ministérielles ou, à tout le moins, suggérer une convergence croissante de leurs évaluations stratégiques.

Divergence

À la suite de l’incendie criminel de Turmus Ayya, le 21 juin, les forces israéliennes ont affirmé qu’elles n’avaient pas été informées au préalable des intentions des colons d’envahir la ville. Habituellement, ces renseignements proviennent du Shin Bet.

Cependant, certains segments de l’armée, notamment le bataillon de Cisjordanie (officiellement appelé la division de Judée et Samarie), sont fortement influencés par l’idéologie du sionisme religieux. Ces soldats et officiers n’adhèrent pas strictement aux ordres de l’état-major et se considèrent comme un corps unifié avec les colons, comme l’a déclaré l’année dernière leur commandant, le colonel Roi Zweig.

Le chaos interne s’est manifesté lorsque des gangs de colons terroristes ont perpétré l’incendie criminel sous le parapluie protecteur de l’armée et sous son œil vigilant. Cela s’est produit après que la ville a été mise en état de siège, tous les points d’accès étant bloqués. Cette tactique renvoie à une tactique sioniste historique qui a été associée à d’autres massacres tragiques.

La divergence entre l’armée israélienne et le Shin Bet menace de rompre un équilibre de longue date entre les principales institutions de sécurité d’Israël - l’armée, le Shin Bet et le Mossad - et le gouvernement. Qu’il s’agisse de questions concernant l’Iran ou la Palestine, le facteur décisif a toujours été le consensus entre ces trois agences de sécurité.

Il est intéressant de noter que le Shin Bet semble se rapprocher de la position d’extrême droite du gouvernement, en s’alignant spécifiquement sur Smotrich. Ce dernier semble convaincu que l’affaiblissement de l’AP est une étape nécessaire pour faciliter les projets du parti au pouvoir qu’il dirige. (Le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, est devenu une voix que personne n’écoute lorsqu’il s’agit de questions de sécurité).

Le débat au sein de l’appareil de sécurité de l’État occupant sur la question de savoir s’il faut déstabiliser l’AP n’est pas encore tranché. Malgré des années de siège de l’AP, la volonté d’Israël de provoquer son effondrement total est incertaine.

Toutefois, le soutien à cette stratégie semble s’accroître au vu des nombreuses évaluations concernant l’ère qui suivra le président Mahmoud Abbas, âgé de 87 ans. La question du paysage post-Abbas est une question qui préoccupe profondément tous les rouages de la machinerie de l’État occupant.

Au fur et à mesure que la situation évolue, il devient de plus en plus évident que le Shin Bet cherche non seulement à rompre les liens et les attentes qui existent entre les Palestiniens vivant dans la zone C et l’(In)autorité palestinienne, mais aussi à exacerber les plaintes des résidents locaux à l’encontre de l’organe dirigeant.

L’AP, inhibée par les restrictions israéliennes, n’est pas en mesure d’assurer une quelconque forme de protection ou d’agir dans la région. Ces réalités feront probablement pencher la balance en faveur de ceux qui, en Israël, souhaitent l’affaiblir encore plus - ou carrément la détruire.