Brian Goldstone, The New York Times, 1/3/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Brian Goldstone est un journaliste usaméricain dont les reportages et les essais ont été publiés, entre autres, dans Harper’s Magazine, The New Republic, The California Sunday Magazine et Jacobin. Il est titulaire d’un doctorat en anthropologie de l’université Duke et a été titulaire d’une bourse de recherche Mellon à l’université Columbia. En 2021, il a été National Fellow à New America. Il vit à Atlanta avec sa famille. Il est l’auteur de “ There Is No Place for Us: Working and Homeless in America”, à paraître le 25 mars 2025. Ci-dessous un extrait du livre.
À 22 heures,
une technicienne hospitalière s’arrête sur le parking d’un magasin Walmart. Ses
quatre enfants - dont l’un allaite encore - sont entassés à l’arrière de sa
Toyota. Elle leur dit que c’est une aventure, mais elle est terrifiée à l’idée
que quelqu’un appelle la police : un “logement inadéquat” suffit pour perdre
ses enfants. Elle reste éveillée pendant des heures, la blouse lavande pliée
dans le coffre, à l’écoute de bruits de pas, de tout signe de problème. Sa
garde commence bientôt. Elle entrera à l’hôpital épuisée, prétendant que tout
va bien.
Dans tout le
pays, des hommes et des femmes dorment dans leur véhicule nuit après nuit et se
rendent au travail le lendemain matin. D’autres se débrouillent pour passer une
semaine dans un motel, sachant qu’une seule paie manquante pourrait les jeter à
la rue.
Ces
personnes ne sont pas en marge de la société. Ce sont les travailleurs dont l’Amérique
dépend. L’expression même de “ travailleurs sans-abri” devrait être une
contradiction, une impossibilité dans une nation qui prétend que le travail
acharné mène à la stabilité. Et pourtant, leur sans-abrisme n’est pas seulement
omniprésent, il est aussi constamment négligé - exclu des comptages officiels,
ignoré par les décideurs politiques, traité comme une anomalie plutôt que comme
un désastre qui se déroule au vu et au su de tous.
Aujourd’hui,
la menace du sans-abrisme est la plus aiguë non pas dans les régions les plus
pauvres du pays, mais dans les régions les plus riches et à la croissance la
plus rapide. Dans ces régions, un emploi mal rémunéré est synonyme de
sans-abrisme.
Pour une
part croissante de la main-d’œuvre nationale, la flambée des loyers, les bas
salaires et les protections inadéquates des locataires les ont forcés à entrer
dans un cycle brutal d’insécurité où le logement est inabordable, instable ou
tout à fait hors de portée. Une étude récente analysant le recensement de 2010
a révélé que près de la moitié des personnes sans domicile qui séjournent dans
des centres d’hébergement et environ 40 % de celles qui vivent dehors ou dans d’autres
conditions improvisées ont un emploi formel. Mais ce n’est qu’une partie du
tableau. Ces chiffres ne rendent pas compte de l’ampleur du phénomène du
sans-abrisme de salariés aux USA : les nombreuses personnes qui n’ont pas de
toit mais qui n’entrent jamais dans un refuge ou qui se retrouvent à la rue.
Au cours des
six dernières années, j’ai réalisé des reportages sur des hommes et des femmes
qui travaillent dans des épiceries, des maisons de retraite, des crèches et des
restaurants. Ils préparent les repas, approvisionnent les rayons, livrent les
colis et s’occupent des malades et des personnes âgées. À la fin de la journée,
ils ne rentrent pas chez eux, mais dans des parkings, des refuges, des
appartements surpeuplés d’amis ou de parents et des chambres d’hôtel sordides
pour des séjours prolongés.
L’Amérique
connaît ce que les économistes décrivent comme un marché du travail
historiquement tendu, avec un taux de chômage national de seulement 4 %.
Pendant ce temps, le nombre de sans-abris a atteint le niveau le plus élevé
jamais enregistré.
À quoi sert
un faible taux de chômage lorsque les travailleurs sont à deux doigts de
devenir sans-abri ?
Quelques
statistiques permettent de comprendre pourquoi cette catastrophe est en train
de se produire : Aujourd’hui il n’y
a pas un seul État, une seule ville ou un seul comté aux USA où un travailleur
au salaire minimum à temps plein peut s’offrir un appartement de deux pièces au
prix médian. Un chiffre stupéfiant : 12,1
millions de
ménages locataires à faibles revenus sont “lourdement grevés par les coûts”,
consacrant au moins la moitié de leurs revenus au loyer et aux charges. Depuis
1985, les prix des loyers ont dépassé les gains de revenus de 325
%.