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19/12/2024

GIANFRANCO LACCONE
Les super-riches bousillent l’environnement

Gianfranco Laccone, climateaid.it , 17/12/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

De nombreuses études suggèrent que les super-riches ont un impact environnemental disproportionné par rapport à la majorité de la population. Cet impact est principalement lié à leur mode de vie, à leurs habitudes de consommation et à leurs investissements. Voici quelques études et rapports pertinents analysant l’impact environnemental disproportionné des super-riches : 1. Oxfam - « Confronting Carbon Inequality » (2020) : les 10 % les plus riches de la population mondiale sont responsables d’environ 50 % des émissions mondiales de CO2 entre 1990 et 2015. Les 1 % les plus riches émettent deux fois plus que les 50 % les plus pauvres de la population mondiale. La consommation des super-riches, notamment les jets privés, les yachts et les grandes propriétés, est l’une des principales causes de ce déséquilibre. 2) Stockholm Environment Institute (SEI) - « Carbon Inequality in 2030 » (2021) : si aucune mesure n’est prise, les 1 % les plus riches seront responsables de 16 % des émissions mondiales d’ici à 2030. Les émissions individuelles des super-riches dépassent de loin les niveaux supportables pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C. 3. Cambridge Sustainability Commission - « The Case for Limiting the Consumption of the Rich » (2021) : l’étude souligne que la surconsommation de l’élite économique est une cause majeure de la destruction de l’environnement. Elle propose de taxer les produits de luxe et les émissions des super-riches afin de réduire l’impact sur l’environnement. 4) Transport & Environnement - « Private Jets : Can the Super-Rich Supercharge Climate Change » (2021) : Les jets privés émettent entre 5 et 14 fois plus de CO2 par passager qu’un vol commercial et 50 fois plus qu’un train. En 2019, les jets privés ont émis environ 2,1 mégatonnes de CO2 rien qu’en Europe. 5. Agence internationale de l’énergie (AIE) - « The Global Energy Perspective » (2023) : les ménages les plus riches consomment disproportionnellement plus d’énergie que les plus pauvres, en raison de l’utilisation de propriétés multiples, de piscines chauffées, de voitures de luxe et d’autres biens à forte consommation d’énergie. 6. Changement environnemental mondial - « Luxury emissions : The climate impact of the super-rich » (2022) : la consommation de produits de luxe (montres, voitures haut de gamme, yachts, etc.) a une empreinte environnementale beaucoup plus importante que la consommation de base. L’étude suggère la nécessité de politiques qui redistribuent la charge environnementale en réduisant la consommation des riches.

Comment les riches ravagent la planète — Et comment les en empêcher, de Hervé Kempf (scénariste) et Juan Mendez (illustrateur), aux éditions du Seuil, septembre 2024, 128 p., 20 euros

Laissons pour l’instant les réflexions générales sur les questions qui façonneront nos prochaines années : la guerre et l’attitude des autorités à l’égard du changement climatique. Les gouvernements sont dans une phase de grande crise et il semble que la seule réaction dont ils sont capables soit de limiter les actions de leurs citoyens par des restrictions économiques et des lois et moyens plus ou moins coercitifs, puis d’essayer de s’attirer leurs faveurs en leur garantissant - en paroles - la sécurité et des réductions d’impôts.
Examinons de plus près les comportements individuels en matière d’environnement, en les analysant avant tout sur la base des revenus car, dans une société où l’argent détermine les comportements, il est essentiel d’évaluer ce que les gens font en matière d’environnement sur la base des possibilités dont ils disposent.
Je pense qu’il est utile d’ouvrir une fenêtre sur le comportement des personnes qui ont accumulé de grandes richesses et qui vivent immergées (virtuellement) dans la structure centrale de la société planétaire, c’est-à-dire le moteur industriel qui génère des richesses grâce au système financier qui le soutient. Il s’agit d’une minorité distincte par rapport aux huit milliards (et plus) d’habitants qui, grâce à la capacité qu’ils ont de se comporter au-dessus (souvent au-delà) de la loi et du comportement des masses, conditionnent la vie de tout le monde. Nous découvrirons qu’ils conditionnent non seulement les personnes mais aussi l’environnement, c’est-à-dire tous les êtres vivants, animaux et plantes. Commençons par l’analyse réalisée par Oxfam, une organisation qui analyse et compare les inégalités afin de « mettre fin à la pauvreté et à l’injustice », car « un monde plus juste et meilleur est possible », comme l’indiquent les mots inscrits sur leur site web.
Leur dernier rapport (auquel l’hebdomadaire Famiglia Cristiana s’intéresse) stigmatise le comportement des milliardaires, en mesurant la consommation d’un milliardaire typique : les heures de vol, la consommation de super-yachts, de jets et de limousines privées, le chauffage de leurs résidences, le temps et l’argent utilisés pour des activités apparemment communes à celles des autres mortels, comme se rendre au travail, visiter les entreprises dont ils sont responsables, avoir des moments de détente, mais tout cela dans un style multimilliardaire.
Les données sont implacables : par exemple, un milliardaire parmi les 23 plus riches du monde émet dans l’atmosphère, en une seule année, une quantité de CO2 égale à celle qu’un autre être humain, considéré dans des conditions statistiques moyennes, émettrait en 300 ans, rien qu’en calculant le nombre de fois (184 vols) et le nombre d’heures (425) qu’il a passées en avion ! En utilisant le même critère de calcul annuel, les yachts de 18 milliardaires, qui font l’objet d’articles de presse non seulement dans les magazines people, émettent une quantité de dioxyde de carbone égale à celle qu’un citoyen moyen émettrait en 800 ans.
On pourrait penser que, compte tenu de leur mode de vie, nombre d’entre eux pourraient compenser ces dommages par des activités caritatives, des actions respectueuses du climat et la protection de la faune et des forêts. Tout cela arrive, mais ne sert qu’à soulager les consciences. Contrairement à l’opinion de ceux qui prônent la libre initiative au détriment des interventions des États et des organisations internationales (ONU et ses affiliés), l’analyse nous apprend que 40 % des investissements des ultra-riches concernent des industries très polluantes.
Depuis 1990, la quantité d’émissions produites par les choix des milliardaires et leur mode de vie a eu des conséquences dévastatrices pour la planète. Le statut de cette catégorie est exécrable en analysant ce qu’elle a provoqué dans trois domaines différents :

- L’augmentation des inégalités dans le monde, qui aurait entraîné une baisse du PIB mondial de 2,9 billions de dollars depuis 1990, avec le plus grand impact dans les pays qui ont été les moins responsables des émissions de CO2.
- L’augmentation de la faim et de la malnutrition, les émissions de CO2 étant à l’origine de pertes de récoltes et d’une baisse de productivité qui ont privé les populations, en particulier dans les régions pauvres, de leurs moyens de subsistance.
- Les victimes directes de la crise climatique, car la hausse des températures et la chaleur torride sur des périodes prolongées ont fait jusqu’à 78 % du nombre total de victimes, principalement dans les pays moyennement pauvres souffrant de sécheresse chronique.

Si telles sont les données, difficilement contestables, faut-il en conclure que la planète est entre les mains d’une poignée de malfaiteurs? Alors, après les avoir éliminés ou contrôlés, serions-nous en mesure de rétablir de meilleures conditions de vie à l’avenir ? Cette façon de penser peut donner lieu à une série de films à grand spectacle, comme « Star Wars », mais elle nous éloigne de la réalité. Le comportement des super-riches, en effet, est guidé par des règles et des comportements acquis à partir des règles morales et sociales qui guident aujourd’hui nos relations et qui voient une propension particulière se développer au fil du temps chez certains individus.
Il s’agit d’une vision de l’argent comme prolongement de soi et d’une sorte de délire de toute-puissance qui frappe aussi sous d’autres formes, comme l’exercice de la politique en tant que profession. Lorsque les propensions se rejoignent, on assiste alors à l’émergence de personnages qui poursuivent cet objectif jusqu’à la fin de leur cycle de vie, mais qui laissent ensuite les structures et les personnes dont ils avaient la responsabilité dans un état bien pire que celui dans lequel ils les avaient acquises. Je ne cite pas de noms, mais il sont faciles à trouver.
Un essai/enquête écrit par Vance Packard en 1989, intitulé « Les ultra-riches (The Ultra Rich) », nous aide dans notre analyse des super-riches. Déjà à l’époque, en plein hédonisme reaganien, l’auteur - bien connu des défenseurs des consommateurs pour son essai de 1958 « The Hidden Persuaders » - posait le problème de ce qui pourrait se passer si plus d’un tiers de la richesse d’un pays (les USA) était entre les mains d’un pour cent de la population : est-ce moralement et rationnellement justifiable ? Est-ce admissible dans une société véritablement démocratique ?
En analysant les propriétaires de plus de 330 millions de dollars et en interrogeant trente d’entre eux, il a dressé un tableau - à mon sens - étonnant. Leur richesse n’était pas vraiment perceptible psychologiquement pour eux. Leur train de vie était souvent très inférieur à leurs possibilités réelles, mais le besoin d’accumulation en soi persistait chez tous, ce qui constituait la principale satisfaction à côté de la propension générale à contourner l’impôt. La richesse est le support de l’ego, la preuve qu’ils sont toujours en compétition pour l’acquisition du pouvoir et du prestige, souvent avec des systèmes douteux ou malhonnêtes : c’est ce qui ressort des entretiens, même dans les cas où des philanthropes sont impliqués. À la lecture du livre, les événements de nombreuses telenovelas de l’époque (Dallas, Even the Rich Cry) apparaissent comme des contes de fées édulcorés pour enfants. Et je dois ajouter que j’ai eu la même impression lorsque, en 1987, j’ai eu la chance d’assister à la présentation d’un livre à la Trump Tower par l’épouse de Donald Trump à l’époque.
Vance Packard, libéral usaméricain et défenseur du libre marché, proposait alors des solutions drastiques, qui rappellent les événements européens d’aujourd’hui, visant à réduire les concentrations de capital : l’introduction d’un impôt sur la fortune, l’imposition d’un « plafond » sur la richesse individuelle avec l’obligation de dépenser le capital excédentaire dans l’intérêt de la communauté.
Bien sûr, à l’époque, on ne connaissait pas les conséquences environnementales du comportement des super-riches, mais ces conclusions tirées en 1989 devraient nous faire réfléchir sur le chemin parcouru par notre machine sociale et sur le chemin qui reste à parcourir pour unir une vision écologiste à une conscience sociale.

07/12/2024

SILVIA FEDERICI
Le développement capitaliste et la guerre contre la reproduction sociale : la Palestine et au-delà


Silvia Federici,The Commoner, 22/11/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La cruauté de la guerre qu’Israël mène contre le peuple palestinien et maintenant contre la population du Liban est si extrême, son intention génocidaire si évidente que nous semblons perdus dans la recherche d’explications possibles. En effet, il n’y a pas de mots pour décrire l’horreur et la souffrance que les opérations militaires de Tsahal ont infligées aux Palestiniens.

Donostia, Pays basque: mosaïque humaine de solidarité avec les Palestinien·nes

Nous assistons à une campagne d’extermination qui vise à ce qu’il ne reste plus rien sur le terrain qui puisse leur permettre de vivre sur leur terre ou simplement de survivre. Plus de cinquante mille personnes ont été massacrées, principalement des femmes et des enfants, sans compter les milliers de corps enterrés sous les décombres de leurs maisons, qui n’ont jamais été retrouvés, ni les nombreux exécutés, aujourd’hui retrouvés dans des fosses communes, certains manifestement enterrés vivants ou mutilés. Tous les systèmes de reproduction ont été démantelés. Les maisons, les routes, les réseaux d’eau et d’électricité, les hôpitaux ont été détruits, les ambulances aussi ont été bombardées. Il en va de même pour les arbres et les cultures. Au moins quatre cents médecins, infirmières et autres travailleurs de la santé sont morts au cours de cette campagne d’extermination qui a duré un an. Beaucoup ont été exécutés, après avoir été soumis à des pratiques humiliantes, tout comme de nombreuses personnes qui s’étaient réfugiées dans les cliniques après le bombardement de leurs maisons.
Ce qui est clair, c’est qu’Israël mène systématiquement une guerre totale contre tout ce dont les Palestiniens ont besoin pour leur reproduction. Cette campagne de mort brutale s’étend maintenant au Liban et peut-être, dans les semaines à venir, à l’Iran, à la Syrie et au Yémen.
Les femmes et les enfants, c’est-à-dire ceux-là mêmes qui assurent la reproduction de la communauté et constituent l’espoir de l’avenir, sont délibérément pris pour cible. Tout est également mis en œuvre pour effacer le passé. Israël craint le pouvoir des mémoires collectives. Il sait que garder son histoire vivante, garder vivant le souvenir des blessures et des luttes passées est un puissant moyen de résistance. Le souvenir de la Nakba de 1948, des villages détruits et des communautés déplacées, a soutenu des générations de Palestiniens les inspirant à se battre jusqu’au bout pour ne pas quitter leur terre. En réponse, tous les lieux où sont conservés des documents - bibliothèques, universités, archives publiques ou personnelles - ont été réduits en poussière. Et depuis des semaines, aucune nourriture n’a été autorisée à entrer dans la région, si bien que les gens meurent de faim. De manière sadique, lorsque l’aide alimentaire est arrivée, les personnes qui s’y précipitaient ont été abattues, de même que les travailleurs humanitaires.
À cette campagne meurtrière, qui entre dans sa deuxième année, s’ajoute l’assaut brutal que les colons israéliens, lourdement armés et portant souvent des uniformes militaires, ont lancé contre les fermes palestiniennes de Cisjordanie, forçant les propriétaires à partir sous peine de mort, volant et tuant leurs animaux, détruisant les lits de culture. Enfin, il faut mentionner les milliers de personnes arrêtées, qui sont également soumises à des tortures et des humiliations constantes, certaines étant enchaînées depuis si longtemps qu’elles ont dû être amputées des jambes à cause de la gangrène.
Ce qui rend cette opération génocidaire particulièrement horrible, c’est qu’elle est menée ouvertement, devant le monde entier, et qu’elle bénéficie du soutien inconditionnel des USA et de l’Union européenne, qui fournissent un flux incessant d’argent et d’armes pour la soutenir. En effet, l’engagement des USA à soutenir inconditionnellement les décisions d’Israël, aussi meurtrières soient-elles, est tel que, plus qu’un soutien, leur position apparaît comme celle d’un partenaire, voire d’un instigateur.
Quel est donc l’enjeu en Palestine ? Qu’est-ce qui pousse des gouvernements qui se prétendent défenseurs des droits humains à abandonner tous les faux-semblants et à s’efforcer d’étouffer toute contestation de ce génocide ?
L’une des réponses est que l’expulsion massive des Palestiniens de leur terre natale et la campagne de terreur menée par Israël sont l’achèvement de la tâche assignée à Israël depuis sa formation, à savoir défendre les intérêts du capital usaméricain et international, et en particulier défendre les intérêts des compagnies pétrolières de la région et étouffer les aspirations des peuples du monde arabe qui voudraient récupérer les terres et les ressources qui leur ont été enlevées lors de la colonisation britannique.
Comme nous le savons, depuis 1948, Israël a veillé à ce que les champs pétrolifères du Moyen-Orient soient ouverts aux compagnies pétrolières usaméricaines et à ce que les régimes autocratiques que les USA et la Grande-Bretagne ont mis en place dans la région pour protéger leurs intérêts ne soient pas remis en question. Israël s’est acquitté si efficacement de cette tâche répressive qu’il est devenu l’un des principaux exportateurs d’armes au monde et, plus important encore, le principal exportateur de technologies de surveillance et de méthodes répressives dont la Palestine a été le laboratoire et le terrain d’essai [1]. Tous les régimes autocratiques en ont bénéficié. Israël a été le principal soutien de l’Afrique du Sud blanche, du régime Mobutu au Congo, il a collaboré avec Rios Montt dans le massacre de la population indigène au Guatemala au début des années 1980, et la liste est encore longue. Il n’est donc pas surprenant que Joe Biden ait déclaré dès 1986 que : « Si Israël n’existait pas, nous devrions l’inventer » et que, malgré une légère condamnation, la plupart des gouvernements du monde restent silencieux face au massacre des Palestiniens et maintenant des Libanais. La plupart d’entre eux bénéficient de la fourniture par Israël de tactiques et d’armes répressives. Les drones israéliens patrouillent aujourd’hui aux frontières, ils veillent (par exemple) à ce qu’aucun bateau de migrants ne puisse traverser la Méditerranée sans être détecté, leur technologie est utilisée pour ériger des murs, construire des clôtures électrifiées, transformer les frontières en zones militarisées.
Maintenir les Palestiniens en état de siège, les priver de leurs terres, de leurs eaux, de leur possibilité de se déplacer d’un endroit à l’autre, transformer la Palestine en un patchwork de zones séparées et non continues, entrecoupées par un nombre croissant de fermes de colons, faire de la Palestine une « prison à ciel ouvert », où toute forme de résistance est cruellement punie par l’emprisonnement, les meurtres, la démolition des maisons, a été un élément clé dans l’accomplissement de ce projet. Aujourd’hui, en outre, un autre événement accélère la guerre d’Israël et des USA contre les Palestiniens. Il s’agit de la découverte en 2000 d’un important gisement de gaz naturel au large de Gaza et d’Israël, évalué à un demi-billion [500 milliards] de dollars.[2] Comme l’histoire des USA le démontre, des coups d’État ont été organisés, des gouvernements ont été renversés, en hommage à l’extraction du pétrole, et il ne fait aucun doute que cela a été un puissant facteur d’accélération du projet de construction d’un Israël plus grand et de condamnation des Palestiniens à la mort ou à l’expulsion en masse.
Comme l’a montré Charlotte Dennett, en 2007, le gouvernement israélien s’est opposé au projet de British Gas visant à exploiter les ressources gazières offshore de Gaza, ce qui aurait grandement profité aux Palestiniens, et en 2008, « les forces israéliennes ont lancé l’opération Plomb durci », qui a tué près de 1 400 Palestiniens, avec l’intention déclarée d’envoyer Gaza « des décennies dans le passé » [3].
Cependant, nous ne pouvons pas comprendre pleinement ce qui se passe en Palestine si nous ne le relions pas à la guerre plus large que les USA, l’Union européenne et les institutions capitalistes internationales, comme le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, mènent pour prendre le contrôle de l’économie mondiale et des richesses de la planète. Au moyen d’une « crise de la dette » créée artificiellement - première étape d’un processus de recolonisation d’une grande partie du soi-disant « tiers monde » - et de « programmes d’ajustement structurel » imposés par la suite, un état de guerre permanent a été créé alors que de nouveaux territoires sont ouverts aux investissements de capitaux et que des régions entières sont dépouillées de leurs ressources naturelles. En ce sens, « la Palestine est le monde », comme je l’ai écrit dans un discours que j’ai prononcé en 2024 [4] lors d’une conférence de chercheurs socialistes à New York, à l’occasion de l’attaque de Sharon contre Gaza. Comme je l’ai écrit à l’époque :
« Ce qui, en Palestine, est détruit par les FDI, l’est dans de nombreux pays africains par le Fonds monétaire international et l’Organisation mondiale du commerce. En Palestine, ce sont les chars israéliens qui détruisent les écoles et les maisons au bulldozer. En Afrique, ce sont les ajustements structurels, le dégraissage du secteur public, la dévaluation de la monnaie, mais les effets sont les mêmes. Dans les deux cas, les résultats sont des populations de réfugiés, le transfert des terres des populations locales aux nouvelles puissances coloniales, la promotion et la protection des intérêts du capital international ».
Depuis lors, les preuves que le développement capitaliste nécessite une véritable guerre contre les moyens et les activités dont les gens ont besoin pour reproduire leur vie se sont accumulées. Que ce soit par des interventions financières ou des opérations militaires ou, plus souvent, par les deux, des millions de personnes sont dépossédées de leurs maisons, de leurs terres, de leurs pays, alors que leurs terres sont privatisées, ouvertes à de nouveaux investissements et à des entreprises extractivistes, par des sociétés pétrolières, minières, agro-industrielles. C’est pourquoi, dans le monde entier, on assiste aujourd’hui à des mouvements migratoires massifs. On estime que plus de trente mille Africains se sont déjà noyés en tentant de passer en Europe au cours des dix dernières années, trois mille rien qu’en 2023. Il s’agit d’un génocide, comme celui auquel nous assistons à Gaza, mais silencieux, invisible.
En Amérique latine aussi, on assiste actuellement à une sortie massive de personnes prêtes à affronter le voyage le plus périlleux pour atteindre les USA, où elles sont traitées et pourchassées comme des criminels par les patrouilles frontalières, la frontière elle-même étant désormais complètement militarisée. À une époque de crise capitaliste croissante et de concurrence intercapitaliste, le développement nécessite des défrichements massifs, des clôtures, la mise à sac de régions entières, ainsi qu’une politique tendant à réduire constamment les investissements dans la reproduction sociale, les avantages sociaux et les salaires. C’est pourquoi, comme on l’a vu surtout en Irak, la guerre évolue elle aussi, en étant principalement dirigée contre la population civile, visant à vider des régions entières de leurs habitants, qu’il faut terroriser et priver de leurs moyens de subsistance. En Irak, comme le rapporte Dan Kovalik dans son ouvrage No More War (2020)[5], citant les conclusions de la Commission d’enquête du Tribunal international des crimes de guerre, l’armée usaméricaine a endommagé :

« des maisons, des centrales électriques, des installations de stockage de carburant, des usines civiles, des hôpitaux, des églises, des aéroports civils, des entrepôts de nourriture, des laboratoires d’essais alimentaires, des silos à grains, des centres de vaccination des animaux, des écoles, des tours de communication, des immeubles de bureaux du gouvernement civil et des magasins... »

La plupart des sites ont été bombardés deux ou trois fois, « de manière à ce qu’ils ne puissent pas être réparés ». (ibid). En conséquence, les gens ont continué à mourir longtemps après la fin des bombardements. Selon les estimations, plus de 2 millions de personnes ont perdu la vie à cause de cette campagne, dont 500 000 enfants. C’est sans doute ce qui se passera en Palestine.
Nous ne pouvons pas prédire, à l’heure actuelle, quand le massacre et la famine des Palestiniens prendront fin. Le carnage semble aujourd’hui sans fin, Tsahal préparant une invasion massive de Rafah. Mais, quelle que soit l’issue de cette guerre génocidaire, les Palestiniens continueront à mourir pendant longtemps encore, à cause des effets de la malnutrition, des maladies causées par le manque de nourriture et d’eau potable, des conséquences des blessures et autres maladies qui ne peuvent plus être soignées en toute sécurité, et des traumatismes innommables que les gens ont subis.
La guerre menée par les Israéliens en Palestine est particulièrement cruelle pour les femmes qui sont responsables de la reproduction de leurs communautés et qui se retrouvent aujourd’hui sans rien - pas de maison, pas de nourriture, pas de moyens de se reproduire, de soigner et de protéger leurs enfants et leurs familles. Nombreuses sont celles qui ont accouché pour voir leurs enfants tués ou condamnés à mourir de faim. On ne peut imaginer la douleur des centaines de femmes enceintes qui doivent accoucher sous les bombes, sans soins médicaux, en sachant que les enfants qu’elles portent dans leur ventre n’auront aucune chance de survivre. La cruauté qui leur est infligée revêt une signification particulière. Les femmes sont celles qui maintiennent l’unité de la communauté, qui, lorsque tout semble perdu, tiennent bon, cherchent de la nourriture, poursuivent la vie même sous une tente, consolent les enfants.
Parallèlement à l’horreur devant le comportement inhumain d’Israël, nous devons ressentir une immense admiration pour leur courage et leur force, pour le courage et la force des médecins et de tout le peuple palestinien qui, sous les bombardements, continuent à résister, disant au monde qu’ils préfèrent mourir là où ils sont plutôt que de quitter à nouveau leur terre, parce que quitter sa terre est aussi une forme de mort - et parce qu’ils savent que sous l’occupation israélienne, il n’y a pas d’endroits sûrs pour eux.
Dénoncer ce génocide, soutenir leur lutte par tous les moyens dont nous disposons, se mobiliser pour exiger non seulement un cessez-le-feu mais la fin de la domination israélienne sur la Palestine, c’est le moins que nous puissions faire face à cette abomination. Nous sommes d’ailleurs dans l’illusion si nous pensons que la guerre qu’Israël mène en Palestine n’est pas d’une importance vitale pour nos vies. Le flux constant d’argent et d’armes que l’administration Biden envoie pour contribuer à ce génocide est prélevé sur nos propres écoles, sur les investissements dans nos communautés, sur nos systèmes de soins de santé et nos hôpitaux. Le traitement inhumain et barbare infligé aux Palestiniens est une menace pour nous tous. Il nous rappelle que nous vivons dans un système social qui ne se préoccupe pas des vies humaines et n’hésite pas à se livrer à des destructions massives de personnes pour parvenir à ses fins.

Notes
1.    Voir Antony Loewenstein, The Palestine Laboratory. How Israel Exports the Technology of Occupation Around the World. London-New York: Verso, 2023.
2.    Charlotte Dennett, ‘Israel, Gaza, and the Struggle for Oil’. Counterpunch, December 11, 2023
3.    Ibid.
4.    Silvia Federici “Palestine is the World” (2002) Counterpunch, March 12, 2024.
5.    Dan Kovalik, No More War. How the West Violates International Law by Using ‘Humanitarian’ Intervention to Advance Economic and Strategic Interests, Skyhorse Publishing, 2020, p.86. ↩︎ La citation de Kovalik est tirée d’un rapport de la Commission d’enquête du Tribunal international des crimes de guerre.



01/07/2024

Six mois dans une dystopie néolibérale
Cannibalisme social contre entraide et résistance en Argentine

crimethInc., 17 /6/ 2024
Traduit par
Layân Benhamed, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala

 En décembre 2023, Javier Milei est arrivé au pouvoir en Argentine, introduisant des mesures radicales d’austérité et de déréglementation. En promettant d’écraser les mouvements sociaux au nom d’un capitalisme débridé, son administration ouvre la voie à un effondrement social complet et à l’émergence d’une narco-violence à grande échelle. Dans le récit qui suitnotre correspondant dresse un tableau saisissant des forces et des visions rivales qui se disputent l’avenir de l’Argentine, dont le point culminant le plus récent ont été les affrontements du 12 juin, lorsque des manifestants militants ont affronté près de trois mille policiers encerclant un congrès barricadé.

Le bloc antifasciste, anarchiste et autonome lors de la manifestation du 24 mars : « Contre la violence d'État – autodéfense populaire ».

Instantanés

Fin janvier 2024, mouvements sociaux, assemblées de quartier et organisations de gauche se rassemblent devant le congrès pour protester contre le paquet massif de réformes néolibérales qui y sont débattues. L’État répond en mobilisant des milliers de policiers. On peut voir un officier se promener en arborant en écusson un drapeau de Gadsden « Ne me marchez pas dessus » sur sa veste.


 À la fin de la soirée, même si rien de particulier ne s'est produit, les policiers se déplacent par deux sur des motos, tirant des balles en caoutchouc sans distinction dans la foule.

Quelques jours plus tard, Sandra Pettovello, ministre du « Capital humain », refuse de rencontrer les organisations sociales pour discuter de la distribution d’aide alimentaire aux milliers de comedores populares (soupes populaires de quartier). S’inspirant de Marie-Antoinette, elle déclare : « S’il y a quelqu’un qui a faim, je le rencontrerai en tête-à-tête », mais sans l’intermédiaire des organisations sociales.

Le lendemain, des milliers de personnes acceptent son offre, faisant la queue devant son ministère. Elle refuse de les rencontrer.


La queue au centre-ville s'étend sur 20 pâtés de maisons au lendemain de la déclaration de la ministre du Capital humain qu'elle accueillerait individuellement ceux qui avaient faim.

Début mars, Télam, l'agence de presse publique, a été fermée. Il en va de même pour l'INADI, l'institut national contre les discriminations. Des vagues de licenciements déciment presque toutes les institutions publiques, y compris la bibliothèque nationale. On parle de privatiser la Banque nationale. Alors que les travailleurs se mobilisent pour défendre les institutions publiques et leur lieu de travail, ils trouvent les bâtiments barricadés et encerclés par la police anti-émeute. Des militants dits « libertariens » organisent une séance photo pour célébrer les fermetures et les licenciements.


Des policiers encerclent le bâtiment fermé de l'agence de presse publique Télam

Ursula est interviewée en direct par un journaliste d'une chaîne pro-gouvernementale. « Je suis veuve, je reçois une aide du gouvernement et je vis avec ma mère, qui est à la retraite. » Elle raconte qu'elle a trois filles, dont l'une se tient dans la rue, dans le froid, à côté d'elle pendant l'interview. Elle dit avoir récemment perdu son emploi. Alors qu'elle explique qu'elles tentent de survivre en vendant des paquets d'autocollants dans la rue, elle fond en larmes devant sa fille adolescente.

Quelques minutes avant l'interview d'Ursula, une autre femme avait été interviewée dans la rue. « J'ai trois boulots pour joindre les deux bouts. » Aucune des deux n'a mentionné les décisions politiques et économiques qui les ont conduites à ces situations.

Le coût de la vie a explosé. L’inflation est désormais « sous contrôle » – si l’on peut qualifier de sous contrôle un taux d’inflation mensuel de 9 % – uniquement parce que la demande des consommateurs s’est effondrée. Le coût des services publics, des médicaments et des produits alimentaires de base a explosé avec des augmentations de prix bien supérieures à 100 % dans toutes ces catégories. Dans le même temps, les contrats de location ont été complètement déréglementés.

Le résultat n'est pas surprenant. La valeur réelle des salaires s'effondrant, les ventes sont en chute libre. Ce ne sont pas seulement les fonctionnaires, stigmatisés par les ultralibéraux comme des «parasites vivant aux crochets de la société», qui perdent leur emploi. Les petites entreprises et les usines ferment les unes après les autres. Au cours du mois de mai, 300 000 «comptes salaires», comptes bancaires utilisés exclusivement pour recevoir les salaires mensuels, ont été fermés.

Dans une usine de la province de Catamarca, les travailleurs n'ont pas accepté la perte de leur poste de travail. Les 134 travailleurs de l'usine textile Textilcom, soupçonnant la fermeture imminente de celle-ci, ont occupé l'usine en guise de résistance contre la fermeture et comme moyen de pression pour s'assurer qu'ils ne seraient pas privés de leurs arriérés de salaire.

Mais même ici, les travailleurs qui mènent des actions collectives, qui occupent une usine et qui subissent les conséquences concrètes de la logique capitaliste du marché, mettent un point d’honneur à se distancer des chômeurs, des travailleurs informels et des personnes marginalisées qui constituent la majeure partie des mouvements sociaux. « Nous ne dépendons pas de l’aide de l’État, nous ne voulons pas d’aide, nous ne sommes pas comme les piqueteros. »

Un inconnu affronte le président Milei dans la rue en criant : « Les gens n'arrivent pas à joindre les deux bouts ! »

Milei répond : « Si les gens ne parvenaient pas à joindre les deux bouts, ils mourraient dans les rues, donc c'est faux. »

Même la presse pro-gouvernementale et de droite qualifie sa déclaration de « méprisable ».

En même temps, les organisations sociales dénoncent le refus du ministère du Capital humain de distribuer plus de cinq mille tonnes de produits alimentaires. Le ministère accuse le vaste réseau de soupess populaires gérées par les organisations sociales de pratiquer l'extorsion et affirme qu'un audit a révélé que la moitié de ces soupes populaires n'existent pas, alors que toute cette nourriture pourrit dans leurs entrepôts.

Un juge ordonne au gouvernement de commencer à distribuer la nourriture. Plutôt que d'obtempérer, celui-ci fait appel de la décision judiciaire.

Pendant ce temps, 49 % du pays vit dans la pauvreté, et 11,9 % de la population vit dans l’extrême pauvreté, définie comme « les personnes incapables de subvenir à leurs besoins alimentaires de base ».


Des manifestants devant le lieu où le ministère du Capital humain bloque des milliers de tonnes d'aide alimentaire.

28/06/2024

GIANFRANCO LACCONE
Satnam Singh, martyr de l’agrobusiness

Gianfranco Laccone, Climateaid.it, 27/6/2024

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

 

Le 19 juin 2024, à l’hôpital San Camillo de Rome, Satnam Singh, un jeune homme de 31 ans d’origine indienne, est décédé des suites de très graves blessures subies sur son lieu de travail, une ferme de Borgo Santa Maria, dans la province de Latina. Quelques jours seulement avant sa mort, à la suite d’un accident dans le champ où il travaillait, Satnam a perdu un bras, sectionné par une machine à ensacher les récoltes. Selon les résultats de l’autopsie, publiés le 24 juin, Singh est mort d’une hémorragie et aurait probablement pu être sauvé si son employeur avait appelé les secours plus tôt. En effet, au moins une heure et demie se serait écoulée entre le moment de l’accident et l’appel au 112. Satnam Singh n’avait pas de permis de séjour et était exploité à la ferme, avec sa femme, au moins douze heures par jour, sans contrat régulier.

Je pense que tout le monde a entendu parler, au moins en termes généraux, de l’histoire tragique de Satnam Singh, un ouvrier indien décédé dans la campagne de Latina à la suite d’un accident de travail et du chemin de croix qui a suivi avec l’abandon de son corps “en morceaux” devant sa maison.

 

Cette tragédie, qui horrifie tout le monde et jette le discrédit sur le système agricole italien, est emblématique de tout ce contre quoi nous luttons en exigeant la mise en œuvre de l’Agenda 2030 de l’ONU. Elle est emblématique de toutes les revendications et de toutes les batailles que nous avons menées pour construire les objectifs de l’Agenda et ensuite les vérifier à travers des indicateurs qui évaluent leur progression au fil des années ; elle est emblématique de la nécessité de lier les droits, les secteurs productifs et l’environnement à la société qui y travaille, pour limiter le changement climatique et ses effets ; elle est emblématique du fait qu’il n’y a pas de tragédies qui ne soient pas liées de manière souvent dramatique à l’évolution de la planète.

 

Bras volés par l'agriculture, par Manuel De Rossi

 

Commençons par un élément qui est une métaphore du côté négatif du développement industriel, relatif à la sécurité au travail. Enfants, nous avons ri en regardant le film de Charlie Chaplin Les temps modernes, lorsque l’ouvrier est avalé par la machine et commence son voyage à l’intérieur de celle-ci.  C’est ce qui est arrivé à Luana D’Orazio à Prato, avalée par l’ourdisseur, la machine qui démêle les fils du tissu et aspire la personne qui y travaille si sa main se trouve sur les fils ; c’est ce qui est arrivé à la campagne à Satnam Singh parce que, si la machine qui débarrasse le sol des couvertures qui permettent de protéger les cultures ne ramasse pas le plastique qui s’est enfoncé dans le sol, il faut s’en éloigner pour éviter qu’elle ne vous attrape le bras.   Mais ce qui rend encore plus odieux les décès liés au travail survenus dans les campagnes, c’est le contexte et, avec lui, la trame des réactions qui ont conduit inexorablement à l’issue tragique. Les conditions de travail dans les campagnes sont indignes, mais elles sont acceptées, et l’invisibilité des personnes qui vivent de ce travail, de leurs familles, de leurs conditions de vie, est encore plus grande que l’invisibilité des crimes qui se cachent dans la boîte de tomates pelées ou de légumes que nous achetons. 

 

04/06/2024

JAMIL CHADE
Le changement climatique double le risque d'inondations dans le Rio Grande do Sul

 Jamil Chade, UOL, 3/6/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Une étude internationale indique que le changement climatique a doublé le risque d'inondations dans le Rio Grande do Sul, confirmant le rôle de la transformation de la planète dans la survenue de l'événement extrême enregistré au Brésil.



Inondations à Porto Alegre, Rio Grande do Sul, le 5 mai 2024. Photo Ricardo Stuckert / PR

Ces conclusions interviennent à un moment où une vague de fake news commence à déferler, niant que le chaos climatique que connaît la planète ait un quelconque impact sur le volume des précipitations dans le Sud du Brésil.

L'étude confirme que le phénomène El Niño a joué un rôle important dans l'intensification des pluies et que le manque d'investissement a également augmenté l'ampleur du drame, mais elle prévient que c'est le réchauffement de la planète qui a permis à l'événement extrême d'avoir plus de chances de se produire.

L'étude a été menée par 13 chercheurs du groupe World Weather Attribution, dont des scientifiques d’universités, d'organismes de recherche et d'agences météorologiques du Brésil, des Pays-Bas, de Suède, du Royaume-Uni et des USA. Certains des participants au processus travaillent en collaboration avec le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat des Nations unies (GIEC).

Des représentants de l'Imperial College London, de l'Université fédérale de Santa Catarina, de l'Institut national de recherche spatiale (INPE), de l'Institut météorologique royal des Pays-Bas et de l'Université de Princeton, entre autres, ont participé à l'enquête.

Selon le rapport, « pour comprendre l'effet du réchauffement d'origine humaine sur les inondations, les scientifiques ont analysé les données météorologiques et les modèles climatiques afin de comparer l'évolution de ces types d'événements entre le climat actuel, avec un réchauffement global d'environ 1,2 °C, et le climat préindustriel plus froid, en suivant des méthodes évaluées par des pairs ».

« Entre le 26 avril et le 5 mai 2024, de fortes pluies dans le Rio Grande do Sul ont provoqué d'importantes inondations qui ont touché plus de 90 % de l'État », expliquent les chercheurs.

 

Aperçu des inondations dans le Rio Grande do Sul , pour la période du 10 au 16 mai 2024. Source : OCHA

Pour eux, les fortes pluies représentent un événement extrêmement rare, qui ne devrait se produire qu'une fois tous les cent à 250 ans dans le climat actuel.

« Cependant, sans l'effet de la combustion des énergies fossiles, cet événement aurait été encore plus rare. En combinant les observations météorologiques et les résultats des modèles climatiques, les chercheurs ont estimé que le changement climatique a rendu l'événement deux fois plus probable et environ 6 à 9 % plus intense ».

Rapport du groupe World Weather Attribution

Selon les chercheurs, ces phénomènes deviendront « plus fréquents et plus destructeurs » à mesure que le réchauffement s'accentuera.

20/08/2023

MANUELA ANDREONI
L’Uruguay sous le choc d’une sécheresse “inattendue”

Manuela Andreoni, The New York Times, 10/8/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Une sécheresse dévastatrice a frappé un pays qui semblait disposer d’eau douce en abondance.

Le réservoir de Paso Severino en Uruguay le mois dernier. Photo : Gaston Britos/EPA, via Shutterstock

Depuis des mois, les Uruguayens boivent, cuisinent et se lavent avec de l’eau salée. La plus longue sécheresse jamais enregistrée dans le pays a laissé sa capitale, Montevideo, presque complètement à sec, ce qui a obligé la ville à ajouter de l’eau saumâtre à ses réserves.

La crise est frappante pour un pays qui semblait bénéficier d’une eau douce abondante et qui semblait être en avance sur le changement climatique, comme l’a rapporté le Times Magazine l’année dernière. Mais la sécheresse qui a sévi pendant trois ans a mis le pays à genoux.

Le stress hydrique est une préoccupation majeure dans le monde entier. Une crise similaire se produit actuellement dans certaines régions de l’Iran, et vous vous souvenez peut-être de la sécheresse de 2018 au Cap, et d’une autre à São Paulo, au Brésil, en 2015.

Le changement climatique n’est pas directement à l’origine de la sécheresse en Uruguay et dans l’Argentine voisine, comme nous l’avions signalé l’année dernière. Mais le réchauffement de la planète a été un facteur de chaleur extrême qui a aggravé la sécheresse, selon les scientifiques, en augmentant la perte d’humidité du sol et des plantes. La déforestation en Amazonie pourrait également avoir joué un rôle.

Quelle que soit l’ampleur du rôle du changement climatique, la sécheresse a mis en évidence le fait que les effets secondaires et les conséquences inattendues d’une planète qui se réchauffe peuvent perturber à peu près n’importe quel endroit sur terre.

Forage de puits dans le jardin

Le réservoir de Paso Severino, en Uruguay, qui alimente en eau plus de la moitié des 3,4 millions d’habitants du pays, n’avait plus que 2,4 % de sa capacité à la fin du mois de juin. Les autorités ont donc commencé à ajouter de l’eau provenant du Río de la Plata, un estuaire où l’eau douce de deux grands fleuves se mélange à l’eau salée de l’océan Atlantique.

L’afflux d’eau salée a fait grimper les niveaux de sodium et de chlorure à plus du double des niveaux considérés comme sûrs selon les directives internationales. Le gouvernement a demandé aux tout-petits, aux personnes âgées, aux femmes enceintes et aux personnes souffrant de maladies rénales et cardiaques chroniques d’éviter l’eau du robinet.

Les habitudes ont été bouleversées pour tout le monde. Ceux qui peuvent se permettre d’acheter de l’eau en bouteille l’utilisent pour tout. « Nous cuisinons les pâtes, lavons la salade et faisons du café avec elle », a écrit le mois dernier le journaliste uruguayen Guillermo Garat dans un article de Times Opinion. Avec l’eau du robinet, « les lave-vaisselle laissent des traces salées sur les verres et les assiettes. Se brosser les dents a le goût d’une gorgée d’eau de piscine ».



Manifestation contre les pénuries d’eau et la salinité à Montevideo en mai. Photo : Eitan Abramovich/Agence France-Presse - Getty Images

De nombreux habitants ont essayé de forer leurs propres puits dans l’espoir de trouver de l’eau potable, mais il n’y a guère de solutions à court terme, si ce n’est d’attendre la pluie. La sécheresse s’est un peu atténuée ces dernières semaines : le réservoir de Paso Severino est actuellement à environ 15 % de sa capacité. Mais si les niveaux de sel ont baissé par rapport à l’apogée de la crise, les recommandations du gouvernement en matière de santé restent valables.

Nous nous sommes tous endormis

Cela n’était pas censé se produire en Uruguay. Le pays a démontré sa capacité à agir de manière décisive et prévoyante pour lutter contre le changement climatique.

Une série de pannes d’électricité au début des années 2000 a incité le pays à révolutionner son infrastructure énergétique. Grâce à un plan gouvernemental et à des milliards de dollars d’investissements privés, 98 % de l’électricité uruguayenne provient de sources renouvelables. (Pour en savoir plus, lire l’article du Times Magazine).

La sécheresse a été un coup particulièrement dur pour le pays, le premier au monde à faire de l’accès à l’eau un droit fondamental.

« Ici, en Uruguay, l’eau propre fait partie de notre identité nationale », a écrit Garat. « Les écoliers apprennent que le pays a la chance de disposer d’une eau abondante et de qualité, grâce à de nombreux grands fleuves et à six grandes nappes aquifères ».

J’ai demandé à Ramón Méndez, ancien directeur national de l’énergie, ce qui n’a pas fonctionné cette fois-ci. Il m’a répondu que l’Uruguay avait été pris par surprise parce que ses habitants pensaient qu’il ne manquerait jamais d’eau douce. Après tout, il en avait tellement.


Le réservoir de Canelón Grande est une source d’eau essentielle pour Montevideo, la capitale de l’Uruguay. Photo : Matilde Campodonico/Associated Press

 « Nous avons pris du retard pour avoir une vision de la planification stratégique de l’eau », dit-il. Les critiques ont déclaré que la mauvaise gestion d’une série de gouvernements - l’un penchant vers la gauche, l’autre vers la droite - est en grande partie à blâmer. Le mois dernier, l’ancien président José Mujica a présenté ses excuses au peuple uruguayen, partageant la responsabilité avec son successeur.

« Nous aurions dû le faire avant », a déclaré Mujica à propos de la nécessité d’augmenter les réserves d’eau douce du pays. « Les gens vont m’en vouloir, mais nous nous sommes tous endormis ».

« Il n’y a pas de sécheresse, il n’y a que des pillages »

Les Uruguayens en colère ont manifesté dans les rues tout au long de la crise.

Ils sont en colère contre l’énorme secteur bovin du pays, car une vache typique consomme 40 litres d’eau par jour. Ils sont en colère contre Google qui prévoit d’installer dans le pays un centre de données qui nécessitera des millions de litres d’eau par jour pour refroidir les serveurs. Ils sont en colère contre un projet d’hydrogène vert parce qu’il utilisera de grandes quantités d’eau souterraine.

« Les gens en ont retiré un sentiment de rejet à l’égard de tout ce qui utilise de l’eau qui n’est pas destinée à la consommation humaine », m’a dit Méndez.

Selon Reuters, des graffitis ont été peints sur le mur de l’entreprise publique de distribution d’eau : « Ce n’est pas une sécheresse, c’est jute un pillage ».


“Pour les quartiers : de l’eau salée. Pour ceux d’en haut : des profits et de l’eau en bouteille. Ce n’est pas une sécheresse, mais un pillage”

La crise est survenue au moment où l’Uruguay tentait d’élaborer une stratégie pour l’avenir de son économie, au-delà des exportations de bœuf et de soja.

« Tout est à débattre en ce moment », dit Méndez, « et c’est une bonne chose, car c’est le bon moment pour construire une vision stratégique pour l’avenir, pour mettre sur la table la facture de l’eau, la facture environnementale du pays ».

J’ai demandé à Carmen Sosa [Commission nationale pour la défense de l'eau et de la vie (CNDAV)], une militante qui mène des manifestations sur l’eau depuis des décennies, ce qu’elle pensait des conséquences de ce moment pour l’Uruguay. Bien qu’elle soit préoccupée par des projets comme celui de Google, elle se réjouit que l’eau et le changement climatique soient devenus des sujets de débat importants pour les Uruguayens.

« Je pense que les gens ont commencé à comprendre », dit-elle.