Affichage des articles dont le libellé est Famine organisée. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Famine organisée. Afficher tous les articles

25/07/2025

GIDEON LEVY
L’infamie de la famine délibérée : la guerre de la faim menée par Israël à Gaza

 Gideon LevyHaaretz, 24/7/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Naeema, une mère palestinienne de 30 ans, est assise avec son fils de 2 ans, Yazan, souffrant de malnutrition, dans leur maison endommagée du camp de réfugiés d’Al-Shati, à l’ouest de Gaza, cette semaine. Photo Omar El- Qatta /AFP

Le plan israélien de nettoyage ethnique de la bande de Gaza progresse à un rythme soutenu, peut-être même mieux que prévu. Outre les succès significatifs déjà enregistrés en matière de massacres et de destructions systématiques, ces derniers jours ont vu une autre réalisation cruciale : la famine délibérée a commencé à porter ses fruits.

Les effets de cette politique se propagent rapidement, faisant des victimes en nombre comparable à celui des décès causés par les bombardements. Ceux qui ne meurent pas en attendant de la nourriture ont de fortes chances de succomber à la faim.

L’arme de la famine délibérée fonctionne. La Fondation « humanitaire » de Gaza, quant à elle, est devenue un succès tragique. Non seulement des centaines de Gazaouis ont été abattus alors qu’ils faisaient la queue pour recevoir les colis distribués par la Fondation, mais d’autres ne parviennent pas à atteindre les points de distribution et meurent de faim. La plupart sont des enfants et des bébés.

Rien que mercredi, 15 personnes sont mortes de faim, dont trois enfants et un bébé de six semaines. Cent deux personnes sont mortes depuis le début de la guerre, dont 80 enfants, et le nombre de morts est en hausse ces derniers jours.

Les images cachées au public par les médias locaux criminels israéliens, dont le manque de couverture de Gaza ne sera jamais oublié ni pardonné, sont vues par le reste du monde. Ces images rappellent les survivants des camps de concentration, des images de l’Holocauste. Les dissimuler revient à nier le phénomène.

Les squelettes de bébés et de nourrissons, vivants et morts, dont les os dépassent à travers des tissus adipeux brûlés ou des muscles flétris, leurs yeux et leurs bouches grands ouverts, leurs expressions mortes.

Des Palestiniens réagissent en demandant de la nourriture à une association caritative, en pleine crise alimentaire, à Gaza, en juillet. Photo Mahmoud Issa/Reuters

Ils gisent sur le sol des hôpitaux, sur des lits nus ou transportés sur des charrettes tirées par des ânes. Ce sont des images de l’enfer. En Israël, nombreux sont ceux qui rejettent ces photos, doutant de leur véracité. D’autres expriment leur joie et leur fierté de voir des bébés affamés. Oui, c’est aussi ce qui nous est arrivé.

Transformer la famine délibérée en une arme légitime et acceptable pour les Israéliens, que ce soit par un soutien ouvert ou par une indifférence glaçante, est l’étape jusqu’à présent la plus démoniaque dans la guerre lancée par Israël contre la bande de Gaza.

C’est aussi la seule pour laquelle on ne peut inventer aucune justification, excuse ou explication. Même l’appareil de propagande débordant d’Israël ne parvient pas à en trouver. La famine est devenue une arme légitime puisqu’elle constitue un autre moyen d’atteindre l’objectif : le nettoyage ethnique.

Il faut intérioriser ce fait et considérer la poursuite de la guerre sous cet angle. De même qu’Israël profite des morts causées par les armes, il profite aussi de la faim qui tue des centaines de personnes. C’est seulement ainsi qu’il sera possible de transformer Gaza en un lieu invivable , et c’est seulement ainsi que ses habitants partiront « de leur plein gré », d’abord vers la ville « humanitaire » , puis vers la Libye, ou Dieu sait où.

Des Palestiniens fuient leurs maisons avec leurs biens après que l’armée israélienne a ordonné l’évacuation de l’est de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, en mai. Photo Hatem Khaled/Reuters

La famine est désormais visible partout. Les journalistes palestiniens de Gaza qui n’ont pas encore été abattus par l’armée israélienne rapportent qu’ils n’ont rien mangé depuis deux ou trois jours.

Même des médecins étrangers ont parlé mercredi de ce qu’ils avaient mangé, et surtout de ce qu’ils n’avaient pas mangé. Une médecin canadienne de l’hôpital Nasser a déclaré n’avoir mangé qu’un petit bol de lentilles au cours des deux jours précédents. Elle ne pourra plus continuer à soigner les malades et les blessés de cette façon. C’est aussi une bonne chose pour Israël.

Une équipe d’Al-Jazeera a accompagné un jeune homme parti à la recherche de nourriture pour ses enfants. Il a cherché, cherché, jusqu’à trouver deux sacs de farine israélienne et une bouteille d’huile sur un étal de marché. Le prix était de plusieurs centaines de shekels le sac, et il est rentré chez lui les mains vides, auprès de ses enfants affamés. Le studio de télévision a ensuite détaillé les trois étapes menant à la mort par inanition. Les enfants de cet homme se trouvaient à la deuxième étape.


Un jeune Palestinien porte un sac de nourriture provenant d’un convoi du Programme alimentaire mondial (PAM) déchargé en route vers Gaza en juin. Photo Jehad Alshrafi / AP Aron Ehrlich / Illustration photo

Cette famine délibérée a fait de cette guerre la plus horrible des guerres israéliennes, et certainement la plus criminelle d’entre elles. Jamais deux millions de personnes n’avaient été affamées de cette façon.

Mais une chose est pire que la famine délibérée : l’indifférence avec laquelle elle est accueillie en Israël. À une heure et demie de route de l’endroit où un autre bébé, Yussef al-Safadi, est mort mercredi, sa famille n’a pas trouvé de substitut au lait maternel.

Au moment de sa mort, Canal 12 diffusait une émission de cuisine et le taux daudience était excellent.

Ben Jennings, The Guardian

22/07/2025

RUWAIDA AMER
Nous crevons de faim

Mon corps est à bout. Ma mère s’effondre d’épuisement. Mon cousin défie la mort chaque jour pour obtenir un peu d’aide. Les enfants de Gaza meurent sous nos yeux, et nous sommes impuissants à les aider.

Ruwaida Amer  ,+972 Magazine, 21/7/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Ruwaida Kamal Amer est une journaliste, productrice et réalisatrice (sur)vivant à Gaza. Elle a précédemment travaillé comme enseignante de sciences. Après le déclenchement de la guerre, elle est restée avec sa famille à Gaza, d’où elle rend compte du génocide en cours et de ses effets dévastateurs sur la population civile. Son travail a été publié par plusieurs médias internationaux tels qu’Al Jazeera English, Euronews et ABC News. Elle écrit régulièrement pour le magazine +972 sur la réalité quotidienne de la vie dans Gaza assiégée et sur la crise humanitaire, et elle met souvent en lumière des histoires qui sont souvent ignorées par les médias grand public.

 


Des Palestiniens tentent de recevoir un repas chaud préparé par des bénévoles, à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 20 juin 2025. (Abed Rahim Khatib/Flash90)

J’ai tellement faim.

Je n’ai jamais pensé ces mots comme je les pense aujourd’hui. Ils véhiculent une sorte d’humiliation que je ne peux pas vraiment décrire. À chaque instant, je me surprends à souhaiter : « Si seulement ce n’était qu’un cauchemar. Si seulement je pouvais me réveiller et que tout soit fini. »

Depuis mai dernier, après avoir été contrainte de fuir mon foyer  et trouver refuge chez des proches dans le camp de réfugiés de Khan Younès, j’ai entendu ces mêmes mots prononcés par d’innombrables personnes autour de moi. Ici, la faim est vécue comme une atteinte à notre dignité, une cruelle contradiction dans un monde qui se targue de progrès et d’innovation.

Chaque matin, nous nous réveillons avec une seule idée en tête : trouver quelque chose à manger. Je pense immédiatement à notre mère malade, qui a subi une opération de la colonne vertébrale il y a deux semaines et qui a maintenant besoin de se nourrir pour se rétablir. Nous n’avons rien à lui offrir.

Et puis il y a ma petite nièce et mon petit neveu, Rital, 6 ans, et Adam, 4 ans, qui réclament sans cesse du pain. Et nous, les adultes, nous essayons de résister à notre propre faim afin de garder les miettes pour les enfants et les personnes âgées.

Depuis qu’Israël a imposé un blocus total  sur Gaza début mars (qui n’a été que légèrement assoupli fin mai), nous n’avons pas mangé de viande, d’œufs ou de poisson. En fait, nous avons dû renoncer à près de 80 % de notre alimentation habituelle. Nos corps sont à bout. Nous nous sentons constamment faibles, désorientés et déséquilibrés. Nous sommes facilement irritables, mais la plupart du temps, nous restons silencieux. Parler demande trop d’énergie.

 

Huda Abu Al-Naja, 12 ans, accompagnée de sa mère, reçoit un traitement contre la malnutrition à l’hôpital Nasser de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 25 juin 2025. (Doaa Albaz/Activestills)

Nous essayons d’acheter tout ce qui est disponible sur les marchés, mais les prix deviennent impossibles. Un kilo de tomates coûte désormais 90 NIS (= 23€). Les concombres sont à 70 NIS le kilo (= 18€). Un kilo de farine coûte 150 NIS (= 39€). Ces chiffres semblent scandaleux et cruels.

Nous survivons avec un seul repas par jour : généralement du pain, fait avec la farine que nous avons réussi à trouver. Si nous avons de la chance, le déjeuner comprend parfois un peu de riz, mais cela ne suffit pas à nous rassasier. Nous essayons de mettre un peu de nourriture de côté pour ma mère, peut-être quelques légumes, mais ce n’est jamais assez. La plupart du temps, elle est trop faible pour se tenir debout, trop épuisée pour même prier.

Nous ne sortons presque plus de chez nous, de peur que nos jambes ne nous lâchent. C’est déjà arrivé à ma sœur : alors qu’elle cherchait dans les rues quelque chose, n’importe quoi, pour nourrir ses enfants, elle s’est soudainement effondrée sur le sol. Son corps n’avait même plus la force de rester debout.

Nous avons commencé à prendre conscience de la gravité de la crise alimentaire lorsque le boulanger Abou Hussein, connu de tous dans le camp, a commencé à réduire son activité. Il cuisait auparavant pour des dizaines de familles chaque jour, dont la nôtre, qui n’avons plus ni gaz ni électricité pour cuisiner. Du matin au soir, ses fours à bois fonctionnaient sans interruption.

Mais récemment, il a été contraint de réduire progressivement son temps de travail hebdomadaire. Ma sœur rentrait à la maison et disait : « Abou Hussein est fermé. Il travaillera peut-être demain. » Aujourd’hui, trouver de la pâte et de la farine est devenu une véritable épreuve.

Trois générations en proie à la famine

Dans le camp, j’ai compris la véritable cruauté de ce génocide : la promiscuité étouffante, la foule de réfugiés chassés de leurs maisons et les innombrables récits de famine.

 

Une femme palestinienne déplacée nourrit des enfants à Al-Mawasi, dans le sud de la bande de Gaza, le 13 juillet 2025. (Doaa Albaz/Activestills)

Je vis actuellement chez ma tante, qui nous a recueillis après notre déplacement et nous héberge depuis deux mois. Comme presque tous les autres bâtiments du camp, sa maison a été presque entièrement détruite par les attaques israéliennes. Les frères et sœurs de ma tante ont travaillé sans relâche pour réparer ce qu’ils pouvaient et ont réussi à rendre une pièce habitable.

La maison déborde de petits-enfants, chacun luttant contre la faim. Mon cousin aîné, Mahmoud, est père de quatre d’entre eux. Il a lui-même perdu près de 40 kilos au cours des derniers mois. Les signes de malnutrition sont visibles partout sur son visage pâle et son corps émacié.

Chaque jour avant l’aube, Mahmoud se rend dans les centres de distribution d’aide humanitaire gérés par les USA, risquant sa vie  pour essayer de ramener de quoi manger à ses enfants affamés. Depuis que je suis arrivé chez eux, il me raconte jour après jour les mêmes histoires poignantes.

« Aujourd’hui, j’ai rampé à quatre pattes parmi une foule de milliers de personnes », m’a-t-il récemment confié en me montrant un sac rempli de restes de nourriture qu’il avait réussi à récupérer. « J’ai dû ramasser tout ce qui était tombé par terre : des lentilles, du riz, des pois chiches, des pâtes, même du sel. J’ai mal partout où j’ai été piétiné, mais je dois le faire pour mes enfants. Je ne supporte pas d’entendre leurs cris de faim. »

Un jour, Mahmoud est revenu les mains vides. Il était livide et semblait sur le point de s’effondrer. Il m’a raconté que l’armée israélienne avait ouvert le feu sans avertissement. « Le sang d’un jeune homme à côté de moi a éclaboussé mes vêtements, m’a-t-il dit. Pendant un instant, j’ai cru que c’était moi qui avais été touché. Je me suis figé, persuadé que la balle était dans mon corps. »

Le jeune homme s’est effondré juste devant lui, mais Mahmoud n’a pas pu s’arrêter pour lui venir en aide. « J’ai couru plus de six kilomètres sans me retourner. Mes enfants ont faim et attendent que je leur ramène à manger », a-t-il déclaré d’une voix brisée, « mais ils ne seront pas contents si je rentre mort ».

 
Un Palestinien blessé récupère de l’aide humanitaire distribuée par des organisations internationales à Gaza, dans le nord de la bande de Gaza, le 26 juin 2025. (Yousef Zaanoun/Activestills)

Mon autre cousin, Khader, a 28 ans. Il a une fille de 2 ans et sa femme est enceinte. Il est rongé par l’inquiétude pour leur enfant à naître, qui doit venir au monde dans deux mois. Sa femme ne mange pas correctement et chaque jour, il reste assis en silence, tourmenté par les mêmes questions : Cette famine va-t-elle nuire à ma femme ? L’enfant qu’elle mettra au monde sera-t-il en bonne santé ou malade ?

Sa fille de deux ans, Sham, pleure toute la journée parce qu’elle a faim. Elle réclame du pain, n’importe quoi d’autre que les aliments insipides et lourds à digérer qui composent son régime quotidien, à savoir du riz, des lentilles et des haricots, qui lui ont donné la diarrhée à plusieurs reprises.

Un jour, une amie de Khader lui a donné une poignée de raisins pour elle. C’était un petit miracle. Khader s’est agenouillé à côté de Sham et lui a offert les raisins, mais elle les a simplement regardés, jouant avec eux dans ses petites mains et refusant de les manger. Elle ne les reconnaissait pas : en deux ans de vie à Gaza, elle n’avait jamais vu de raisins.

Ce n’est que lorsque son père en a mis un dans sa bouche et lui a souri qu’elle l’a imité avec hésitation. Elle a mâché. Puis elle a ri.

Les corps s’éteignent

Je me tiens souvent à la porte de la maison, à regarder les enfants du camp. Ils passent la plupart de leur temps assis par terre, le regard vide, fixant les passants. Quand je demande à l’un d’eux de m’acheter une carte Internet pour que je puisse travailler ou appeler ma nièce depuis la maison du voisin, ils me répondent d’une voix faible et fatiguée. Ils me disent qu’ils ont faim. Qu’ils n’ont pas mangé de pain depuis des jours.

Je n’ai que 30 ans, mais je ne suis plus la femme énergique que j’étais autrefois. Avant, je travaillais de longues heures. entre l’enseignement et le journalisme, mais depuis que cette guerre a commencé, je n’ai pas eu un instant de répit. Je jongle entre des tâches ménagères épuisantes — prendre soin de ma mère et de ma famille — tout en essayant simultanément de continuer à documenter et à rédiger  à propos de tout ce qui se passe autour de moi.

 

Une femme palestinienne déplacée prépare du pain sous sa tente, à Al-Mawasi, dans le sud de la bande de Gaza, le 13 juillet 2025. (Doaa Albaz/Activestills)

Mais depuis environ un mois, je ne suis plus capable de suivre l’actualité. Je n’arrive plus à me concentrer. Mon corps est à bout. Je souffre d’anémie après avoir mangé exclusivement des lentilles et d’autres légumineuses pendant des mois. Et depuis deux jours, je ne peux plus avaler à cause d’une grave inflammation de la gorge, conséquence de ma consommation excessive de dukkah et de piments rouges pour tenter d’apaiser ma faim.

Mahmoud, un photographe de 28 ans qui travaille avec moi sur des reportages vidéo, est également en difficulté. « Je n’ai rien mangé depuis deux jours, à part de la soupe », m’a-t-il récemment confié. « Je n’ai plus la force de travailler. » Personne n’en a la force. Travailler pendant un génocide exige une force impossible à maintenir. La famine a paralysé la productivité de tous les travailleurs de Gaza.

Hier, j’ai accompagné ma mère à l’hôpital Nasser pour une séance de kinésithérapie après son opération. Sur le chemin, nous avons vu des dizaines de personnes qui ne pouvaient pas marcher plus de quelques mètres sans devoir s’arrêter pour se reposer. Ma mère était dans le même état : ses jambes étaient trop faibles pour la porter. Elle s’est assise sur une chaise en plastique au bord de la route, rassemblant le peu d’énergie qu’elle pouvait pour continuer.

Alors que nous continuions à marcher, nous avons entendu des cris. Des jeunes hommes et femmes couraient en criant de joie : « Il y a des camions de farine dans la rue ! » Une foule immense s’était formée. Les gens couraient désespérément vers les camions pour tenter d’obtenir un sac de farine.

C’était le chaos. Personne n’escortait les camions pour s’assurer que tout le monde puisse obtenir sa part en toute sécurité. Au lieu de cela, nous avons vu la foule se précipiter vers des zones dangereuses contrôlées par l’armée israélienne, juste pour obtenir de la farine.

Certaines personnes sont revenues avec des sacs. D’autres ont été tuées. Nous avons vu des corps emportés sur les épaules d’hommes, abattus à bout portant là où l’aide était censée leur sauver la vie.

Des Palestiniens transportent un homme blessé par des tirs israéliens alors qu’il tentait d’obtenir de l’aide alimentaire dans la rue Al-Rashid, au nord de la ville de Gaza, le 16 juin 2025. (Yousef Zaanoun/ActiveStills)

18 morts de faim en 24 heures

Après la séance de thérapie, nous avons quitté l’hôpital et sommes passées devant des femmes qui pleuraient sur leurs enfants affamés, mourant sous nos yeux. Une femme, Amina Badir, hurlait en serrant son enfant de 3 ans dans ses bras.

« Dites-moi comment sauver ma fille Rahaf de la mort », s’écria-t-elle. « Depuis une semaine, elle ne mange qu’une cuillère de lentilles par jour. Elle souffre de malnutrition. Il n’y a pas de traitement, pas de lait à l’hôpital. Ils lui ont retiré son droit à la vie. Je vois la mort dans ses yeux. »

Selon le ministère de la Santé à Gaza, le nombre de morts dus à la faim et à la malnutrition depuis le 7 octobre a augmenté  à 86 personnes, dont 76 enfants. Hier, il a  signalé  que 18 personnes étaient mortes de faim au cours des dernières 24 heures seulement. Le personnel médical a tenu un piquet de protestation à l’hôpital Nasser pour demander l’intervention internationale avant que davantage de personnes ne meurent de faim.

Je n’ai pas trouvé de taxi pour nous ramener à la maison. Ma mère a attendu à la porte de l’hôpital pendant que je cherchais un moyen de transport, mais le carburant est rare et les taxis sont pratiquement inexistants. J’ai passé une heure entière à essayer.

Quand je suis revenue, j’étais étourdie et faible. Je me suis effondrée. J’ai essayé de rester forte pour ma mère, mais il n’y avait personne d’autre avec nous. Autour de moi, je voyais des gens s’évanouir partout. Un homme m’a dit : « S’il y avait eu de la nourriture convenable, ta mère ne serait pas tombée aussi malade. »

Nous essayons tous de nous réconforter mutuellement dans cette famine sans fin. Sur Facebook, les gens expriment leur colère, publiant post après post sur la politique d’affamement menée par Israël qui a mis Gaza à genoux. Nous ne pouvons plus faire les choses les plus élémentaires que les gens font chaque jour partout dans le monde. La faim nous a tout pris.

20/07/2025

LYNA AL TABAL
Sur l’extermination par la faim des Gazaoui·es

Dr Lyna Al TabalRai Al Youm, 20/7/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala 

Mohammed, un enfant gazaoui de 12 ans, a perdu son père hier. Il ne reste plus de sa famille que des visages affamés qui s’échangent des regards... rien que des regards. En temps de famine, personne n’appelle personne par son nom. Le nom ne convient pas à un estomac vide.


Et Gaza est pleine de noms qui n’ont plus de voix. On dit : « Un enfant est mort », « Une femme est morte », mais personne ne demande : « Qui ? Comment s’appelait-il ? » Car quand l’humain a faim, il perd son identité, sa voix, son image, et même son droit à un nom.

Un enfant de douze ans pèse vingt-cinq kilos, on peut compter ses côtes une à une, elles sont aussi visibles qu’une carte, mais elles ne mènent nulle part. Sa peau est tendue sur ses os, il n’y a pas de couche de graisse pour protéger son corps. Ses bras sont si maigres que ses mains semblent plus grandes que ses avant-bras, et ses doigts sont très longs. Son ventre est creusé... Mohammed marche, si on peut appeler ça marcher, ça ressemble plutôt à un rampement ou à un glissement... Son visage est petit, ses joues creuses, ses yeux très grands en raison de l’atrophie des muscles qui les entourent. Sa voix est faible, fatiguée. Il respire parfois rapidement, en raison de la faiblesse de la masse musculaire de son appareil respiratoire. Sa peau est sèche, comme si la mer de Gaza ne l’avait plus humidifiée, elle est squameuse et d’une couleur pâle. Ses ongles sont tachetés de blanc et ses cheveux sont clairsemés et tombent.

Les médecins appellent ça une malnutrition aiguë et chronique... Moi, j’appelle ça l’alliance arabo-israélienne pour l’extermination des Gazaoui·es.

Des dizaines de martyrs tombent chaque jour, sous les bombardements et aussi de faim... Aujourd’hui, l’armée d’occupation, qui a vu 54 de ses soldats se suicider à cause du nœud gazaoui, peut se reposer... La série de suicides secoue la société israélienne de l’intérieur, comme un tremblement de terre : plus besoin de faire bombarder par nos fils et filles... Ici, à Gaza, la faim est plus forte que les balles, que toutes les armes de votre armée stupide, et plus meurtrière que l’uranium appauvri...

La mort, quand elle vient lentement, vous laisse le temps de comprendre que vous mourez parce que vous êtes Palestinien, rien de plus.

Quand l’humain a faim, le corps ressent une gêne le premier jour et consomme le reste du glucose. Le deuxième jour, il passe à la combustion des graisses. Le cinquième jour, l’air devient plus dense et plus lourd que le béton... Les organes commencent à disparaître : le foie rétrécit, le cœur ralentit, le cerveau s’embrouille. La peau se dessèche et le corps devient une chambre vide où seul résonne le bruit de la respiration.

Le septième jour, vous riez comme un idiot, votre système nerveux ne distingue plus les signaux et votre visage ne sait plus pourquoi il bouge tout seul. Le dixième jour, vous avez envie de goûter quelque chose, n’importe quoi...Il y a un homme qui a trempé du bois dans l’eau et l’a mangé... Un autre a mangé du sable et un troisième a mangé des pierres... Une femme a creusé sous terre pour extraire la racine d’un arbre mort, elle l’a extraite pour nourrir son enfant... L’enfant est mort avant d’avoir pu goûter la racine...

Et le quatorzième jour, le sang commence à faiblir, il ne circule plus comme avant, comme s’il en avait assez... Comme s’il te méprisait et te disait : « Brûle tout seul. Je ne serai pas complice de cette mascarade ».

Non, la faim à Gaza ne te tue pas si facilement que ça... La faim n’est pas ton bourreau miséricordieux, la faim est sadique, elle n’aime pas la rapidité. Elle te laisse en vie, juste pour que tu assistes à ta mort, lentement, avec ennui et conscience.

Et si tu fais partie des chanceux, oui, il y a aussi de la chance en enfer, tu meurs en faisant la queue, avec ta carte de l’ONU, en attendant ton tour... Tu meurs pour un sac de farine avec un logo bleu délavé.

À Gaza, il n’y a pas de famine... Il y a un abattoir, des corps affamés étendus, exposés devant les écrans, une fatigue bon marché et un silence encore moins cher, et la dignité de la nation arabe vaut un quart de shekel... C’est peut-être le millionième génocide... Le chiffre n’a pas d’importance, ce qui importe, c’est que c’est un génocide par la faim et qu’Israël commet un génocide contre les affamés de Gaza.

Vous vous sentez déprimés ? Bien. C’est le début du sentiment.

Mais rions un peu cette fois-ci, tant la situation est merdique... De l’autre côté de Gaza, à Ramallah, il y a un président qui s’appelle Mahmoud Abbas, surnommé « Abou Mazen ». En réalité, il est toujours occupé à une seule tâche : « suivre la situation ».


Oui, il suit... et il suit aussi son sommeil. Alors que Gaza mâche le sable et enregistre les noms des martyrs, Abou Mazen continue de dormir.

Et quand quelqu’un lui demande son avis sur les massacres, il soupire, ouvre un œil à moitié et dit : « Nous sommes en contact », mais qui appelle qui ? Il dit, à moitié endormi : « Les services de sécurité consultent les services de sécurité ».

Au cours de sa longue carrière politique, plus longue que la vie des enfants, des femmes et des hommes de Gaza, il n’a jamais pris position, sauf après s’être assuré que cela ne dérangerait personne à Tel-Aviv ou à Washington... C’est le seul président palestinien qui dort plus qu’il ne gouverne.

Qui a dit que l’Autorité de Ramallah était absente ? La voici, présente avec toutes ses trahisons.

Comme d’habitude, le ministère palestinien des Affaires étrangères a publié un nouveau communiqué. Oui, un communiqué. Il y condamne ce qu’il appelle « les crimes de meurtre collectif visant les centres de distribution d’aide humanitaire ». C’est beau, le langage est soigné, la phrase est bien construite et la condamnation est, comme d’habitude... Mais qui, parmi les membres de l’Autorité de Ramallah, a déjà connu la faim ? Le ministre des Affaires étrangères s’est-il assis sous le soleil de Rafah et a-t-il bu l’eau de mer ?

Le communiqué poursuit textuellement : « C’est un nouvel épisode de la série de meurtres qui poursuit plus de deux millions de citoyens dans la bande de Gaza, sous diverses formes, notamment les bombardements, la famine, la soif, le privation de soins médicaux et de médicaments... «

Un nouvel épisode dans la série... Quelle série, Monsieur le Ministre ? Sommes-nous dans la quatrième saison d’une série télévisée du ramadan ? Personne ne rit. À Gaza, les gens n’ont pas la télévision pour regarder cette farce... Les habitants de Gaza n’ont pas besoin qu’on leur décrive leur situation.

Vos citoyens affamés n’attendaient pas de communiqué... Ils attendaient du pain... Quant au coupable, son nom n’a pas été mentionné, il est inconnu, comme d’habitude... Gaza est exterminée et le ministère recopie ses communiqués précédents... Bravo, applaudissements nourris.

L’ONU continue de jouer son rôle d’observateur aveugle... et proteste contre le non-renouvellement du visa de son chef de bureau, Jonathan Wynn.

Imagine, mon cher, que tu aies besoin d’un visa pour entrer dans un cimetière... Imagine que le travail humanitaire soit désormais subordonné à la signature du meurtrier.

La raison ? Parce que « Wital » a osé déclarer lors d’une conférence de presse que les habitants de Gaza mouraient de faim en essayant d’accéder à la nourriture.

Quelle déclaration insolente : les gens meurent de faim.

Autrefois, ils vous affamaient... puis ils vous jetaient une boîte de sardines depuis les airs en disant « Tais-toi, nous avons essayé ». Aujourd’hui ? Pas besoin d’essayer.

Vous vous souvenez ? Le roi de Jordanie envoyait son aide à Gaza depuis le ciel, transportée par des avions. Des boîtes soigneusement emballées, jetées depuis les airs dans la mer face à Gaza... Nous riions à l’époque, nous nous moquions, nous critiquions et disions : « C’est un spectacle aérien de l’humiliation ».

Mais regardez-nous aujourd’hui : même ce spectacle bon marché a pris fin... Pas d’avions, pas de parachutes, pas une seule boîte de sardines. Même l’humiliation n’est plus à notre portée... L’UNRWA a suffisamment de nourriture pour nourrir la population de Gaza pendant des mois... La nourriture est à El-Arish, dans des caisses empilées. Mais Gaza n’est pas à El-Arish. Il ne manque qu’une seule chose à cette nourriture : qu’on la laisse entrer.

Au même moment, Anas al-Sharif, courageux correspondant, tweete d’une voix à moitié morte, à moitié vivante : « Je n’ai pas cessé de couvrir l’actualité depuis 21 mois. Mais je vacille, je lutte contre l’évanouissement qui me poursuit à chaque instant. Gaza meurt, et nous mourons avec elle », crie Anas. « Cette mort doit cesser. Ce blocus doit être brisé ».

Nous te voyons, Anas, et nous connaissons ton courage... Nous entendons ta voix brisée, et Gaza n’est pas seule à mourir... Nous mourons avec elle. Ce qui se passe à Gaza n’est pas loin de nous, cela se passe en nous... dans nos nerfs, dans notre peau, dans notre conscience qui n’est pas encore morte malgré leurs tentatives... Nous te voyons, Anas, nous t’entendons, nous mourons avec Gaza, car celui qui ne meurt pas avec elle est déjà mort, froid, sans pouls, exclu de la vie.

Je ne m’étendrai pas, car les estomacs vides ne supportent pas les longs articles. Ce n’est pas un article sur la famine, ni sur le massacre. C’est un article sur l’extermination des affamés, qui n’est pas suffisamment qualifiée en droit international... Il n’existe aucune convention internationale ni aucun pacte international pour protéger les peuples de l’extermination par la faim.

Mohammed n’est pas encore mort, mais il s’en approche, tranquillement... N’oublie pas, Anas, de lui dire bonjour s’il passe près de toi. Et donne-nous de ses nouvelles s’il disparaît...

Et que tout le monde aille au diable...

J’ai écrit. C’est tout ce que j’ai. Et toi, qu’as-tu fait pour un enfant qui pèse 25 kilos ?